Chapitre 9.1 : Fileya

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Malgré le décor fantastique dans lequel le petit groupe évoluait, Fileya se refusait obstinément de se laisser bercer par la beauté de la Forêt de Cristal, car son esprit meurtri était occupé ailleurs.

Pourtant, la jeune fille se ravisa bien rapidement et revint sur son jugement, s'octroyant quelques instant pour admirer le fantastique bois qui n'avait rien de comparable avec la Forêt des Hiboux, pourtant voisine. En effet, la jeune Invoqueur ne souhaitait plus se torturer davantage l'esprit sur l'état de la jambe de Thandon encore pendu à son bras et à celui de Yume, car plus elle y songeait, plus elle était persuadée de ne jamais parvenir à le soigner.

Les arbres de la Forêt de Cristal s'étiraient fièrement vers les cieux mais n'étaient pas aussi majestueusement grands que les Herazoniers. Leurs troncs comportaient tous en leur sein un éclat aussi pur que du diamant, qui brillait fortement dans la nuit, éclairant le sentier comme des lanternes. La lumière permettait ainsi de distinguer de nombreuses lianes qui partaient du centre de la terre pour fourmiller jusqu'aux extrémités des branches des arbres. Ils ressemblaient à s'y méprendre de véritables veines parcourant le corps d'un être vivant.

Aux pieds des troncs phosphorescents bourgeonnaient des fleurs repliées en boutons, leurs pétales sans doute rabattus en attendant la venue du soleil. En leur centre émanait également une drôle de lumière rosâtre qui vibrait légèrement, au même rythme qu'une fréquence cardiaque au repos.

« On dirait que la forêt est vivante... pensa Fileya en son for intérieur, son esprit divaguant vers des pensées lointaines, bien plus agréables. Cet endroit pourrait être magnifique et réellement romantique, en d'autres circonstances... »

La jeune fille se surprit à lancer un rapide coup d’œil en direction de Thandon. Ses jambes traînaient désormais à même la terre, incapables de soutenir son poids. Mais le jeune garçon n'était pas inconscient, en témoignaient ses yeux mi-clos, juste gravement sonné. Sa blessure devait pomper d'une manière ou d'une autre une large partie de son énergie.

Pour ne plus penser au pauvre Thandon qui agonisait en silence, Fileya se força à reporter de nouveau son attention sur la forêt.

Elle comprit enfin pourquoi la Forêt de Cristal portait un tel nom : ce n'était pas tant le côté vivant qui fascinait le plus les étrangers, mais plutôt le nombre incroyable de rochers qui jouxtaient les petits sentiers. Sur ceux-ci se dressaient, à l'instar des champignons sur des troncs d'arbres, des cristaux aux douces couleurs bleutées. Ces derniers, de part leur lueur particulièrement insolite, attiraient les regards de plus d'un, et Fileya ne faisait pas exception à la règle. La jeune fille n'était pas particulièrement vénale, mais, si elle avait pu, elle se serait déjà ruée sur l'un des cristaux pour tenter d'en dénicher ne serait-ce qu'un seul ! Même un tout petit lui aurait largement suffit !

Du coin de l’œil, il lui sembla tout à coup percevoir du mouvement. Tournant furtivement le regard sur sa gauche, Fileya plissa les yeux, méfiante, tachant de déceler une silhouette parmi les arbres pulsants. Elle n'avait pas remarqué qu'elle avait stoppé sa marche, forçant tout le monde à en faire de même, par la même occasion.

– Un problème ? releva Yume le premier en fronçant ses sourcils d'incompréhension.

– J'ai cru avoir vu... débuta Fileya, avant de secouer sa crinière sale tout autour de ses joues rondes. Peu importe. On doit avancer.

En réalité, Fileya avait eu l'impression de voir un des cristaux – non, plusieurs cristaux – sa cacher subitement dans la terre sans un bruit alors que le groupe passait à proximité.

Était-elle la seule à faire attention à leur environnement ? Était-elle donc la seule à chercher la moindre marque de distraction pour permettre à son esprit meurtri de s'échapper un instant de la réalité ?

Ils continuèrent à marcher quelques secondes de plus dans un silence complet et pesant, uniquement interrompu par le bruissement du vent dans le drôle de feuillage argentée des arbres. Leurs pas crissèrent contre les feuilles tombées sur le sentier. Il sembla également à Fileya qu'il faisait de plus en plus froid, et la jeune fille remit le coup sur le descente soudaine d'adrénaline. Après tout, cela faisait plusieurs minutes qu'ils avaient arrêté de courir pour fuir les Miliciens, même s'ils marchaient désormais au pas de course, pour espérer garder une certaine distance. De plus, la robe de la jeune Invoqueur était en lambeau depuis son affrontement face à Hachedézo au Lac Aneco ; elle n'avait pas trouvé le temps de se changer depuis, contrairement à ses deux amis Astrid et Yume.

En y réfléchissant bien, Fileya ne comprenait pas exactement pourquoi Yume avait décidé de les conduire dans la Forêt de Cristal. Leur but n'était-il pas de rejoindre Aristofée au plus vite ? Peut-être que son meilleur ami cherchait simplement à emprunter un chemin différent que celui parcouru la première fois. Après tout, ce ne serait pas très malin de leur part de marcher de nouveau dans leurs pas, et d'arpenter une fois de plus la Forêt des Hiboux, puis la Plaine Séréna. Sans doute que l'ancien Épéiste avait dans l'idée de franchir cette fois-ci la Forêt de Cristal, puis de contourner le Lac et la Tour plus loin, pour rejoindre la Plaine Séréna par le Sud-Est ? Ensuite, ils n'auraient plus qu'à passer rapidement le Bazar du Désert en espérant ne pas se faire repérer et poursuivre une fois là-bas, puis traverser définitivement le Désert Gummi pour rejoindre enfin Aristofée, le Royaume voisin tant convoité.

Fileya ne connaissait pas très bien ce coin-ci d'Onyrik. N'étant jamais sortie de Fikternand jusqu'à il y a quelques jours, la jeune fille ignorait ce qu'il pouvait bien les attendre de ce côté du pays. Elle espérait grandement que, tout comme la Forêt des Hiboux, celle de Cristal comportât également un petit village, même minuscule, où ils pourraient s'arrêter pour se sustenter et se reposer. Son ventre criait famine depuis des heures, son dernier repas remontant tout de même à celui offert par Thandon et Khomas lors de leur passage à Buxih !

Un vent glacial vint soudainement caresser sa peau, et Fileya frissonna. Comme elle l'avait relevé plus tôt, l'air se faisait de plus en plus froid, et un bon manteau ne lui ferait pas de mal ! Ah, qu'est-ce qu'elle mourrait d'envie de s'allonger dans un bon lit douillet, avec des draps propres et des couvertures épaisses et chaudes !

Les poils sur sa nuque se redressèrent soudain lorsqu'elle crut percevoir un murmure tout proche. Plissant les yeux pour tenter de distinguer une forme de vie à travers les arbres luminescents, Fileya vit furtivement un des cristaux s'enfoncer de nouveau sous terre.

Étrangement, on aurait dit que ces drôles de joyaux jouaient à cache-cache avec elle. Mais pourquoi ? La jeune fille ne se souvenait pas avoir lu quoi que ce soit à propos des cristaux de cette forêt qui agissaient de la sorte...

Le monde était décidément fascinant ! Et était-ce eux qu'elle avait entendu marmonner ? Qu'est-ce que des cristaux pouvaient-ils bien pouvoir dire et penser ? Parlaient-ils d'eux, ou bien seulement d'elle, qui semblait être la seule à les avoir remarqué ?

– Hum, Yume... ? admonesta subitement Astrid en trottinant en direction du jeune homme pour se mettre à sa hauteur. Est-ce qu'on pourrait faire une pause ? Khomas est fatigué, et moi aussi, à vrai dire.

Fileya remarqua la façon dont la brune se tenait les bras pour tenter de se réchauffer par ses maigres moyens. Alors elle n'était pas la seule à souffrir du froid mordant qui s'accentuait de plus en plus au fur et à mesure qu'ils progressaient dans les bois aux étranges mais fascinantes teintes argentés.

Yume ralentit légèrement l'allure, mais ne s'arrêta pas pour autant dans sa marche. Il lança un bref regard en direction de Khomas à l'arrière, et la jeune fille en fit de même.

Pauvre petite chose... Le petit frère de Thandon tremblait de tous ses membres, et Fileya se doutait bien que le froid n'était pas indifférent dans cette affaire. D'autant plus qu'ils avaient veillés jusque tard, aujourd'hui, et qu'ils avaient fait preuve d'un grand effort pour sortir de la capitale sans se faire attraper par les Miliciens. Khomas devait être profondément éreinté.

– Yume, on devrait se reposer, approuva Fileya en agrippant avec plus de fermeté Thandon qu'elle sentait glisser entre ses doigts fins. Khomas m'a l'air épuisé, et nous ne sommes pas en grande forme non plus.

La jeune fille planta son regard sur la silhouette du jeune garçon qu'elle tenait à bout de bras, et se pinça la lèvre inférieure. Elle avait refusé de lancer le sujet depuis un certain temps, mais l'heure n'était vraiment plus à la contemplation des beautés de la nature, désormais, et son ami avait grandement besoin que l'on s'occupe de lui. Chaque seconde passée à ne rien faire était des secondes perdues pour la guérison de sa jambe.

– Thandon a vraiment besoin d'être soigné, et le plus tôt sera le mieux. J'ignore si je serai capable d'y parvenir. Mais pour en avoir le cœur net, on doit s'arrêter quelque part.

Le blondinet ne répondit pas immédiatement. Au lieu de quoi, il se contenta de marcher, et la jeune fille crut qu'il faisait exprès de l'ignorer. Mais, au bout d'un certain temps, il annonça d'une voix claire, mais le regard toujours fixé droit devant lui :

– Il faut trouver un point d'eau. Une rivière coule dans cette forêt, c'est exactement la même que celle des Hiboux. Une fois trouvée, on s'arrêtera là. Des objections ?

Tous secouèrent la tête en chœur, et, tel un cortège funèbre, les cinq compagnons d'infortune poursuivirent leur marche à travers les arbres azurés.

Personne n'osa ouvrir une seule fois la bouche, bien que Fileya mourrait d'envie de faire part à tous de ses inquiétudes vis-à-vis de ses propres capacités. Elle ne cessait certes pas de se répéter, mais elle se pensait – pire, elle se croyait – incapable de sauver la jambe du pauvre Thandon agonisant dans ses bras.

Par ailleurs, ce dernier n'avait jamais ouvert la bouche depuis leur entrée dans la Forêt de Hiboux (qu'ils avaient dû en partie traverser avant d'entrer dans les bois argentés), mais la jeune Invoqueur, en sentant son pouls à travers ses poignets qu'elle tenait fermement entre ses doigts de fées, pouvait affirmer que son ami était bel et bien en vie. Sans doute ne disait-il rien pour économiser le plus de forces possible.

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