La peur au ventre

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Le train arrive en gare de Lyon-Part-Dieu, il est minuit.

Je reviens de Paris où j’ai passé le week-end chez mon amie d’enfance. Je ne l’avais pas revue depuis six mois, parce que j’ai quitté mon île natale avant elle. Je n’ai pas hésité à prendre le train, malgré mes maigres finances d’étudiante fraîchement inscrite à la faculté de Droit. D’ailleurs, pour bénéficier d’une baisse des tarifs, je suis contrainte de faire le voyage de retour si tard.

Je reviens le cœur gonflé de joie après ces retrouvailles. Olivia m’a franchement chouchoutée pendant ces deux jours, pensé-je, en me dirigeant vers l’arrêt de bus pour rentrer chez moi, sur les quais de la Saône. Quelques personnes y patientent déjà.

Soudain, un homme basané, d’une quarantaine d’années, m’interpelle dans une langue que je ne connais pas. Je me retourne vers lui :

-         Pardon, je ne comprends pas.

Et je m’éloigne en lui tournant le dos.

C’est un homme qui croit sans doute que je viens de son pays. Etant métisse, j’ai droit à tous les qualificatifs concernant mon origine. « Etes-vous brésilienne, vietnamienne, tahitienne, indienne, thaïlandaise...», que sais-je encore ?

Le bus arrive enfin, j’oblitère mon ticket et je vais m’asseoir à une place, pas loin du chauffeur. Mais l’homme de tout à l’heure vient se placer devant moi et me regarde avec insistance. Je me lève alors et trouve une autre place vers le milieu du bus.

Un doute commence à s’insinuer en moi : « et s’il me suivait ? ». Il fait nuit noire et je suis seule, une jeune fille pure de 19 ans, paumée dans ce nouveau pays…

Je me tourne furtivement vers lui, il est toujours en train de me fixer et son regard est malheureusement éloquent. Maintenant, c’est la peur qui s’empare de moi. Je réfléchis à toute allure. J’ai une idée ! Je vais faire semblant de descendre avant mon arrêt pour le duper.

Je me lève, j’appuie sur le bouton « arrêt demandé » et me plante devant la porte. Aussitôt, l’homme se lève. Je n’ai plus de doute sur ses intentions. Lorsque les portes s’ouvrent, je fais mine de descendre, l’homme est sur le trottoir et je recule brusquement. Le bus s’ébranle. Je vois que le chauffeur dans le rétroviseur a assisté à la scène,  il reste imperturbable.

Mais mon arrêt n’est pas loin et un autre soupçon me taraude : « et s’il a compris que je descends au prochain ? ». Parce qu’il n’y a pas beaucoup de distance entre ces deux arrêts et la route est droite le long du quai…

Le car s’arrête déjà, je descends. En me retournant, HORREUR ! Je vois l’homme derrière moi, à 25 mètres à peu près, de l’autre côté du trottoir, il court pour essayer de me rattraper !

Dans un instinct de survie, je prends mes jambes à mon cou, le cœur battant. Mais la terreur m’empêche d’aller plus vite, car le quai est désert et le voir courir derrière moi me transperce de peur. En me retournant, je vois qu’il se rapproche dangereusement de moi. Je suis folle d’épouvante !

COURS ! NE T’ARRETE PAS ! COURS !

Et personne alentour, pas âme qui vive, pas même une voiture ! Je suis désespérée ! Tout un flot d’images me traversent l’esprit : « il va me violer et ensuite, il va me tuer pour ne pas laisser de traces… ».

J’ai la gorge complètement sèche, je suffoque, je cours encore, mais il est plus rapide que moi. Il est maintenant à 4 mètres de moi, il va traverser pour me rejoindre, quand soudain, je vois sur son trottoir, plus haut, à 10 mètres, un couple qui chemine tranquillement. Je traverse comme une démente en faisant de grands gestes pour attirer leur attention et tombe quasiment à leurs pieds, le souffle court. L’homme, tête baissée, continue son chemin en nous dépassant.

Très agitée, je leur explique tout -non sans mal- parce que je suis devenue aphone, et ils m’observent avec bienveillance. Ce sont des Italiens qui n’ont rien compris de ce que je leur ai dit, mais qui ont senti mon désarroi et ma panique. Mon appartement est à deux pas de là et ils m’accompagnent juste devant.

Il y a quand même un Dieu quelque part, me dis-je, complètement anéantie…

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