Chapitre 3 - Contact - Partie 5 (fin extrait)

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 Le soulagement avait eu raison du jeune botaniste. Il dormait à poings fermés sur un des matelas issus des couchettes confortables du transporteur. La présence rassurante du MART-MKD, à l’extérieur, avait créé autour de lui une bulle sécurisante. Deux autres prédateurs avaient tenté une nouvelle approche au prix de leur vie. Les autres, plus malins, avaient rebroussé chemin. Ils trouveraient une proie plus accessible.

 La lignée Epsilon Eridani avait été plus prudente que la lignée 55 Cancri. Dès le départ, des garde-fous avaient été insérés dans le cerveau synthétique des robots tactiques. Pour les colons, ils faisaient d’eux de véritables anges gardiens de l’humanité. Ainsi, ces terribles armes ne pouvaient se retourner contre leur créateur. D’ailleurs, leur autonomie décisionnelle avait été réduite au strict minimum. En conséquence, un humain était toujours requis pour des contrôles avancés et des modifications opérationnelles.

 Eran se réveilla, et pour la première fois, sa sécurité n’était plus le centre de son attention, comme les premiers hommes qui trouvèrent un havre de paix. Cela laissait le champ libre à la pensée, à la recherche du confort et aux projets à moyen terme. Il sentit le besoin de nettoyer son corps des souillures qui le couvraient. Le minuscule espace de toilette n’invitait pas à la détente et encore moins dans la position du transporteur. Eran réussit tant bien que mal à se glisser à l’intérieur. Il offrait juste les fonctions nécessaires à l’hygiène humaine ni plus ni moins. Seul un miroir permettait à l’occupant un moment de coquetterie. Sans surprise, son image le frappa. Il se dévisagea en pivotant sa tête et en grimaçant. Il arborait une mine terrible. La fatigue et son rationnement avaient creusé ses traits déjà fins. Son visage était barbouillé de poussières et d’autres taches indéterminées. Le résultat affreux de son rasage improvisé se confirma. Ses cheveux présentaient un état pitoyable. Il y passa sa main et sentit les nombreux nœuds. Il bascula le miroir dans un mode permettant de se voir en entier. Le constat n’était pas meilleur. Sa combinaison, déchirée, sale et maculée de sang, achevait ce triste tableau. Heureusement pour lui, les installations du transporteur permettaient aux colons des possibilités pour retrouver une propreté digne de ce nom. Mais auparavant, il fallait redresser et réparer le véhicule. La première tâche allait pouvoir être réalisée plutôt facilement, la seconde demanderait du temps et une aide complémentaire. En effet, les dommages étaient trop importants et les derniers assauts répétés des bêtes n’avaient pas arrangé les choses. Après s’être extrait avec prudence de l’espace de toilette. Il rejoignit sa couchette où il se restaura et en profita même, malgré les protestations de son PIM, pour dévorer une de ses friandises.

 Saruan baignait la scène de ses rayons majestueux matinaux. Debout sur le flanc gauche du transporteur, le jeune homme tournait sur lui-même pour observer le champ de bataille de la veille. Il sentait en lui une puissance monter. Le robot tactique sous ses ordres, il était invincible. Les dépouilles gisaient en bas, leur sang bleu irriguait le sol d’un brun soutenu. À part la végétation qui se balançait au rythme des rafales de vent, rien ne venait troubler son proche voisinage. Il regarda le MART-MKD. L’apparence extérieure du modèle de cette lignée n’avait pas tellement changé depuis son développement sur Mars. Les lignes étaient toujours acérées, renforçant son aspect militaire. Sa carrosserie affichait une belle teinte bleue. Au sommet, un canon principal faisait office de tête et pouvait rayer toute trace de vie à trois cent soixante degrés, sur une distance impressionnante. Sur ses flancs, deux armes plus réduites pouvaient faire penser à des membres supérieurs. Le tout reposait sur six chenilles mobiles lui conférant une tenue au sol impeccable. Enfin, les tuyères ventrales et dorsales lui permettaient d’évoluer dans les airs avec agilité. Le robot tactique, une fois déployé, pouvait atteindre des théâtres d’opérations situés à des centaines de kilomètres en quelques minutes. Eran regardait ce concentré de haute technologie martiale avec une certaine fascination. En lui, renaissait subitement l’enfant daucusien aux longs cheveux d’un noir profond. Il sourit au robot et lança : « Merci MarKid ! »

 Eran faisait référence à un programme jeunesse adulé par les adolescents de Daucus, mettant en scène une planète habitée de terribles êtres agressifs. Les Hommes les combattaient sans relâche depuis des décennies. Le héros était accompagné d’un MART-MKD doué d’une volonté propre. Les deux personnages s’étaient liés d’amitié au fil des épisodes. À la fin de chaque combat décisif, le personnage principal lançait toujours, sur le même ton, la phrase que prononça Eran. La réalité rejoignait la fiction. Cependant, les tragiques événements traversés par le jeune botaniste n’auraient pas trouvé place dans le divertissement.

 Le temps n’était pas aux enfantillages. La matinée avançait et Eran devait rapidement régler son problème avec le transporteur. La procédure était d’une grande simplicité. À l’aide d’un filin métallique attaché au robot tactique, une légère traction remettrait sur ses roues le véhicule. Cependant, la manœuvre était délicate. Il faudrait contenir la chute de l’engin pour ne pas risquer de briser les essieux du transporteur. Ensuite viendraient des réparations plus complexes.

 Le jeune homme déroula dix bons mètres d’un fil aussi fin que rigide. D’ailleurs, le port de gants de protection était fortement recommandé. Avec précaution, Eran fixa sur plusieurs points d’ancrage du véhicule le fil métallique. Il utilisa les commandes tactiques pour faire approcher son subordonné synthétique. Il se pencha pour accéder à deux barres rigides du robot, afin de fixer l’autre extrémité du filin. Maintenant, il fallait contenir la chute de l’engin. Il pensa aussitôt à du matériel gonflable. Malheureusement, aucun objet de ce type n’était présent à bord. De toute façon, son état ne lui permettait pas d’installer tout un système pneumatique. Pourtant, il fallait agir et il décida de faire confiance à la robustesse du véhicule. Il alla chercher un autre filin pour l’accrocher sur le toit du transporteur et le relier au MART-MKD. Celui-ci devrait provoquer le premier mouvement de bascule et en ralentir un minimum la chute.

 « On tente le tout pour le tout ? » demanda-t-il au robot tactique. Sans attendre de réponse de la part de son ange gardien, il s’écarta du transporteur et doucement commença l’opération.

 Eran dansait de joie. Enfin, il semblait reprendre la main sur la situation. Comme attendu, le véhicule bascula en douceur. Les puissants amortisseurs, aidés de façon presque inutile par le deuxième filin, absorbèrent le choc sans ciller. Il avait sous-estimé la qualité de fabrication de ces engins tout-terrain. Il déchanta un peu à la vue de la partie qui avait été posée à terre et qui retrouvait enfin sa position adéquate. Eran s’approcha du véhicule. Il bascula son PIM en mode diagnostic et balaya les entrailles du transporteur avec son contacteur. Aussitôt les premiers relevés s’affichaient. Les dommages étaient importants et touchaient essentiellement à la distribution de l’énergie vers les moteurs des roues. Il se trouvait démuni devant l’ampleur des dégâts. L’intervention d’un robot de maintenance était plus que nécessaire. Un ingénieur en électronique et automatisme accélèrerait grandement les réparations. Je vais devoir mettre en pratique bien plus que tu ne m’as appris, Nell. Il souffla en regardant la déchirure dans la paroi de droite du transporteur. Le précédent assaut des bêtes n’avait rien arrangé.

 Durant toute l’après-midi, il s’attela, à l’aide de quelques outils, à remettre en état, ce qui pouvait l’être. Il pianota pour lancer une procédure de ravitaillement depuis le camp embryonnaire Alpha. Personne ne valida ses demandes. Il passa outre en forçant le système à accepter. Bientôt une sonde volante porterait sous son ventre un mécanicien de métal. Eran regarda en l’air, un instant, songeur. Les étoiles commençaient à percer sur la toile sombre du crépuscule. Une d’entre elles semblait filer plus rapidement et gagner une magnitude croissante. Il réalisa aussitôt. Le Markind Epsilon Eridani, en orbite, passait au-dessus du jeune botaniste. Il savait qu’agiter les bras ne serait qu’une gesticulation inutile. Il ne pouvait pas contacter les membres d’équipage autrement qu’à partir du camp embryonnaire Alpha. Il regarda la magnitude du vaisseau mère baisser. Il sentait sa solitude le recouvrir de nouveau.

 « Bon sang ! Que faites-vous là-haut ? » dit Eran, suppliant une réponse de la part du point lumineux qui disparaissait.

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