Chapitre 6 - Lyam

8 minutes de lecture

Nous rejoignons la voiture, et une fois installés, ma mère ne cesse de fixer son regard sur moi. Ses yeux pétillent de curiosité et de questions qu’elle rêve de me poser.

— Vas-y, dis moi ce que tu as en tête, lui demandé-je amusé.

— Mais je n’ai rien, Lyam.

Je souris. Bien sûr que si, mais elle n’aime pas lorsque je lis en elle.

— Allez, maman. Ne te fais pas prier.

— Ok, ok. Je me demandais comment avais-tu fait la connaissance de la nouvelle maîtresse ?

Mince ! Je n’ai pas envie de lui raconter notre rencontre. Je ne suis pas persuadé qu’elle apprécierait de savoir combien je me suis conduit en véritable connard. J’imagine bien lui dire : “Oh tu sais, rien de grave, je l’ai juste traitée de grosse vache !”. Bon, ceci dit, elle s’est plutôt bien défendue il faut l’avouer. J’espère juste qu’elle ne prenne pas en grippe Hope à cause de mon attitude envers elle, bien qu’elle ne semble pas être ce style d’instit’, mais sait-on jamais. À priori, la hache de guerre est enterrée, nous verrons bien. Je ne m’attendais tellement pas à la revoir, et encore moins dans ces circonstances. Quel choc ! Ses filles et ma baby avaient l’air de bien s’entendre lors de la réunion d’entrée, si seulement cette année pouvait mieux se passer que la précédente. Je ne supporterai pas que ma fille subisse encore les moqueries des autres gamins. L'année dernière, j'ai laissé cet abruti de maître gérer, mais tu parles, il n'a rien fait du tout. Si ça se reproduit, je m'en occuperais moi-même et irais trouver les parents !

— Lyam, je t’ai posé une question.

— Pardon, je pensais à Hope, soufflé-je. On s’est croisé au pub une fois avec les mecs.

— Ne me dis pas que tu as agi avec elle comme avec les autres ?

Houla, non ! Ça ne risque pas d’arriver ! Trop teigneuse, petite et en chair.

Trop comme Erin.

Je préfère m’oublier avec des nanas aux grandes et fines jambes, comme sa copine. Et même si elle m'avait tapé dans l'œil, je ne vais pas coucher avec la maîtresse de ma fille, ce serait bien trop d'emmerdes.

— Non, j’ai pas baisé avec elle.

— Ton langage, Lyam ! Tu sais très bien que je n’aime pas lorsque tu parles comme ça.

Je lui sers un sourire contrit alors qu’elle secoue la tête dépitée.

— Tu sais, c’est plus une femme comme cette madame Healy qu’il te faudrait, rajoute-t-elle. J’ai d’ailleurs vu qu’elle ne portait pas d’alliance.

Ah ça, aucune chance !

— Oh non, maman ! Oublie tout de suite. Il ne se passera rien entre Beibhinn et moi.

— C’est dommage, elle est vraiment charmante et semble si douce.

J’éclate de rire devant le regard ahuri de ma mère. Douce ? Ce n’est pas le premier mot qui me vient en tête quand je pense à elle.

— Tu sais, j’aimerais tellement te voir épanoui avant qu’il ne m’arrive quelque chose.

Je perds instantanément mon sourire. Le souvenir de mon père malade me revient en pleine tronche. Mes mains se mettent à trembler en serrant le volant.

— Tu es malade ? lui demandé-je des trémolos dans la voix.

— Oh non, mon Lyam ! Désolée, je ne voulais pas te faire peur.

Sa main se pose sur ma jambe agitée en signe de réconfort.

— C’est juste que je ne suis pas éternelle, ta sœur va construire sa vie et…

— Et quoi ?! Hope vous a, et c’est déjà bien assez ! m’énervé-je.

Je souffle un moment, le temps pour moi de calmer mes nerfs à vif.

— On a déjà eu cette discussion maman, reprends-je plus calmement. Je ne pourrais pas remplacer Erin, tu le sais.

— Je sais bien, mon fils. Et ce n’est pas ce que je te demande. Mais je suis également inquiète pour toi. Tu papillonnes à droite et à gauche. Je ne suis pas sûre que cela soit sain pour toi, pour ta fille et pour ton avenir.

J’arrive devant chez elle, me gare le long de la clôture. Le sujet revient trop régulièrement sur le tapis à mon goût. Bien qu’agacé, je sais au plus profond de moi qu’elle a raison, mais je refuse de m’y résoudre.

— Essaie juste de réfléchir à ce que je t’ai dit. Je m’inquiète. Tu as beau avoir trente-cinq ans, tu restes mon enfant, mon bébé. Je ne veux que ton bien.

— Je sais mamaí, soufflé-je en utilisant ce petit surnom affectueux.

Je serre sa main, toujours sur mon genou, et dépose un baiser sur sa joue avant qu’elle ne rentre chez elle, reconnaissant de l’avoir dans ma vie.

Le trafic dans Waterford est horrible jusqu'à la cristallerie. Les paroles de ma mère ne cessent de tourner dans ma tête. J’arrive finalement avec quelques minutes de retard et me gare donc rapidement. En avançant, je repère un couple un peu plus loin et grimace en remarquant Aaron avec une fille qui ressemble à s'y méprendre à Nya. Et pour cause, c’est elle ! Putain, il va m’entendre !

— Qu'est-ce que vous faites ? grondé-je en me postant devant eux.

Ma sœur sursaute et porte sa main à son cœur.

— Lyam ! Tu m’as fait une de ces peurs !

Aaron détourne le regard alors que Nya me fixe droit dans les yeux.

— J’ai dit : qu’est-ce que vous faites ?

— Oh ! Tu vas te calmer, le dragon, et ranger tes griffes acérées ! Je venais te voir et je suis tombée sur Aaron.

Ce dernier réagit à son prénom et ses joues se colorent. Merde, mais il joue à quoi, ce con ?

— Je vais vous laisser. Nya, ça m’a fait plaisir de te voir.

Il s'enfuit presque et manque de renverser un collègue avant même d’attendre une réponse de notre part.

— Qu'est-ce que tu veux, alors ? je demande à ma sœur.

— Oh, je venais voir comment s'était passée la rentrée d’Hope.

Au prénom de ma fille, je m'adoucis instantanément. Elles sont très proches, ma sœur a toujours tout fait pour essayer de pallier le manque qu'elle pouvait ressentir. Je pensais jusqu’ici que nous avions réussi à garder un certain équilibre. À tort, si j’en crois les dernières discussions avec ma mère.

— Ça s’est bien passé, enfin je crois. Elle s’est fait de nouvelles copines, alors j’espère que cette année sera meilleure.

— Je te l’avais dit que ça irait mieux.

— On verra, je reste sur mes gardes. Et sinon, tu dois aller bosser ?

— Oui, je vais rencontrer un fournisseur dans moins d’une heure. Tu viens me chercher ce soir pour la récupérer à l’école ?

— Oui, pas de soucis. Elle sera contente de te voir.

Je lui claque une bise sur la joue avant qu’elle ne s’en aille pour la boutique qu’elle vient d’ouvrir, un café littéraire. Encore une de ses nouvelles lubies.

Je passe la journée à me demander comment se déroule celle d’Hope. Heureusement que le travail réussit quelquefois à me détourner l’esprit. En ce moment, nous travaillons avec Noah sur une commande de plusieurs lustres suspendus alliant LED et boules en cristal de différentes tailles tombant en cascade. Le rendu est vraiment sympa.

Je prends ma canne et cueille du verre en fusion dans le four avant de la poser sur le trépied face à moi. Je souffle dedans une première fois, très brièvement, pour créer une bulle. Ensuite, je continue plus lentement jusqu’à obtenir la taille idéale. L’image d’Hope s’impose dans mon esprit. Elle se trouve dans un coin subissant les moqueries de ses camarades de classe pendant que Beibhinn s’occupe de ses filles. La boule explose avant même d’avoir eu le temps de la modeler. Je râle contre moi-même alors que Noah m’observe depuis son four. Je recommence mais la seconde explose à l’instant où son visage baigné de larmes réapparaît, la troisième également.

— Qu’est-ce qui t’arrive ? Viens, on fait une pause.

Je n’ai pas remarqué Noah qui s’est approché et s'est arrêté à mes côtés. Malgré mes muscles tendus par l’effort, je réussis à déposer mon matériel silencieusement et délicatement.

Une fois dans la salle de pause, il me tend une bouteille d’eau et une serviette que j’attrape.

— Alors ?

J’essuie la transpiration de mon visage et avale une gorgée avant de répondre.

— Rien, soufflé-je.

— Me prends pas pour un con, Lyam. Je vois bien que tu as la tête ailleurs. Casser en chaîne le verre, c’est pas ton genre.

— Je pense juste à Hope et à sa nouvelle maîtresse, lui avoué-je.

— Aaaah ! T’as envie de te la faire ? me demande-t-il d’un air taquin.

— Houla, non, ça ne risque pas ! Tu sais très bien l’horreur que ça a été l’année dernière, j’espère que cette fois-ci tout se passera bien.

— Aie foi en la crevette, elle va les amadouer, j’en suis persuadé. Et sinon, cette nouvelle maîtresse ? demande-t-il en faisant des vagues avec ses sourcils.

Je l’espère sincèrement. Depuis ce matin, je ne pense qu’à ça.

— Au fait, tu ne devineras jamais qui est son instit’.

— Hmm, je ne crois pas en avoir dans mes connaissances.

— Et pourtant… C’est Beibhinn, tu sais, celle avec qui tu as fini ta nuit.

Il me jauge un instant puis éclate de rire.

— Oh putain ! La jolie abeille est l’instit’ de ta fille ?

J’acquiesce du menton alors qu’il se moque royalement de moi.

— C’est bon ? T’as fini de te foutre de ma gueule ? bougonné-je. Et c’est quoi ce surnom à la con que tu lui donnes ?

— Bah… Bei, bee, abeille… Bref. Ça s’est mal passé ?

— Étrangement, non. Mais, c’est pas tellement elle qui m’inquiète, c’est plus les gamins qui la faisaient chier l’année dernière.

— Hey, tu verras ça se passera bien. Elle m’avait l’air plutôt censée comme nana. Tu en as parlé avec elle ?

— Ouais, elle m’a dit qu’elle surveillait tout ça de près.

— Et bien tout roule, alors ! Fais-lui confiance, Ok ? Allez, on y retourne, et arrête de péter des boules sinon on va devoir faire des heures supp’ pour finir la commande.

J’acquiesce et le suis en silence. Je me sens un peu rassuré, mais pas complètement. J’ai vraiment hâte d’être à ce soir pour en être sûr. Sur le chemin du retour, je croise Aaron qui change de trajectoire. Depuis ce matin, il ne fait que me fuir, il faudra que je règle ça aussi, que je lui rappelle que ma sœur est hors limites. Mais pas maintenant, j’ai suffisamment de merdes en tête pour en rajouter.

Devant ma canne, je respire profondément avant de l’empoigner. Je me concentre de nouveau sur mon souffle, mes gestes. Je n’ai vraiment pas envie de partir plus tard ce soir, et il faut que je remporte la partie contre Noah.

Depuis notre discussion, je ne casse plus aucune pièce. Je loge le verre encore liquide dans un moule en bois afin de lui donner une forme régulière sans cesser de tourner la sarbacane en fer. Là où les créations à la cristallerie demandent habituellement plus de travail, ici pour de simples boules, nous avons presque fini. Une fois celle-ci séparée d’un coup franc sur la tige, la pièce est déposée dans l’arche pour refroidir. Et on recommence.

La journée se poursuit, l‘esprit légèrement plus serein.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Lucie "LaFéeQuiCloche" Lake ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0