Chapitre 6 : Un nouveau commencement

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Les muscles de Chris se détendirent au contact de l'eau tiède du bassin du centre d'éducation physiologique. Il se laissa flotter avec un soupir d'aise. Il venait de faire vingt fois le tour de la cavité en courant. Au sommet de sa forme, il aurait été incapable d'en faire la moitié avant, à son époque. Au fond, il n'aurait pas dû s'en étonner compte tenu du manque d'autres formes de distraction, il n'avait que l'activité physique et la documentation. Lui qui n'avait jamais été féru de sport auparavant...

Dans ces conditions, ne pas avoir sombré dans la dépression constituait sans doute sa plus grande victoire.

"À mon époque" hein ? C'est devenu naturel d'accepter avoir changé de monde, se morigénera-t-il.

Après trois mois passés au trente-deuxième siècle, il se refusait pourtant à accepter sa situation comme insoluble. S'il avait voyagé dans un sens, il devait exister un moyen de faire marche-arrière. Son objectif était de revenir dans le passé ! Grâce à tout ce qu'il avait appris, il trouverai le moyen d'éviter la fin du monde. Un objectif pour le moins ambitieux.

Pour un peu, je vais finir par gober les sornettes de Lily.

Le jeune homme se laissa glisser, s'immergeant pleinement. Il n'avait pas revu la jeune femme depuis l'attentat dont il avait été la victime. Il regrettait désormais de ne pas avoir profité de sa présence, car il se sentait bien seul depuis.

En revenant à la surface, il perçu pourtant des bruits de pas venant dans sa direction.

— Professeur Garner ? s'étonna-t-il.

— Bonjour Chris.

Le scientifique de planta devant le bassin, les bras dans le dos. Chris ne marqua qu'une courte hésitation avant de s'arracher au confort de l'eau chaude. Si le directeur de l'Institut — puisque c'était là son véritable poste — venait le voir en personne, il y avait forcément une raison importante.

— Il y a du nouveau ? Vous avez fait... une découverte ? demanda-t-il en tâchant de contrôler ses espoirs.

Il ne précisa pas à quel sujet, tous deux savaient fort bien de quoi il voulait parler. Mais le professeur secoua la tête, l'air sincèrement navré.

— Le mystère que constitue ta présence parmi nous reste entier. Crois bien que nous continuons de creuser, nos chercheurs envisagent toutes les théories. Mais nous ne pouvons plus... hé bien, il serait plus raisonnable d'envisager l'éventualité que tu demeure parmi nous un certain temps.

Nous y voilà...

Chris s’emmitoufla dans sa serviette, tâchant de faire passer les tremblements qui le secouaient pour un coup de froid. Il regarda le professeur dans les yeux, tâchant de cacher son trouble.

— Qu'attendez-vous de moi ?

— Nous avons pris note de tes progrès. Je parles de ta connaissance de notre monde, car physiquement ton rétablissement est optimal depuis longtemps. En conséquence, nous avons reçu la requête d'enclencher un processus d'intégration.

Mes progrès ?

Cela sonnait comme un aveux de la surveillance dont il faisait l'objet. En dépit des efforts évidents effectués pour le mettre à l'aise, comme le fait que son "gardiennage" ait été assuré par des civils depuis l'incident Yurian, il demeurait un cas à part. Si la nature des documents qu'il consultait au planétarium était assurément scrutée de près, il était convaincu qu'on savait même jusqu'à la nature des plats qu'il choisissait à la cantine de l'Institut — essentiellement des compotées à base de légumes et d'insectes soit dit en passant.

Seule inconnue : qui était ce "on" ?

Chris secoua discrètement la tête. Il devenait de plus en plus paranoïaque, son cerveau turbinait dans le vide. On l'avait accueilli, soigné et soutenu, que pouvait-il demander de plus ? Il s'efforça d'afficher un sourire sincère :

— Je vous remercie pour votre aide. Mais que voulez-vous dire en parlant de m'intégrer ?

— Voyons, quel est le mantra de l'ère du Renouveau ?

La réponse vint un peu trop vite à Chris à son propre goût :

— "L'oisiveté est décadence"... vous voulez-dire qu'il va me falloir travailler ? Tâcher de devenir un citoyen de l'Arche comme les autres ?

— Je... nous ne te demandons pas d'oublier qui tu es. Mais comme tu le sais, notre monde n'a rien à voir avec celui que tu as connu. Chacun doit tenir sa place, apporter sa pierre à l'édifice. C'est tout le sens de ce mantra. Tu ne dois ton plein rétablissement qu'à tes efforts soutenus, je suis sûr que le général Duverne saura te trouver une place adaptée.

— Que voulez-vous dire ?

Pour toute réponse, le professeur Garner tendit une main dans laquelle reposait un badge rouge. Chris s'en saisit et l'étudia. Il s'agissait d'une simple carte, avec une photo de lui dessus et une sorte de code. À l’exception de la couleur, il n'était pas différent de celui — blanc — qui lui donnait accès à l'essentiel de l'Institut.

— Ce pass te permettra d'emprunter le monorail. Tu es attendu au Quartier martial, chez général Duverne. Ce dernier fera office de tuteur officiel, c'est à dire qu'il te logeras à titre temporaire et t'introduira dans la société de l'Arche. C'est un grand honneur qu'une personnalité de ce rang se préoccupe ainsi de toi, je ne pense pas devoir préciser le respect dont tu devras faire preuve à son égard ?

Vous venez pourtant de le faire...

— Je lui en suis très reconnaissant, assura Chris.

Le général s'intéressait-il à lui ? Se sentait-il encore responsable au sujet de Yurian ? À moins que ce ne soit une manière de s'assurer de sa discrétion.

Dernière option : l'œuvre de Lily ? Décidément, il réfléchissait trop.

Garner le scruta encore de la tête au pieds, puis il hocha la tête lentement.

— Tu trouveras quelques affaires dans ta chambre. Les assistants à ton service vont immédiatement être réassignés, tu n'auras pas besoin d'eux pour trouver ton chemin, j'en suis sûr. Bonne chance, Chris.

Ils me laissent me débrouiller tout seul ?

— Merci Professeur, salua-t-il toutefois.

Sur ces mots, Garner le laissa seul. Chris resta un moment immobile, sans trop savoir ce qu'il devait penser, ce qu'il devait faire. Après trois mois dans un cadre de vie stricte, avec un quotidien répétitif mais également, à sa façon, rassurant, on le lâchait ainsi dans la nature ?

Ce qu'il savait de l'Arche IV se résumait à des connaissances acquises dans le planétarium. Il s'agissait d'un réseau de grottes — certaines naturelles mais pour l'essentiel artificielles — reliées entre elles par le fameux "monorail" : une sorte de tramway moderne. Quant à ce qui l'attendait dans ces autres "quartiers", il ne pouvait que s'en faire une vague idée.

Des tours d'habitation comparables à l'institut, des "soleil" de Lumineas...

Le jeune homme se secoua. Il avait souvent voulu explorer cette cité souterraine. Il en avait enfin l'occasion et n'allait pas s'en priver ! Bien qu'il ne se soit pas imaginé devoir le faire seul.

Sans traîner davantage, le jeune homme regagna une dernière fois sa chambre. Personne ne l'attendait à la sortie du centre d'éducation, encore une étrangeté : au cours des derniers mois il avait toujours quelqu'un dans le dos, officiellement pour veiller sur lui.

Une petite pile de vêtements l'attendait sur son lit, assortie d'un petit mot du professeur Reinard : « Cadeau pour ton départ, bonne chance ». Le jeune homme soupira. Il aurait préféré des adieux en bonne et due forme, le médecin ayant été l'un de ses rares repères assurément positifs dans l'institut. Mais depuis qu'il n'avait plus besoin de soin, Reinard ne semblait plus avoir de temps à lui consacrer.

Les vêtements qu'on lui fournissait se révélèrent très ordinaire : en tissu synthétique, il s'agissait de sous-vêtements, pantalons, tee-shirts et tuniques, tous uniformément bleus. Un point rassurant : Il s'était imaginé dehors accoutré du pyjama de l'institut ou, pire encore, d'une tenue chamarrée telle que celles que semblait affectionner l'élite de l'institut.

Le monorail l'attendait dehors, un unique wagonnet éclairé par l'astre pâle du cœur de la fleur de Lumineas. Sa présence constituait le seule changement au décors extérieur du centre en comparaison à sa première sortie.

Dans le transport, un écran central proposait un plan en deux dimensions de l'Arche, sous la forme d'une roue barrée d'une quinzaine de rayons. Le quartier martial se situait au centre de la structure. Après une brève hésitation, Chris posa un doigt dessus et les portes se fermèrent aussitôt derrière lui avant que la structure ne se mette en branle.

Le jeune homme prit alors place sur un siège voisin, tâchant d'observer le "paysage". Les tunnels étaient plongés dans les ténèbres, tout juste quelques rainures phosphorescentes apparaissaient-elles à l'occasion. Lorsqu'il atteignait un "quartier", le transport de Chris réduisait légèrement l'allure sans s'arrêter. Chris découvrit des bâtiments similaires à l'Institut Haut-Cour : de grandes bâtisses parfaitement carrées, des façades blanches, aucune fioriture. S'il y avait sans doute davantage à découvrir — il l'espérait en tous cas — l'allure imposée par le monorail ne lui laissait pas le temps de le saisir.

Sur l'écran central, Chris pouvait suivre sa progression vers le noyau de l'Arche. Quelques minutes suffirent à le mener à sa destination...

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