Chapitre II

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J’ai dormi comme un enfant. Un sommeil lourd, probablement empreint de fantasmes solitaires comme en témoigne mon boxer devenu un peu trop étroit pour la circonstance.

Je flâne quelques instants encore sur le drap avant de me lever. La lumière du jour a envahi la chambre et Camille me fixe sans équivoque.

- Camille arrête. Tu es trop coquine ce matin. Tu vas encore me faire rougir !

La cafetière préparée la veille ronronne par saccades. Le café du matin, c’est un rituel incontournable, un moment de détente où mon subconscient s’harmonise en douceur avec les vapeurs de la petite tasse pour envisager sereinement la journée qui s’annonce. J’aime le café lorsqu’il est servi dans une tasse de bistro ; petite, c’est important. Les bols ont tendance à m’insupporter.

Comme d’habitude, j’engloutis machinalement cinq à six tasses.

Je repense à cette nuit agitée, les feulements des chats en chaleur, ma voisine en paréo sur le balcon, ses yeux somptueux. Une apparition éphémère, trop courte qui laisse en mémoire un goût inachevé. Situation un peu cocasse pour une première, pensais-je en souriant.

Ce matin, rien ne presse. Il me faut vider les cartons et ranger ustensiles et vêtements dans les placards, organiser mon bureau, monter les quelques meubles restants. Si j’ai le temps, j’irais faire un petit tour en ville et profiter pour découvrir la plage. Je ne connais pas la région. Elle est toute aussi animée qu’elle est sauvage.

Sur le balcon, la pinède du Touquet s’étend à perte de vue. Impossible de voir la mer masquée par la cime des pins. Il ne manquerait pourtant pas grand chose car j’entends au loin le léger bruissement des vagues sur le rivage. Quelques voitures circulent çà et là. Des badauds se dirigent en plusieurs groupes épars vers la plage avec parfois des enfants hauts en paroles et plutôt enthousiastes à l’idée de profiter de la chaleur matinale et du sable chaud.

Je file sous la douche pour le deuxième moment incontournable de la journée.

Bigre, l’eau est froide. Quel con ! je n’ai pas pensé à brancher le chauffe-eau. Il va falloir s'en contenter et pour être froide, elle est froide. Ma peau est toute émoustillée, les quelques poils blonds sont vent debout devant l’agression cutanée. Je vais à l’essentiel ; cheveux, aisselles, fesses et sexe au savon et pour le reste, on verra demain.

Argh !!! Les serviettes ?

Carton numéro huit sur la liste. Il est planqué où celui-là ? J’aurai dû les numéroter sur tous les côtés pensais-je moribond. Nu comme un vers, les cheveux mouillés, dégoulinant, me voici à la recherche d’une serviette de bain. Généralement, en pareille circonstance, la chance n’est jamais avec moi et si par malheur je tente de déjouer le processus en inversant la recherche, je reste poursuivi par la malédiction. C’est comme cela depuis ma naissance. Il y en a qui gagnent du premier coup. Moi c’est bien souvent la dernière alternative qui s’offre à moi en tant que solution ultime. Et les déménageurs qui ont tout empilé dans la même pièce contrairement aux indications que je leurs avais fournies !

La sonnette retentit, un coup sec, un second plus appuyé.

Panique à bord. Je me précipite dans la chambre, saisis le drap du lit pour m’en revêtir le corps. J’imagine un instant ma voisine sur le palier décidée cette fois ci à faire plus ample connaissance. Je souris en ouvrant la porte.

- C’est pour le branchement Internet, me dit l’homme qui se présente dans le chambranle de la porte d’entrée.

- Ah ! Vous ne deviez pas passer plutôt cette après-midi ? lui rétorque-je surpris et déçu en même temps.

- L'intervention a été avancée. Vous n’avez pas reçu le message ? Vous avez le choix entre ce matin ou prendre un autre rendez-vous. C’est vous qui voyez ajoute-t-il d’un ton péremptoire.

Je n’insiste pas. Les fournisseurs d’accès quels qu’ils soient ont une vision étriquée du service rendu et je n’ai pas envie d’attendre dix jours de plus. Je laisse entrer le technicien. Je lui indique l’emplacement de la prise Internet dans le bureau et je m’en retourne à mes cartons.

Du coup, c’est beaucoup moins pratique maintenant que je ne suis plus seul. Il faut maintenir le drap sur le corps, éviter autant que possible de marcher dessus et manipuler en même temps les emballages empilés les uns sur les autres. Je tombe enfin sur le carton qui porte le numéro huit. Je m’empare d’une serviette de bain.

Camille sourit en cette circonstance. Elle n’a pas perdu une seule miette du spectacle, considérant ma situation d’homme nu équivalente à la sienne sur le plan de l‘égalité Femmes-Hommes qu’elle revendique depuis sa création.

J’enfile rapidement mes vêtements de la veille, histoire de ne pas perdre trop de temps en investigation.

Le technicien a terminé. On effectue un test de fonctionnement et ça marche. Me voici maintenant raccordé au monde entier. Pour mon activité, c’est important.

- °° -

L’après-midi a passé rapidement. Je suis venu à bout des cartons éventrés. Les meubles ont pris place à leur emplacement définitif et les ordinateurs ont trouvé refuge tantôt sous le plan de travail du bureau, tantôt au-dessus. Je pousse un soupir de satisfaction devant le travail accompli. Tout est maintenant opérationnel.

Je prends quelques minutes pour m’allonger sur le canapé, un coussin sous la nuque. Je ferme les yeux pour effacer les souvenirs douloureux qui me reviennent périodiquement, pour savourer l’instant présent et envisager ma nouvelle vie dans cette ville côtière des Hauts-de-France où j’ai tout à reconstruire.

Impossible d’oublier les nombreux déboires de mon enfance quelque peu perturbée, pour lesquels j’ai gommé de ma mémoire toutes les empreintes de mon passé, ne conservant pour seul héritage qu’un caractère bien trempé, forgé par les affres de ma jeunesse. Dans la jungle éducative de mon adolescence, contrairement à ceux qui comme moi n’avaient que peu de chance au départ, j’ai réussi à préserver un humanisme débordant que j’aime concilier à la rigueur de mon travail.

Mon métier, c’est ma plus grande satisfaction. Il repose sur l’agence informatique que j’ai montée seul depuis un peu plus de trois ans maintenant. Une activité professionnelle débordante, un investissement personnel considérable avec au bout du compte un confort financier très appréciable, une stabilité si souvent convoitée et une solitude bien ancrée. Ma boîte marche plutôt correctement et le contrat que je viens de décrocher ici devrait l’asseoir encore un peu plus.

A l’aube de mes trente-cinq ans, j’ai devant moi un horizon totalement vierge que j’aspire maintenant à repeupler. J’imagine une petite famille tranquille et des enfants turbulents car, même si je suis habitué aux bouleversements profonds et incessants qui habillent mon quotidien, cette solitude commence à peser.

Ici, au Touquet, c’est pour moi un nouveau challenge, un autre départ alimenté par des rêves et des désirs si simples au demeurant et pourtant si compliqués à concrétiser.

J’aime la mer. J’aime le sable. J’aime le vent. J’aime la pluie et le soleil. J’aime l’amour. J’aime les femmes. J’aime les grains de folie. J’aime les charmes originaux qu’offre la nature et ça tombe bien car ici, il y a tout cela mais ça, je ne le sais pas encore.

Du Nord, j’ai comme référence « Bienvenue chez les ch’tis ». Certes c’est probablement assez stéréotypé mais ça donne déjà le « la » au moins dans les grandes lignes.

Venant du couloir feutré de l’immeuble, j’entends un bruit de serrure étouffé ; une porte qui s’ouvre et se referme puis le silence. Il est 18h00. Je décide de prendre la température dehors, histoire de voir les possibilités qu’offre la station touristique.

Dans la rue principale, ça grouille de monde. En pleine pandémie, les masques sont relégués aux oubliettes et la distanciation sociale a bien du mal à marquer le pas. Devant le glacier, ils sont nombreux à attendre leur tour. Les tables des terrasses semblent s’être rapprochées immuablement les unes des autres. Le mètre de référence a dû fondre au soleil, je ne vois pas d’autre alternative.

Sur une rue perpendiculaire, à la terrasse d'un pub, je trouve une table déserte un peu plus écartée des autres. Je m’y installe.

- Une Leffe s’il vous plaît.

C’est la bière que je préfère, bien fraîche avec un zeste de mousse qui se dépose sur la lèvre supérieure, plaisir suprême annonciateur du liquide ambré si caractéristique.

- En bouteille ou en pression ? Me demande la serveuse avec son sourire masqué.

- En pression merci, répondis-je.

Elle passe un coup de chiffon sur la table et je devine à travers le chemisier entre-ouvert des seins libres de tout mouvement. Elle est jeune. Dix-huit, vingt ans maxi, d’apparence banale ; des fesses qui immuablement vont finir par déborder tôt ou tard mais qui pour l’heure se fondent à la perfection dans le jean noir estampillé par la maison.

Je me demande quel regard elle porte sur ses clients. Féline elle a, je suis sûr intercepté mon regard qui tout aussi furtif qu’il soit, s’est posé discrètement sur la générosité de ses formes féminines.

De mon côté, il n’y a pas de convoitise, juste le plaisir de percevoir ici la beauté, la grâce, là le petit quelque chose qui fait qu’elle sera différente des autres et qu’elle restera un peu plus longtemps imprimée dans ma mémoire. Libre court d’alimenter par la suite le temps d’une nuit ou d’un songe mes fantasmes nocturnes les plus téméraires, ceux qui vont resurgir de mon subconscient en toute insolence.

Mes pensées ou mes rêves sont souvent érotiques, rarement pornographiques bien que parfois, s’agissant de mes rêves, je ne contrôle pas réellement la situation de bout en bout.

Intrigué, je suis intrigué par cette femme sur son balcon, seule. Que faisait-elle ? Est-elle aussi seule qu’elle le paraît ? A-t ‘elle été réveillée par le cri des chats tout comme moi je l’ai été ? Pourquoi s’est-elle réfugiée aussi rapidement dans son appartement alors que rien ne pressait ?

Je ne sais pas pourquoi mais j’ai adoré ses yeux amusés. Je revois son visage ovale, ses cheveux longs qui disparaissaient derrière ses épaules, son sourire discret lorsqu’elle m’a découvert en boxer comme unique rempart à ma nudité, mais je ne me rappelle plus de la forme de ses lèvres, ni même de l’empreinte de son nez. Elle ne m’a pas semblé bien grande. Un mètre cinquante, un mètre soixante environ, plutôt frêle qu’enrobée mais sous le paréo, impossible de valider.

Je m’en veux de cette mémoire qui vacille parfois, incapable de fiabiliser les informations que j’estime essentielles.

Deux jeunes filles passent devant ma table, les vêtements aériens, très courts. Elles se tiennent par le bras. Elles discutent et rient en déambulant dans la rue en toute désinvolture. Elles sont belles sous leur teint basané. D’ailleurs toutes les têtes masculines les suivent discrètement du regard sous l’œil désapprobateur de leur compagne. C’est toujours rigolo à observer.

Je règle ma consommation et je quitte le troquet pour partir en quête d’un lieu de restauration rapide. La journée a été éreintante et demain c’est le week-end. Je vais en profiter pour souffler un peu et visiter les environs.

Il est presque vingt-deux heures lorsque j’arrive au pied de ma résidence. Il fait encore jour même si la lune en phase décroissante est déjà présente dans le ciel. Je prends un peu de recul pour localiser mon appartement. L’immeuble est calme pour la saison. Très peu de lumière aux fenêtres et nombreux sont les volets fermés, témoin de l’inoccupation des locaux. Avec la covid-19, il n’y a pas foule, c’est le moins qu’on puisse dire et ce constat contraste fortement avec le nombre de badauds en centre-ville.

Deuxième étage, c’est bien lui au centre avec la porte-fenêtre que j’ai laissée entre-ouverte. A gauche, la lumière filtre à travers les voilages. A droite les volets sont clos.

Dans l’entrée de l’immeuble, je cherche ma boîte aux lettres. Je la repère facilement puisqu’elle ne porte pas de nom et la clé dont je dispose ouvre la porte. Sur celle à côté, je peux lire Mme Joy MARTINE. Je souris sur ce prénom sorti de je ne sais où, plutôt atypique.

Joy, ça tourne dans ma tête, ça résonne agréablement. J’aime beaucoup cette consonance latine. Mais ce qui me rend encore plus fébrile c’est que devant ce magnifique prénom, il n’y a juste que « Mme ».

J’emprunte les escaliers en me raisonnant. Je ne connais cette femme ni d’Adam ni d’Eve même si la nuit dernière....

- °° -

Ce soir, j’ai rodé sur le balcon. Pas âme qui vive. Et comble de malchance, les matous du quartier n’avaient pas envie de forniquer, rassasiés par une précédente nuit de luxure. Il faudra que je me penche un peu plus sur la sexualité des chats pensais-je perplexe. Demain, c’est décidé. Je vais à la SPA pour en adopter une bonne dizaine, histoire de mettre un peu plus d’animation dans le secteur.

- °°° -

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