Chapitre 21

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Mes émotions étaient sans dessus dessous. Ce qui venait de se passer était totalement contraire à ma nature. Je la tenais. J'étais en face d'elle, un pistolet à la main et j'étais reparti de son appartement sans lui faire le moindre mal. Alors que j'étais venu la tuer. Mais elle avait su instiller en moi un désir d'en savoir plus. Je l'avais écoutée, j'avais examiné les preuves qu'elle m'avait présenté. Et je l'avais crue. 

La vérité, du moins ce qu'on en connaissait, était tellement invraisemblable qu'elle tombait presque sous le sens. Je secouai la tête. Mes pensées n'en avaient plus aucun, de sens. Une myriade de détails, d'événements, maintenant que j'y pensais prenaient un jour nouveau. Ou apportaient davantage de questions, je ne savais pas vraiment. Croire qu'Oreley n'était qu'un terrain d'expériences pour le Conglomérat semblait possible. Mais qu'ils aient créés toute une génération d'habitants à partir de clones, ça me faisait presque tourner de l'œil. Tous ceux nés avant 2110, date où Oreley avait été mise en activité, se trouvaient être des clones. Alors, ça voudrait dire… ma mère... Ma mère en était un aussi. Une autre Molly Cordell avait vendu son génome au Conglomérat et ils l'avaient utilisé pour peupler Oreley. J'eus un vertige à cette pensée. 

Kaylin prétendait que ces gens vivaient dans un monde bien différent du nôtre. Que la vie à ce New York n'avait rien à voir avec celle que nous connaissions. Est-ce que ça voulait dire que l'autre Molly, non la vraie Molly... Je réalisai que pouvais très bien avoir des demi-frères ou sœurs dans cet autre monde. Mais pouvait-on les considérer comme ma fratrie, si nos mères étaient des copies l'une de l'autre ? Je me doutais que le Conglomérat n'avait eu aucune considération pour ce genre de questions existentielles lors du lancement de leur précieux Projet. La stricte sélection de souvenirs qu'ils avaient opéré sur la première génération montrait bien qu'ils voulaient que leur monde d'origine soit totalement inconnu pour leurs cobayes. Et ces salauds avaient breveté le processus, faisant des futures générations leur propriété. On leur appartenait, ils nous avaient marqué comme du bétail et les perturbateurs étaient balayés. Mais quel était leur objectif premier ? Pourquoi faire tout ça ? Je me resservis un verre, espérant noyer mes questions dans l'alcool. Je me réveillerai peut-être demain et réaliserai que tout ceci n'avait été qu'un mauvais rêve. 

Le réveil fut rude le lendemain. J'avais finalement bu toute la bouteille et j'en payais le prix. Je tanguai jusqu'à ma salle de bain. Je m'accroupis et m'accrochai aux toilettes, le temps que la nausée passe. Ensuite, je rejoignis la cuisine dans un état second. Je paramétrai un remède pour la gueule de bois sur mon frigo et mis un verre sur la grille. Une mixture verte épaisse coula dans le récipient. Ça ne donnait vraiment pas envie. Contrairement à son aspect peu avenant, la boisson n'avait strictement aucun goût. J'en ai eu besoin à plusieurs reprises alors je saisis le verre avec confiance. Je le vidai d'un trait avant de boire de l'eau. Le breuvage faisait effet en quelques minutes à peine. Merci Conglomérat Santé...

La journée d'hier, contrairement à ce que j'avais espéré, n'était pas un cauchemar. Je me rappelai parfaitement de la situation précaire dans laquelle nous nous trouvions. D'ailleurs, nous n'avions que peu de temps pour agir. Il fallait supposer que le Conglomérat allait prendre d'autres mesures pour nous faire taire quand ils comprendront que je m'étais retourné contre eux. J'avais dit à Kaylin que j'essayerai d'obtenir d'autres informations. Mais vers qui me tourner pour les obtenir ? D'ordinaire, je me débrouillai seul pour trouver les données dont j'avais besoin. Je n'avais pas vraiment de contact spécifique mais on trouvait de tout au marché noir. Du papier contrefait aux logiciels de DeathInstant, il suffisait d'y mettre le prix.

J'attendis la tombée de la nuit dans un état second. Je m'étais affalé dans mon canapé, à regarder divers programmes holographiques pour passer le temps. Je me laissai absorber par les émissions abrutissantes, refusant de ressasser davantage les questions de la veille, ce qui n'aurait pas tarder de me redonner envie de boire. Il valait mieux que je sois sobre pour me rendre dans le réseau souterrain en début de soirée. Les actions illicites profitaient toujours de la faveur de la nuit, même en 2147.

Les élévateurs menant aux niveaux inférieurs étaient soigneusement cachés. Aujourd'hui, un garde plutôt maigre était chargé d'en contrôler l'accès. Je lui fis un signe de tête et lui donnai le mot de passe du jour. Sans un mot, il s'écarta pour me laisser entrer dans la cabine. En le dépassant, je remarquai que ses bras possédaient de nombreux implants cybernétiques. Il était peut-être rachitique mais je ne donnais pas cher de la peau d'un intrus voulant forcer le passage. Je sortis de l'élévateur plusieurs dizaines de mètres plus bas. La zone du marché noir se trouvait dans les souterrains du Quartier Nord. En haut, c'était déjà presque une zone de non-droits dans certaines ruelles alors ici-bas... Je me dirigeai vers le bar qui prenait les paris de combats de RBR, ça me parut être un point de départ comme un autre. On y partageait pas mal de rumeurs et quelques tournées ne pouvaient que délier les langues.

Le prochain combat aurait lieu dans quelques heures, la soirée venait de débuter. Mais quelques hommes étaient déjà attablés, un verre devant eux. Je m'installai au comptoir, suffisamment proche de mes voisins pour pouvoir interagir avec eux si besoin. Je fis signe au barman. Pendant que je buvais tranquillement, je me demandais comment aborder ce genre de sujets alors qu'on était tous conditionnés pour ne pas s'en souvenir, pour les plus vieux, ni même s'en préoccuper, pour les autres. 

Finalement, je décidai de m'adresser au barman :

— Dites, il faudrait parler à qui ici pour obtenir des infos compromettantes ? demandai-je de but en blanc.

— Quelle genre d'infos ? Et sur qui ? fit-il en haussant un sourcil. 

— De quoi sauver ma peau, ironisai-je, même si j'étais totalement sérieux. Du Conglomérat. 

— J'entends toujours parler du Conglomérat ici. Mais à mon avis, ce ne sont des racontars d'ivrognes sans grands fondements, me répondit-il en haussant les épaules. 

— Allez, il doit bien en avoir un ou deux qui ont l'air de savoir de quoi ils parlent ! 

Il chercha dans sa mémoire tout en essuyant un verre avec un chiffon qui avait connu de meilleurs jours. 

— Eh bien, y'a bien un gars qui sort du lot. Mais de là à dire qu'il sait de quoi il parle... commença le barman. Il est plus près du schizophrène délirant que d'une source fiable. 

Je fis semblant de m'étirer pour cacher mon sursaut d'intérêt. Vu nos découvertes, n'importe qui pourrait également nous qualifier de paranoïaques alors ce type tenait peut-être quelque chose. Nonchalant, je me repris une gorgée avant de répondre.

— Vraiment ? C'est sûrement rien mais pourquoi pas ? Vu le pétrin dans lequel je me suis fourré, des infos délirantes pourraient être ce dont j'ai besoin ! Au pire, ça doit être divertissant !

Ma tirade sembla le convaincre car il s'esclaffa avec moi. 

— Vous avez son nom ? Ou un endroit où je pourrais le trouver ? repris-je. 

— Ouais, c'est Clint O'Donnell, il vient tous les soirs. S'il n'est pas ici, il doit dilapider ses crédits au cabaret. A peu près votre taille, la petite soixantaine, il a un bras cybernétique de mauvaise qualité. 

Je hochai la tête et transférai un bon pourboire au barman pour ses informations. J'ignorai où ça allait me mener mais c'était la seule piste que j'avais pour ce soir, autant s'y intéresser. Si ce n'était que les élucubrations d'un cinglé, je tenterai à nouveau ma chance ailleurs.  

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