A Beverly Hills Appartment

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" I see friends shaking hands

Saying « How do you do ? »

They're really saying « I love you »

[…]

They'll learn much more

Than I'll ever know

And I think to myself

What a wonderful world "

What a Wonderful World - Reuben and the Dark x AG

CHAPTER 5


Les draps volaient dans la pièce. Le silence régnait, interrompu uniquement de temps à autres, par le claquement de mes talons contre le parquet ciré où le froissement léger du tissus blanc. La lumière qui filtrait à travers les baies vitrées colorait d'or les grains de poussière ondoyant dans l'air.

L'appartement était relativement propre. Tout y était à sa place, simplement protégés par les fins linges de coton. Je soupçonnais Hunter d'être venu faire le ménage ici, dans ce lieu où nous avions vécu tant de choses.

Deux ans que je n'étais pas revenue dans cet appartement, dans le sud-est de Beverly Hills.

La vue sur Burton Way et ses passants m'intriguait toujours autant. J'essayais de deviner leurs vies, autrefois. Qui étaient-ils ? Etaient-ils heureux ? Quels drames avaient-t-ils vécus ?

Ce penthouse, en dehors d'être hors de prix, était l'appartement de mes parents, avant ma naissance, et notre maison lors de mes premières années. Mais à la mort de ma mère, papa l'avait fait mettre à mon nom. J'y avais emménagé peu après d'ailleurs, ne supportant plus la noirceur qui s'était installée dans la villa. Cette absence...

Ma mère aimait cette ville. Elle disait qu'il y avait de la classe dans les hautes sphères et du caractère dans les bas fonds. Elle aimait le contraste entre les classes sociales et les mentalités. Cela lui rappelait que les gangs avaient été créés à la base pour combattre ces inégalités, pour faire entendre la voix du peuple, avant de sombrer dans la criminalité. Elle me rappelait souvent que l'opulence et l'argent n'étaient qu'éphémères et que du jour au lendemain, l'on pouvait se retrouver sur le trottoir ou derrière des barreaux de métal.

"Le rêve américain, hein, l'entendis-je murmurer, le self-made man, le pouvoir et les billets verts. Je n'y crois pas. L'Amérique que j'ai choisie est une Amérique où la lutte des classes, les luttes raciales portent leurs fruits, où les voix des plus faibles sont entendues, reconnues. C'est cette Amérique que je veux bâtir. Que je veux que tu bâtisses. Tu es née ici. A toi de faire renaître ta ville et ton pays. Guides les forts, protèges les faibles et tous te soutiendrons".

Je souris bêtement, avant de reporter mon attention sur ce qui se trouvait autour de moi. Le penthouse, grand, spacieux et très lumineux, était en réalité un duplex, occupant le quatrième et le cinquième et dernier niveau de ce bâtiment.

Il était moderne et industriel, mais possédait ce charme de l'ancien qui transparaissait des briques, des poutres en bois et des murs en stuc.

D'où je me trouvais, j'avais une vue panoramique sur la quasi-totalité de l'appart'. En face de l'entrée se trouvait une grande cuisine ouverte, dissimulée derrière une grande verrière. Les murs de brique rouge se mariait parfaitement avec le bois sombre des meubles, donnant un charme rustique à la pièce. Un petit bar s'élevait en direction du salon dans ma diagonale, séparant les deux pièces.

Ses deux grands canapés de cuir rouge étaient disposés face à l'immense écran plat fixé au mur, le tapis moelleux qui avait accueilli nombre de nos soirées ciné était disposé sur le parquet. Une table basse ronde trônait fièrement au milieu de l'ensemble. Sur les deux côtés de la télévision, reposaient sur les étagères, la quantité phénoménale de films, CD et vinyles qu'on avait amassés avec Hunter, depuis notre adolescence.

Sur la droite du salon, se trouvait un bureau, que la cuisine dissimulait depuis l'entrée. Le plafond du living était, quant à lui, plus haut que le reste de cet étage, les deux chambres de l'appart se rejoignant dans l'angle pour former la mezzanine.

Sur ma gauche, trois petites marches séparaient la salle à manger du reste de l'appart, où la table de verre, installée face aux baies vitrées, offrait lors des repas une vue magnifique sur les collines Los Angeles. Une double porte vitrée ouvrait, quant à elle, sur la terrasse, avec la petite piscine.

Au beau milieu de l'ensemble trônait le piano à queue noir de ma mère, sur lequel j'avais appris à jouer. L'escalier pour accéder à l'étage était séparé de l'entrée par un petit mur. En me tournant pour contempler le reste de la pièce à vivre je remarquais qu'un drap était toujours en place sur un grand objet dans le coin du salon.

Puis un souvenir me revint en mémoire. Se pourrait-il que... ?

J'étais persuadée qu'il ne fonctionnait plus et pourtant... Quand je soulevais le drap, je vis le vieux Jukebox qu'Hunter et moi avions déniché au fond d'un petit magasin de musique, l'air flambant neuf.

Hésitante, j'appuyais sur une des touches, sélectionnant un titre de Frank Sinatra, Strangers in the night, la chanson préférée de mes parents. La voix grave du chanteur raisonna dans la pièce. Perdue dans mes pensées, je me laissais surprendre par une main au creux de mon dos.

Je réagis au quart de tour, lançant mon coude à la tête de celui ou celle qui était entré chez moi sans mon accord. Coup qu'Hunter évita de justesse.

- Espèce d'abruti ! On n'a pas idée d'entrer comme ça sans prévenir, vociférais-je à son égard. J'ai failli t'en foutre une à cause de tes conneries ! ¡Imbécil!

- Wow, du calme beauté, s'exclama-t-il en levant les mains au ciel. J'étais simplement venu voir comment tu allais, personne ne t'a revue après que tu sois partie hier...

Je roulais des yeux avant de lui répondre de ne pas s'inquiéter mais que, tout de même, ça me faisait bizarre d'être de retour chez moi. Surtout suite aux événements récents.

- Au fait comment as-tu su que j'étais là ?

- Une intuition, répondit-il simplement. Et j'ai toujours ma clé.

Je fis la moue, m'attendant à quelque chose de plus concret qu'une simple intuition. Les notes de musique résonnaient toujours, alors qu'un silence pesant s'installait entre nous. Et puis il annonça :

- J'ai fait réparer le Jukebox.

Je le fixais, l'air désespérée.

- Merci Sherlock, j'avais cru comprendre. T'es venu faire le ménage ici une fois de temps en temps aussi, si je ne m'abuse, dis-je ironiquement. Tu es devenu une vraie fée du logis, tu devrais sérieusement songer à une reconversion !

Il eut un léger rire, mais sans aucune note joyeuse.

- J'avais oublié à quel point tu aimais les sarcasmes, finit-il par dire. Tu m'accordes un danse, beauté ?

Je levais les yeux au ciel avant de lui tendre la main. Une légère valse commença alors. Un moment de retrouvailles entre deux compagnons.

- Comment te sens-tu, demanda-t-il finalement.

Je laissais quelques secondes s'écouler avant de dire :

- Je ne sais pas trop. Je suis partie avec l'idée que je ne vous reverrais plus jamais et en ayant une telle rancune envers mon père que... Je ne sais pas, c'est difficile à expliquer. Je ne sais pas si il y a quelque chose à pardonner, quoiqu'il soit trop tard pour cela. J'aurais aimé lui parler, qu'il m'entende tout simplement. S'il m'avait écoutée, peut-être que les choses auraient été différentes. Peut-être que je ne serais jamais partie...

Je sentis Hunter se raidir légèrement quand je chuchotais la fin de ma phrase.

- J'aurais aimé pouvoir régler mes comptes avec lui, une bonne fois pour toute dis-je. Mais c'était trop tôt pour songer revenir. Et maintenant...

- Il n'est plus là, finit Hunter. Mais Thalia, pourquoi tu es partie ? Pourquoi tout ce temps.

Ma gorge se noua. Je m'écartais de mon partenaire. A force de me fermer au monde, j'avais fini par ne plus savoir parler de mes émotions. Et la violente contradiction qui s'opérait actuellement dans mon esprit n'aidait pas.

- Ecoute, pour l'instant, t'as bien vu que c'est le bordel dans ma tête. Je ne voulais pas revenir, mais la curiosité et je sais pas, mon "sens du devoir", si je puis dire, ont repris le dessus et je suis la maintenant. Or je ne peux pas rester. Même pour le gang, même pour vous. Je ne peux pas.

Je le coupais avant qu'il n'ouvre la bouche pour répliquer :

- OUI, on a eu cette conversation, et j'ai clamé haut et fort devant le gang que je resterais, je sais. Le problème c'est que je suis partie pour une bonne raison. Pour le moment, le temps de tout remettre en ordre au sein du gang et des entreprises, de débusquer la taupe et de gérer le tout, je reste, mais je te préviens Bradford, trop de choses sont en jeu.

- Alors parle moi. Dis-moi tes raisons, dis-moi pourquoi tu nous as abandonnés, avec pour seules explications des mots griffonnés à la va-vite sur une feuille volante ? Qu'est ce qui t'empêche de parler, Thal ?

Je pinçais les lèvres, les yeux baissés vers le sol.

- Je ne peux pas, murmurais-je. Comprends-moi Hunter, je ne peux pas. Je suis une menace pour tout le monde, une bombe à retardement. Je ne veux pas vous entraîner dans ma chute. Trop de choses sont arrivées par ma faute, et vous seraient en danger si jamais j'en disais trop, si jamais je restais trop longtemps. Parce que je ne sais pas qui est mon ennemi. Je ne peux pas vous protéger si je reste ici. C'est tout ce que tu as besoin de savoir.

- Comment ça nous protéger ? Quels dangers ? Quels ennemis ? Thal, sérieusement explique moi !

- Mais je ne peux pas, hurlais-je. Je ne peux pas. J'ai déjà signé mon arrêt de mort et tu le sais.

Les yeux de Hunter avait pris une teinte glacée, laissant transparaître son agacement et son désarroi. Je comprenais sa frustration, sa colère et la peur qui couvait en dessous. J'avais tellement envie de me libérer de ce fardeau. Mais la menace était réelle et bien trop grande pour que je me risque à en dire trop. Hunter souffla, avant de détourner le regard.

- Comme tu veux, annonça-t-il, la main sur le front. Pour le moment, prend le rôle de la chef de gang sûre d'elle, le temps qu'on trouve un moyen de te sortir de ce pétrin, et je t'en supplie, évites de foutre la pagaille dans le gang, c'est déjà assez le bordel comme ça ! Mais, peut-être qu'on trouvera un moyen de t'aider, si jamais tu te décides à balancer ce qui te ronge depuis tout ce temps.

La chanson s'était arrêtée. Hunter s'approcha de la machine pour lancer une autre chanson, tendant plus vers le Jazz, cette fois. Les douces paroles de What a Wonderful World emplirent l'air de notes langoureuses. Le blond se plaça face à la baie vitrée avant de d'énoncer :

- Après que tu sois partie, j'ai habité seul ici pendant environ six mois. Mais ça me rappelait trop ce que j'étais en train de perdre, et après avoir touché le fond, j'ai trouvé un petit appart et je suis parti d'ici. Pourtant, je revenais assez souvent pour tout ranger et nettoyer, avec Sky et Nico parfois.

Il me regarda droit dans les yeux puis ajouta :

- Tu nous manquais. Horriblement. Je sais parfaitement que ce n'est pas le moment pour te dira cela, mais tu es partie, tu as refait ta vie, or, derrière toi il y avait nous. Nous, on n'a pas pu se résoudre à t'oublier. Ton père non plus, Thalia, il parlait constamment de toi. Et pour moi, c'était comme si chaque jour m'éloignait plus encore de toi. On t'a cherchée. Si longtemps. Mais à chaque fois, dès qu'on arrivait tu n'étais plus là. On avait fini par perdre espoir. Et moi... Moi je t'aimais.

Ces mots me ramenèrent deux ans plus tôt. Je me revoyais quitter la ville, une nuit de printemps, sans rien dire à personne. Je me revoyais luttant contre mon cœur, me hurlant de retourner me coucher à ses cotés, de déchirer en mille morceaux le stupide mot que je lui avais laissé sur la table, de retourner le serrer dans mes bras. J'avais mis en cage mes sentiments, ne pouvant me résoudre à les oublier. Cet océan de violence avait fini par rattraper la petite mer tranquille que je m'étais façonnée.

J'ai fui en jetant mon cœur sur le bas-côté de l'autoroute. J'endossais mon armure de glace pour ne rien laisser paraître, pour changer qui j'étais, disparaître sans laisser de traces.

Soudain tout me revint en mémoire. Tout resurgissait : la douleur de la séparation, mais aussi la nécessité de celle-ci. Les visages de Sky, Nico, Hunter, tous les autres et même de mon père fuyant mon esprit comme moi je fuyais ma ville. Hunter quitta mon regard pour de nouveau se tourner vers l'horizon, mettant ses mains dans les poches de son blouson de cuir, et coupant, par la même occasion, mon retour dans le passé.

- Et je vois bien, continua-t-il doucement, je sais bien que tu n'es pas prête à ouvrir ton cœur de nouveau, alors je t'attendrais. Mais, si tu m'as définitivement sorti de ta vie, dis-le-moi, qu'on passe à autre chose tous les deux, avant de se faire encore plus de mal. Quoi qu'il arrive, crois-moi, c'est hors de question que je te laisse mourir.

Sur ces mots il respira un bon coup, avant de me laisser seule avec mes pensées.

- Mais quel crétin, murmurais-je, complètement paumée après que la porte d'entrée ait claqué, se refermant sur mon ancien amant. A quoi ça lui sert de jouer les amoureux maudits ?

Mon retour avait provoqué en moi plus de trouble que je ne l'aurais cru, et Hunter venait d'en rajouter une couche. Or je ne pouvais pas me laisser distraire. Encore moins par lui. Pas si je voulais les protéger.

Louis Armstrong entonna la dernière phrase de sa chanson, qui contrastait parfaitement avec mon esprit en perdition.

And I think to myself, what a wonderful world…

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