Le voyage

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Journal de bord du professeur Sam Gladen — Jour 0

Nous voilà à bord de l’Octopa. Il est exactement midi au port spatial de Cap Canaveral, et le vaisseau décollera dans une heure. C’est le jour J pour le lancement de la mission Octopa Mars One.

La NASA utilisera l’effet de fronde gravitationnelle pour nous propulser. L’attraction terrestre va nous catapulter vers l’espace, direction Mars.

Mes coéquipiers sont, tout comme moi, excités par ce voyage. Six mois pour atteindre Mars, et poser pour la toute première fois dans l’histoire de l’humanité, un pied sur la planète rouge.

Nous serons des pionniers. Les premiers colons à s’installer sur une autre planète, pour creuser son sable, découvrir ses trésors cachés, et tout faire pour rendre la vie agréable à sa surface. Nous construirons des dômes avec une gravité terrestre simulée, un immense jardin recréé de toute pièce, et tout ce qui sera nécessaire à notre survie d’abord, puis à notre vie et nos attentes ensuite.

Je dois délaisser mon journal de bord pour quelques heures, le temps au vaisseau de prendre sa vitesse de croisière.



L’Octopa voyage maintenant depuis presque quatre mois. L’équipe à son bord passe son temps à entretenir la végétation embarquée, à envoyer des messages asynchrones à leur famille restée sur Terre, à dormir et à s’entretenir physiquement à cause du manque de gravité. Le professeur Sam Gladen commence à trouver le temps long. Il n’a laissé aucune famille sur Terre, aucun parent, juste une amie, Élisa, qu’il ne reverra sans doute pas avant plusieurs années. Alors il a préféré couper les ponts, Sam est ce genre d’homme, qui n’aime pas trop s’attacher aux gens. Il aime la solitude, ses travaux de recherches qui lui prennent tout son temps. Mais quatre mois dans un vaisseau spatial, c’est long. À regarder les étoiles se mouvoir si lentement, à lire, et à discuter de broutilles techniques avec ses collègues, Sam sature. Il a de plus en plus de mal à s’endormir le soir, comme s’il somnolait déjà toute la journée devant son ordinateur.

Les autres commencent à s’inquiéter pour lui. Le voyant errer dans les couloirs du vaisseau la nuit, tel un fantôme volant lentement au milieu des vivants. Mais Sam est têtu, il leur fait croire que tout va bien, qu’il gère ses propres problèmes. Seul.



Journal de bord du professeur Sam Gladen — Jour 125

J’ai réussi à tenir à l’écart les autres le plus longtemps possible, pour ne pas mettre en péril la mission… Mais je ne tiens plus, alors je vais l’écrire ici. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive. Je ne dors plus. Plus depuis un moment. Un long moment.

22 jours.

Il m’est arrivé de fermer l’œil quelques secondes, mais c’est très rare. Je pensais que l’être humain ne pouvait survivre plus de 3 jours sans dormir. Mais moi j’ai dépassé ce stade depuis bien longtemps ! Et je n’ai pas l’impression d’avoir de quelconques symptômes. Je mange bien, je suis toujours concentré dans mes recherches, je n’ai pas de faiblesses physiques… Mais je ne suis pas médecin. Il doit forcément y avoir un truc qui cloche chez moi.

Est-ce que ce serait à cause de l’espace ? À cause de l’absence de gravité ? Les autres n’ont pas l’air d’avoir le même souci. J’hésite à en informer le docteur Giebers, s’il s’avère que j’ai chopé quelque chose d’étrange, ils vont me confiner ou me renvoyer directement sur Terre par une des navettes. Et si j’en informais Élisa… elle pourrait faire des recherches… mais la NASA doit sans doute lire et écouter tous les échanges qui sortent du vaisseau…



La planète rouge se fait de plus en plus grosse dans le panorama splendide de l’infini étoilé. Le voyage arrive presque à son terme, et les pionniers trépignent d’impatience de pouvoir enfin commencer leur aventure. Sam a pris l’habitude de rester couché la nuit, pour ne pas éveiller les soupçons de ses coéquipiers. Deux mois sans dormir, ses recherches ont avancé à une vitesse impressionnante, vu le double de temps qu’il a eu à y consacrer. À y réfléchir toutes les nuits, et à mettre en pratique la journée. Mais son angoisse aussi n’a fait qu’augmenter. Il appréhende la première nuit sur Mars, dans le dôme qu’ils auront construit. Il espère de toutes ses forces qu’il réussira enfin à dormir.

L’Homme qui ira sur Mars est déjà né. Cette phrase, Sam se la répétait en boucle depuis sa plus tendre enfance. Après avoir vu le reportage étonnant d’un astronaute ayant posé un pied sur la Lune. Il voulait être cet homme. Et il a réussi. Aujourd’hui, engoncé dans sa tenue étanche et étouffé par le casque, son cœur palpite. Faisant écho contre ses tympans, résonnant au plus profond de lui.

Sara Trelor est la première à sortir du vaisseau. Les pionniers ont tiré à la courte paille la veille, et sont heureux que le premier pas sur la terre rouge soit fait par une femme. Elle pousse un hurlement de joie quand elle rebondit hors du vaisseau. Tous les cœurs des colons se mettent alors à battre plus fort, partageant sa joie.



Journal de bord du docteur en biologie Sara Trelor — Jour 183

J’ai ouvert la porte lourde, et découvert devant moi une étendue immense, comme je n’ai jamais pu en observer sur Terre. Un nouveau monde s’est ouvert à moi. Pur, brut. Une nouvelle page de l’humanité à écrire. Une toile vierge où nous pourrons créer la vie. Si je croyais en Dieu, je dirais que mon équipe et moi-même sommes les dieux de cette terre. Des pionniers, prêts à en découdre avec tous les accrocs que nous rencontrerons. Et les pinceaux en poche, nous n’attendons plus que de peindre aux mille couleurs notre nouveau chez nous. Nous avons réussi la première étape. Le reste ne sera que du positif.

Mais en descendant les quelques marches qui me rapprochaient du sol, j’ai eu une appréhension. Une grande responsabilité pèse sur mes épaules et celles de mon équipe. Ce morceau de nature doit être caressé, modelé, formé avec soin. Il ne faut pas commettre les mêmes erreurs que sur notre planète mère.

Puis j’ai enfin posé un pied sur le sol, et commencé à y marcher. Mes pas rebondissaient et faisaient apparaître de petits nuages de poussière. Cette poudre ocre me fit penser à un tapis explosif. Mais ce n’est que de l’oxyde de fer. Cette rouille magnifique qui donne au ciel ce teint rubigineux.

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