Trois petits tours, et puis s'en vont.

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Pas très loin d’une bourgade qui s’appelle Bésauve, il y a un puits que l’on nomme le puits des Pieds-de-Six-Sous. Et par cette belle journée d’automne, il y avait là un homme qui n'était pas du coin.

L’homme avait installé trois statuettes de bois devant le puits et, devant chacune d’elles, un cierge. Toutes faisaient à peu près une coudée et représentaient un homme debout et nu. La sculpture avait vraisemblablement été faite par un artisan qualifié : les traits du visage, presque naïfs, étaient en réalité très fins, les membres étaient ciselés avec raffinement et l’ensemble était harmonieux et délicat, à un détail gênant près : l’on avait oublié de dessiner une bouche à ces trois figurines. A quelques pas du puits, en face des statuettes, il y avait un arbre, un solide frêne qui offrait généreusement son ombre à tous, et autour duquel l’homme avait disposé ses affaires. Un foyer de buchettes avait été préparé non loin.

Après avoir bien disposé ses bonhommes de bois et ses bougies, le voyageur s’adossa à l’arbre, posa un bassinet de bronze devant lui puis sortit d’une sacoche un morceau d’étoffe blanche, un bâtonnet bien régulier et une flasque. Enfin, il dégaina de sa ceinture un poignard recourbé et le plaça sur sa cuisse droite. Puis fermant les yeux, il ne bougea plus. Après un long moment et alors que le ciel se teintait de rose et de rouge, il versa d'un geste précis le contenu de la flasque sur le tissu. Il ne put empêcher un mouvement de recul devant l’odeur puissante qui se dégageait du liquide, mais il se repti aussitôt et continua en enroulant méthodiquement le bâtonnet du linge imprégné. Enfin il le cala au fond de sa bouche et il eut un premier haut-le-cœur. Au moment de se saisir du poignard, il frissonna et ferma les yeux puis le bras gauche au-dessus du bassinet, il se fit une profonde entaille le long de son poignet. Ses mâchoires se raidirent alors qu’un flot de sang noir s’écoulait dans le bassinet.

La nuit était tombée et les deux lunes éclairaient les lieux avec le concours de trois flammèches vacillantes qui projetaient trois grandes ombres mouvantes sur le rebord du puits. L’homme était en train d’appliquer un pansement sur son avant-bras gauche ensanglanté. Il suait à grosses gouttes et ses gestes étaient fébriles. Il ôta le bâtonnet de sa bouche, jeta le linge par terre et se servit du bout de bois pour resserrer son pansement qui se tachait rapidement. Une fois le bâtonnet calé, il prit une grande inspiration et s’appuya un moment au tronc du frêne. Après ce bref répit, il récupéra son poignard, le remit à sa ceinture et se leva avec beaucoup de précaution. Il saisit ensuite le bassinet tenta de le soulever mais se retourna brusquement et fut pris de vomissements. Se ressaisissant enfin, il souleva la bassine avec difficulté et contournant les statuettes, s’accouda au rebord de pierre du puits. Il versa le sang dans le puits en tremblant mais le récipient de bronze lui glissa de main. Un gong sinistre remonta jusqu’à lui accompagné du grondement mauvais de l'eau que l'on réveille. L’homme jura et cracha. Sans tarder, il s’approcha des statuettes et leur banda les yeux et leur ligota bras et jambes. Délicatement, il en mit deux dans un sac de toile qu’il referma et prenant la dernière, il se dirigea péniblement vers le foyer. Il sembla hésiter un instant mais dans un geste empli de détermination, il déposa la dernière statuette au cœur du foyer. De sa poche, il sortit un briquet d’acajou et de l’autre une sorte de boulette pâteuse avec lesquels il alluma le feu. Après un début timide, le feu prit dans un puissant soufflement. Au même moment, l’homme se cambra et se tordit et hurla à plein poumons. Un couple d'oiseaux s'envola à tire d'aile. A genoux de longues minutes, le cri de l'homme se mua en sanglot puis ses sanglots en gémissements. Vint un temps où même ses gémissements se turent mais l'homme resta à terre.

Les lunes s'étaient couchées lorsqu'il se leva et récupéra ses dernières affaires. Tournant le dos au puits des Pieds-de-Six-Sous et il se mit en route d’un pas lent. Dans le sac aux statuettes, cela grinça en passant devant le petit tas de braises faiblissantes.

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