Chapitre 7 (2/2)

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Maïly cherchait, mais ne le trouvait pas. Elle l’appelait, mais personne ne répondait. Pas grand monde ne faisait attention à elle en réalité. Son frère ne pouvait qu’être là. Où aurait-il pu être d’autre de toute manière ? Elle devait juste continuer de le chercher, et espérer. Mais ils étaient tous tellement grands, et si proche l’un de l’autre dans le groupe qu’ils formaient qu’elle ne pouvait distinguer leurs traits.

Lorsque les hommes commencèrent à se mettre en route vers les galeries. Maïly paniqua. Et si jamais dans les mines elle perdait de vue une partie des Erdreliens ? Ou si c’était dehors qu’ils se séparaient et qu’elle n’avait pas encore trouvé son frère, elle risquait de ne jamais le retrouver. Elle courut vers Drya, seule figure réellement connue présente, qui lui conseilla de se calmer.

— Mais tu ne comprends pas ! Je sais qu’il est là, mais je ne le trouve pas ! Il faut que je le trouve… Je… c’est la seule raison qui m’a permis de tenir jusqu’ici…

— Respire profondément, murmura la jeune femme en lui passant la main valide dans ses longs cheveux blonds. On va le trouver, ne t’inquiète pas. Comment s’appelle-t-il déjà ?

— Hemrik…

— C’est une blague ? s’indigna Louve. Hemrik ?

— Quoi encore ? soupira Drya dans son esprit.

— Sérieusement ? Dois-je te rappeler le nom de ton bien-aimé qui s’est pris une flèche dans l’œil ? De tous les noms possibles, il fallait que ça y ressemble.

Drya préféra se concentrer sur la gamine paniquée en face d’elle.

— Hemrik ? interrogea Banet, toujours présent. Je connais ce nom, mais on est tellement, et on n’a peu d’interactions entre mineurs… à quoi ressemble-t-il ?

Maïly ouvrit la bouche pour répondre, mais tous les mots qu’elle aurait pu prononcer s’étranglèrent dans sa gorge. Ses yeux s’écarquillèrent d’horreur lorsqu’elle réalisa enfin qu’elle ne savait tout simplement pas. Certes, elle était sûre qu’il était blond, comme elle, et que ses yeux étaient aussi bleus que les siens, mais à part cela…

Cinq ans. Cinq longues années s’étaient écoulées depuis la dernière fois qu’elle avait vu son frère, luttant et criant alors que des soldats l’emmenaient et qu’elle restait impuissante avec son père gravement blessé. Il venait d’avoir treize printemps. Elle huit. Elle se souvenait de son grand frère bagarreur, qui l’ennuyait tout le temps, comme seuls les grands frères savent le faire. Mais après tout ce temps, à quoi pouvait-il bien ressembler ? Était-il toujours petit pour son âge, comme elle ? Ou bien avait-il atteint, voir dépassé la taille imposante de leur père ? Ses traits s’étaient-ils durcis ?

— Maïly ?

Son cœur s’arrêta de battre, avant de recommencer. Incontrôlable, il semblait vouloir briser ses côtes et s’arracher à sa poitrine. Seul Drya et Banet connaissaient son nom, avec peut-être les premiers mineurs qu’elle avait libérés. Mais eux n’avait aucune raison de l’appeler n’est-ce pas ? Ni Drya, ni Banet n’avait parlé, et maintenant ils regardaient derrière la fillette. Lentement, elle se retourna. Elle n’osait y croire.

Elle leva les yeux et croisa ceux d’un jeune homme qui semblait aussi choqué qu’elle. Ils étaient aussi bleus et doux que dans ses souvenirs, mais toutes vraies ressemblances s’arrêtaient là. Sa chevelure blonde, mais terne, tombait en paquets sur ses épaules. Il était bien plus grand que dans ses souvenirs, plus même que leur père. Son visage était celui d’un adulte et il était marqué par toutes les épreuves et les longues années sous terre qu’il avait dû vivre. Son corps était devenu musculeux par le travail fourni dans les mines, d’une musculature sèche. La similitude avec leur père la frappa de plein fouet, et elle le revit, agonisant sur le sol de leur cuisine. Ses yeux s’embuèrent.

Le jeune homme avança d’un pas incertain. Il tendit la main.

— Je… c’est… commença-t-il, balbutiant.

Incapable de trouver les bons mots, il se tut et avança encore un pas, comme dans un rêve.

Drya poussa avec douceur Maïly en avant. La secousse la sortit de son mutisme. Elle s’élança sur la pierre, rapidement imitée par son frère, et ils se rejoignirent dans une étreinte fraternelle tant attendue et espérée. Le frère et la sœur enfin réunis pleurèrent alors tous deux, les larmes entrecoupées de rires.

Banet posa sa main sur l’épaule valide de Drya. Il souriait. La jeune femme sentit aussi les coins de ses lèvres se soulever.

Ça m’écœure… soupira Louve. Tout ce bonheur insouciant, crois-moi, ça ne va pas durer.

Drya laissa courir et s’approcha des Germek. Banet quant à lui partit à la suite des mineurs dans les galeries en leur conseillant de ne pas tarder à faire pareil. Le couloir s’était en effet déjà bien vidé, il ne restait que quelques Erdreliens qui emboîtèrent le pas à l’homme trapu.

Cependant, Drya ne put pas s’empêcher de laisser encore quelques minutes de répit à Maïly et Hemrik. Ils étaient si heureux de s’être enfin retrouvés qu’elle ne voulait pas interrompre trop vite leur réunion. Toutefois, il était plus que temps de se mettre en route.

Les trois compagnons ne tentèrent pas de rejoindre les mineurs, Drya était trop faible pour un rythme soutenu.

— Encore quelques minutes et nous serons dehors, indiqua Hemrik.

Il tenait la main de sa petite sœur. Il la regardait avec amour, et elle le lui rendait bien. Son visage était grave, malgré les retrouvailles. Maïly finissait d’expliquer à son frère comment elle aussi avait atterrit comme esclave de la citadelle. Drya apprit de cette manière que les serfs qui n’avaient pas les moyens de payer la dîme devaient le faire en nature. Hemrik avait été enlevé à sa famille de cette manière. Et un an plus tard, se fut le tour de la gamine. Leur père avait tenté de s’interposer, une fois de plus, mais cette fois-là les soldats ne se contentèrent pas de le blesser.

Des bruits indéfinissables parvinrent soudain jusqu’à eux. Ils étaient déformés par l’écho et les coudes de la galerie. Guerrière dans l’âme, Drya se raidit d’emblée. Cela ne lui disait rien qui vaille. Ils continuèrent néanmoins, sur leurs gardes. Les sons prenaient de l’amplitude. La jeune femme les reconnus enfin. Les cris et les chocs non pas d’une bataille, mais d’un massacre.

— Y a-t-il y endroit dans ces mines où on pourrait se cacher ? demanda-t-elle.

— Se cacher ? Oui, il y a une grotte pas loin, et elle n’est pas du tout sur notre chemin. Mais pourquoi ? Il faut aller voir ce qu’il se passe !

— Je ne pense pas que tu aies envie de voir ça, répliqua Drya. Et tu voudrais emmener ta sœur au devant du danger ?

Hemrik resta silencieux quelques secondes. Puis acquiesça. Ils tournèrent les talons, mais il était déjà trop tard. Des éclats de voix fusèrent derrière eux. La guerrière jeta un œil par-dessus son épaule. Des soldats les désignaient de l’angle de la galerie.

— Belall ! jura Drya. Courez !

Hemrik prit la tête, la torche dans une main et le bras de sa sœur dans l’autre. La guerrière les suivait tant bien que mal. Elle se soutenait aux murs. Son pied gauche, douloureux, l’obligeait à boiter. Un sifflement fusa juste à côté d’elle. Un léger courant d’air effleura son épaule. Son œil s’écarquilla en voyant la flèche s’enfoncer dans le premier obstacle qu’il rencontra sur sa route, et qui se trouvait être le dos de Maïly. Le choc et la douleur la firent chuter. Hemrik s’arrêta, interdit. Il ne semblait pas comprendre. Maïly gémissait sur le sol.

— Relève-la, hurla Drya. Continue à courir !

Ils étaient une cible beaucoup trop facile dans ce corridor rectiligne. La jeune femme prit la torche des mains du garçon. Cela parut le réveiller et il installa sans attendre sa sœur sur son dos.

— Une galerie s’ouvre à droite, vas-y ! s’exclama-t-il.

La guerrière s’engouffra dedans. Les Germek passaient à peine le coin qu’un second projectile jaillissait derrière eux. Ils continuèrent leur course, empruntaient galerie sur galerie, dans un dédale où tous les murs se ressemblaient. Sans Hemrik, jamais Drya n’aurait pu s’y retrouver. Ils étaient ralentis par les blessures de la jeune femme et de la gamine, mais ne tempérèrent pas leur adreur. Enfin, ils débouchèrent dans une haute grotte. Elle était noyée de ténèbres que la torche ne suffisait pas à éloigner. Ils s’écartèrent de l’entrée et se posèrent derrière une saillie rocheuse. La guerrière aurait bien aimé éteindre la torche, mais ils n’avaient rien pour la rallumer. Ils n’avaient plus qu’à espérer avoir semé leurs poursuivants.

Aucun bruit ne leur parvenait. Drya profita de ces instants de répit pour examiner Maïly. La gamine était blême. Sa tunique poisseuse de sang. Elle en avait perdu trop. Beaucoup trop. Un filet rougeâtre s’écoulait de sa bouche. Sa respiration était faible. Un poumon était perforé. La guerrière s’affala sur le sol. Elle baissa la tête, ses cheveux formant un lourd rideau devant ses traits désespérés. Il n’y avait rien à faire.

Quelque chose d’humide et de chaud enduisait ses vêtements, alors qu’une sensation de froid prenait naissance dans ses extrémités. Hemrik la tenait dans ses bras et pleurait, le visage dévasté. Elle ne comprenait pas pourquoi. Ils venaient de se retrouver, et riaient, heureux, il y avait si peu de temps ! Pourquoi avait-il fallu qu’on les attaque ? Pourquoi le malheur les avait-il à nouveau rattrapés ? Pourquoi tout devenait-il si sombre et inquiétant ? Elle voulu lui demander, mais sa poitrine était si douloureuse que seul un râle et un peu de sang sortirent de sa bouche. Elle avait du mal à respirer. Hemrik la berçait tendrement et lui caressait les cheveux, comme lorsque, petite, elle était malade.

Mais elle n’était pas malade n’est-ce pas ? Elle se sentait déjà partir. Elle avait tant à dire à son frère, lui expliquer tout ce que son père avait entreprit pour le sortir des mines, lui dire à quel point il lui avait manqué, lui assurer que jamais elle n’avait rompu sa promesse et confié à qui que se soit qu’il était amoureux de la fille du boulanger. Elle voulait à nouveau monter sur ses épaules et courir dans les rues de leur quartier, se disputer pour obtenir le bout de la baguette de pain ou le dernier morceau de fromage. Elle aurait voulu revivre même les moments où Hemrik l’ennuyait jusqu’à ce qu’elle pleure.

Le visage de Drya entra dans son champ de vision. Son regard crevé ne pleurait pas, lui. Il était sec, mais sincèrement triste. Malgré tout ce qui s’était passé, elle était heureuse d’avoir rencontré et libéré cette étrange femme aux deux personnalités si différentes. Elle voulut lui demander de prendre soin de son frère, mais ne ressentait déjà plus ses lèvres. La fillette tendit le bras péniblement vers elle, et Drya lui prit la main en hochant la tête. Elle avait compris.

Tout autour d’elle se troubla alors et elle se retrouva chez elle, dans l’atelier de menuiserie. Bien cachée dans une armoire, elle épiait son père apprendre le travail du bois à Hemrik. Ils étaient heureux, à œuvrer ensemble dans les senteurs du bois et de sciure, avec la poussière qui voletait dans les rayons de lumière. Et elle aussi, à observer ce bonheur simple, mais vrai.

Tout devint noir.

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