1. Śimrod : le destin de mâle reproducteur

11 minutes de lecture

Æriban, temple du dieu de la guerre. Cour du Rouge et du Blanc. Un paradis vierge de toute construction, où la fureur des volcans se fracassait sur le silence inexorable de la glace. Au milieu de ce combat titanesque, une sylve d’un vert insolent lançait un défi à l’éternité : c’était là, dans cette jungle aux mille pièges où les lianes voraces dévoraient les ruines et les os de héros oubliés, que se dressait la statue à quatre bras de Neaheicnë. Quant à l’arbre-lige du temple, c’était un monument à la douleur couvert d’épines, aux feuilles d’argent, plus coupantes qu’un rasoir. Les deux entités se faisaient face, la noire et la blanche, sur un espace qui auraient pu abriter le castel d’une Cour entière. Autour d’elle, délimitant l’espace sacré d’un plateau de barsaman figuré par des carreaux noirs et blancs, une enceinte d’ogives assez grandes pour laisser passer des wyrms ; les portes menant aux vingt-et-une cours majeures et aux dix mille mondes de l’empire ultari. Le silence de mort et l’immobilité trompeuse qui y régnaient donnaient l’illusion d’un lieu oublié du temps. Mais le Voile faussement transparent des arcades en ogive dissimulait une activité prédatrice, dangereuse. Celle des gardiens du temple, des créatures assoiffées de sang et de tueries, dont l’unique fonction était le combat et la destruction, et le devoir immuable, d’arroser quotidiennement le dallage monochrome de la troisième couleur. Car les Cours se séparaient ainsi : en nuances de noir, de blanc et de rouge, et rien d’autre.

La solennité du temple fut soudain troublée par des cris et des rugissements, qui firent trembler les colonnes de marbre.

— Par Narda ! Tenez-le !

Les aios, les farouches maîtres de la guerre, s’efforçaient de maintenir la nouvelle recrue sur l’autel du sacrifice, un mâle adulte qui semblait ignorer les lois les plus élémentaires de la civilisation. Lorsqu’on lui avait parlé de l’examen auquel devaient se soumettre tous les mâles, sous l’égide de la Grande Intendante des reproducteurs, il était entré en éruption.

— Tous les mâles adultes qui passent la porte d’Æriban doivent s’y plier, lui avait-on dit. C’est la règle.

— Jamais ! Je ne suis pas un foutu courtisan, mais un guerrier ! s’époumonait le grand mâle à la peau d’obsidienne qu’ils tentaient de maîtriser.

Quatre aios de grande stature se couchèrent sur ses jambes pour le tenir, tandis que quatre autres s’occupèrent de ses bras. Un cinquième lui passa les entraves de fer, et un sixième, le collier avilissant.

— Lâchez-moi, bande de lâches ! feula Śimrod, crocs et griffes sorties.

Il n’avait pas encore posé le pied sur le mythique sol dallé du temple que déjà, Śimrod regrettait sa décision. On prétendait l’examiner comme un vil esclave, lui !

Il parvint à atteindre le sidhe le plus proche de lui, un dénommé Amheol. Ce dernier fit un bond en arrière, protégeant sa tête de ses mains.

— Il m’a arraché le visage ! hurla-t-il en tenant le bout de peau qui pendait.

— Un avant-goût de ce qui vous attend tous ce soir au temple ! grogna Śimrod en réponse.

Les aios répliquèrent en le repoussant violemment sur la table. Les mâles, si policés en présence de femelles, avaient perdu leur superbe. Ils feulaient et grondaient, jouant des griffes comme la première bête venue. Mais cela n’était rien face à la fureur déchainée de Śimrod, qui déchirait de ses lames aiguisées le moindre bout de chair à sa portée.

— Tenez-le bien. Et ne l’abimez pas !

La femelle qui prétendait le déshonorer, celle qu’on appelait « gardienne », s’approcha, les mains humides. En la voyant debout sous le portail, sa haute silhouette recouverte par son shynawil austère, Śimrod l’avait d’abord prise pour une sorte de grand maître, un vénérable ancien à qui il devrait montrer patte blanche, ou qui lui ferait l’affront de quelques questions. Mais le piège se situait ailleurs. Il y avait bien une femelle à Æriban, seul domaine incontesté des mâles en Ultar. Une elleth à la charge quasi sacerdotale, comme le montrait le glyphe aux lunes stylisées qui remplaçait sur son front pâle le troisième œil que son sexe lui refusait.

— Ne me touche pas, sale putain !

Sans répondre à l’insulte, l’elleth ouvrit sa longue main.

— Maître Arwyn, le mors.

— Tout de suite, ma dame.

Śimrod se débattit encore plus fort. Mais on lui passa l’humiliant artefact entre les crocs, avant de le verrouiller soigneusement derrière son oreille.

Hon ! parvint-il tout de même à éructer.

L’examinatrice lui tâtait déjà le ventre. Śimrod grogna, furieux.

— Les fièvres sont bien avancées, observa-t-elle. C’est étrange : ce n’est pas la période.

— Il est pour moitié orcanide, ma dame, crut bon de préciser Arwyn. Ces sous-créatures sont tout le temps excitées.

Śimrod avait perçu le dégoût dans sa voix. Il lui jeta un regard meurtrier.

— Je vois.

L’elleth fit glisser sa main sous la seule pièce de vêtement qu’on lui avait laissé et saisit son membre. Śimrod se cabra pour échapper à l’attouchement, mais la femelle le sortit entièrement et se débarrassa du morceau de tissu en le jetant sur le côté. Śimrod le regarda tomber au sol, comme sa dignité.

— Aoza, fit l’examinatrice en s’adressant à la petite cachée dans le coin qui servait de scribe pour ce simulacre d’examen. Note dans le registre : non acceptable pour une jeune femelle, impropre aux premières saillies. Réservé aux ellith expérimentées.

Śimrod laissa entendre un nouveau grognement. Réservé, lui ? Et puis quoi encore !

— Puis-je demander pourquoi ? s’enquit cet idiot d’Arwynn.

L’elleth lui jeta un regard agacé.

— Son organe reproducteur est de taille trop imposante pour une jeune vierge. D’ailleurs, ce mâle est particulièrement violent, et difficile à soumettre.

— C’est son sang d’orc… ! cracha le mâle jaloux de ce qu’il prenait pour une remarque admirative.

L’examinatrice ne répondit pas. Elle fit glisser le membre dans sa main ferme et lui tâta les bourses de l’autre, contraignant Śimrod à s’agiter encore plus. Ayant subi l’impitoyable entrainement filidh, il était fier du contrôle absolu qu’il avait sur ses nerfs et ses pulsions. Mais là, c’était trop. Lorsqu’elle glissa un doigt derrière ses testicules et appuya sur sa glande mâle, il se sentit partir.

La semence jaillit en trois jets nacrés, qui vinrent souiller la joue et la chevelure de l’elleth.

— Misérable, tonna Arwynn en lui assénant un coup de griffe vengeur, comment as-tu pu … !

La joue ouverte, Śimrod verrouilla son regard sur lui. Il grava son visage dans sa rétine, déterminé à le retrouver plus tard.

— Contenez vos humeurs, maître Arwynn. Il n’y peut rien. Je voulais voir la texture de son fluide. Note, Aoza : abondant et épais, très haute qualité. Il fera un bon père.

— Si le conseil autorise un demi-sang orc à la reproduction, objecta Arwynn en rentrant ses griffes, humilié de s’être laissé aller à une telle démonstration de sauvagerie en présence d’une elleth.

Cette dernière plongea ses mains souillées dans la bassine d’eau claire que lui tendait son assistante.

— Cela, c’est au conseil d’en décider. Vous pouvez le relâcher.

Lorsque ses entraves furent déliées, Śimrod sauta littéralement hors de l’autel. Il se jeta sur le premier sidhe à portée de griffe, tous crocs dehors. Mais une pression sur sa nuque et sa gorge le coupa dans son élan : il avait encore le collier de soumission qu’on lui avait mis à Evesynn. Cet objet destiné à pacifier les wyrms constituait une arme redoutable, contre laquelle il ne pouvait pas lutter.

— Vous pouvez retourner au temple, ordonna l’elleth en s’essuyant les mains. Je reconduirai ce mâle moi-même.

Arwynn lui jeta une œillade concernée.

— Vous êtes sûre, ma dame ?

— Oui. Vous pouvez disposer. Toi aussi, Aoza.

Lorsqu’ils furent tous partis, Śimrod se retrouva seul avec la femelle, qui tenait toujours la laisse de son collier dans sa main. Il se tourna pour lui faire face, telle une bête traquée.

— Qu’est-ce que vous voulez ?

Sans lui répondre, l’elleth se débarrassa de son shynawil. À l’instar de beaucoup de femelles, elle ne portait rien en dessous. Sa peau pâle comme le marbre irradiait, sa longue chevelure, d’un noir doré, s’écoulait sur des seins lourds et ronds, aux tétons ornés de perles. Puis elle monta sur la table, vêtue de ses seuls bijoux, comme une esclave couverte de chaînes.

Mais sa voix restait celle du commandement.

— Prends-moi, ordonna-t-elle en écartant les cuisses.

Śimrod écarquilla les yeux, incrédule. Jusqu’ici, on lui avait interdit de toucher à la moindre femelle. D’ailleurs, c’était bien la première fois qu’une elleth lui faisait des avances : il n’aurait jamais cru qu’une dame de Cour puisse se comporter comme la première sans caste venue.

— Je croyais que les aios devaient attendre d’être appelés ?

La juge d’Evesynn lui avait expliqué qu’à chaque lune rouge, lors du rut des mâles, les ellith désireuses de s’accoupler étaient notifiées des partenaires disponibles. Elles choisissaient ceux qu’elles voulaient et ces élus quittaient Æriban pour un temps donné. Les autres devaient prendre leur mal en patience et continuer à s’entretuer.

— Je suis la gardienne du temple, j’ai tous les droits sur les aios qui y servent. Y compris celui d’expérimenter de première main les capacités reproductives d’un semi-orc.

— Je ne veux pas vous faire de portée, grogna Śimrod.

— Parce que tu crois que j’ai envie de donner naissance à des quart-sang bâtards ? lâcha-t-elle en réponse, méprisante. Je suis hors de mon cycle, et je ne t’essaierai qu’une fois. Obéis, maintenant.

Śimrod jeta un œil sur la femelle offerte. Le parfum qui se dégageait d’elle réveilla son membre, qui se tendit, dur et avide. Cela faisait des lunes qu’il ne s’était pas accouplé. Et le faire avec une elleth hautaine comme cette intendante...

— Si vous insistez… mais ne venez pas vous plaindre après !

— Cela dépendra de ton habileté, répliqua-t-elle. Allez, viens.

Śimrod s’approcha de la table et la tira vers lui. Lorsqu’il lui saisit les hanches pour la retourner, elle haleta d’impatience.

— Oui. Prends-moi comme un orc. Un orc sauvage, féroce et impérieux !

Śimrod ne se fit pas prier. Il besogna cette arrogante femelle contre la table, fesses en l’air, en la tenant par la crinière. Elle couina un peu, mais ne fit rien pour l’arrêter.

— Vous avez dit qu’il fallait me réserver aux ellith expérimentés, grogna-t-il en la pilonnant. Vous voulez que je vous fasse goûter à ce que font les orcs aux femelles ædhil qu’ils capturent, sur Færung ?

— Oui, souffla-t-elle. Oui !

Śimrod fit glisser sa verge hors de la vulve rougie, et le plongea dans l’anneau offert, juste sous la cicatrice de la queue. La sensation de compression était sans commune mesure. Le plaisir explosa dans ses reins, alors que la femelle se cabrait en geignant.

— T’aimes ça, être prise dans le cul comme une esclave ? grogna-t-il en regrettant de ne pouvoir la mordre.

Mais dès qu’il se fut déversé en elle, l’intendante reprit le contrôle, se servant du collier pour le repousser loin d’elle.

— Je maintiens ce que j’ai dit : tu t’accouples comme une bête sauvage. Ces plaisirs bruts et primaires ne sont pas donnés à tout le monde !

Śimrod ravala une remarque cinglante. Il avait pu se soulager un peu et assouvir sa haine des ellith dominantes et castratrices : c’était déjà ça. Cette femelle pédante garderait les traces de son étreinte jusqu’à la nuit, et à chaque fois qu’elle s’assiérait, elle se souviendrait de lui. Il commit l’erreur de le lui dire.

— Maître Arwynn, piailla alors l’elleth de sa voix la plus pointue. Maître Arwynn !

Le sidhe débarqua immédiatement. Visiblement, il ne s’était pas tenu bien loin.

— Attachez cet animal à l’arbre-lige et punissez-le. Il m’a saillie sans permission !

Le geignement de l’elleth outragée rendit le sidhe fou furieux. Śimrod, lui, était trop choqué pour réagir.

— Tu as osé souiller la Haute Intendante de ton fluide impur ! rugit Arwynn. Aios, saisissez-le !

Rendu muet par ce brusque retournement de situation, Śimrod se laissa entraver de nouveau. Mais il vissa son regard dans celui de l’elleth qui s’était étalée sur la table, montrant ses orifices irrités et les traces épaisses qui maculaient ses cuisses. Sa complice, la petite Aoza, était déjà en train de l’examiner, horrifiée.

— Ne le castrez pas, plaida l’examinatrice, magnanime. Quelques coups de fouet ou un dépeçage en règle me suffiront pour réparer l’outrage. Mais il faudra lui faire porter la cage. Ces orcanides ont un tel appétit sexuel… il pourrait violer une innocente jouvencelle comme Aoza, et la dégoûter à tout jamais de l’étreinte mâle !

Śimrod fut puni. On l’attacha devant l’arbre-lige, aux pieds de la statue grimaçante du sældar de la guerre, le père de la destruction aux quatre bras, et on le soumit au supplice du dépeçage. Son sang inonda le dallage, qui le but avidement. Sa douleur nourrit l’arbre, qui frémit, et son stoïcisme glacé contenta la statue, que l’on avait cérémonieusement vêtue de sa peau. Les muscles de son dos furent mis à nu sous le regard satisfait de l’examinatrice, assise sur un trône à la place d’honneur. Encore une fois, Śimrod prit soin de graver son visage tatoué dans sa mémoire. Il la punirait, elle aussi.

Une fois le supplice accompli, on le laissa lié à l’arbre, à quatre pattes. Alors que les sí, repus de tortures, somnolaient dans les arbres bordant le temple, certains aios revinrent lui uriner dessus, faisant montre de leur domination. L’acidité de leur miction ravivait ses plaies et en ralentissait la cicatrisation, mais Śimrod n’en avait cure : cela faisait bien des lunes qu’il ne sentait plus la douleur physique. L’entrainement des recrues de l’Aleanseelith, et la vie impitoyable qu’ils menaient à travers les dix mille mondes, valaient bien la discipline d’épines d’Æriban.

Sa résistance impressionna : on s’était attendu à ce qu’un demi-sang déjà adulte cède dès le premier coup. En haut lieu, on décida de l’observer. Allait-il passer la première nuit ? Peu y parvenaient. Ce semi-orc était fort, mais il fallait plus que ça pour survivre à Æriban, où chacun guettait la moindre faiblesse de l’autre, et où les combats pour grimper les échelons de la hiérarchie sidhe étaient quotidiens. Les hurlements, la douleur et le sang ravivaient Neaheicnë, et, à travers lui, la société ultari toute entière.

Śimrod n’en avait cure. Jamais il n’avait eu de foyer, et depuis toujours, il était accoutumé à vivre dans l’adversité. Le pire, pour lui qui était si fier, fut l’humiliation de la « cage ». Il s’agissait d’un dispositif de métal verrouillé sur ses parties génitales, qui empêchait toute excitation malvenue. La clé fut remise à l’examinatrice, qui la suspendit à une chaine d’or à son cou.

— Voilà, fit-elle en glissant le collier sous son shynawil. Voilà ce que gagnent les mâles incapables de se contrôler devant une elleth. Désormais, tu porteras cette cage dès mon arrivée au temple, et ce jusqu’à notre départ, à moi et mes suivantes. On ne te l’enlèvera que lorsqu’aucune femelle ne se trouvera sur Æriban, ou en cas de récompense exceptionnelle. Cela t’apprendra la soumission en présence de dames !

Śimrod ravala une insulte bien sentie. Qui avait levé la croupe comme une daurilim en chaleur ? Qui s’était servie de l’esclavage à laquelle le soumettait la lune pour satisfaire une vile curiosité ? Mais évidemment, c’était sa parole contre la sienne. Sa mission n’était pas de détruire ce temple, du moins, pas encore. On l’avait chargé d’un objectif bien précis. Pour cela, il avait déjà bien enduré. Inutile de se faire remarquer davantage.

Alors, Śimrod baissa la tête et céda.

Annotations

Vous aimez lire Maxence Sardane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0