Souffle
L'air monte dans mes narines, descend dans mes poumons. La vie. Ne pas agir. Je voudrais faire durer la sensation de plénitude qui s'irradie dans le plexus, mais c'est impossible. L'air remonte et s'échappe par ma bouche entrouverte. Relâchement, abandon, le cycle se poursuit malgré moi. Ça respire, et ça pense. J'observe. L'air monte dans mes narines. Je suis une étincelle qui brille le temps d'une inspiration et s'éteindra à la fin d'une expiration.
- Sois joyeux dans ce souffle, car la vie elle-même est un souffle qui passe.*
La rue s'anime, les chats jouent dans l'escalier, les lits craquent, la maison s'éveille. Inspiration. Expiration comme un soupir. L'image de mon vieux chien proche de son dernier souffle s'impose, elle s'accroche un instant, nostalgique. Je reporte mon attention sur la vie qui entre à nouveau en moi. Être. Échapper un instant à la dictature des pensées : je pense donc je ne suis pas.
Je ne peux maintenir mon attention. Autre image : mon père agonisant. Sa cage thoracique se soulève puis retombe. Il reste longtemps en apnée : est-ce son dernier souffle ? Non, une autre longue inspiration, elle résonne douloureusement en moi. Autre image : je plonge, je retiens mon souffle, je descends avec les autres enfants, en bas les langoustes semblent ne pas nous voir. J'en saisis une, et ne la lâche pas malgré les battements furieux de sa queue. Je remonte vers la surface, j'émerge dans le soleil, j'aspire l'air goulûment, je suis éternel, je ris.
*Omar Khayyam
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