Chapitre 10.7 : Astrid

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L’ultimatum qui se posait à elle désormais était le suivant : vivre avec un vieil homme répugnant jusqu'à la fin de sa vie, ou bien mourir dans la plus atroce des souffrances ?

Astrid n’avait plus qu’une hâte : que ce rêve démentiel prenne bientôt fin, car il prenait des proportions démesurées.

– Très bien, capitula finalement la jeune fille, résignée. Je vais vous aider.

– Vraiment ? s’étonna Iakyndy, qui ne s’était manifestement pas attendue à ce qu’elle cédât aussi rapidement.

– Ne vous emballez pas, déclara Astrid en balayant furieusement l’air de sa main droite. Je n’ai jamais dit que j’épouserai votre père.

Astrid avait bel et bien eu le temps de penser à une autre solution, pendant qu’elle se morfondait sur son sort. C’était un pari risqué, rien n’indiquerait que la famille royale accepterait une telle offre, mais c’était la seule solution qu’elle avait trouvé pour gagner un peu de temps.

– Alors, que proposes-tu ? demanda Iakyndy, impatiente, mais plus méfiante que jamais. Tu ne vas tout de même pas affronter ce monstre par toi-même, n’est-ce pas… ?

La Princesse de Cristal dévisagea pour la énième fois depuis leur première rencontre Astrid de haut en bas, tandis que, au fur et à mesure de son expertise, un sourire faussement désolé se plaqua sur sa bouche blanche. Elle releva, après une attente interminable :

– Tu n’as même pas d’armes pour te défendre.

– Faites en sorte que mes amis me rejoignent ici le plus vite possible, enchaîna Astrid sans même prendre en compte la question et la remarque de la Princesse, les bras croisés sur sa poitrine dans une posture confiante. Vous pouvez leur demander d’aller chasser la bête pour de bon, en échange de ma libération.

– Ooooh… Je vois… roucoula de nouveau l’affreuse fille de glace, une main sur la bouche pour cacher son amusement, mais les plissures sur son visage la trahissaient. Tu acceptes donc de rester ici en otage, voilà qui est intéressant. Mais, qu’avons-nous à gagner, dans cette histoire ? Je veux dire : si tes amis échouent, cela ne fera que mettre la bête en colère plus qu’elle ne l’est déjà fortement…

Astrid posa ses mains sur ses hanches, tout en poussant un soupir résigné. Elle avait en effet envisagé un échec de la part de ses camarades, malgré leurs capacités qui n’étaient plus à démontrer en combat. Malgré tout, elle devait se montrer convaincante envers Iakyndy, alors, même si les paroles suivantes ne l’enchantaient guère, elle énonça tout de même, avec un lourd pincement au cœur :

– Si mes amis échouent, vous gagnerez un laps de temps supplémentaire d’une saison, puisque…

Astrid déglutit de travers, profondément dégoûtée par les mots qu’elle allait sortir de sa gorge contre son gré :

– ... une jeune fille est présente dans mon groupe de voyage…

La jeune fille baissa immédiatement la tête, venant cacher son regard scintillant derrière ses lourdes mèches brunes, profondément honteuse des paroles ignobles qu’elle venait de déblatérer. Donner Fileya en pâture à cette créature dont elle ignorait tout de la force et des pouvoirs qu’elle possédait ne lui procurait aucun plaisir mais, d’un autre côté, Astrid avait confiance en ses amis. Elle savait qu’ils parviendraient à mettre fin au règne de terreur de cette infamie, quelle qu’elle soit, car ils étaient les sauveurs d’Onyrik, ceux en qui l’espoir reposait sur leurs épaules !

– ... et j’accepterai également de devenir l’épouse de votre Père, finit-elle en balançant un regard terrifié en direction de la sublime robe de mariée dans son dos.

Malgré le long frisson qui lui parcourut l’échine à ce moment précis, Astrid savait qu’elle pouvait toujours avoir foi en ses compagnons. Ils parviendraient à la trouver, tôt ou tard, et la sortiraient de ce mauvais pas. La jeune fille avait un peu honte de devoir compter sur eux pour se sortir de ses propres problèmes, mais elle n’avait manifestement pas le choix, sur ce coup-là.

Quant elle posa les yeux sur la silhouette de Iakyndy, Astrid comprit que cette dernière était la proie de profondes réflexions. Un index posé sur sa joue de cristal, la tête baissée et les yeux rivés quelque part sur le sol glacé à ses pieds, la Princesse de Cristal marmonnait quelque chose d’incompréhensible dans sa barbe, que la jeune fille fut incapable de saisir. Finalement, elle redressa deux iris opalins brillants d'alacrité en direction de son invitée, puis elle déclara, un radieux sourire aux lèvres :

– Je vais de ce pas avertir Père ! Il sera sans aucun doute ravi par cette nouvelle ! Peu importe l’issue, nous ressortirons gagnants !

Astrid espéra, du plus profond de son cœur, que le Roi accepterait cette offre venue d’une parfaite étrangère. Elle se rassura en premier lieu en se répétant intérieurement que, si l’idée provenait directement de la bouche de sa fille, il ferait bien moins la sourde oreille que face à une voyageuse sortie littéralement de nulle part. Mais, une fois l’offre acceptée, il fallait encore que Yume, Fileya, et tous les autres, mettent tout en œuvre pour parvenir à atteindre la première issue, le dénouement heureux pour tout le monde, tant pour eux que pour elle-même…

****

Suite aux multiples révélations de Iakyndy et l’annonce de son mariage forcé avec le chef du Village de Cristal, cette dernière avait pris l'initiative d’installer Astrid dans une immense pièce, seule, où elle la fit patienter le temps qu’elle s’entretienne avec son Père pour débattre en sa compagnie du plan proposé par l’archère. À peine lui avait-elle annoncé que le thé était déjà servi, que des petits gâteaux sur la table basse n’attendaient qu’à être mangés, que Iakyndy s’était déjà éclipsée dans un tourbillon de voiles souples, pensant bien évidemment à refermer la porte à double tours derrière elle.

Désormais toute seule dans une pièce qui semblait l’écraser de par sa hauteur tout autant vertigineuse que le propre vestibule du château (elle se trouvait pourtant bel et bien au second étage de la demeure !), Astrid faisait tout ce qui était en son pouvoir pour calmer les battements frénétiques de son cœur. Elle songea en premier lieu à se laisser tomber sur le divan qui trônait en plein centre de la pièce, car ses pieds pouvaient à peine continuer à supporter son poids ; elle tremblait de tous ses membres à cause du stress. Finalement, elle opta pour se diriger vers l’une des imposantes fenêtres qui longeaient toute la partie Est de la pièce, éclairant d’une pâle lueur blanchâtre les meubles de glace de la forteresse de Cristal.

Une fois devant les vitres, la jeune fille y colla son front de dépit, indifférente à la pensée d’y laisser une marque. Elle posa mollement son regard inquiet sur le paysage qui se dessinait derrière sa cage bleutée, identique à la vue qu’elle avait pu observer depuis l’œil-de-bœuf dans le petit igloo dans lequel elle s’était réveillée quelques minutes (peut-être une heure, tout au plus) plus tôt. Le paysage n’avait aucunement changé, mais jamais Astrid n’avait trouvé les rayons lunaires turquoise aussi froids, pas même cette fois où elle avait dormi seule avec Yume à la belle étoile.

Avec un soupir las, Astrid se fit la drôle de réflexion intérieure qu’elle préférerait passer des millions de nuits dehors en compagnie du blondinet plutôt que de se retrouver enfermée dans ce château à la pâleur à couper le souffle, loin de tout, et forcée à épouser un homme qui devait avoir facilement plus de trois fois son âge.

Quittant son observatoire pour oublier un tant soit peu sa condition d’oisillon en cage en rêve de liberté qui lui avait été subitement arrachée, Astrid se décida à se laisser finalement choir dans le divin dont les teintes de bleu et de turquoise se confondaient avec tous les autres meubles et murs de ce château monochrome. À croire que le personnel chargé de la décoration avait une passion démesurée pour la couleur bleue ; il serait temps que quelqu’un lui dise que la vie se composait d’une plus large foison de teintes bien plus vives.

Sur la petite table attenante au divan avait été déposés, comme indiqué par Iakyndy un peu plus tôt, des petits gâteaux ainsi qu’une théière et ses tasses en porcelaines assorties. Astrid sourit presque de satisfaction en constatant que l’argenterie, au moins, n’avait pas hérité de cette affreuse couleur bleue (il lui faudrait sans aucun doute un certain temps avant d’en apprécier à nouveau la teinte). Entre les deux tasses de thé vides se trouvait un plateau d’argent sur lequel étaient déposés de nombreuses viennoiseries qui firent gronder le ventre de la jeune fille d’envie. Depuis combien de temps n’avait-elle pas croqué dans un macaron comme ceux-ci ? Sans doute des années, puisqu'elle en avait même oublié le goût ! Cependant, la brune se refusa tout bonnement d’y toucher. Qui savait ce qu’il pouvait bien se trouver dans ces gâteaux, en réalité ? Elle ne devait pas oublier qu’elle demeurait actuellement en plein territoire ennemi, avec une Princesse qui savait tout de ses conditions d’héroïne et qui, peut-être à l’image de Seven, chercherait elle aussi à la tuer !

Astrid abandonna toutes ses barrières lorsqu’elle entendit son estomac gronder encore plus fort que les fois précédentes. Après tout, elle n’avait rien mangé depuis son arrêt au Bazar du Désert, et son organisme criait famine et était de ce fait incapable de résister à la vue de macarons comme ceux-ci, même s’ils ne lui inspiraient pas confiance ! Sa gourmandise lui jouera bien des tours, un jour… En espérant que ce dernier ne soit pas arrivé !

N’écoutant plus que l’appel de la faim, Astrid engouffra un premier macaron. Puis un deuxième, avant de finalement dévorer tout le contenu du plateau. Tant pis si Iakyndy la prenait pour une véritable “crève-la-faim” comme on disait par chez elle ; la jeune fille s’en fichait pas mal du regard des autres !

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