7. Amarië : la deuxième chute

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Le combat dura la nuit entière. Amarië se battit férocement, sans jamais céder un pouce de terrain ni poser un genou au sol. Cette nuit-là, elle fit la démonstration la plus éclatante de son art du combat. Son sigil passa par toutes les formes imaginables : lame à triple configuration, double couteau à dents de scie, épée à cran multiple… et à chaque fois, infatigable, le semi-orc l’imitait. Il lui laissait toujours la main : c’était ça, le plus insultant.

À l’aube, juste avant que l’énorme soleil rouge d’Urdaban ne mette fin au combat, Amarië abattit sa dernière carte. Elle avala son sigil et profita de l’énergie accumulée pour effectuer sa plus ultime configuration, reprenant la forme qui était la sienne avant le schisme. Lorsque la triple paire d’ailes noires des Niśven se matérialisa dans son dos, la foule hurla sa victoire prochaine. Mais le semi-orc, encore une fois, la suivit. Il savait opérer des configurations... Et en voyant apparaître devant elle le dieu de la guerre, le terrible Naeheicnë à quatre bras, Amarië sut qu’elle avait perdu. Il la cloua au sol et lui arracha les ailes sous les hurlements de joie de la foule, cette foule ingrate qui exultait de le voir triompher. Puis il la retourna et la saisit par la queue, si brutalement qu’elle resta dans sa poigne de fer, tel un trophée de chasse. Il la jeta au loin, cisailla le dernier rempart de sa dignité d’un coup de griffe et attrapa à pleines mains ses muscles fessiers, avant de les écarter comme on ouvre un fruit de lomë. Dans les gradins, ceux qui avaient vénéré la gladiatrice comme une déesse encourageaient désormais son bourreau de leurs hurlements sadiques. Je vous tuerai tous, se résolut-elle alors que le sældar réincarné prenait possession d’elle, comme il l’avait fait de la vierge Nineath au Début des Temps. La douleur cuisante de l’humiliation qu’elle vivait lui parut pire encore que la chaleur incandescente du corps qui pesait sur elle, des serres qui lacéraient ses cuisses et des coups de reins brutaux qui lui brisaient les hanches. Pire que les crocs terribles qui lui fouillaient la gorge et de la lance cruelle qui lui crevait le ventre.


*


Lorsque ce fut fini, Amarië resta allongée sur le sable, les jambes écartées et les vêtements déchirés, les cuisses poisseuses de sang et de la semence de son bourreau. Le soleil allait se lever et brûler sa peau de fille de la nuit, mais elle s’en fichait : de toute façon, en tant que combattante et maîtresse de guilde, elle était morte. À côté, le semi-orc s’était relevé. Il avait repris sa forme initiale et était en train de boucler sa ceinture avec un détachement qui brûlait le cœur d’Amarië d’une rage primale. L’arène était vide : quelques curieux s’attardaient, mais le spectacle était fini. Tout comme elle et sa carrière de gladiatrice.

— Tu m’as tout pris, murmura-t-elle. Tout. La gloire, la dignité… et ma fierté de femelle intacte.

Redevenu lui-même, le grand mâle à la peau sombre lui jeta un regard en coin.

— C’est toi qui as voulu cela. Tu voulais être prise par le Père de la Guerre : j’ai exaucé ton vœu. Un pacte est un pacte. Il ne fallait pas défier le saeldar, si tu ne voulais pas connaître sa morsure.

Amarië roula sur le côté. Son entrejambe ravagée lui faisait mal, ainsi que son cou et ses tétons, qu’il avait sauvagement mordus. Mais elle se sentait étrangement soulagée.

Maintenant, il ne pourra plus réclamer ses droits sur moi. Je suis libre.

— Je ne retire pas mon vœu. Mais je voulais éviter le contact d’un mâle. De n’importe quel mâle.

Le semi-orc lui jeta un regard las.

— Alors pourquoi avoir proclamé devant tous que tu prendrais comme as-ellon le premier mâle qui te vaincrait ? Ça allait forcément arriver. Personne n’est invincible, dans ce monde. Pas même moi. Je sais qu’un jour, un plus fort encore se présentera.

Amarië le regarda en silence. En le voyant ainsi, avec son physique de statue de temple, cela paraissait difficile à croire.

Ce n’est pas un mâle ordinaire. Ça, non.

— Je voulais que le seul qui me touche soit Naeheicnë, lui expliqua-t-elle.

— J’ai pris cette forme justement pour t’exaucer. C’est ce que tu voulais, non ?

— Je ne pensais pas qu’il prendrait ton corps, toi, un semi-orc... admit Amarië.

À sa grande surprise, le mâle esquissa un sourire sarcastique.

— Je suis l’As Sidhe d’Æriban. C’est mon rôle de l’incarner.

Amarië ne dit rien. La réincarnation de Naeheicnë qui s’invite dans l’arène d’Urdaban… Qui l’aurait cru ? Le représentant du dieu de la destruction n’était pas censé quitter Æriban, jamais. Jusqu’à sa mort, on l’utilisait pour les guerres les plus ardues, les conseils tactiques, les initiations. Et pour féconder un nombre incommensurable de femelles. Il n’était pas libre d’arpenter l’Autremer. Et pourtant, il était venu. Pour elle.

Elle était fichue. Ses Sœurs allaient la réprouver, ainsi que toutes ses apprenties. Sa carrière était terminée.

Mais elle avait obtenu ce qu’elle désirait.

Alors qu’Amarië posait une main sur son ventre meurtri, son vainqueur vint se planter devant elle. Il s’accroupit, une main à terre.

— Ça va ? Tu as besoin d’aide ?

— Tu ne m’as pas fait si mal que ça, grinça Amarië en essuyant le sable sur son visage. Tu es brutal, certes, mais il y a sûrement pire.

La gladiatrice glisse un regard oblique vers le corps imposant du grand mâle. Il s’était déjà rhabillé, mais la douleur cuisante qu’elle ressentait entre ses cuisses était là pour lui rappeler la réalité.

— Je suis désolé. Je suis obligé de lâcher prise pour effectuer cette configuration. Mais je ne contrôle plus rien, après. Je pensais vraiment que c’était ce que tu souhaitais. Je ne voulais pas spécialement être brutal.

— On verra. Si tu es bien l’incarnation du sældar...

De nouveau, Amarië se frotta le ventre.

— Je sais l’imiter, répondit le semi-orc. Mais tu sais — et sans vouloir te décevoir — Naeheicnë n’existe pas. Je me suis inspiré d’effigies à son image pour recréer son apparence.

Amarië garda la silence. Le nouveau champion d’Urdaban lui tendit sa grosse main, encore tachée de sang. Sonsang, à elle.

— Viens, je t’amène à mon bord. Mes eyslyns te laveront et te soigneront : tu pourras aussi manger et te reposer.

Sans bouger le visage, Amarië glissa ses pupilles sur lui. Dans ses yeux, elle se vit : pâle, sanguinolente, brisée comme un papillon aux ailes arrachées.

— Tu possèdes un cair ? demanda-t-elle, dubitative. Toi, un demi-sang ?

— Mon cair est confortable, insista-t-il. Tu y seras bien traitée.

Et sûrement saillie tous les jours, pensa Amarië avec un frisson étrange. Quel mâle, semi-orc de surcroît, allait résister à une femelle qu’il avait conquise ?

Mais elle le laissa étendre son shynawil sur elle et la soulever. De toute façon, elle avait besoin de lui, et de ses services de mâle. Épuisée, rendue hagarde par le soleil levant, elle se lova dans l’abri de ses bras et s’y endormit.

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