Bizzz...arre

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    Ne jamais rire.

    Ne jamais sortir de chez moi.

    Je m’imposais ces deux seules règles, qui suffisaient à me combler de bonheur.

    Enfin,… c’est ce que je croyais…

    Vous voyez, c’est pourtant simple. Le rire est une émotion positive. Si un fourbe sait que vous le trouvez drôle, vous êtes faible. Il s’accrochera à ce morceau de bonheur et s’en servira pour vous écraser comme une vulgaire mouche. Ne pas montrer ses émotions, en règle générale. Mais le rire… à éviter absolument ! Le rire engendre la sympathie, des sujets de conversation, une amitié, et… c’est trop tard !!! Le fourbe vous arrachera les ailes comme à une vulgaire mouche.

    Mais cacher ses sentiments n’est pas tâche facile. Je n’y parvenais plus. Et les fourbes étaient partout. Ils veulent tous me tuer à petit feu, à doses mesurées… Et puis un jour, le coup fatal ! Et il ne reste plus rien. Une pulvérisation d’insecticide et la vulgaire mouche git, insignifiante sur la table.

    Vous avez l’air pensif, monsieur. Quelque chose vous préoccupe ? Oh ! C’est moi, n’est-ce pas ? Probablement. Je préoccupe tout le monde. Depuis que ce fourbe m’a découvert. Sale insecte ! Avant, j’étais bien tranquille ! Les jours passaient, dans ma maison. Je discutais avec Anatole. Je devrais plutôt dire que je parlais, et qu’il m’écoutait. Anatole était timide, indépendant. Il n’aimait pas vraiment parler. Alors quand il en avait assez de m’écouter, j’allais commander à manger. On nous livrait tous nos repas. Ensuite j’écrivais sur le grand mur du salon. Ne me regardez pas comme ça ! Il n’y a rien de mal à peindre l’alphabet pour décorer ! J’aime bien jouer aux billes aussi, sur la table du salon. Le plus drôle, c’est de lancer la bille un peu trop fort ! Alors elle tombe par terre et se brise en mille éclats ! Aussi fragile qu’une vulgaire mouche, la bille ! Et le sucre. C’est bon, le sucre. Anatole aussi adorait ça.

    Et vous ! Vous osez venir chez moi, pour me demander si j’aurais l’amabilité de vous donner un peu de sucre ! C’est bien ce que vous avez dit ? Oui c’est cela ! Mon précieux sucre !

    Vous pensiez vraiment que… Qui êtes vous mon cher ? Allez-vous vous décider à répondre ?

    Tant pis. Vous devez être un nouveau voisin. Personne ne vous a prévenu ? Les mères interdisent à leurs larves de s’aventurer à moins de trente mètres de ma clôture ! Mais la petite mouche a volé un peu trop près des flammes… Grillée, la mouche ! Maintenant vous êtes tout à moi. Anatole aurait été jaloux ! Plus maintenant. Allez-vous arrêter de hurler !!! Vos mugissements insupportent ma sensibilité auditive !

    Que se passe-t-il, moucheron ? Vous avez faim ? Un peu de sucre peut-être ! Voleur ! Sale mouche dégoûtante ! Répugnante…

    Vous pensez vraiment que je suis idiote ? Je sais très bien que le fourbe vous a payé pour me tendre un piège ! Mais pas folle la mouche ! Je ne me collerai pas dans ses filets ! Un voisin qui demande du sucre chez « l’entomologiste », oui, c’est comme ça que vous m’appelez… Et puis quoi après ? Le père noël ?

    Quelle prétention ! Prétendre être capable de m’arrêter ! Vous pourrez dire au fourbe que tout mon sucre était pour Anatole ! Enfin, si je vous laisse sortir.

    Oh ! Serait-ce de l’espoir dans vos yeux ? Abandonnez tout de suite. Jamais vous ne partirez. Vous êtes tout à moi. Comme l’était Anatole.

    Pardon ? Articulez, je vous prie. Ah ! « Au secours » j’ai compris. Non non non ! Ce n’est pas ça qu’il faut dire ! Tenez, je voudrais savoir, pourquoi ce fourbe veut-il m’emprisonner ? Je ne fais de mal à personne ! Ne jamais sortir de chez moi. Donc je ne vois personne. Sauf Anatole. Et vous, moucheron.

    Je ne comprends rien à ce que vous baragouinez. Le ? Le bâton ? Le maillon ? Ah !! Le bâillon !! Puisque vous insistez. Il prétend que je suis folle ! Quel fourbe !! Oublions-le. Il ne m’embêtera plus tant que vous serez là. Qu’imagine-t-il ? Que je pourrais vous faire du mal s’il me menaçait ? Il a raison.

    Vous allez jouer aux billes avec moi. Si seulement Anatole était là… Mais il a voulu voler de ses propres ailes ! Vous comprenez, je ne pouvais pas le laisser partir. Sans lui j’aurais été trop seule… Que des fourbes, à part lui !

Hop ! Réflexe !!

    Lamentable. Vous êtes un lamentable insecte ! Incapable de rattraper une bille au vol ! Je vous ai fait mal ? Une bille dans l’œil ce n’est pas très agréable… J’ai toujours très bien visé ! Chenapan !!! Quand je vous dis qu’il faut attraper la bille… Attrapez-la. Je vais vous punir.

    Vous aimez le verre ? Non ? Nous allons vérifier. Ne vous débattez pas, ou je vous tue. Voilà qui est mieux.

    Pauvre mouche prise au piège ! Qui aurait-pu croire qu’une simple bille puisse être fatale ? Coincée dans le fond du gosier ! Gloups ! Oh ! Pardon, vous n’êtes pas tout à fait mort ! Pardonnez-moi pour cette indélicatesse ! Maintenant, veuillez agoniser en silence.

    Qui frappe à ma porte ? Personne n’a le droit de me déranger ! Ne jamais sortir de chez moi.

    Je l’entends qui tambourine, qui me crie d’ouvrir. C’est le fourbe ! Celui là même qui m’envoie des espions… Il a laissé Anatole s’échapper, la première fois qu’il est venu !! Inconscient. Sale mouche.

    Non ! N’entrez pas, fourbe ! Je… Non… Ma porte… je vous hais de toute mon âme, vous savez. J’ai envie de vous arracher les ailes, de vous bombarder d’insecticide, de vous coller sur du papier gluant et malodorant.

    Que faites-vous ? Ne m’approchez pas ! Votre uniforme bleu ridicule me fait peur ! Anatole n’aimait pas le bleu !

    Mon pauvre petit Anatole… Tout petit Anatole… Envolé… Quelle stupidité ! Je ne vous pardonnerai jamais ! L’entomologiste aimait son petit Anatole… Si adorable, tout noir, et vert un peu, aussi…

    Je donnerais tout pour entendre son bzz une dernière fois. Pour me régaler de succulent sucre avec lui, de nouveau…

Qu’avez-vous dit ? Une vulgaire mouche, Anatole ? Comment osez-vous, vulgaire mouche immonde !

    Tout est de votre faute ! Si vous n’étiez pas passé dans le quartier… Les fourbes ne vous auraient rien dit sur Anatole et moi ! Et mon petit ange serait encore ici… Avec moi…

    J’aime l’alphabet. C’est ma passion. Vous aviez deviné ? Mes murs sont si beaux.

    Je hume la traîtrise dans l’air. J’ai comme l’impression que vous gagnez du temps. Vous me faites parler ! Sale nuisible ! Vous attendez les renfo…

NON ! Lâchez moi ! Je le savais ! Vous ! N’entrez pas ! Non…

***

    Je m’ennuie… On ne me donne que des légumes fades. Pas assez de sucre. Je suis seule, les murs sont blancs. Je suis enfermée. Comme un insecte sous un verre. Et on m’a confisqué mes billes. Risque de suicide, paraît-il. Comme si une simple bille pouvait être fatale… Quoique. Détraquée ! Complètement tarée ! Ils se moquent tous de moi derrière leurs murs… Mais en face ils ont peur. Peur que je leur fasse du mal. Comme au voisin fourbe.

    S’ils savaient… J’aimerais tellement les écraser, un à un… Comme des mouches, insignifiantes…

    Ne jamais rire. Je n’ai pas cédé. Ne jamais sortir de chez moi. C’est leur faute ! Je ne voulais pas. Il faut que je rentre. Loin des fourbes ! Ils veulent tous me faire rire. Avoir des relations. Pour mieux m’exterminer.

    J’attends l’occasion de me venger. Elle viendra, je le sens. Je reste attentive. J’écoute. Attentivement.

    Si seulement il y en avait, j’entendrais les mouches voler.

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