Dylan (3)

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La fin de l’année approchait quand le drame se noua : Thomas et Romain furent pris en flagrant délit. Dans cette école religieuse, cela devint un événement inacceptable. Les deux garçons furent renvoyés, sans raison affichée, mais tous les enseignants et encadrants se mirent à mettre en garde contre ces pratiques contre nature. Il n’y avait pas les mots, mais chacun savait pertinemment de quoi il s’agissait. Aussitôt, des regards soupçonneux se portèrent sur Dylan : si deux garçons avaient fauté ensemble, ce ne pouvait être qu’avec lui ! Jusqu’à présent, il avait su contrecarrer les ondes mauvaises de cette rumeur vers sa famille. Pris comme ses comparses par une angoisse, ils cessèrent tous de se rencontrer, redoutant une révélation publique et le courroux familial, ou pire.

L’annonce du suicide d’un des deux coupables, Romain, jeta un froid. Toutes les procédures furent arrêtées et un pesant silence remplaça les sermons moralisateurs.

Dylan avait apprécié la gentillesse de Romain, ses longues digressions sur son Thomas qui était si parfait. Comme avec Pierre, c’était différent : il y avait plus que cette mécanique très jouissive du plaisir, mais uniquement physique. Cette annonce terrassa Dylan. C’était donc impossible ! Tout leu était donc refusé. Il aurait aimé parlé avec Thomas, lui dire ce qu’il ressentait, sa peine et, aussi, que Romain avait été un garçon formidable. Thomas avait toujours été distant et il n’avait pas son adresse. Même le malheur ne pouvait être partagé. Pourquoi l’avait-on enchaîné dans la solitude ? Autre chose en lui existait pourtant…

Ils apprirent que Romain avait survécu, mais qu’il aurait des séquelles graves. Dylan ne tenait plus, incapable de résister à cette tempête de sentiments inconnus. Il profita de son samedi pour aller à l’hôpital. Dans la chambre, la mère de Romain veillait son fils.

— Tu es vraiment gentil d’être venu ! Tu es son premier camarade à venir !

Même Thomas n’était pas venu ! Dylan ressentit cet abandon douloureux, dû sans doute à des interdictions incontournables et sans pitié.

— Comment va-t-il ?

— Il va vivre…

— Et…

— Il ne sera plus jamais comme avant… Son cerveau a souffert des médicaments qu’il a avalés. On ne sait pas, mais il y a des risques d’aphasie, d’apraxie, d’altération forte de son esprit…

— Pauvre Romain. C’est terrible. On était un peu ami. Il était gentil…

Un silence se fit. Dylan n’en crut pas ses oreilles quand il entendit :

— C’est peut-être mieux pour lui…

— Comment ça ?

— Je préfère avoir à m’occuper de lui handicapé que de le savoir…

— De le savoir quoi ?

— Tu sais pourquoi il a été renvoyé ?

— On ne nous a rien dit…

— Il a fauté avec un camarade. Il serait devenu…

Le mot ne sortait donc pas. Dylan voulait l’entendre.

— Devenu quoi ? C’est quoi fauter ? Je sais qu’il avait un grand ami...

— Ne prononce pas ce nom !

— Mais l’amitié forte entre garçons, c’est courant à cet âge…

Qu’en savait-il ? Il voulait tant défendre Romain ! Il souffrait tant avec lui.

— Qu’est-ce que tu en sais ? Tu en fais partie ? Tu es comme lui ?

— Non, non, pas du tout…

Dylan avait jeté la religion aux orties depuis longtemps, même s’il continuait à accompagner sa famille aux cérémonies. Mais en ce moment, il ressentit ce que Saint Pierre avait vécu en niant sa raison de vivre.

— Ces tarés d’homosexuels pourrissent toute notre société ! Voilà ! Oui, j’aurais préféré qu’il meure plutôt qu’il soit maudit !

Cela ressemblait tellement à ce qu’il entendait chez lui. Romain ne méritait pas ça ! Lui non plus ne méritait pas ça ! Il sut qu’il devait se préparer à rompre avec sa famille. Lui ne se tuerait pas pour leur faire plaisir !

— On peut lui parler ? On peut le toucher ?

— Lui parler, oui, mais il ne comprend rien. Le toucher ? Pourquoi ?

C’était trop. Il avait trop envie de pleurer. Il quitta précipitamment la chambre, sans avoir pu dire adieu à Romain.

En arrivant chez lui, sa mère remarqua son bouleversement. Il voulait aller pleurer, elle le retint, l’obligea à avouer son chagrin. Il savait qu’il allait entendre les mêmes mots. Il savait qu’il avait envie de fuir cet endroit, cette famille, ce monde. Il osa parler d’amitié. Sa mère posa le mot de « particulières » à côté. Il ignorait ce terme, mais comprit le mépris associé.

— Tu le connaissais donc bien ?

— Oui, nous étions amis…

— Tu veux dire que tu es comme lui ?

— Non, pas du tout !

Pour la deuxième fois, il niait sa nature, il niait sa vie, l’obligeant à intérioriser sa non-existence.

— Je comprends sa mère ! Moi aussi, je préfèrerais voir mes fils comme des légumes ou morts, plutôt que comme pervertis.

Il se retint de lui lancer : « Pour ce que tu as été comme mère ! ». Il interrompit à nouveau ce dialogue impossible. Plus rien n’avait de sens. Il dut encore essuyer un discours moral de son père qu’il écouta sagement, l’esprit vidé de sa substance, le cœur au bord du précipice. Il venait de se dédoubler : la façade devant et le révolté derrière, le révolté brisé, le révolté sans avenir.

Les dernières semaines passèrent vite. Il retrouva ses pratiques, car ils avaient besoin de reprendre entre eux ces gestes de jouissance pour effacer l’horreur et les angoisses passées. Cette fuite en avant dans le plaisir leur faisait tellement de bien.

Lors du camp d’été, David tenta de revenir avec de grands sourires. Dylan l’ignora, ayant retrouvé un de ses compagnons.

A la rentrée, les anges de bonheur de son paradis avaient disparu, le faisant retourner dans sa solitude qu’il ne supportait plus. Il fut obligé de reprendre la vie de famille, évitant le moindre heurt, le moindre mot, car le lycée n’avait pas d’internat, Sa déception fut grande, car il ne détecta aucun garçon comme « possible », bien qu’ils soient trop nombreux à être désirables. Dans ce lot, Lucas se détachait tellement que Dylan s’en épris instantanément, toujours en ignorant la signification de ce sentiment qui emportait le cœur. Non seulement Lucas était beau, souriant, accueillant, mais il était le seul à ne pouvoir être situé sur la ligne des « possibles » : Dylan le déplaçait sans cesse, sans arriver à savoir pourquoi une telle incertitude existait.

Ce garçon était si différent des autres, avec sa beauté éblouissante qui magnétisait filles et garçons. Il ne se posait pas comme chef, plutôt comme fédérateur, animant ce groupe informe par ses gentillesses et ses sourires. Dylan le fuyait sans pouvoir le quitter, effrayé à l’idée de ne pouvoir retenir ses pulsions amoureuses et sexuelles. Ses nuits étaient consacrées à son idole qui l’emportait dans des orgasmes puissants.

Sa vie se réduisait à ces instants, car tout le reste n’était plus que dissimulation. Il savait toute sa famille hostile aux gens comme lui. Les discussions des oncles et tantes portaient sur cette invasion, confondant les immigrés et les déviants sexuels ou autres comme causes de la déliquescence de leur société. Un jour, se promettait-il, il leur cracherait à la gueule leurs conneries , dégoulinantes de bondieuseries.

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