Chapitre 18 - Lyam

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Cela fait des semaines que Bei me fait la tronche. Je devrais me sentir content, après tout, c’est ce que je voulais. Ne plus être tenté. Mais non, curieusement, ça me fait franchement chier. À chaque fois que je la croise à l’école, j’ai envie de m’excuser pour mon attitude, mais la façon dont elle me fusille du regard m’empêche de le faire. Nya, bien qu’elle ne semble pas avoir les détails de la fin de soirée, sait qu’il y a un eu un souci, sûrement dû au fait que je me suis saoulé toute la nuit et lui ai laissé des messages sans queue ni tête sur sa messagerie. Elle a tenté de me faire parler, cependant jusqu’ici, j’ai réussi à passer entre les mailles du filet. Je ne sais pas combien de temps je vais réussir à donner le change, mais ma sœur n’est pas connue pour lâcher le morceau si facilement.

Tandis que je me promène dans les rues du centre-ville de Waterford, où le marché de Noël annuel s’est implanté, à la recherche de cadeaux à offrir, mon attention est soudainement attirée par des voix non loin de moi. Je me fige, attirant des oeillades sévères des passants que j’ai bloqué. Seulement à trois mètres devant, Bei discute et sourit à un homme qui, de toute évidence, bave sur elle. Ils sont en train de récupérer des chocolats chauds commandés à un vendeur ambulant. Alors que je l’observe dans mon coin, je ne peux empêcher mon cœur de rater un battement. Jusqu’ici, je l’avoue, j’ai essayé de ne pas l’apprécier, d’éviter de m’imaginer une vie qui m’a fuit depuis longtemps. Et pourtant, engoncée sous sa doudoune, son épaisse écharpe et son bonnet, j’arrive à trouver charmant ses joues rougies par le froid, plaisant ses yeux qui pétillent de malice en sentant sa boisson, hypnotisant ses lèvres charnues recouvertes de cacao. Mais lorsque sa langue passe sur ses dernières pour en lécher le breuvage et qu’un gémissement de contentement s’échappe de sa gorge, c’est une toute autre partie de mon anatomie qui réagit. Mon esprit se repasse les images qu’il a gravées en lui, des instants dont il est très difficile d’oublier l’extase ressenti. Pour la première fois depuis des années, je n’ai pas ressenti l’amertume de la perte d’Erin. Ça et le fait que Bei lui ressemble tellement. Pas sur le plan physique, mais sa façon d’être. Une femme forte, libérée et apparemment libre sexuellement. C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à fuir. Je me suis senti perdu. Mais surtout en rage contre moi-même, même s’il a été plus facile, sur le moment, de la reporter sur une Beibhinn en colère, mais ô combien désirable. Bref, je me suis comporté comme un véritable enfoiré – une fois n’est pas coutume –, et je suis dans une belle merde quand l’évidence du désir que je ressens émerge peu à peu en moi. Même si Bei me fait ressentir à nouveau certaines émotions – sur lesquelles je refuse de mettre un mot –, je ne réussis toujours pas à passer au-delà de la promesse faite à Erin.

Je suis sorti de mes pensées lorsque des petites voix m’appellent. Aylin et Ciara sont devant moi. Et là, je comprends. C’est une putain de sortie en famille ! Je déglutis difficilement. Je m’en veux, j’aurais peut-être pu vivre ça avec eux. Je deviens cinglé, à un moment je pense avoir pris la bonne décision, mais l’instant d’après, je veux plus, beaucoup plus. Elle me rend complètement fou.

Alors que je me baisse pour saluer les copines d’Hope, je ressens le regard de Bei sur moi. Je me redresse et fais face au nouveau couple. Je les observe tour à tour, plante mes iris dans celles de Beibhinn qui me défient.

— T’as vu, maman ? Il y a Lyam, annonce Ciara. Elle est où Hope ?

— Oui, on a vu, réplique-t-elle cinglante.

— Hope est avec sa grand-mère, réponds-je aux filles en faisant abstraction du ton malaimable employé.

L’homme qui l’accompagne me dit quelque chose, il me semble l’avoir déjà croisé à plusieurs reprises, mais à cet instant, je n’arrive pas à savoir où. Il me tend sa main tout en se présentant. Ce Andrew essaie d’écraser ses doigts autour des miens lorsque nous nous saluons, mais alors que je lui retourne l’effet avec bien plus de force, celui-ci grimace. Un rictus joueur s’affiche sur mes lèvres.

— Je dois y aller. J’ai été heureux de vous voir les enfants, Hope vous réclame, ça fait un moment que vous n’êtes pas venues à la maison.

Bei me fusille du regard devant mon invitation dont elle se passerait bien. Je m’éloigne un sourire placardé sur mon visage alors qu’elle commence à se faire harceler par ses filles, légèrement rassuré lorsque j’aperçois ce Andrew vouloir la prendre par la taille, mais qu’elle effectue un mouvement de recul.

***

Chaque année au moment des fêtes de fin d’année, la cristallerie nous permet d’utiliser ses fours afin de confectionner de petits objets pour offrir à nos proches. Habituellement, je ne reste jamais, cela fait bien des années que je n’ai eu envie de créer pour quelqu’un en particulier. Lorsque j’ai croisé il y a plusieurs jours Bei au marché de Noël, j’ai eu une idée qui a émergée dans ma tête : lui créer une suspension pour le sapin. Quelque chose de simple mais d’élégant, une goutte d’eau à accrocher. J’espère que ça permettra d’enterrer la hache de guerre.

Habituellement, cela me prendrait très peu de temps, mais je n’arrête pas de me prendre la tête car j'arrive à trouver un défaut à chaque gouttelette qui part au four. À ce compte, c’est un cadeau à tout Waterford que je vais être capable de faire. Je sais au fond de moi que chacune des pièces est nickel. Je décide de m’arrêter là pour ce soir et de les laisser refroidir dans le four. Je verrais bien en revenant lundi ce que cela aura donné, de toute façon, je ne compte pas voir Bei avant notre baignade annuelle* à Ballymacaw Cove Beach, le vingt-six. Je sais qu’elle y sera. Nya l’y a invitée et elle a accepté.

Lorsque je rejoins ma voiture, je mets en charge mon téléphone qui n’a plus de batterie. Le temps que ma vieille caisse chauffe, je l’allume. Il ne cesse de s’allumer à cause de multiples notifications. Nya a tenté de me joindre à plusieurs reprises. Je ne prends pas la peine d’écouter les innombrables messages, et la rappelle de suite.

— Ah enfin ! J’arrête pas de t’appeler ! râle-t-elle.

— Oui, j’ai vu. J’étais à l’atelier et je n’avais plus de batterie. Que se passe-t-il ?

— Juste pour te rappeler que tu dois amener l’Irish Christmas Cake pour le réveillon de Noël.

— Tu m’as appelé… attends, enlevé-je le téléphone de mon oreille afin de vérifier le nombre d’appels. Ah oui, quand même, dix-huit fois ! Tout ça pour un gâteau ?

— Et bien, comme tu ne répondais pas et que les garçons ne savaient pas où tu étais, je me suis inquiétée. J’avais peur que tu fasses comme il y a quelques semaines, ajoute-t-elle d’une toute petite voix.

— Nya, ne t’inquiète pas pour moi. Tout va bien d’accord ? Je suis ton grand frère, c’est à moi de veiller sur toi, non l’inverse.

— Arrête avec ça, s’agace-t-elle.

Je ressens dans son ton ses yeux qui se lèvent au ciel.

— Jamais, réponds-je en raccrochant.

La mort d’Erin a créé en moi une telle crainte de perdre les gens que j’aime le plus, que je ressens le besoin de les protéger. Trop fort certainement. Mais cette insécurité est ancrée profondément en moi.

* Chaque année, les irlandais les plus courageux démarrent la nouvelle année par un petit plongeon dans l’océan Atlantique ou au sein de la mer d’Irlande. Une façon de se revigorer et de célébrer un renouveau dans la joie et la bonne humeur (et éventuellement de se remettre d’une bonne gueule de bois !) ! Traditionnellement fêtée le 25 Décembre, pour le bien de l’histoire, je me permets une petite incartade.

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