Epilogue

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Loin du grabuge qui secouait la cité portuaire de Fikternand suite à la nouvelle fuite de Yume, Fileya, Astrid et compagnie, les trois jeunes apprentis Invoqueurs préparaient leurs affaires en vue d’un grand voyage. Quelques jours plus tôt, le soir-même de l'arrestation de River dont ils avaient été tragiquement les témoins, le trio avait eu l’incroyable surprise d’obtenir un entretien privé avec Seven, le dirigeant de l'Élite en personne, qui ne les avait aucunement laissé indifférents. En effet, déjà fortement intimidés par sa carrure et son charisme imposants, les trois adolescents avaient eu l’incroyable surprise de découvrir la mission que le Supérieur avait réservée pour eux : il les envoyait à la conquête des Terres Interdites.

Profondément déroutés par une telle décision, aucun des trois compagnons de toujours n’avait osé ouvrir la bouche pour quémander des directives supplémentaires, pas même Vikhu, le plus terre à terre du trio. Aussi ignoraient-ils tout des plans qui se tramaient dans la tête impénétrable de Seven, mais son sourire en coin n’avait fait que les inquiéter davantage. Ils savaient – ou tout du moins, Vikhu et Nyarha en avaient peut-être un peu plus conscience que Ika, le boute en train de la bande – que Seven avait bien plus dans l’idée que de simplement “aller chercher un Hybride en terre inconnue”. D’autant plus que, contrairement à ce qui était indiqué dans leur statut d’apprentis Invoqueurs, les trois jeunes gens avaient reçu pour ordre d’obéir, et ce peu importe ce qui devait arriver, à un Épéiste et son escouade de Miliciens.

Seven ne les envoyait pas à la chasse à l’Hybride. Non. Il les envoyait clairement en territoire inconnu pour le conquérir, par les armes s’il le fallait. Et les trois adolescents savaient qu’ils n’avaient pas les épaules ni le mental pour supporter cela. Mais que pouvaient-ils faire d’autre, à part accepter ? Le dirigeant d’Onyrik ne les laisserait jamais se désister sur cette légation, d’autant plus qu’ils étaient, quelque part, les investigateurs de cette mission : c’étaient eux qui avait demandé à partir dans les Terres Inconnues pour chercher l’Hybride répondant au nom de Karma.

Ika, qui était en train de remplir joyeusement son sac, impatient à l’idée de quitter enfin les hauts bâtiments de pierre turquoise de la ville pour découvrir le monde extérieur, releva subitement la tête en direction de ses deux amis de toujours, qui n’avaient pas prononcé le moindre mot depuis que les Miliciens les avaient conduits ici pour leur demander de se préparer. Son regard aussi bleu qu’un ciel d’été s’arrêta promptement sur les figures de Vikhu et Nyarha. L’expression de leurs deux visages étaient identiques : ses deux meilleurs amis affichaient des mines sérieuses, tendues, et pire que tout maussades. Ika ne comprenait pas cette réaction. Eux qui se réjouissaient de partir à la recherche de cet Hybride depuis des semaines, pourquoi doutaient-ils subitement ?

― Vous en faites une de ces têtes ! tenta de plaisanter le jeune garçon avec son éternel enthousiasme.

Surprise par cette intervention, Nyarha entrouvrit les lèvres, comme pour répondre, avant de se raviser à la dernière seconde. Elle ferma finalement la bouche et, détournant les yeux du petit châtain, elle serra avec plus de fermeté sa ceinture de cuir autour de la taille de son long manteau de fourrure offert par l'Élite.

Tout comme Vikhu et Ika, la jeune fille arborait les couleurs des apprentis Invoqueurs, le blanc et le vert, pour signaler son statut au sein de son peuple. Leur vêtement n’était certes pas un habit traditionnel de la Cité des Invoqueurs mais, en coopérant avec l'Élite des années avant leur naissance, leur peuple s’était retrouvé forcé d’adopter les coutumes des autochtones d’Onyrik. Les manteaux de fourrure n’existaient pas, autrefois, dans leur Cité, mais l'Élite en avait fabriqué des sur mesures pour ce peuple grandiose qui avait accepté de coopérer dans leur organisation.

Malgré sa tête tournée à l’opposé, Ika vit les épaules de sa meilleure amie trembler, tandis qu’un faible gémissement franchit la barrière de ses lèvres. Le jeune garçon perdit immédiatement toutes couleurs. Pourquoi Nyarha s’était-elle mise à pleurer, tout à coup ? Avait-il dit quelque chose de travers, quelque chose qui l’aurait vexée ?

― On est inquiets, Ika, répondit Vikhu de sa voix plus grave. Et tu devrais l’être tout autant.

Suite à ces remontrances qui avait laissé Ika dans une incompréhension encore plus floue, le plus âgé du trio se dirigea d’un pas résigné dans la direction de Nyarha. Là, il agrippa fermement les bras de la jeune fille tout en s’agenouillant devant elle comme un grand frère réconforterait sa petite sœur dont le cœur était empli d’une tristesse ineffable.

Le petit Ika fixa Vikhu d’un œil noir, n’appréciait guère les manières qu’il abordait avec leur amie commune. Inconsciemment, ses doigts se serrèrent le long de son corps pour former deux poings tremblant de colère. Le jeune garçon n’avait aucune idée du sentiment qui faisait battre son cœur de rage, ni pourquoi il se mettait subitement à détester Vikhu, tout à coup. Et puis, pourquoi ce dernier lui conseillait-il d'être inquiet ? Ils allaient enfin voir le monde extérieur, eux qui en rêvaient depuis des années !

Indifférent à la jalousie apparente de Ika car toute son attention était dirigée sur Nyarha qui n’avait pas encore séché une seule larme, Vikhu passa une main sur les joues gonflées et rosies de sa meilleure amie.

― Allez… encouragea le jeune homme aux longs cheveux d’argent de sa voix la plus doucereuse. Ça va aller… Tu n’es pas seule à supporter cette épreuve. Nous sommes là, ne l’oublie pas.

― Je sais bien… hoqueta la jeune fille entre deux grosses crises de larmes. Mais… mais… J’ai peur…

― Mais de quoi t'as peur ? questionna Ika, la colère transpirant dans le son de sa voix. Ça fait des semaines qu’on parle d’aller apprivoiser Karma, on peut pas abandonner maintenant !

― Je sais ! répliqua subitement Nyarha, levant des yeux rouges de larmes en direction de son ami resté en retrait. C’est pas ça le soucis ! Je parle de Riv-

Vikhu, saisissant les paroles de son amie et les véritables peurs qui hantaient son cœur, prit soudainement la jeune fille aux cheveux couleur de bronze dans ses bras pour la serrer plus fort contre lui. Cette dernière hoqueta de surprise face à ce subit rapprochement mais, une fois la stupeur passée, elle laissa ses bras tomber le long de son corps de dépit, tandis qu’un sanglot à peine maîtrisé sortit de sa gorge serrée de tristesse.

― Je sais… lui souffla le plus âgé à l’oreille, mais Ika parvint quand même à l’entendre, ce qui renforça sa colère sourde. Mais évite de prononcer son nom… Les murs ont des oreilles…

La jeune Invoqueur sembla comprendre, puisqu’elle hocha timidement la tête, ses lèvres pincées pour éviter de commettre une gaffe. Nyarha enfouit son visage dans le creux que formaient les bras de son grand ami, essayant de cacher ainsi pudiquement sa tête.

Sentant sa colère tomber doucement, Ika desserra lentement les poings tout en baissant la tête, honteux d’avoir laissé éclater sa jalousie dans un moment aussi crucial comme celui-ci. L’heure n’était effectivement pas à la rivalité avec son meilleur ami, mais bien à la gravité de la situation. Il y avait quelque chose qui le chiffonnait depuis qu’il avait assisté à l’arrestation de River, un sentiment indescriptible qu’on lui cachait volontairement quelque chose. L’Élite leur cachait quelque chose. Ika avait senti son monde s’effondrer suite à la mise en quarantaine de leur vieil Invoqueur. Non pas car il en voulait à River de les avoir trahi. Mais parce qu’il sentait que l'Élite ne leur disait pas toute la vérité. Plus rien n’avait de sens depuis l’arrestation de Yume, de toute façon.

― Je suis sûr qu’il est innocent, déclara subitement le jeune garçon, les joues gonflées et rouges de colère. Et on le prouvera.

― Arrête avec cet héroïsme, déclara Vikhu en levant des yeux las en direction de son meilleur ami, accompagné d’un long soupir. Tu veux vraiment remettre l'Élite en doute, toi aussi ? Regarde ce qui est arrivé à Fileya et Yume. Tu veux réellement terminer comme ces deux criminels ?

― Mais… Et s’ils avaient raison ? défia Ika en plantant son regard bleu azuré dans les iris turquoise du plus âgé du trio. Et si nous étions manipulés depuis le début ? Tu sais comme moi que River est quelqu’un de bien, jamais il ne…

Quand il vit Vikhu relâcher sa pression sur les bras de Nyarha pour se dresser de toute sa hauteur, Ika comprit qu’il avait probablement poussé le bouchon un peu trop loin. Aucune émotion ne tirait les traits de son visage altier, mais le regard de glace qu’il lui lança à ce moment précis valait bien toutes les expressions de colère faciales au monde. Le petit châtain ravala sa salive. Il savait, pour l’avoir vu de nombreuses fois de mauvaise humeur, qu’il valait mieux ne jamais se mettre l’argenté à dos. Son expression neutre n’était pas à prendre à la légère… Mais jamais Ika n’aurait imaginé que cette colère se dirigerait un jour contre lui.

― Ika, stop, dit Vikhu de sa voix grave, son ombre noyant le plus jeune des deux garçons dans les ténèbres. On ne peut rien faire, la discussion est close.

Sentant que le ton montait entre ses deux meilleurs amis, Nyarha les fixa tous deux tour à tour, les yeux débordant de larmes qu’elle essayait de contenir de toutes ses forces. Cependant, quand elle vit l’argenté effectuer un pas en avant dans le but d’intimider le plus petit, la jeune fille sentit toutes ses défenses se briser. De véritables torrents de gouttes salées se déversèrent sur ses jolies joues encore rondelettes. La jeune fille aux cheveux de bronze était consciente que sa crise de larmes n’était pas seulement due à l'ambiance tendue et palpable entre ses deux compagnons masculins. Non, en réalité, elle avait contenu ses pleurs depuis cette fameuse soirée où Seven les avait convoqué tous trois dans son bureau pour leur faire part de la lourde tâche qui les attendait. Du haut de ses petites quatorze années, la jeune Invoqueur avait l’impression que l’avenir du Royaume d’Onyrik reposait sur ses épaules, bien trop frêles pour supporter un tel poids. Elle n’était pas certaine que même Vikhu, qui était âgé de deux ans de plus que Ika et elle-même, arrivait réellement à emmagasiner tout ce stress.

― Arrêtez de vous disputer… pleurnicha Nyarha, le visage enfouit dans ses deux petites mains tremblantes. Je veux pas vous perdre, vous deux aussi…

Interdit, Vikhu détendit tous les muscles de son visage pour adopter une expression faciale plus sympathique. Sa mâchoire s'était desserrée, tandis que ses deux sourcils argentés en broussaille s'étaient abaissés sur ses yeux en amande. Conscient qu’il était allé trop loin, le jeune homme s’en voulut immédiatement d’avoir relâché toute la pression qu’il ressentait depuis l’émission de cette quête dans les Terres Interdites sur son meilleur ami, qui lui faisait tout son possible pour ne voir que les points positifs d’une telle mission. Pourquoi n’arrivait-il donc pas à laisser ses doutes un peu de côté pour se concentrer, lui aussi, sur toutes les bonnes choses qu’une découverte des Terres Interdites avait à offrir ?

Tâchant de se rattraper du mieux qu’il le put avec ses maigres moyens, le jeune garçon apposa une grande main ferme sur l’épaule gauche de Nyarha puis l'épaule droite de Ika. Empruntés, ses deux meilleurs amis levèrent de grands yeux étonnés sur le visage tordu en un rictus désolé de celui qu’ils considéraient comme leur grand frère, les yeux débordant de larmes.

― On va y arriver, déclara, contre toute attente Vikhu, d’une voix gutturale, certes, mais belle et bien confiante. Je vous le promets. On trouvera le fin mot de cette histoire. C’est promis.

Ébahis, les deux plus jeunes fixèrent le plus âgé avec une reconnaissance dégoulinant de leurs iris couleur du ciel. Cependant, avant même qu’ils n’aient pu dire ou faire quoi que ce soit pour remercier leur ami, la porte de la petite salle que l'Élite leur avait prêté pour qu’ils préparèrent leurs affaires s’ouvrit subitement.

Une fois que la barrière de bois fut totalement écartée, le trio d’Invoqueurs vit se dessiner deux silhouettes encore à moitié dans l’ombre. Elles étaient facilement discernables l’une de l’autre car l'homme qui se trouvait à l’arrière écrasait celui de devant de par sa haute taille. Quand la lumière se fit plus nette, les trois meilleurs amis identifièrent la plus petite des silhouettes à l'avant comme étant l’abominable Teki. En revanche, ils n’avaient aucune idée de l’identité qui se cachait sous la seconde. Mais son visage fermé, sa mâchoire serrée, et ses nombreuses cicatrices rougeâtres qui couraient de partout sur son visage tels des éclairs de foudre ne leur inspiraient aucunement confiance.

― Notre Souverain s’impatiente, déclara l’homme aux cheveux plaqués sur l’arrière du crâne, ses mains croisées droitement dans son dos, tout en effectuant un pas pour pénétrer dans la pièce. Il souhaite vous envoyer dès ce soir à la conquête des Terres Interdites. Alors ne traînez plus.

Teki lança un regard dédaigneux sur les trois silhouettes crispées des adolescents. Puis, avec un rictus mauvais et calculateur, l'Épéiste détourna finalement les talons, l’air de rien, faisant claquer sa longue cape marine dans son sillage. Cependant, en effectuant ce volte-face, le jeune homme sembla se souvenir de l’invité surprise qui l’accompagnait ce soir. Le géant dévisageait le trio d’Invoqueurs d’un éclat dérangeant dans ses iris noirâtres, le regard à moitié voilé par un éclat d'électricité ayant pris la forme d’une étoile dans ses deux pupilles obsidiennes, témoin d’un récent combat où il s’était reçu une attaque de type Foudre de plein fouet.

― Ah, oui, avant que je n’oublie… reprit le Second de Seven en se retournant face à Vikhu, Ika, et Nyarha. Laissez-moi vous présenter votre accompagnateur. Voici notre toute nouvelle recrue parmi les Épéistes. Il se trouve certes encore tout en bas de l’échelle, mais nul doute que sa colère et sa soif de vengeance seront suffisantes pour lui faire gravir les échelons. N’ai-je pas raison ?

Teki leva à peine les yeux dans la direction du géant, sans même le toiser réellement. Ce dernier ne lui en tint visiblement pas rigueur. Pour toute réponse, l'Épéiste nouvellement nommé se contenta de faire crachiner son cou, dont le craquement des os se répercuta dérangement contre les murs de la minuscule salle. Un sourire mesquin prit place sur ses lèvres à peine perceptibles tant elles étaient minces.

― Croyez-moi les jeunes, dit-il de sa voix gutturale qui n’arrangea en rien les inquiétudes déjà profondément grandes du trio, vous êtes en de bonnes mains en ma compagnie… Soyons amis… D’autant plus si vous m’aider à crever ce petit enfoiré de Yume. Il va payer pour ce qu’il a osé faire à mes hommes et moi… Je vous garantis que je vais prendre un malin plaisir à le torturer de mes mains, à tel point qu’il me suppliera à genoux de l’achever dans les plus brefs délais.

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