Chapitre 14.7 : Astrid

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Touchée, Fileya porta une main délicate au niveau de son cœur. Elle ouvrit la bouche, dans le but de réconforter son amie venue d’un autre monde comme elle venait de la faire pour elle, mais des éclats de voix tout proche l’en dissuadèrent. Interloquées, les deux jeunes filles portèrent leurs regards dans la même direction d’où provenaient les voix, mais ne s’en alarmèrent aucunement. Elles avaient reconnu leurs compagnons qui revenaient de la rivière.

Yume fut le premier à sortir d’entre les troncs d’arbres luminescent, mais l’on pouvait voir, grâce à l’éclat de ceux-ci, que les autres garçons n’étaient pas loin à l’arrière, frigorifiés. Le jeune homme, bien que sa couverture était fermement posée sur ses épaules pour recouvrir tout son corps, avait encore les cheveux dégoulinant d’eau et claquait des dents. Astrid se fit la drôle de réflexion qu’il sentait le chien mouillé…

– C’est bon, la rivière est libre, si mesdemoiselles veulent y aller, annonça-t-il, mains sur les hanches, mais ses gestes étaient parcourus de soubresauts.

Yume se précipita alors près des flammes et s’y assit en tailleurs devant elles, sortant ses mains dans le but de les réchauffer, alternant entre la chaleur du brasier et son souffle chaud tout contre ses paumes pour se procurer le maximum de chaleur. Astrid en déduisit que l’eau devait être glaciale !

– Par contre, elle est gelée ! ajouta-t-il après un moment, constant que ses autres camarades sortaient à peine du bosquet. Plus jamais je fais ça !

– Au moins ça fera partir ton odeur immonde, plaisanta Astrid, d’humeur joueuse, en espérant que ses petites querelles avec Yume seraient assez puissantes pour redonner du baume au cœur à la magicienne de la troupe.

– Hé ! Tu dis n’importe quoi d’abord ! se défendit le jeune homme, visiblement piqué au vif, ses yeux écarquillés à l’extrême. J’ai une odeur corporelle qui sent naturellement bon !

Étant arrivé peu après les autres, Thandon ne prit même pas la peine de prendre part aux conversations. Son petit frère, qui s’était sans doute endormi dans ses bras d’épuisement, était sa seule occupation. Tel le grand frère passionné qu’il était, le jeune garçon l’installa confortablement dans un sac de couchage, qu’il recouvrit ensuite d’une couverture en fourrure, de peur que le petit garçon n’attrapât froid dans la nuit.

Fileya, devenue curieusement muette depuis le retour de leurs compagnons masculins, fixa les gestes de Thandon un moment, distraite, ce qui n’échappa pas aux regards inquiets de Yume et Astrid, tout proches. Ils n’en dirent pourtant rien, bien qu’ils ne purent s’empêcher de se lancer des coups d’œils discrets. Lorsque Thandon se redressa de toute sa hauteur pour venir prendre place au coin du feu avec ses amis, Fileya détourna subitement le regard. Ses yeux plantés sur ses pieds, la jeune fille avait les joues en feu.

– Bon, il est l’heure du bain ! déclara subitement Fileya, tout en se redressant à la hâte sur ses jambes, ce qui manqua de lui faire perdre l’équilibre. Astrid, tu es prête ?

– Plus que prête ! approuva cette dernière, un large sourire étirant ses joues rondes.

Astrid se leva à son tour avec empressement, et sentit ses jambes la picoter. Elle faillit perdre elle aussi l’équilibre mais, douée d’un très bon jeu de jambes, elle parvint finalement à rester à terre.

– Vous semblez bien pressées… nota Yume, les yeux plissés de suspicion. C’est louche. Même très louche..

– C’est un secret entre filles, dit tout simplement la magicienne, qui lança un clin d’œil complice à Astrid, qui ne put s’empêcher de pouffer de rire.

Malgré tout, l’Enfant aux Yeux Rouges avait un peu de peine pour ces pauvres garçons qui s’étaient retrouvés forcés à se baigner dans une eau gelée… “Ma foi, pensa-t-elle en son for intérieur, pas ma faute s’ils manquent de jugeote !”

– Mouais… approuva au bout du compte Yume, pas vraiment convaincu, en témoignait sa bouche étirée en une moue boudeuse. Pas de bêtises, hein ?

– Pour qui tu nous prends ? répliqua derechef Fileya, les poings sur les hanches, appréciant sans doute de pouvoir enfin le toiser de haut. Nous sommes les cerveaux de ce groupe, jamais il nous viendrait à l’idée de commettre de bavures !

Visiblement fière de sa répartie, Fileya tourna les talons avec volupté, avant de commencer à s’enfoncer parmi les arbres, guidée par le rugissement des courants de la rivière. Astrid, qui a bien envie d’un bain chaud, s’empressa d’en faire de même, lorsqu’elle piqua net. S'arrêtant subitement dans sa lancée, elle entendit Yume s’esclaffer drôlement, d’un rire qu’elle ne souhaitait même pas comprendre, et se tourna vivement, rouge de colère, en direction de son ami.

– Et hors de question de venir jeter un œil, compris ?!

****

Astrid et Fileya revinrent côte à côte dans leur camp improvisé, serrées l’une contre l’autre pour se prodiguer le maximum de chaleur possible. Cette soudaine proximité avec son amie ne dérangea aucunement la brune, bien au contraire, elle était heureuse d’avoir enfin trouvé quelqu’un qui ne soit pas dérangée à l’idée d’être si proche d’elle !

Il avait été difficile pour les jeunes filles de quitter leur rivière chauffée grâce à la magie de Fileya, mais elles se devaient pourtant d’agir le plus rapidement possible, pour ne pas éveiller les soupçons de leurs camarades restés au camp, qui eux avaient été contraints de se baigner dans une eau glaciale.

Quand elles arrivèrent au campement, Astrid constata que Thandon et Léterno étaient en train de discuter à voix basse. La jeune fille était impressionnée par le Buxihen : il était parvenu, par elle ne savait quel stratagème, à briser ses défenses pour le pousser à s’exprimer ! Cependant, la jeune fille doutait fortement que le samouraï errant lui en dévoilait davantage sur sa vie privée. Yume, quant à lui, n’avait pas bougé de place. Légèrement à l’écart, il comptait avec minutie le reste de leurs provisions en Néos, les sourcils froncés de concentration. Khomas, de son côté, dormait toujours à poings fermés dans l'une des trois tentes de leur campement de fortune.

– Aaaaaah ! s’exclama Thandon en premier, levant la tête dans leur direction lorsqu’il remarqua enfin les silhouettes des deux jeunes filles se dessiner à travers les arbres luminescents. On se demandait sincèrement quand est-ce que vous alliez revenir !

– Vous avez trouvé une source d’eau chaude ou quoi ? demanda Yume, un brin boudeur, son regard légèrement dur concentré sur les liasses de billets qu’il rangea avec délicatesse dans le sac sans fond des Falkies.

– Si on veut, répliqua Fileya avec un clin d'œil malicieux, tandis qu’elle vint prendre place aux côtés de son meilleur ami avec volupté.

– Hein ? Comment ça ?! questionna-t-il de nouveau, les yeux écarquillés de surprise.

Astrid s’installa à sa droite, seule place restante, entre Yume et Thandon. Elle avait noté la façon dont Fileya s’était immédiatement ruée sur la gauche de l’ancien Épéiste, pour ne pas se trouver trop proche de celui qui faisait battre son cœur, mais qu’elle n’arrivait plus à accepter à cause des derniers événements traumatisants qu’elle avait vécu.

– Disons qu’on a été plus malignes que vous, déclara Astrid, qui ne perdit pas une occasion pour se moquer du jeune homme.

– Ce qui est fait est fait, décida subitement Léterno, coupant ainsi court à cette conversation qui risquait encore de partir dans tous les sens si personne n’y mettait un terme rapidement.

Le grand homme leva son unique œil améthyste sur Astrid, qui se sentit subitement prise d’un frisson, et le froid n’y était que pour très peu dans cette histoire, avant de finalement le poser sur Yume. Une fois encore, la jeune fille avait été incapable de lire le fond de sa pensée.

– Il me semble que vous avez des choses à dire, dit-il de sa voix tranchante et morne.

Interdits, Astrid et Yume se lancèrent un regard terrifié. Finalement, le jeune homme fut le premier à trouver le courage de répliquer :

– À… À propos de quoi ?

Astrid était assez impressionnée par la façon dont Léterno arrivait même à faire perdre la face au plus malicieux d’entre eux. Comment Thandon faisait-il pour rester à ses côtés et lui tenir la conversation aussi facilement, sans la moindre once d’anxiété ? Même Yume n’arrivait pas à rester de marbre face à lui !

– De la suite de la mission, répondit Fileya à la place du grand homme, tout en soupirant dans ses couvertures. Vous semblez pertinemment savoir où nous nous rendons, en particuliers toi, Yume. Voudriez-vous bien nous expliquer ce qu’il se trame ?

Astrid et Yume se lancèrent à nouveau un regard, interrogatif cette fois-ci. Cependant, lorsqu’elle vit un sourire fendre les lèvres du blondinet, la jeune fille savait qu’elle n’allait pas aimer la tournure de cette conversation au coin du feu. Mais l'Enfant aux Yeux Rouges le préférait, ce sourire, plutôt que son rictus rêveur des dernières heures qu'elle mourrait d'envie de lui faire ravaler à coups de poings en pleine figure !

– Honneur aux dames, annonça-t-il, fier de lui.

– Et pourquoi ce serait à moi exactement de prendre la parole ? s’offusqua Astrid, un sourcil dressé derrière sa frange brune encore légèrement mouillée.

– Je sais pas, répondit Yume, tout en haussant les épaules avec indifférence. Peut-être parce que c’est toi l’héroïne de l’histoire ?

Astrid ne put empêcher un tremblement de parcourir l'entièreté de son corps, et elle savait que le froid n'y était pour rien dans ce phénomène. Oui, tout le monde criait presque tout haut qu'elle était une sorte d'héroïne, la « Sauveuse d'Onyrik », mais elle-même n'y croyait pas. Certes, la jeune fille avait bien remarqué que le Royaume n'était pas très stable, ces derniers jours, mais elle ignorait encore beaucoup de son rôle à jouer. Et s'ils se trompaient tous ? Elle n'avait pas la force de Yume, les talents magiques de Fileya, ou encore la dextérité de Thandon.

Astrid n'était rien d'autre... qu'Astrid.

– Bon, très bien, accepta Astrid après un énième soupir de lassitude. J'explique la partie que je comprends. Tu te chargeras du reste ensuite.

– Ça me va, approuva le concerné.

– Bon, alors, par où commencer… marmonna la jeune archère.

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