Andréa - X

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19h23

Je traverse le couloir menant à l’entrée de la maison puis continue mon chemin et monte les marches deux par deux. Des larmes ont perlé à mes yeux à cause des propos tranchants de ma sœur. Mais il n’y a-t-il pas que la vérité qui blesse ? J’ai besoin de m’isoler, d’être un peu seule. J’ai besoin de calme pour me ressourcer, même s’il ne s’agit seulement de quelques instants.

À peine arrivée dans ma chambre, je me jette lourdement sur le matelas, qui craque sous mon poids. Je reste quelques instants à fixer le plafond blanc, sur lequel enfant je me suis amusée à coller des étoiles phosphorescentes. De cette manière, j’avais toujours l’impression de dormir à la belle étoile. Au bout de quelques secondes, je réalise que je devrais profiter de l’occasion pour réessayer de répondre à Antoine. Je me redresse un peu trop rapidement et donc ma vision se trouble. À ce moment-là, on toque à la porte. Je découvre ma marraine sur le seuil, essayant de passer discrètement la tête dans l’entrebâillement.

— Je peux venir ?

J’hoche la tête et m’assois au bord du lit. Je tapote doucement ma couette pour l’inviter à me rejoindre, ce qu’elle fait en silence. Tata Zizi reste me regarder avant de prendre la parole.

— J’ai entendu le ton monter entre Iris et toi. Je voulais juste m’assurer que ça allait.

Ma tante m’a souvent fait penser à un petit lutin ou une fée, toujours discrète mais bien présente. Elle réhausse ses grosses lunettes sur le haut de son nez. La monture vient camoufler les tâches de rousseur de ses pommettes. J’aime bien voir ces drôles de constellations brunes car nous avons les mêmes. Cette ressemblance me rapproche d’elle. Ses interminables cheveux lisses ne lui encadrent pas le visage aujourd’hui puisqu’ elle les a attachés avec une barrette en bois.

Pour toute réponse, je lui fais un signe positif de la tête même si dans le fond, je sais que tout ne va pas bien. Un ami m’a déclaré sa flamme et je ne sais pas quoi lui répondre, Solal m’en veut de ne pas lui avoir dit, Emma flirte ouvertement avec ce dernier, Tata Olé semble décidé à mettre le bazar dans cette fête d’anniversaire et Yanis essaye de monter ma propre sœur contre moi, ce qui fonctionne. Non, tout est loin d’être aussi parfait que je l’espérai mais je m’abstiens de le faire remarquer.

— Nous n’avons pas pu discuter de la remarque d’Yvan toute à l’heure. Comment tu te sens ?

En entendant cette question, j’esquisse un léger sourire. Je reconnais bien ma tante, à toujours vouloir prendre soin des autres. Je ne peux m’empêcher de me demander qui fait attention à elle en retour. Elle est la seule de la fratrie à ne pas s’être mariée et à ne pas être parent. Et certains membres de la famille aiment le lui rappeler.

— Je ne sais pas.

Cette réponse, somme toute banale et incertaine, est pourtant la seule me venant à l’esprit. Le pire réside sans doute dans le fait que ce soit la stricte vérité. Je ne sais pas. Je ne sais pas si je dois tenir compte de ce énième commentaire sur mes doutes. Je ne sais pas si je dois éprouver quelque chose de particulier. Je ne sais pas ce que je veux faire dans la vie. Je ne sais pas s’il est normal de ne pas savoir quoi faire dans la vie après cinq d’études. Je ne sais pas s’il n’est pas trop tard. En y réfléchissant, ce n’est pas que je ne sais pas, c’est que je ne sais rien.

Et quand je prends le temps d’y penser, je sens mes entrailles se serrer et une boule se former dans ma gorge car j’ai peur. Je crains de décevoir, de ne pas trouver ma place, de ne pas faire ce qu’on attend de moi. Obtenir mon diplôme est une fierté mais me retrouver sans formation, sans projet me donne la nausée. J’ai besoin d’un cadre, je ne suis rassurée que lorsque je contrôle les événements.

J’ai l’impression d’être à un carrefour de ma vie, sans savoir quelle direction emprunter. La route plus longue ? Le chemin de traverse ? Le trajet le plus facile ? Ou le voyage semé d’embûches ?

Alors les sourires que j’arbore ne sont que des façades afin de changer le plus rapidement possible de sujet de conversation. Les personnes me connaissant le savent, les autres sont juste trop ravis que la discussion se rapporte sur eux. Et je ne vais pas les priver de ce plaisir.

— Tu as eu des retours concernant ton roman ?

Je baisse les yeux sur mes doigts en train d’arracher la peau autour de mon ongle de pouce droit. Je n’ai pas la force de lui dire que là non plus, rien ne se passe comme je l’avais espéré. Tata Zizi a passé tellement d’heures à me relire, à me faire des suggestions de modifications. Elle a même cherché des maisons d’éditions dont la ligne éditoriale pouvant correspondre à ce que j’avais à proposer. Elle s’est beaucoup investie dans mon projet. Mon silence vaut toutes les réponses. Je lui suis, silencieusement, reconnaissante de ne pas insister.

Un long silence s’installe entre nous mais ce n’est pas inconfortable. Ma marraine est l’une des rares personnes avec qui l’absence de bruit ne rime pas avec gêne. C’est sans doute dû aux soirées cinéma-pyjama que nous avons passé ensemble, durant lesquelles l’une d’entre nous finissait toujours par s’endormir. Enfin, c’était surtout mon cas car Tata Zizi est habituée aux longues nuits blanches à lire ou regarder des vieux films. D’ailleurs, c’est elle qui m’a fait découvrir Alfred Hitchcock.

— À moins qu’il y ait autre chose qui te tracasse ?

Cette interrogation sonne comme une invitation aux confidences. Je ne la lui fais pas répéter deux fois et décide de m’épancher sur mes malheurs. Bien que muette quelques instants plus tôt, je lui raconte tous les derniers événements. Aucun n’est épargné dans mon récit. J’essaye d’être le plus objective possible, de m’en tenir aux faits mais me connaissant, je ne sais pas si j’y parviens réellement. Faire un résumé m’apparait toujours comme une mission impossible. Là où certaines personnes commencent par le point A pour finir deux minutes plus tard par le point B, je prends une dizaine de chemins différents remplis d’anecdotes n’ayant pas toujours un lien direct avec l’intrigue principale.

D’une patience à toute épreuve, ma tante m’écoute très attentivement. Elle hoche à plusieurs reprises la tête, m’encourageant à poursuivre mon histoire. Je la surprends plusieurs fois à faire danser ses sourcils : un coup en haut puis en bas en fonction de ce que je lui raconte.

Une fois mes péripéties terminées, une drôle de moue se dessine sur le visage de mon interlocutrice. Elle ne sait pas quoi dire et ce n’est pas grave. Je ne pense pas avoir besoin de réponses. Parler m’a fait du bien, je me sens mieux. Un petit rire nerveux échappe alors à ma tante.

— Ton histoire me fait penser à celle de Mammig. Je ne sais pas si on te l’a déjà raconté.

Mes épaules se soulèvent légèrement pour lui démontrer que je n’en suis pas sûre ; moi non plus.

— Lorsque Mammig était jeune fille, elle a reçu une lettre d’amour de la part d’un jeune garçon du village. Mais elle ne partageait pas ses sentiments.

Elle marque une courte pause afin d’instaurer un léger suspens. Elle n’est pas sans connaître mon goût prononcé pour ce genre de commérages, même s’ils datent de plusieurs dizaines d’années. Malheureusement, elle ne reprend pas son histoire car la voix de son frère résonne en bas de l’escalier.

— Andréa ! Aziliz ! Venez ! C’est la remise des prix ! On a les grands gagnants !

— Enfin ! souffle ma tante en se levant de mon lit.

— Et alors ? La lettre de Mammig ?

Tata Zizi me devance dans le couloir puis sur la mezzanine. Avant de commencer à descendre, elle se retourne vers moi en riant déjà à cause de la fin de son anecdote.

— À l’époque, ta grand-mère était dans une école où les bonnes sœurs faisaient classe. Avec leur aide, elle a corrigé toutes les fautes d’orthographe. Apparemment elles étaient nombreuses. Puis elles ont retourné la lettre à son expéditeur. Sans un mot de plus.

Cela ne m’étonne absolument pas de Mammig. Je suspectais déjà que sa malice soit innée. Je prends quelques secondes de réflexion avant de répondre.

— Avec les textos aujourd’hui, c’est plus compliqué.

— Je te l’accorde.

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