Je déteste les cours de philosophie. Pourquoi? Et bien, tout simplement parce que, dans ma tête, on arrive pas à être d'accord sur tout. 

 -Le chagrin face à la mort n’est-il pas égoïste ? 

Non, madame, non... Trop tard.

La question traverse ma Salle d'Esprit.

Et mes moi frémissent.

- Pourquoi le serait-il? fait Moi 1.

- Pourquoi ne le serait-il pas? rétorque Moi 28.

- La mort fait partie de la vie, on le sait, moralise Moi 17.

- La tristesse est naturelle, non égoïste, reprend Moi 1.

- C'est égoïste car on ne pense qu'à nous, au fait qu'on ne verra plus cette personne, à son absence pour nous...

Non, non, non! Stop! 

Mais, évidement, personne ne m'écoute. Et, comme d'habitude, mes moi se retrouvent à penser les uns à la suite des autres, construisant une pensée erratique, contradictoire.

- La tristesse fait partie de l'Homme depuis les premiers âges... cela n'a jamais été prouvé... la mort est un passage obligé... le chagrin n'est égoïste que si... tout ce qui vit... la mort... le chagrin... égo... égo...

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Cerveau redémarré.

Je tourne obstinément la tête vers la fenêtre. Mon regard accroche un nuage et je laisse mon esprit vagabonder, à nouveau uni, à nouveau opérationnel. Les paroles de la prof sont comme un bruit de fond, loin, loin.

- La modestie est-elle le subtil dérivé d’un complexe de supériorité ? 

Je gémis. Non! La question a traversé ma bulle. Je l'entend résonner dans la Salle d'Esprit. C'est reparti pour un tour...

- Bien sûr! C'est le cas pour nous après tout! clame Moi 10.

- Pas toujours, contredit Moi 22.

- Il y a deux sortes de modestes: le vrai et le feint, affirme doctement Moi 3.

- En ce cas, comment dissocier les deux? demande Moi 8.

- Ne peut-on être parfois l'un et parfois l'autre, en fonction des situations? renchérit Moi 25.

- Sans doute, l'être humain n'est ni tout noir, ni tout blanc après tout, approuve Moi 12.

- Donc la modestie est... non, sinon pourquoi inventer deux termes opposés? ... les opposés se confondent souvent... la suffisance se trahirait par quoi en ce cas? ...

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Cerveau redémarré.

Je consulte ma montre. 10h31. Un peu plus d'une demie heure seulement s'est écoulée. J'ai encore une heure et demie à tenir. La prof nous regarde. Tiens, elle s'est arrêtée de parler? Où sont les journalistes, bon sang? C'est un record mondial!

- Un sourire peut-il renverser votre univers ? 

Non, pas de record finalement. Je me crispe. Ma Salle d'Esprit se met en branle... mais une seule voix traverse ma tête, sûre d'elle:

- Oui.

Je patiente, guettant la suite de mon raisonnement interne. Cependant, rien ne vient. Bon, ce n'est pas grave. Il y a des questions qui m'inspirent plus que d'autres apparemment.

- Qu’est-ce que la liberté ? 

Aucun élève a répondu à ta question précédente, pourquoi tu en reposes une qui a rien à voir, sérieux?

Une vague d'agitation fait trembler ma Salle d'Esprit:

- La liberté c'est faire ce qu'on veut!

- Pas de lois!

- Pas de règles!

- Pas de limite!

- Pas de morale!

- Pas de tabou!

- Libéréééééééeeee, Délivréééééééeee!

Mes moi parlent tellement vite, que je ne peux les différencier les uns des autres. Sauf le crétin qui a osé chanter la Reine des Neiges. Il n'y a que Moi 15 pour faire ça.

Je vous épargnerai le reste de mon martyre hebdomadaire. Sachez seulement qu'à la fin de son cours ô combien éprouvant, la prof nous a lâché avec son air passionné :

- Qu’évoquent ces questions pour vous ? 

Tous mes moi ont été d'accord pour affirmer: la confrontation d'opinions et le déchirement interne.

Et après, on ose se demander pourquoi des élèves qui sortent d'un cours de philo tirent tous une tête de sept pieds de long! C'est pas facile de débattre avec soi-même et encore moins de se mettre d'accord!