Pain - Aveugle

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- Non ! C'est hors de question ! s'énerva M. Pain

- Ecoutez M. Pain, je suis navré...

- N'y a-t-il pas d'alternative, Docteur Croissant ? s'impatienta M. Pain.

- Non, vraiment, répondit le Docteur. Vous n'y voyez plus rien, ce n'est pas soignable.

Enervé, abasourdi, en furie, M. Pain, se précipita hors de la pièce en se cognant partout. Il s'écorcha la croûte, ce qui lui fit très mal, et il sorti de l'Hopilangerie en pleurant. Il trébuchait, grognait, râlait contre tous ceux qu'il bousculait, les petites briochettes, ou les secs pains au raisin. Il s'arrêta enfin sur un banc, après s'être pris le croûton dedans, et après avoir tatonné, s'assit finalement pour relâcher toute sa frustration. Il ne voyait plus rien et c'était définitif... Il se mit à pleurer de nouveau. Dans le flot de ses larmes, il entendit d'autres sons de tristesse à proximité. Il se tut et demanda :

- Qu'est-ce qui vous arrive à vous ?

- Je suis toute asséchée, et ça me fait mal...

C'était une voix de jeune fille. Une bretzel visiblement, à en juger par la croustillance neuve de sa voix. Mais effectivement, elle semblait erraillée par la sécheresse.

- Allons, allons petite Bretzel, calme toi. Ce n'est pas si grave, tu entame simplement ta fin de vie... Tu va t'assécher jusqu'à ne plus pouvoir bouger, et tu ne sentira plus rien après. Même si tu semble bien jeune pour ça...

- Vous n'êtes pas gentil ! J'ai mal et tout ce que vous trouvez à me dire c'est que ça va passer une fois que je serais morte ?? Je suis jeune, et j'ai envie de croustiller, d'avoir de la fraicheur, du gout ! Ma seule solution est hors de portée, parce que je ne sais pas où je dois aller. Méchant pain !

M. Pain resta silencieux. Il avait parlé trop vite, sans réfléchir, et avait laissé sa tristessse s'exprimer à la place de sa raison.

- Je suis désolé, petite Bretzel. Je suis aveugle, et je viens d'apprendre qu'il n'y avait aucune solution. Alors je suis un peu stressé. Je m'excuse. Tu as parlé d'une solution. Qu'est-ce que c'est ? Je peux peut-être t'aider ?

- Il faut sortir de la Boulange et aller chez les Humains. Il parait qu'ils pourront m'aider. Autant dire que c'est impossible, surtout toute seule.

- Chez les humains... Je connais un chemin. Mais je n'y vois plus rien maintenant ! On n'y arrivera pas...

- Si vous connaissez un chemin, on peut y aller ensemble ! On se guidera l'un l'autre !

Un sourire se dessina sur M. Pain. Cela faisait longtemps...


***


Ils marchèrent de tuyaux en résistances, de plaques en feuilles de cuisson, durant de longues heures. La Boulange était un endroit très vaste. D'abord ils avaient croisés de nombreux habitants qui avaient trouvé curieux leur petit groupe. Un vieux Pain aveugle, et une petite Bretzel toute sèche. Même les honorables Pains au Chocolat, d'habitude enclin à la mixité sociale, semblaient étonnés.

La petite Bretzel guidait M. Pain, à travers la Boulange. Heureusement qu'il ne voyait pas ces regards interrogateurs et pleins de jugement. Ils finirent par arriver à la frontière. Plusieurs dizaines de Baguettes, blanches, aux céréales, viennoises, ou même rustiques gardaient les lieux, en véritables sentinelles. Toute sortie était impossible, sauf venant d'une main humaine, qui ne s'embarassait pas des lois céréalières. En écoutant la description de la frontière que lui faisait la Bretzel, M. Pain se dit qu'il faudrait changer ces lois, pour plus de liberté. Mais en attendant, il devrait s'infiltrer. Ecouter attentivement les ordres de la Bretzel, et se laisser guider par sa voix. C'est ce qu'il fit, et il parvinrent à s'extirper de la zone, de justesse.


Ils se retrouvèrent dans le monde des humains. Ils furent surpris de perdre ainsi leurs membres, leur voix, leur visages, redevenant de simples produits céréaliers non vivants. Ou presque. Car leurs sens étaient encore en éveil. Tombés au sol, sur un carrelage propre mais froid, ils sentirent une énorme main les saisir. M. Pain fut attrapé, retourné, on lui arracha un morceau de croûte corné sur le dessus. Il sentit le choc jusque dans sa mie et poussa un cri silencieux de douleur indicible. La petite Bretzel fut placée dans une cage verticale, aux barreaux d'acier quadrillés. Le haut de la cage était ouvert, et elle, reposait, droite, debout, coincée entre les barreaux. Soudain un mécanisme s'enclencha et la cage entière rougit, et devint incandescante. Elle se sentit brûler, griller, certains de ses grains de sels tombèrent, et cette torture lui arracha, à elle aussi, une supplication inaudible.

Le calvaire terminé, les deux se sentirent replacés dans la Boulange, récupérant ainsi leur voix, leur vision, leur mobilité. M. Pain avait retrouvé la vue ! Ses yeux encore endoloris avaient récupéré leur force, et leur vivacité ! La petite Bretzel elle aussi était miraculée. Encore bouillante, des marques sombres sur les côtés, elle avait néanmoins retrouvé toute sa fraîcheur et sa croustillance. Les deux sautèrent de joie, et exhultèrent, en se cherchant du regard sur la Place Panière.

Ils ne mirent pas longtemps à se retrouver, et jouant des coudes au milieux des Brioches, et des Pains de Campagne, ils se jetèrent l'un sur l'autre, riant aux éclats. Devant tant d'effusion, les regards incrédules ne manquaient pas. Les deux compères ne tardèrent cependant pas à expliquer qu'ils avaient été sauvés par les Humains, que ces derniers n'était pas des monstres assoiffés de mie, mais au contraire des sortes de Dieux généreux, qui détenaient la panacée. Leur techniques de soins dépassaient de loin celles de la Boulange, en témoignait le miracle qui venait de s'accomplir.

Ils parvinrent à convaincre les plus sceptiques, Baguettes comprises. On changea les lois au bout d'une longue discussion.

Depuis, on retrouve régulièrement des produits céréaliers divers ayant franchi la frontière dans l'espoir de revenir miraculés, dans l'espoir que l'on prenne soin d'eux.

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