Le parfum du cèpe noir

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Les flammes de la cheminée se déhanchaient dans une danse frénétique ponctuée de craquements furieux. Çà et là jaillissaient des escarbilles folles finissant leur brève vie contre les chenets ou le manteau du foyer. À la lueur stroboscopique du feu se projetaient sur les murs les ombres fantasmagoriques de deux hommes. Assis chacun sur un trépied de bois, bercés par le doux ronronnement de l’âtre, au plus près des bûches incandescentes, et presque léchés par les flammèches du brasier, ils conversaient à voix basse. Il est vrai que les pièces de cette maison inhabitée neuf mois l’an voire plus, restaient fraîches. Si le torse des deux hommes brûlait, leur dos se crispait aux assauts du courant d’air de la fenêtre entrouverte et sous la chape d’humidité qui émanait des vieux murs floqués d’albâtre. Dans une demi-heure, ils fermeraient la baie, s’écarteraient de l’âtre et pourraient se mettre à l’aise dans un air enfin tempéré.

Bertrand Fournier, capitaine de gendarmerie retraité, avait invité le commissaire Bakar dans sa maison de famille au cœur de la Margeride. Les deux policiers avaient fait connaissance à Paris lors d’un stage associant police judiciaire et gendarmerie. Le gendarme, en fin de carrière et fin limier de réputation, avait apprécié Mohamed, ce minot bourré de talent et de culot. Depuis, ils entretenaient une correspondance et Bertrand suivait de loin la carrière du jeune commissaire dont les exploits commençaient à se révéler au public. Si, en cette fin octobre froide et humide, cette année-là, quelques courageux parvenaient encore à découvrir des cèpes, le motif de l’invitation de l’ancien gendarme était autre.

Enfin réchauffés, les deux flics s’attablèrent et le militaire exposa à Bakar l’affaire, objet de son invitation en ce coin perdu de Lozère.

Voici un an, des chasseurs firent de macabres découvertes dans la commune : trois cadavres. Le premier corps d’un homme de trente-cinq ans, parisien, fut trouvé en novembre, à deux kilomètres environ. Le second le fut en décembre, à huit cents mètres du premier vers le lieu dit le Salamones. C’était un homme de cinquante ans, originaire de Lyon. Le troisième, en janvier, un peu au-dessus du village, était une femme de trente ans, originaire d’Ales. Tous étaient allongés les bras en croix avec une balle de Beretta dans le thorax, tirée presque à bout portant dans le dos. L’enquête ne révéla pas de liens entre les victimes, ni même d’explications à leur présence en ces lieux, perdus au milieu de bois difficiles d’accès. Il semblait que tous avaient été tués le même jour. La voiture de la femme, une C5 Citroën, fut retrouvée brûlée en Ardèche. Rien de suspect dans le passé des victimes. En revanche, toutes trois déposaient chaque année, en automne, de fortes sommes en liquide dans leur banque respective. Ces dernières constatations orientèrent l’enquête vers un crime crapuleux.

Mais, on ne trouva pas la trace d’un quelconque trafic.

Bakar écoutait avec beaucoup d’attention l’exposé de l’ex-gendarme.

Dans le dossier que lui tendit Bertrand, il put découvrir les photos des victimes et le détail de l’enquête.

— Si je t’ai fait venir, c’est parce qu’une vieille amie résidant dans le village a disparu depuis quinze jours. Le lien avec les meurtres précédents a tout de suite été fait. Les recherches n’ont rien donné. Mais à présent, la psychose est installée ; tout le monde a peur dans le bourg et dans les hameaux avoisinants. Je me suis dit que peut-être, tu aurais une idée de piste pour démêler cette affaire.

Bakar soupira et sortit sa pipe qu’il bourra de son mélange habituel de tabac et de cannabis.

Bertrand en fut surpris.

— Tu fumes ça ? fit-il d’un air choqué.

— Quelquefois pour me détendre, comme un rituel au moment où je démêle les nœuds d’une affaire, des instants d’intenses excitations qui nuisent à mon jugement et que le chanvre apaise. Quelque part une transgression aux lois imbéciles de prohibition des drogues douces qui pénalisent essentiellement les petits dealers et consommateurs jamais les puissants, remplissant les prisons de précaires ou de gens de couleurs. Tu le sais Bertrand ! Ce dernier fit une moue accompagnée d’un discret hochement de tête d’approbation.

— Peux-tu m’en dire plus sur cette amie ?

— Je la connais depuis l’enfance, nous courrions les bois tout l’été. Elle m’accompagnait quand je suivais mon père à la chasse ou à la cueillette des champignons. Puis, adultes, on se voyait pendant les vacances. Elle est restée vieille fille et un peu originale. Sais-tu qu’elle chassait ? Je ne lui ai pas connu d’ami, et elle n’a pas quitté le village, travaillant dans le centre pour handicapés mentaux construit dans la commune. Depuis quelques années, elle souffrait du cœur et ne sortait guère.

Bakar désira voir, au plus vite, les sites où l’on avait découvert les trois victimes. Bientôt, les deux hommes, munis d’une bonne canne, s’enfoncèrent dans les bois.

Le temps était nuageux, des rubans de brume caressaient la cime des hêtraies dont le feuillage virait doucement du vert au roux. Le sous-bois, tapissé d’une épaisse couche de feuilles mortes et brillantes, ruisselait de la pluie de la veille et du crachin qui matérialisait l’air. Le pas des deux flics chuintait sur ce tapis moelleux. Nuages et feuillages se mêlaient, s’absorbaient puis se déchiraient. Çà et là, le dôme de quelques champignons vénéneux jaillissait.

— Les bons se cachent ! chuchota Bertrand en souriant, l’œil aux aguets du moindre chapeau brun charnu en dôme, ou du moindre éclat jaune trahissant, là un cèpe, là une girolle. Il en oubliait presque le but de leur balade.

— Nous voilà sur le lieu où l’on a découvert la première victime ! Il était exactement là ! Il tendit l’index vers un énorme cèpe vermoulu.

— Trop tard !

Mohamed resta un instant circonspect.

— Trop tard quoi ?

— Ben le cèpe ! C’est un coin fabuleux, mon père m’y conduisait souvent. Il était rare de ne pas y trouver un champignon. Pour celui-ci, c’est raté, il est déjà bouffé ! Le corps était là, les bras en croix, la tête vers le nord-est comme les autres victimes.

Ils poursuivirent ainsi leur randonnée macabre, découvrant dans la pénombre des sous-bois de pins ou de fayards, l’emplacement des cadavres. Bertrand parvint à trouver deux cèpes comestibles et pas trop abîmés par le temps et les vers.

— Ça fera l’omelette de ce soir, dommage qu’un cueilleur nous ait précédé, en temps ordinaire c’est un plein sac que nous aurions ramené.

Les lieux de ces crimes sont des coins à cèpes, s’exclama-t-il.

Quand ils regagnèrent la maison, la nuit commençait à tomber. Un voile noir, froid et humide vint saisir la vallée du Chapeauroux, une petite rivière qui courait au pied du village. Une brume blanche s’éleva de son lit dessinant ses méandres d’un trait blanc vaporeux. Il était temps de ranimer le feu.

Pendant que Bertrand préparait l’omelette, Bakar lisait un vieux journal local daté d’août 2007, il y avait donc trois ans qu’il traînait près de la cheminée. Il relatait le passage d’un Amérindien dans le village, venu à la découverte du menhir qui donnait son nom à la commune de Pierrefiche. Une photo du personnage exotique illustrait l’article : un gros bonhomme bedonnant à la chevelure longue et noire, en jeans et t-shirt délavés. Il était difficile de discerner en lui un descendant de Geronimo. Mais, il est vrai que les Indiens d’Amérique sont à présent noyés dans la graisse du moule américain.

— J’ai gardé ce journal, parce qu’il parle du village et que le journaliste, qui a fait l’article, vit non loin d’ici.

— C’est très intéressant, trois cadavres en errance et un Indien sur un menhir, je prends ! Pourra-t-on parler à ce journaliste et visiter la maison de Ginette ?

— Pas de problème, nous pourrons aller le voir demain, il habite à deux pas et le capitaine de gendarmerie de Chateauneuf de Randon, en apprenant ta visite, m’a prêté la clef de la maison de Ginette.

Les lumières du village, prisonnières d’un halo de brume, distillaient une lueur blafarde qui éclairait avec peine les rues et les venelles.

La rivière, en contrebas, berçait le hameau d’un murmure régulier, troublé parfois par un aboiement lointain. La nuit vint ainsi cueillir le sommeil des deux flics.

Après une nuit de repos bien méritée, les deux compères visitèrent la maison de la « vieille fille ». C’était une petite bâtisse isolée à la sortie du village et à l’orée d’un bois. La fouille fut courte. Bakar ne fit que traverser les pièces, remarquant, au passage, un imposant écran plat et un ordinateur portable flambant neuf qui contrastaient avec le mobilier rustique ou désuet. Dans la cour, une Audi Quattro métallisée nouvellement immatriculée brillait aux premiers rayons du soleil.

À quelques centaines de mètres de là, Bertrand et Mohamed toquèrent à la maison du photographe journaliste.

L’homme raconta à Bakar sa singulière rencontre avec l’Amérindien en étalant sur la table toutes les photos de la scène.

— Je me promenais tranquillement quand, en arrivant sur le col qui domine La-Pierre-Fichée, j’ai vu trois voitures, portières ouvertes, garées à proximité du menhir. Une mélopée de chants traditionnels amérindiens s’échappait des haut-parleurs de l’un des véhicules. En me rapprochant, j’ai pu constater un attroupement d’une dizaine de personnes autour du rocher taillé. Ils devisaient avec un grand et gros mec d’environ 70 ans, aux yeux légèrement bridés et aux longs cheveux noirs réunis dans le dos en une queue de cheval. L’homme parlait anglais avec un fort accent américain et tournait autour du rocher en faisant de grands gestes.

L’Indien s’immobilisait parfois les bras en croix devant le menhir et regardait la plaine.

Puis, les autres, à tour de rôle, prenaient sa place et faisaient de même.

Je me suis approché discrètement et leur ai demandé l’autorisation de prendre quelques photos, ce qu’ils ont accepté gentiment. Ils ne semblaient nullement perturbés par ma présence. J’ai attendu qu’un participant s’écarte du groupe pour l’interroger sur la signification de ce manège.

Il m’expliqua qu’ils avaient fait venir un Indien d’Amérique pour les aider à sentir l’énergie qui sortait de ce menhir. Les Indiens par leurs religions animistes sont très sensibles aux forces telluriques, comme devaient l’être nos ancêtres qui ont érigé ce rocher. Pour l’Américain, le menhir avait été dressé à cet endroit précis parce que là, plus qu’ailleurs, l’énergie se concentrait. L’Indien devait leur apprendre à percevoir la force du monolithe de granit. Un événement étrange vint perturber cette séance de spiritisme champêtre. Toinon, un jeune handicapé du foyer, d’origine africaine, s’invita à la cérémonie en poussant des cris. C’était la première fois que je lui voyais un comportement agressif. Il courait autour du monument, comme un Peau-Rouge, heu Noir, autour d’un totem ! Puis désignait du doigt tour à tour, le sud-ouest et le nord-est, tout comme l’Amérindien.

Il traîne souvent dans le secteur et court les bois tout le jour. Son allure bringuebalante et ses mimiques bizarres l’ont fait surnommer dans le coin : le zombie. Mieux vaut ne pas le rencontrer un soir dans la pénombre d’un bois. Il vous fait la peur de votre vie ! Pourtant, il ne ferait pas de mal à une mouche. Mais ce jour-là en présence du « Cheyenne », il a pété un plomb.

J’ai pu le calmer et le raccompagner au centre.

Bakar observait les photos avec attention, l’une d’entre elles l’interpella.

— Regarde ce cliché et la femme qui est au centre. Ne ressemble-t-elle pas étrangement à la troisième victime ? La voiture sur laquelle elle s’appuie est immatriculée dans le Gard. Le gendarme observa la photo et put constater la même coiffure, le même style vestimentaire, le même véhicule : une Citroën C5 dont la plaque minéralogique correspondait à celle de l’Alésienne. Cela ne faisait aucun doute, c’était bien la troisième victime.

Mohamed désira ensuite rendre visite à Toinon dans son foyer. Il se trouvait à huit cents mètres environ, en contrebas.

Devant l’hospice aux façades décaties, la voiture d’un restaurant célèbre de la région était garée. Sur ses portières on pouvait lire : « Le bolet chantant restaurant gastronomique à Chateauneuf de Randon ». Un homme sortit de la maison avec deux gros sacs qu’il déposa dans le coffre de la voiture.

Bertrand et Mohamed ne purent voir Toinon, ni l’interroger. Les responsables expliquèrent qu’il était très perturbé par la disparition de Ginette son ancienne monitrice et partait la journée dans les bois pour ne rentrer que le soir.

— Mon cher Bertrand, si nous allions rendre visite à ce fameux menhir ! Mais, avant cela, peux-tu te procurer des cartes IGN du coin ? Un gendarme doit toujours avoir cela ! dit Bakar avec enfin un sourire aux lèvres. Le vieux soldat de la maréchaussée acquiesça.

Le menhir se situait au-dessus du village sur un petit col à proximité d’une route qui conduisait au Cellier, un hameau qu’une tour médiévale monumentale en son sein rendait de loin facilement identifiable. Du menhir, la vue s’étalait sur la vallée du Chapeauroux au sud-ouest et sur le vallon du Cellier au nord-est.

En arrivant près du monument protohistorique, les musiques des portables, muets depuis vingt-quatre heures, sonnèrent, rappelant ainsi les deux flics à la civilisation. Curieusement, ce lieu était le seul coin du secteur où les ondes de téléphonie mobile passaient. À croire que le menhir servait d’antenne !

Bakar ne put que constater la solennité du site. La pierre plantée semblait être un point de convergence, pas seulement d’ondes de téléphonie mobile ! Mais aussi du regard. En effet, érigée sur le col, elle pouvait servir de mire et, d’où l’on se trouva, l’œil accrochait cette dent de granit. Même les nuages et la brume venaient s’y déchirer. À son pied, quatre vents et quatre chemins se disputaient l’espace.

Bakar sortit une carte IGN et la posa sur un rocher plat tout proche.

— Montre-moi sur la carte l’emplacement du menhir. Le gendarme s’exécuta et Mohamed laissa une trace au crayon.

— Montre-moi à présent l’emplacement des trois cadavres. Bertrand fit une croix sur les lieux des découvertes macabres.

— Dis-moi Bertrand, ces trois lieux étaient bien des coins à champignons où ton père te conduisait ?

— Bien sûr, il en connaissait des dizaines, mais ceux-là étaient les plus fabuleux.

On y trouvait des cèpes noirs, espèce délicieuse, rarissime dans notre région et à cette altitude. Ils étaient parfois alignés par groupe de dix ou quinze.

— Qui d’autres que toi connaissaient ces coins dans le village ?

— Je ne vois que Ginette qui nous accompagnait enfant.

— En dehors de ces trois lieux, y a-t-il d’autres coins fabuleux comme ceux-là ?

— Aussi fabuleux, je n’en connais plus qu’un et il se trouve là. Bertrand désigna du doigt le lieu sur la carte. Bakar fit une nouvelle croix.

— Peux-tu m’y mener ?

Les deux hommes prirent un chemin qui descendait sur Le Cellier, puis ils coupèrent à travers bois pour se trouver dans une clairière bordée au nord par une hêtraie et au sud par des pâturages. Deux cèpes énormes et vermoulus survivaient. Mais l’œil expert de Bertrand repéra la trace d’un chercheur de champignons qui avait dû faire une sacrée récolte en ce lieu. Bakar ressortit la carte.

— Allons là, à présent. Mohamed désigna une nouvelle position sur la carte.

— Mais pourquoi veux-tu te rendre là ? Je n’y suis moi-même jamais allé, car ce coin est difficile d’accès.

— Alors, partons à l’aventure ! Cher ami ! Je pressens une cueillette merveilleuse.

Les deux randonneurs se frayèrent un chemin au milieu d’une forêt de genêts et de bois serrés que les chutes de neige de l’hiver précédent avaient rendue impraticable par la densité des troncs couchés et des branches mortes au sol.

Après une demi-heure de marche inconfortable, ils arrivèrent sur un replat bordé de rochers granitiques qui délimitait un espace vert et miraculeusement épargné par les désastres hivernaux.

En son centre un amas sombre contrastait avec le vert tendre des mousses. C’était un îlot de beaux cèpes noirs, fermes, luisants, aux pieds galbés. Un peu plus loin, une autre forme se dessinait.

Bertrand se précipita vers elle. Un corps était allongé sur de dos, les bras en croix. Le visage était couvert par un imperméable. Quand Bertrand le souleva, il n’eut pas de mal à reconnaître Ginette.

Bakar explora sommairement le corps pour constater qu’il n’y avait pas de traces de violence, ni d’orifice d’entrée de balle dans le dos, ni ailleurs. En fouillant sa musette, il eut la surprise d’y trouver un Beretta Cheetah modèle 86.

Bertrand resta muet d’admiration devant le calme de Bakar. Ce dernier sortit sa pipe les yeux dans le vague et la bourra lentement avec son mélange préféré.

Il s’assit dans la mousse le dos calé contre un rocher assez loin pour échapper aux odeurs du cadavre et invita Bertrand à en faire de même. Un souffle de vent balaya la forêt produisant au passage une averse en ébrouant les aiguilles de pin. Le commissaire attendit la fin de ce grain puis sortit la carte qu’il étala sur ses jambes et celles du gendarme.

— Vois-tu Bertrand, si nous observons la carte et l’emplacement des trois premiers corps qui sont sur les coins à champignons de ton père, avec le quatrième coin connu de lui, tu remarqueras qu’ils se placent en quinconce régulier de part et d’autre d’une ligne passant par le menhir sur un axe sud-ouest nord-est.

C’est ainsi que j’ai pu déterminer ce cinquième emplacement tout aussi riche en champignons. Je pense qu’il existe encore plein de coins fabuleux à cèpes de part et d’autre de cette ligne magique que matérialise le monument.

— Tu veux dire que cette ligne virtuelle, dont on ne sait où elle s’achève, nous donne l’emplacement de coins à cèpes noirs ?

— Tout à fait mon cher Bertrand ! En quinconce, donc là, et là et là encore et…

Bakar désigna ainsi des dizaines de coins à champignons que révélait à présent la carte. La présence de cèpes, en apparence aléatoire, se définissait là, mais peut-être ailleurs, par une suite logique de points géométriquement disposés de part et d’autre de cette ligne virtuelle.

— Mais que foutait Ginette ici ?

— Ben, elle ramassait des champignons, naturellement !

— Elle savait donc le secret.

— Oui ! Mais avant elle, il y eut les trois mystiques assassinés. En trois ans de recherches, sur les indications de leur Géronimo ventripotent, faute d’énergie tellurique, c’est des bolets qu’ils ont découverts dans l’axe du menhir. Ton amie ne semble pas l’avoir apprécié.

— Tu veux dire que c’est Ginette qui les a dessoudés ?

— Eh oui ! Avec son Beretta Cheetah modèle 86. Les chasseurs aiment les armes et Ginette chassait. Cette arme n’était pas là par hasard. Elle la prenait avec elle, des fois qu’un nouveau Peau-Rouge traîne dans le coin.

— Attends Mohamed, elle était peut-être originale, mais de là à être assez givrée pour tuer pour une poignée de cèpes.

— Pas seulement une poignée Bertrand ! Des kilos, un filon, sur la ligne virtuelle que trace le menhir.

Des cèpes noirs, les plus rares ! Elle a tué pour de l’or, mon ami, de l’or ! Pour les restaurateurs, ce cèpe est la matière première du goût. Ils sont prêts à payer très cher ce trésor mycologique. Ce qui explique les comptes en banques des victimes qui gonflaient en automne. Mais aussi la belle Audi Quattro de Ginette que sa retraite d’éducatrice ne lui aurait pas permis d’acquérir. Elle éliminait ses concurrents au hasard de ses rencontres sur les coins à cèpes. Un coup dans le dos et hop !

Le vieux gendarme fit une moue incrédule.

Le commissaire enchaîna.

— Depuis son décès, Toinon aussi ne rentre pas les mains vides de ses escapades solitaires. J’en veux pour preuve les sacs que le " Bolet chantant " vient chercher, à présent, directement à l’hospice . Je peux te parier qu’ils sont pleins de cèpes et je ne serais pas étonné que l’on réhabilite bientôt les façades du foyer.

Le pensionnaire du centre savait depuis toujours et l’avait exprimé lors de la visite de l’Indien. Handicapé mental peut-être, mais pas extra-sensoriel ! Ni même sans sentiment, car c’est probablement lui qui a recouvert le visage de Ginette avec son imperméable. Je ne sais pas comment Ginette avait découvert le secret, je pense que c’est Toinon qui lui aura soufflé ou bien elle aura suivi les « Indiens ». Et un jour, lasse du pillage qu’elle constatait depuis trois ans, elle leur a réglé leur compte pour ensuite poursuivre les cueillettes à son compte. De quoi compenser sa maigre retraite pour longtemps, acheter écran plat, portable et voiture.

— Mais alors, ce serait Toinon qui l’aurait tuée ?

— Dans le puzzle de cette enquête, la dernière pièce devrait être Toinon. Mais, vois-tu, elle ne s’adapte pas, il n’a pas le profil de quelqu’un, qui tuerait pour l’or des cèpes.

Le meurtre ne peut pas être dans le logiciel de son cerveau sans malice, si différent du nôtre. S’il a ramassé les champignons à son tour, ce ne peut être que par mimétisme, pas par appât du gain ou vengeance. Non, mon intime conviction est que le cœur défaillant de Ginette n’a pas supporté les randonnées forcées de plus en plus loin, pour toujours plus de fabuleuses récoltes.

L’appât du cèpe a ses raisons que le cœur malade n’entend pas ! Mais tout cela, c’est le légiste qui le confirmera ou pas.

Bientôt les dernières bouffées de la pipe de Mohamed aux effluves d’herbes mêlées de tabac vinrent couvrir les senteurs de champignons. Toinon, caché dans les genêts, un sac plein de cèpes à ses côtés, observait la scène, soulagé sans doute que Ginette ait retrouvé ses semblables.

Bien étranges, ces êtres blancs qui ont besoin d’une carte pour deviner le fluide de la ligne brisée du rocher planté.

Lui, n’avait besoin de rien d’autre que de son épiderme pour se laisser guider et cueillir les cèpes noirs de la pierre fichée.



FIN


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