Chapitre 1

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« J’ai pas envie d’aller sur la digue. Tu n’as qu’à y aller toute seule, je t’attendrai là. »

Rachel fronça le nez et Gabin redressa la tête, lui jetant son regard qui signifiait : J’avais pas envie de venir tout court. Rachel avait toujours aimé monter sur la digue. Gabin supposait qu’être cernée par la mer et le bruit des vagues l’apaisait. Mais voilà, Gabin n’avait pas envie d’être coopératif aujourd’hui.

Tout d’abord, Rachel avait lourdement insisté pour qu’il vienne promener le chien avec elle. Il avait protesté, Gribouille n’était pas son chien, et puis le temps était infect, mais rien n’y avait fait. La vérité, c’est que Rachel considérait qu’il n’était pas sain pour un enfant de passer sa journée derrière un écran d’ordinateur, et en la matière leurs parents rejoignaient malheureusement la jeune femme en tous points. Il avait donc trainé des pieds tout le long du chemin jusqu’au port pour bien faire sentir son mécontentement.

La mer était calme mais une lourde brume, comme il y en avait souvent dans le coin, pesait sur la ville. Des goélands volaient à ras de terre entre les bateaux amarrés et Gribouille les coursait en aboyant à qui mieux mieux. C’était un jeune caniche, tout menu et à la fourrure aussi rousse que la chevelure de sa sœur. C’était un bon exemple de tel chien tel maître selon Gabin.

« Très bien » céda finalement Rachel, « Reste ici, mais ne t’éloigne pas OK ? »

Oui, oui. Et je prendrai pas les bonbons du vieux monsieur.

La jeune fille le fixa encore quelques secondes, puis se détourna en soupirant. Elle s’éloigna vers la digue, le chien sur les talons. Rachel était un véritable éclair dans le décor. Elle portait une lourde robe en lainage vert émeraude et la couleur de ses cheveux contrastait singulièrement avec la grisaille ambiante.

Elle monta quelques marches et fut avalée par la brume.

Gabin s’approcha de l’eau et fouilla dans les galets du bord. Il en sélectionna quelques-uns puis, se plaçant face au port, lança le premier. Le brouillard était particulièrement dense, épais comme de la purée de pois. On n’y voyait guère à plus de cinq mètres. Le galet fusa au-dessus de l’eau, où il ricocha en sauts souples et énergiques.

Plaf. Plaf. Plaf.

Le galet fit trois bonds avant de disparaitre dans le brouillard. Gabin distingua le bruit d’un saut supplémentaire avant que toute trace de son lancer ne soit totalement avalée par la brume. Pas mal. Le secret se trouvait dans le mouvement du poignet, sec et vif. Le galet devait se trouver parfaitement horizontal à la surface pour y rebondir sans y plonger. Il en lança de nouveau un.

Plaf. Plaf. Plaf.

Le choix du galet était également d’importance. La pierre parfaite était plate et symétrique, à la surface lisse et sans aspérités.

Plaf. Plaf. PLOUF !

Gabin tressaillit. Un long frisson comme un doigt glacé descendit le long de sa colonne vertébrale.
La dernière éclaboussure avait fait trop de bruit, sans pour autant avoir été vraiment imposante. Il avait beau scruter le port avec la plus grande attention, le temps était bien trop mauvais pour qu’il puisse discerner quoi que ce soit. Peut-être une dorade sautant en dehors de l’eau ? Cependant un frémissement inexpliqué lui courrait jusque dans les os, comme une crispation lui tendant les jambes en ressorts. Les ricochets ne l’amusaient plus.

Gabin s’éloigna du bord et s’assit un peu plus loin, à quelques mètres de l’escalier. Ses yeux ne pouvaient quitter l’eau du port qui léchait les galets à intervalles paresseux. Elle montait et descendait mollement, sans frémissement particulier.

Un raclement contre la pierre l’arracha à sa contemplation. Gribouille descendait les escaliers. Il trottina jusqu’à lui et vint s’asseoir à ses pieds en silence. Gabin lui caressa distraitement la tête, puis saisit un nouveau galet et le retourna entre ses mains. Le chien leva alors la patte avant et grata du bout de celle-ci son jean. Gabin fronça les sourcils. Il tourna la tête vers la digue, ou du moins, dans la direction dans laquelle il savait qu’elle se trouvait.

« Rachel ? » appela-t-il.

Il lui sembla que sa voix n’avait pas porté, comme engloutie par l’épaisseur opaque qui le cernait.
A ses pieds, le chien le fixait calmement.
Rachel ne redescendit jamais de la digue.

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