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Layann

Haiti.
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Layann


Il est plus de 5 heures de l’après-midi quand la BMW X8 flambant neuve du professeur Sauveur franchit la barrière de la faculté. Sans se presser, il prend son temps pour se trouver une bonne place pour se garer dans le petit parking déjà bien rempli qui fait office aussi de terrain de basket-ball. Des étudiants éparpillés sur la cour de la faculté, les yeux pleins d’admiration, l’observent du coin de l’œil. Tout un mythe s’est dressé autour du personnage du professeur au fil des années. Etre l’objet de tant d’attention fait toujours le professeur sourit intérieurement. Il se sent important et adore se sentir au-dessus de ce piédestal.
En plus d’occuper une chair à la faculté, Mr. Sauveur est Directeur Technique dans une boîte publique, consultant dans une institution privée à renom et fait partie du cabinet du ministre de l’éducation nationale. En tant qu’intellectuel et homme politique avisé, on l’invite régulièrement pour analyser et commenter en tant qu’expert des faits d’actualités sur les ondes de plusieurs radios dans la capitale.
A voir sa tête, la journée n'a pas été facile et ce sont ses étudiants de théorie sociologique qui vont en faire les frais. Depuis 5 ans qu’il dispense ce cours, en pénétrant dans la salle, il provoque toujours ce grand remue-ménage. Les étudiants, perdus dans l'épisode d'une série ou plongés dans une discussion sur les dernières actualités politiques ou sportives en l'attendant se débrouillent pour vite trouver une place avant que le professeur commence son exposé. Le bonsoir qu’il adresse à ses étudiants est digne d'une personne qui a été chez le dentiste pour se faire ôter trois molaires. Le professeur ne sourit jamais dans ses cours. Avant même que le professeur Sauveur ne s'installe comme un célèbre pianiste qui va donner un récital, presque tous les étudiants dans la salle étaient déjà bien sagement en place. David, un étudiant du cours, qui se faufilait doucement pendant que le professeur allait débuter son appel, trébuche avec la chaise qu'il transporte et cogne une étudiante au passage. L'étudiante pousse un petit cri de douleur et fusille le jeune homme d’un regard. Le professeur Sauveur lève les yeux au-dessus de ses lunettes et dit avec un certain mépris:
-        Tu es en retard et en plus tu déranges la salle !
-        Excusez-moi, Monsieur. Mais vous venez tout juste de rentrer. répondit-il l'air surpris.
-        C'est qui que tu appelles « Monsieur », jeune homme? demanda le professeur brusquement.
-        Euh...
-        Nous avons été à la même école toi et moi? Nous avons l'habitude de jouer au football ensemble? J’ai un doctorat et toi? Quelle est cette façon de se s'adresser aux professeurs de nos jours! C'est cela que l'on appelle démocratie?
David comme un animal blessé essaie de bredouiller une excuse mais ne trouve pas ses mots. Le pauvre ne sait s'il doit rapidement se trouver une place ou rebrousser chemin. Les autres étudiants suivent cette petite scène sans dire un mot. Après quelques interminables secondes d'hésitation, David se décide finalement à poser sa chaise dans un coin et s'assoir docilement en silence. Alors le professeur débute l'appel, fier de ce silence de cimetière que son emportement a provoqué.
-        Bredius?
Personne ne répond.
-        Celui-là est toujours en retard, sinon absent.
Il se met alors à compter les absences et les retards de l'étudiant dans d’autres feuilles et déclare:
-        Vous pouvez lui dire de ne plus venir en cours. Il est déjà à son troisième retard. Vous êtes à l'université pour étudier ou vagabonder? De mon temps, les étudiants étaient toujours à l'heure. Sauf en cas de maladie! Mais, maintenant c'est la démocratie, les étudiants se croient tout permis. Et vous osez dire que les vieux ont échoué!
Personne n'ose placer un mot. C'est le silence total. Le professeur continue son appel. Trente minutes après, il range sa liste dans un cartable et se décide de commencer. C'est alors que Gabie, une très jolie jeune fille tout timide, se pointe à la porte de la salle.
-        Excusez-moi, professeur. J'étais là, mais comme vous n'étiez pas encore arrivé, j'en ai profité pour aller imprimer un devoir, expliqua l'étudiante en s'épongeant le front avec une serviette.
-        Ah oui ? fait le professeur. Eh bien je suis désolé pour vous ma demoiselle, mais je viens de finir l'appel. Vous êtes absente pour le cours d'aujourd'hui. déclare-t-il l’air suffisant.
-        Mais, commença Gabie dans une vaine tentative de défense...
-        Il n'y a pas de mais qui tienne! Soit tu es présente au moment de l'appel soit tu es absente, hurla-t-il presque à la jeune fille qui, bouillonnant de colère, laisse la salle sans voix.
Elle aurait pu tenter de convaincre le professeur, mais elle sait qu’il y a très peu de chance qu’elle l’emporte. Avec le professeur Sauveur, on ne peut qu’accepter les décisions, aussi capricieuses qu’elles puissent être. Gabie le sait. Tous les étudiants le savent. Pourtant ils aiment ce caractère de force de leur professeur. Ils ne peuvent s'empêcher de lui vouer une adoration aussi sincère qu’irrationnelle. Ça dépasse l’entendement.
Professeur Sauveur est dans la quarantaine et détient un doctorat en sociologie de l’éducation d'une grande université de  France. Et en Haïti, on ne rigole pas avec les titres. Si la personne a décroché son grade en terre étrangère, c’est dix fois plus précieux... Il n'est pas rare, dans un échange entre étudiants, que quelqu’un soutienne un argument bec et ongle seulement parce que c'est le professeur Sauveur qui l'a dit un jour dans un cours.
-        Faites passer les devoirs. Tout le monde a lu le texte que j'avais proposé la dernière fois? Nous allons le commenter ensemble et ensuite je vais poser quelques questions. Ceux qui ne peuvent pas répondre auront des points en moins.
Tous les étudiants se regardent.
-        Professeur Sauveur! Ose dire Zaggy un étudiant avec un dreadlocks naissant. Nous avons été à la bibliothèque, mais le texte n'est pas disponible. Nous n'avons pas pu le trouver sur internet non plus. Dans un souci de rédiger mon devoir le plus vite que possible, j’ai moi-même été à plusieurs librairies de la place mais le texte était introuvable.
-        Ah bon! Je suis sûr que tu as pu trouver du kérosène pour incendier la voiture mardi dernier pas vrai? rétorque le professeur Sauveur. Vous êtes doués pour les manifs violentes, mais pas pour trouver un texte et le lire.
-        Je n'ai jamais brûlé de voitures de ma vie Professeur Sauveur, se défend Zaggy d’un ton solennel. Ni pris part à des manifs violentes.
-        Et moi je ne me suis jamais masturbé ! répliqua le professeur avec dédain.
Cette dernière phrase provoque quelques rires dans la salle. Le professeur entame alors une longue histoire sur le fonctionnement de l'université quand il était étudiant sous le gouvernement de Jean Bertrand Aristide et les sacrifices qu'il a dû consentir pour se procurer des textes. D'après le professeur, c'est aux étudiants de se débrouiller pour trouver les textes, qu’ils soient disponibles à la bibliothèque ou pas. Il oublie que toutes les bibliothèques de l'Université d’État font face à une grave carence de livres et que de nombreuses écoles supérieures au pays en sont totalement dépourvues. Et si par un heureux hasard les étudiants arrivent à trouver ces textes dans une librairie de la place, ils coûtent les yeux de la tête. L’argent de poche de tout un mois, pour un étudiant aux moyens modestes. Les universitaires en Haïti n’ont pas pu profiter de la révolution numérique. La connexion internet, quand on arrive à y avoir accès, est très mauvaise. Et tous les textes ne sont pas forcément en libre accès sur le web pour un étudiant qui ne possède pas une carte de crédit.
Pendant ce temps, le temps passe. La nuit commence à tomber et, après un coup d’œil à sa montre, le professeur déclare:
-        Débrouillez-vous pour trouver ce texte. Je me fous pas mal de comment vous allez faire, mais ce texte existe quelque part, alors trouvez-le ! La semaine prochaine vous aurez un test. Cela étant dit, il ne me reste qu'à vous souhaiter bonne soirée.
Il ramasse ses cartables, il les passe sous le bras et sort de la salle sous les regards étonnés des étudiants. Ceux qui avaient sorti leurs cahiers les rentrent doucement dans leurs sacs. Ils n'avaient noté que la date. Pas même le chapitre que le professeur devrait voir ce jour-là. Malgré le Doctorat du professeur, ce vendredi il n’a presque rien abordé de concret dans le long syllabus de vingt-trois pages qu’il a fait passer à ses étudiants au début de la session.
Professeur Sauveur laisse ses étudiants comme il les avait trouvés. En descendant les quelques marches pour se rendre sur le parking de la fac, il croise le coordonnateur et échange une brève salutation. Il ouvre la porte de sa voiture, dépose sa serviette et sa veste sur les sièges arrière et démarre. Une bonne vingtaine de mètres plus loin, il remarque la silhouette de Gabie. Il s'arrête à la hauteur de l'étudiante.
- Où étais-tu ? Questionna Professeur Sauveur en baissant sa vitre. Je t'ai cherchée sur la cour de la fac.
-  J'étais avec mon copain, répondit Gabie en colère.
- Tu t’es fâchée contre moi? C'est pourtant moi qui devrais me mettre en colère après toi. Je t'ai appelée durant toute la matinée tu n'as pas répondu à mes appels. Il fallait que je te punisse ; tu m’as trop manqué.
Gabie ne dit mot et fixe le professeur.
- Viens-là, ma Gabie. J'ai deux heures de libre devant moi. Tout juste le temps qu’il faut pour mériter ton pardon.
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Toute hisoire est bonne à raconter. En Haiti, dans les Caraïbes, on n'en manque pas. Laissons les romans à l'eau de rose de côté et accordez-moi quelques minutes pour vous raconter les histoires de ces personnages redoutables et marginaux que l'on craint. Les leveurs de morts
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- Taxi ! lance Gabie en tailleur du coin de la rue Senghor.
Le chauffeur, l'air jovial, ne s'arrête pas. L'argent de cette course est déjà garanti. Bon début pour ce lundi après un maigre week-end. La voiture, une vieille bobota cabossée de marque Daihatsu des années soixante-dix qui a connu des jours meilleurs, est déjà bondée avec six passagers entassés comme des sardines.
Il est sept heures moins quart ce matin et déjà les rues de Port-au-Prince grouillent de gens comme dans une ruche. La Capitale semble jouir d'un éternel été avec en général ses trente à trente-deux degrés Celsius. Des parents à pied, en tap-tap ou en voitures privées s'activent pour déposer leurs enfants à l'école avant que les embouteillages paralysent totalement la circulation dans les différentes artères. À cette heure, les rues sont tellement remplies que les gens recouvrent les trottoirs déjà occupées par des marchandes qui étalent leur petit commerce. Provoquant des coups de gueules ici et là. Ce qui fait plaisir à Gabie qui est novice en argot aussi piqué. À quelques mètres de la jeune femme, une marchande de pate kòde en expose plusieurs prêts à être emportés par étudiants ou écoliers. Les crises politiques et sociales n'ont pas encore eu raison du courage des haïtiens dans ce petit bout de terre. Ils se débrouillent chaque jour pour renouveler leur existence et donner un sens à leur vie. Gabie passe sa boite à lunch et son sac-à-main dans une main tout en guettant un taxi. Elle en profite pour réajuster sa coiffure et vérifier sa tenue comme si elle était devant un miroir imaginaire. Ses talons de dix centimètres lui font mal mais elle fait semblant de ne pas prêter attention à ce petit dérangement. Elle a une importante réunion au cours de la journée.
Un nouveau taxi s'arrête juste devant elle.
- Ou pwale ? demande le chauffeur.
La jeune fille se baisse un peu et tend le cou pour indiquer au chauffeur l'adresse. Avenue Charles Summer.
Le trajet ne pose aucun problème. Le chauffeur accepte. Gabie s'installe en arrière à côté d'une étudiante l'air préoccupée qui essaie de réviser dans quelques copies. De vagues souvenirs refont surface dans la mémoire de Gabie qui sourit en tournant sa tête pour regarder défiler les rues. Elle est partagée entre une nostalgie et le bonheur d'entamer depuis quelques temps une nouvelle étape dans sa vie.
En effet, voilà déjà deux ans que la jeune fille travaille comme cadre au Ministère des affaires sociales et du travail. Elle s'occupe des dossiers des femmes au section des services aux femmes et enfants. Elle a été retenue pour sa constance, son sérieux et la qualité de son travail après avoir effectué son stage académique au sein de l'institution. Tout en débutant dans ce nouvel univers, elle n'avait pas tardé à doubler d'efforts et travailler comme diable pour écrire son mémoire et le soutenir devant un jury moins de cinq mois plus tard. Mention très bien ! Elle fait partie de quelques rares étudiantes à avoir complété le cursus et allé jusqu'au bout. Les autres ont laissé tomber pour diverses raisons. Grossesse, mariage, immigration ou tout simplement à cause des obstacles rencontrés au sein de l'université même. Avec cet emploi, elle ne mène pas la grande vie mais son salaire lui permet de garder la tête hors de l'eau. Elle a déménagé et vit seule dans un joli petit studio à Christ-Roi. Mais elle garde toujours les contacts avec Carmelle et Anne qui, elles également, ont tracé leur chemin. Carmelle travaille en province. Et Anne effectue un stage tout en entretenant un petit commerce de produits cosmétiques qui lui rapporte des bénéfices assez intéressants.
Les souvenirs bons ou mauvais se bousculent dans la tête de Gabie. A-t-elle des remords ? Des regrets ? Bien sûr. Ce n'est pas comme si elle en était imperméable. Mais elle se consacre entièrement à son travail et évite le plus que possible de ruminer le passé. À la radio, une voix féminine annonce qu'il est sept heures. Après quelques jingles, un homme avec une certaine assurance dans la voix quant à lui prédit le déroulement de la journée des gens avec l'horoscope. Les voitures avancent à la vitesse d'un escargot. Les policiers qui assurent la circulation dans différents carrefours ne sont pas d'une grande aide. À cette heure de pointe, les bouchons sont inévitables. Le chauffeur de taxi essaie pourtant tant bien que mal de frayer un chemin à travers les embouteillages sur l'avenue Martin Luther King pour atteindre de Lalue.
Plus d'une trentaine de minutes plus tard, le taxi dépose Gabie devant la grande barrière du bureau. La jeune fille paie le chauffeur avec un billet neuf de deux cent cinquante gourdes. Comme monnaie, elle reçoit quatre billets de cinquante gourdes en mauvais état. On dirait les torchons du diable. Le temps que Gabie proteste, le chauffeur démarre en appuyant sur le champignon. Elle reste bouche bée. Énervée, elle prend sur elle pour se contenir sa colère. Elle ne compte pas gâcher sa journée. Elle utilisera ces billets pour payer le taxi durant la semaine. En prenant cette résolution, elle franchit la porte d'entrée du bâtiment. Elle salue gentiment les deux gardiens qui discutaient dans un coin. Les réceptionnistes ne sont pas encore arrivées. Cela ne l'étonne pas. Depuis deux ans qu'elle travaille dans ce bureau elles ne débarquent que vers neuf heures et parfois même vers dix heures sauf quand il y a une cérémonie officielle. Quitte à faire attendre un visiteur, cela ne semble déranger personne.
Gabie arrive dans une grande salle, elle est déserte. Comme d'habitude, elle est la première. Ce qui n'est pas bien vu par ses collègues. Surtout les plus anciens. Son bureau se trouve dans un coin. Généralement, les plus ponctuels ne pointent leur nez que vers huit heures voire neuf heures. Gabie profite de ce temps-là pour avaler tranquillement son petit déjeuner et jeter un coup d'œil sur les tâches qu'elle aura à faire durant sa journée.
La réunion est prévue pour onze heures, elle a largement le temps pour consulter plusieurs dossiers et se mettre à jour. Ce sera la toute première fois qu'elle va participer à une réunion aussi importante. Le directeur général sera présent et plusieurs représentants d'autres organismes partenaires. Son supérieur qui a été parachuté à ce poste grâce à ses accointances politiques et qui a remarqué la performance de la jeune fille lui avait demandé de l'accompagner et de servir de secrétaire.
Vers onze heures moins dix minutes, alors que la grande salle est bruyante avec les bruits du personnel, son supérieur arrive dans son coin et lui annonce qu'il est l'heure. Gabie range le dossier qu'elle était en train de lire et jette un dernier coup d'œil sur son tailleur sous le regard pervers du bonhomme. Elle ne prête pas attention à ses quelques remarques et file vers la salle où va se dérouler la réunion. Il la rejoint juste avant de pousser la porte de la salle et l'interdit de prendre la parole.
Plusieurs personnes étaient déjà dans la salle et discutaient des dernières actualités politiques. Le directeur quant à lui, n'était pas encore arrivé. Il est sûrement ce genre de personnalité qui se croit importante et aime se faire attendre. Gabie suit sans prêter attention à ce beau monde son supérieur qui se dirige vers un petit groupe de cinq personnes bavardant avec entrain. À quelques pas, il les salue et leur demande de leurs nouvelles. L'un d'entre eux se retourne pour lui répondre et ses yeux croisent ceux de Gabie.
Les deux restent figés pendant quelques secondes qui paraissent être une éternité.
- Bon.. Bonjour Gabie, marmotte le professeur Sauveur.
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Il était presque neuf heures du soir et je me reposais depuis plus d’heure après une rude journée à errer sans buts à Port-au-Prince. Depuis plusieurs mois, les troubles sociales et politiques paralysent le fonctionnement du pays et de la faculté. Chaque matin, je me donne pourtant une raison aussi banale qu’inutile pour ne pas rester à me morfondre dans la petite pièce qui me sert de chambre.
Ce matin-là, je me suis levé, j’ai pris mon bain, j’ai empoigné mon sac-dos et je suis parti à la conquête de je ne sais quoi. Sur ma route, j’avais un peu d’argent en poche alors j’ai choppé à Tina, une marchande à la rue Edmond Paul, un paté que j’ai payé 50gourdes. Je me suis rendu sur la cour de la fac comme quelques étudiants qui refusent comme moi l’idée de rester chez eux à broyer du noir. Quelques temps plus tard vers onze heures, j’ai bravé le terrible soleil de Port-au-Prince pour rendre visite à un de mes amis à Avenue Pouplard. L’objectif était de passer le plus de temps possible loin de chez moi, de mes problèmes et de mes incertitudes.
Mais à la fin de la journée, après avoir effectué tous ces parcours à pieds, fatigué, je n’avais pas vraiment d’autres choix que de me laisser tomber sur mon lit surtout quand la pluie se faisait sentir.
Vers neuf du soir, il n’y avait pas d’électricité et il faisait nuit noire. Donc après mon bain ou du moins après m’avoir aspergé le corps avec les quelques litres d'eau de pluie que j'ai pu receuillir, je m’étais allongé dans ma couette et je m’efforçais à lire un texte que j’avais téléchargé sur mon téléphone au cours de la journée tout en écoutant le bruit du ravin qui débordait sur les averses d’une de ces pluies qui prennent les gens de la capitale au dépourvu. Je n’avais pas l’habitude de mettre le nez dehors quand il pleut à Port-au-Prince. Je redoute toujours l’idée qu’une de ces pluies me surprend en pleine rue. C'est peut-être dans mon imagination, on ne sait jamais mais au moindre faux pas, tu risques de te retrouver au fond de ces égouts à ciel ouvert et le lendemain ton cadavre git dans le Bois de Chêne parmi les fatras.
Mais quand Natacha m’a fait savoir par un message sur whatsapp qu’elle se trouve toute seule chez elle et qu’elle aimerait passer la nuit avec moi, je ne pouvais tout simplement décliner l’invitation. La perspective de la nuit était trop dense pour prendre le temps de décider et mesurer toutes les risques. J’ai tout de suite dit oui. On dit qu’un homme n’a pas assez de sang pour alimenter son pénis et son cerveau. Au moment où je mettais ma chambre à l’envers dans le noir à la recherche d’une paire de jeans moins sale, je confirme cet hypothèse. D’autant plus, depuis que la jolie Natacha m’avait finalement répondu affirmativement à la déclaration de ma flamme pour elle par un message whatsapp, on n’avait pas eu ni la chance ni l’occasion de consommer notre amour. Ceci pour plusieurs raisons. On n’avait pas les mêmes horaires. Natacha vivait avec sa grande sœur qui était un peu stricte et sa mère débarquait toujours à l’improvise pour leur rendre visite.
Il était presque dix heures et tout ce que je voyais c’était le corps de la jolie Natacha qui tressaillit sous mes caresses. Et en parlant de caresses, quand Natacha me contait ses compétences en la matière on peut dire qu’elle me chauffait à blanc. Elle faisait travailler mon imagination. Elle me masturbait l’esprit. On peut dire qu’elle n’était pas très catholique. Et ça tombait bien, je ne comptais non plus confesser tous ses péchés. Au contraire, je pensais que j’allais les augmenter. Ah !!! Oui, et ce soir comparé à tout ce que je vais faire à cette fille les habitants de Sodome et de Gomorrhe étaient juste des enfants de cœur. Mac-D devrait en prendre note et réécrire sa chanson « Ilegal ». Son illégale à lui était amateur comparé à ce que j’avais en tête pour la jolie Natacha. Je vais partir à la conquête de l’inconnu et soumettre érotiquement cette amazone. Tout en échafaudant mes plans, j’entendais encore la voix de mon ami Liahdor qui me disait, il n’y a pas si longtemps, que cette fille peut me détruire. C’est une Katrina. Au diable Liahdor! C’est mon genre de fille et ce soir c’est ma soirée. Tu ne pourras pas comprendre mon ami.
J’ai enfilé donc mon jeans comme s’il y avait le feu dans la petite chambre qui me sert de maison tout en me demandant si j’allais pouvoir trouver un taximan au Carrefour Saint-Us pour me déposer tout près du Sylvio Cartor où je pourrais prendre une camionnette pour Delmas 33. L’avantage avec cette zone c’était qu’on pouvait trouver un transport en commun très tard dans la soirée. Cela m’arrangeait. J’ai charpenté tout ce plan en enfourchant mes baskets. En sortant de l’impasse menant chez moi, je n’ai pas rencontré une âme. Une petite voix dans ma tête me disait qu’il était encore temps de renoncer à cette expédition mais non le corps de Natacha m’appelait. Et quand le corps d’une jolie gazelle comme Natacha t’appelle, on ne peut pas ne pas répondre. C’était le salut ! C’était irrésistible comme l’attraction d’un aimant. Après quelques minutes à guetter la rue à gauche et à droite, je vois apparaitre la lumière d’une moto. « Oh ! Mon Dieu faites que ce soit un taximan » me suis-je dit tout bas. « Moto » me ai-je lancé au type quand il approchait de moi. Le taximan s’est arrêté et je lui dis tout bonnement : « Lage m bo stad ». Le mec m’a regardé et m’a dit sans ménagement :
- 150 goud
- Kisa ?
50 goud sèlman mw genyen la!
- Ou pa prese vre ou nan fe pri a le sa ak lapli sa. me jette le taximan avec un air hautain en faisant semblant de se déplacer.
- ok ! Ann ale
Je n’avais pas vraiment le choix. Ne voulant pas rater cette occasion inattendue en attendant un autre taxi-moto ou arriver trop tard chez ma dulcinée je me suis installé derrière le taximan à peine conscient que mes vêtements étaient à moitié mouillés. Le chauffeur se faufilait vers la station de Delmas qui était tout près du Stade Sylvio Cator en passant par la rue Monseigneur Guilloux. En arrivant, je me suis pressé de payer le chauffeur et dirige vers la dernière camionnette, semble-t-il, qui s’apprêtait à déplacer. J’étais trempé jusqu’aux os mais je me fichais complètement de cela. J’étais beaucoup trop concentre sur le bon dénouement de cette nuit.
Sur tout le trajet, c’était le noir total. Le Champs de Mars, habituellement éclairé, était plongé dans le noir. Lalue, Avenue Pouplard, Nazon toutes ces zones était baignées dans l’obscurité la plus totale mais cela ne m’inquiétais nullement. Arrivé sur l’autoroute de Delmas la situation n’était pas trop différente. Les autres passagers dans la camionnette se plaignaient de ce manque d’électricité qui perdurait depuis quelques temps dans la capitale. Moi, dans ma tête, je me demandais pourquoi ce trajet durait aussi longtemps. Quand je descendais la camionnette tout près de la TNH, c’était une bénédiction parce que j’étais au bout de ma patience.
La distance que je devais parcourir pour me rendre chez Natacha n’était pas trop longue et la pluie tombait moins. J’ai pris le temps de me mettre à l’abri pour passer un appel à ma dulcinée. Je l’ai appelée mais son téléphone a sonné sans réponse. J’ai essayé deux fois encore mais en vain. Natacha ne répondait pas encore. Je ne me suis pas inquiété. J’ai mis mon téléphone dans ma poche pour faufiler presqu’en courant chez Natacha.
Arrivé tout près de la barrière de la maison de Natacha, je me suis abrité dans un coin pour tenter de lui téléphoner. Encore une fois, son téléphone a sonné sans réponse. En apprêtant à lui envoyer un message sur WhatsApp pour lui informer que j’étais juste devant chez elle. Elle m’a envoyé un message qui disait :
« BB, notre nuit ne sera plus possible. Ma mère vient tout juste de débarquer. Tu es où?»
J’ai failli m’évanouir. Mes pieds ont tremblé. J’étais loin de chez moi et trempé jusqu’aux os. Il pleuvait des cordes et faisait noir comme dans le cul du diable. Il était onze heures du soir et il n’y avait personne dans les rues.
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