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Roger Raynal
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Roger Raynal

 Ces choses-là sont maintenant du passé. Pourquoi me reviennent-elles en mémoire, à l'orée du sommeil ? Je ne sais, où, plutôt, je ne désire pas le savoir.

C'était une soirée donnée chez une jeune fille de ma connaissance. Nous étions étudiants, et j'y avais été invité par une amie, Christine, que tout le monde surnommai Tine. Il y avait là une quinzaine de personnes, on y discutait autour d'un verre, de petits groupes se formaient, on mettait de la musique, certains sortaient fumer pendant que d'autres en profitaient pour danser un peu, lorsque les chansons leur plaisaient. C'était, somme toute, un moment agréable et sans prétention.
C'est à la fin de la soirée que je le vis. Au moment où, avant de rentrer, on cherche à récupérer les bouteilles ou les cigarettes que l'on a amenées et qui manifestent une certaine propension à se voir, en ces circonstances, douées d'une vie propre leur conférant le pouvoir de s'évaporer sans laisser de traces...
C'était un jeune homme que peu de gens connaissaient vraiment, hormis notre hôtesse et ses proches. Il se singularisait, ce n'était pas la première fois que je le voyais, par le petit caméscope qui ne le quittait jamais. À cette époque, vers 1995, c'était encore un équipement relativement rare chez un étudiant. Il filmait nos soirées, sans rien dire, posant parfois sa caméra en la laissant tourner pour participer à une conversation, filmant au jugé, ou bien nous regardant, depuis un coin plus sombre. Nous étions habitués à lui, et personne ne prenait garde au fait d'être filmé : il était alors évident pour tous que ces enregistrements ne pourraient jamais être diffusés, avions nous la faiblesse de penser.
C'était un garçon paradoxalement discret. Il ne buvait pas, et parlait peu. Sans doute parce que sa voix était atroce, avec des couinements, presque une voix de vieillard, en discordance avec son âge. Il était plutôt maigre, les cheveux longs, toujours seul. Pour dire vrai, nous oubliions sa présence, tant il était souvent derrière sa caméra. Un être insignifiant, transparent, et, à le voir soigneusement évité par les jeunes filles qui ne le connaissaient pas, je me demandais même en m'amusant, sous l'effet de l'alcool, s'il n'était pas invisible à leurs yeux.
Lorsque j'y repense, je me demande ce qu'il avait compris. ll filmait notre vie comme un court métrage, sans scénario, sans montage, des tranches de vie brutes, sans fioritures. Voulait-il se constituer des souvenirs ? Avait-il pris le parti de considérer la vie comme un gigantesque spectacle dont il s'efforçait, pour se donner une contenance, d'être le metteur en scène ? Était-ce quelque aventurier de la philosophie, ayant pris le parti de considérer la vie d'un point de vue shakespearien, ou un simple vaniteux voulant se donner une contenance ? Je ne me posais pas ce genre de questions, mais, à présent, lorsque j'y réfléchis, je me demande si, dans son attitude, il n'était pas, en quelque sorte, plus réel que nous.
Nous fêtions la réussite aux concours de Lorelei, notre hôtesse, qui devait intégrer l'année suivante, loin de la ville où nous étions, une école d'ingénieur. J'avais participé à la soirée par épisode, sortant quelquefois pour fumer, car j'avais alors cette détestable habitude. Il s'avéra que je me trouvais dans les derniers à partir. C'est alors que je remarquais le jeune homme à la caméra : il était assis sur les marches d'un appartement voisin de celui de Lorelei, à moitié dans l'ombre, et il pleurait. Il faisait ce qu'il pouvait pour le cacher, mais c'était bien visible.
Je demandais à un compagnon, qui quittait lui aussi la soirée, s'il savait ce qui c'était passé. « Rien, je crois. Lorelei a un peu bu, à un moment elle est allée vers lui, retenue par ses amis, et elle lui a dit un truc, mais je n'ai pas entendu. Ça l'a frappé, il est resté immobile, puis il a posé sa caméra et il est sorti. Je le croyais parti. Je crois qu'il s'appelle Franck. »
En temps normal, je ne me serais pas attardé sur un avorton pleurnichard dans son genre. Enfin, c'était ainsi que je voyais, à l'époque, les hommes capables de pleurer. Parce que j'avais réussi à séduire quelques filles, je pensais avoir tout compris à la vie. J'étais stupide, mais j'en étais fier, prenant les limites de mon entendement pour l'horizon du monde. À l'époque, je faisais partie d'une troupe de théâtre amateur, pas grand-chose en vérité, le genre de troupe montée par un de nos professeurs de littérature à l'université, que j'avais intégrée, en fait, parce qu'une des filles qui y appartenait, la fameuse Tine, m'intéressait, avant que je découvre qu'elle aussi préférait les filles... Je m'étais toutefois pris au jeu, et j'aimais bien nos petites pièces que nous pensions « engagées » parce qu'elles soufflaient dans le sens du vent, et j'aurais bien aimé pouvoir, parfois, nous filmer. La caméra de Franck m'intéressait donc bien davantage que lui. C'est pour cela qu'au lieu de rentrer immédiatement, je me dirigeais vers ce pleurnichard en feignant d'afficher toutes les marques d'une grande sollicitude. Le théâtre, ça aide.
— Ça va pas ?
— Pas très fort.
— Un problème ?
— Plusieurs. Ou bien un seul : l'existence.
Bon, ça commençait mal. Était-il suicidaire ? Je ne le pensais pas. Nous n'étions pas très loin des quais du fleuve, mais tout de même... Et puis, dans ce cas, adieu la caméra. À moins qu'il ne la pose sur un banc avant de faire le grand plongeon... non, je n'étais pas encore aussi cynique. Je m'assis à côté de lui un moment. Découvrant qu'il habitait dans la même direction que moi, je me proposais de faire un bout de chemin avec lui. Sa tristesse débordait, il avait sans doute besoin de s'épancher. Il ne voulut pas toutefois partir tout de suite. Il tira un mouchoir et s'épongea les yeux.
— Je dois récupérer ma caméra... et puis Lorelei... Je dois la voir. Dire au revoir, comme si c'était possible...
Il rentra un petit moment. Vu de près, c'est vrai qu'il n'était pas bien beau. Son cou partait en avant, comme s'il penchait la tête sur sa poitrine, il avait un œil presque fermé, avec une paupière qui vibrait seule, ce qui était gênant si on le regardait longtemps. En plus, il n'était pas vraiment habillé à la dernière mode, et on voyait bien, à ses longs membres maigres, que le sport n'était pas une de ses activités préférées. Lorsqu'il marchait, il était comme un peu tordu, on ne savait pas vraiment d'ou, mais l'impression en était pénible. Par contre, y a pas à dire, il savait parler, et même bien. Le genre de garçon à passer ses soirées le nez dans les livres.
Il revint avec la caméra, et filma quelque seconde la façade de l'appartement. « Plus de batterie, dit-il, c'est vraiment la fin. » Je lui demandais s'il réalisait de bons films. — Je ne fais pas de films. Je vole des moments, des instants compactés, comme des morceaux de souvenirs, pour en faire, plus tard, une histoire, pour réécrire ma vie, réenchanter mon monde, si l'on veut l'exprimer avec quelque excessive grandiloquence. Aujourd'hui, c'est le clap de fin de ce qui aurait pu être une merveilleuse séquence...
Je sentis que, de nouveau, il était au bord des larmes. Il était homo ou quoi, pour être aussi sensible et chialer comme une madeleine ? Tout en rentrant, il me raconta son histoire. Elle était, somme toute, d'une banalité désespérante, n'était sa conclusion, qui ne manquait pas d'intérêt. Malgré sa voix de canard enroué difficile à supporter, je l'écoutais. On pouvait facilement se prendre à son récit, si l'on se retenait se lui crier ce qu'il aurait du faire dans les différentes situations qu'il me décrivait. Ce que n'importe quel homme véritable aurait fait, et ce dont, visiblement, il n'était pas capable. À la fin, je ne savais même plus s'il était simplement puceau et empoté, totalement paumé en matière de filles, ou bien encore coincé quelque part entre le dix-neuvième siècle et l'antiquité. Bref, pour moi, je ne m'étais pas trompé : c'était bien un pauvre type. S'il en tourne, il devait même être impuissant.
Il avait rencontré Lorelei il y avait deux ans, lorsqu'elle s'était établie en ville. C'était Tine qui les avait présentés. Immédiatement, il en avait été amoureux. Il ne faut jamais être amoureux, du moins pas avant d'en avoir fait davantage, mais même ça, il ne le savait pas. Bref, ils se voyaient régulièrement, Lorelei l'invitait chez elle, elle allait le voir chez lui, ils se baladaient ensemble, et tous ceux qui les connaissaient pensaient q'ils feraient un beau couple. Ce qui impliquait, bien entendu, d'avoir une définition un peu particulière de la beauté, mais passons. Lui aussi, sans doute, y croyait. Apparemment, il n'avait eu encore aucune expérience et, à cette époque, Lorelei non plus. C'était une fille sérieuse, portée sur les études, et qui n'avait pas spécialement cherché à s'amuser.
Elle était plutôt jolie Lorelei, bien que la plupart des garçons l'aurait trouvée un peu grosse. Elle avait toutefois un beau visage, un sourire ravageur, une belle voix, la taille bien marquée et, ce qui ne gâtait rien, d'après ce que l'on pouvait en juger, de très beaux seins. Lui, à côté... Je ne voyais pas très bien pourquoi ceux qui les connaissaient avaient pensé, à l'époque qu'ils pouvaient aller ensemble. Bien entendu, lorsqu'il lui avait demandé de sortir avec lui, Lorelei avait dit non. Décontenancé, il n'avait pas su comment se comporter, sinon par la pire des réactions à avoir : se contenter de l'amitié de celle qu'on aime.
Il me raconta que, le jour de son infructueuse demande, ils étaient restés un moment à discuter, qu'il avait apprécié que, même si elle ne voulait pas de lui, elle lui conservât son amitié, une relation dont l'intensité n'avait fait que croitre avec les années.
Toutefois, dès le début, il y avait quelques bizarreries dans leur histoire. Ainsi une après midi, peu après son refus, ou peut-être le jour même où elle l'avait repoussé, ils étaient assis cote à cote et, en discutant, il lui avait pris la main et, presque machinalement, caressé lentement la paume avec son index. Il ne pensait à rien de précis. Il appréciait le contact de sa peau, sa main dans la sienne, le fait de lui donner ce qu'il pensait être une caresse des plus innocente. Lorelei l'avait alors gentiment mis à la porte, sans une explication, en lui précisant qu'il n'y était pour rien, que c'était elle qui réagissait mal. Il n'avait rien compris. Quel con ! Je me retins de lui dire que son doigt, il aurait dû le mettre ailleurs que dans la paume de sa belle, et au moins, les choses auraient été claires ! Le reste de son récit était à l'avenant. Assommant de bêtise.
Pendant ces deux dernières années, il était devenu le grand ami, le confident de « sa » Lorelei. Alors qu'elle savait qu'il était toujours amoureux d'elle, elle ne lui avait rien caché de ses premières amours, ni des suivantes. C'était à lui qu'elle avait raconté les déboires de sa première nuit, avec lui qu'elle avait partagé ses doutes sur les garçons qui l'intéressaient, à lui qu'elle racontait ses difficultés et ses expériences les plus intimes, les détails les plus croustillants et les plus scabreux... Et lui, toujours présent, la conseillait, la consolait, la regardant toujours comme une madone, comme un inaccessible rêve, pendant qu'elle vivait sa vie, et que lui perdait la sienne à attendre... À attendre quoi ? Il semblait assez évident qu'elle ne voulait pas de lui. Une nuit, me dit-il, invités dans une autre ville par une amie commune, il avait vu comment elle s'était, dans une espèce de soirée, trouvé un compagnon pour la nuit, un beau gars bien bâti, mais quelque peu éméché, qu'elle avait ramené dans la chambre située à côté de la sienne, où elle logeait. Toute la nuit, il avait imaginé sans peine ce qui se passait à côté, il en avait rêvé, et, bien entendu, pleuré aussi de ne pas être à la hauteur des attentes de sa Lorelei. J'en déduisis que cet imbécile se projetait à la place des amants de sa belle, qu'il adorait au point de préférer la voir comblée par d'autres que risquée d'être déçue par lui. Irrécupérable.
Il me raconta aussi qu'il lui arrivait même de la conseiller lorsqu'elle s'habillait avant de sortir, pour qu'elle soit plus séduisante. Il avait ainsi eu l'idée, un soir où elle ne trouvait pas quoi mettre sous sa veste, de lui proposer de ne rien porter dessous, ce qu'elle avait fait. J'avais envie de lui crier que ce soir là, il aurait dû la lui enlever, sa veste, et la plaquer contre un mur... Je ne connaissais pas très bien Lorelei, mais à quoi jouait-elle avec lui ? Elle n'ignorait pourtant rien des sentiments de son éternel soupirant, cherchait-elle à les détruire ? Où à en jouer d'une façon un peu perverse ? Une fois, elle avait même hésité à lui montrer sa lingerie, la trouvant trop sexy. Mais elle avait hésité. Qu'avait-il pensé ? Après plus d'un an, il y croyait encore ?
J'avais peut être affaire à un masochiste de l'amour, a quelqu'un qui aimait morfler, sentimentalement parlant. Il me parut qu'il avait tellement souffert qu'il s'était attaché à sa souffrance, la répétant, la déclinant à l'envi, s'enfermant en elle, au point d'en devenir prisonnier. C'était la seule émotion qu'il eut connu, avec le désir, en présence des jeunes filles. J'en serais presque venu à le plaindre, s'il n'avait pas été aussi con.
Je m'interrogeais tout de même sur le comportement de Lorelei, une drôle de fille. Franck, si jamais il ne me mentait pas, avait quelques raisons d'être perplexe. Ainsi, avant de me quitter pour rentrer chez lui, il me raconta que, le lendemain du déclenchement de la guerre du Golfe, il avait vu Lorelei, qui lui avait avoué qu'elle aurait aimé que, ce soir-là, il soit là, avec elle. Sachant qu'a cette époque, elle avait bien entendu un galant régulier, il avait pris cette confidence pour la plus belle des déclarations, même inconsciente. Je ne lui dis pas, mais je pensais plutôt que l'inconscient, c'était lui, bien que, c'est vrai, l'attitude de Lorelei paraissait discutable, son jeu du chat et de la souris, du « je te chauffe et te refroidis », me semblait assez incompréhensible. Enfin, dans mon cas, elle n'aurait pas eu à me chauffer trop longtemps. Les choses auraient été, dans un sens ou un autre, nettes.
C'est au moment où je vis Franck s'éloigner, sa caméra sous le bras, que je repensais à ce qui m'avait motivé. Je lui courus après pour lui proposer de filmer un morceau de ma pièce de théâtre. Il n'avait pas l'air très emballé, mais lorsque je lui appris que Tine, que nous nous connaissions tous deux et qui l'avait présenté à Lorelei, jouait avec nous, il accepta de venir nous aider. Une semaine passa donc avant que je ne le rencontre à nouveau.
* Christine, que tout le monde appelait Tine, je ne sais même plus pourquoi, était une grande fille fine, à la voix douce et à l'accent du sud prononcé. J'avais été plus que dépité lorsque j'avais appris qu'elle sortait avec une autre fille de la troupe, Valène. Pour moi, les lesbiennes devaient ressembler à des mecs, en moins viril, alors découvrir qu'une fille aussi sexy que Tine en était avait passablement chamboulé mes conceptions un tantinet archaïques. Elle était aussi à la soirée chez Lorelei et, le jour où Franck devait venir, elle fut surprise lorsque je lui annonçais sa venue.
— Le pauvre, il ne doit rien comprendre en ce moment, ça lui changera les idées.
— Pourquoi juste en ce moment ? Il m'a plutôt l'air d'un paumé perpétuel, qui ne comprend rien à rien en permanence, et pas juste maintenant...
— T'es bête ! C'est juste un garçon super sensible...
— Ouais... Le genre que les filles adorent, en théorie... Et qu'elles laissent super seuls !
— N'importe quoi ! Non, mais pour lui, le départ de Lorelei, c'est dur...
— Je lui ai parlé l'autre soir. J'ai plutôt l'impression que ça va lui faire du bien...
— Je ne sais pas. C'était plutôt bizarre, à la fin de la soirée, lorsque Lorelei lui a parlé, devant tout le monde.
— J'étais sorti à ce moment-là. Qu'est-ce qui c'est passé ?
J'appris ainsi ce qui avait motivé notre cinéaste à pleurnicher sur les marches, là où je l'avais trouvé. Il faut avouer que si l'on connaissait son histoire, ou plutôt son absence d'histoire, avec Lorelei, c'était en effet surprenant.
Lors de la soirée, Lorelei, avec son petit ami, José, avait un peu bu. Rien de bien méchant, mais disons qu'elle était un peu grise, et légèrement désinhibée. J'aime bien lorsque les filles sont dans cet état et qu'elles cessent de jouer les saintes nitouches, tombant le masque, laissant transparaitre leurs désirs sans fausse pudeur. Lorelei était avec José depuis plusieurs mois, c'était un grand jeune homme assez taciturne, très souriant, plutôt mignon, et leur histoire semblait bien partie. Et puis, à un moment, sans que l'on sache vraiment pourquoi, Franck était allé la voir pour lui dire qu'il allait rentrer. Bien entendu, il n'était sans doute pas très joyeux, vu que c'était probablement la dernière fois qu'il voyait Lorelei, qui quittait la ville le surlendemain. Personne ne savait exactement ce qu'il lui avait dit, mais cela devait être atrocement banal. Ce qui ne l'avait pas été, c'était la réaction de Lorelei : elle était précipitée vers lui, et quelqu'un, Tine ne savait pas qui, ni pourquoi, l'avait retenue par la main. Elle avait tiré sur celui qui la tenait, s'étendant vers Franck dans une pose très mélodramatique, et lui avait crié « t'en vas pas, Franck, je t'aime ! Je t'aime ! ». José avait fait comme s'il n'avait rien entendu, ou peut être qu'il n'avait vraiment rien entendu, vu qu'il discutait à l'autre bout de la pièce, et que cela ne pris que quelques secondes. Franck, lui, avait tout entendu.
En y repensant, Tine levait au ciel ses yeux verts. Qu'est-ce qu'elle était belle cette fille, quel dommage ! et elle me parlait comme si elle était ailleurs, revivant cette scène. « Franck a été comme pétrifié. Il est devenu blanc, j'ai cru qu'il allait s'évanouir. Il a bredouillé quelque chose comme « il faudra que tu m'expliques... Viens me voir... » puis il est sorti. J'ai cru qu'il était parti, je n'ai réalisé que ce n'était pas le cas que lorsque j'ai vu sa caméra, posée dans un coin, qui filmait seule, et clignotait parce qu'elle n'avait presque plus de batterie. Mais à ce moment, c'était trop tard il est rentré la prendre et est vraiment parti ».
— Je sais, je l'ai raccompagné, il m'a raconté ses aventures, ou plutôt son absence d'aventure avec Lorelei. Tu m'avoueras qu'elle est bizarre, celle-là.
— Pourquoi ?
— Elle cherche quoi, avec lui ? Elle lui tient le bec dans l'eau pendant deux ans, se refuse à ses avances, et avant de le quitter définitivement, elle lui dit qu'elle l'aime ? Je comprends mieux pourquoi je l'ai trouvé en train de chialer sur les marches.
— Je sais. Il est venu me voir... pour parler de Lorelei. J'ai essayé de lui remonter le moral, mais il m'a fait de la peine. Depuis que je le connais, je le vois toujours seul, même dans les soirées, à n'intéresser personne... Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi seul. Déjà que son intelligence l'isole à un point que ni toi, ni moi ne pouvons comprendre... Sa seule compagne, c'est, depuis quelques mois, sa caméra.
— Il faut dire qu'il n'est pas bien beau. Et sa voix...
— C'est sur que ça n'aide pas ! Mais je suis certaine qu'il a plein de qualités, malgré tout.
— Des qualités apparemment invisibles pour les filles en général, et Lorelei en particulier ! Selon moi, il y a longtemps qu'il aurait dû, métaphoriquement parlant, lui mettre la main aux fesses, et la coller contre un mur : elle dit oui, elle dit non, mais au moins, il sait ce qu'il en est, et il peut passer à autre chose !
— Pas si simple, homme de Cro-Magnon !
— Moque-toi ! En attendant, l'homme de Cro-Magnon n'est plus puceau depuis longtemps, alors que ton Franck, je suis certain qu'il n'a jamais fait grand-chose avec sa...
— Qui te dit qu'il a vraiment envie, ou même qu'il a la capacité à passer à autre chose, comme tu le crois ? Tu penses que les choses sont simples, que les filles veulent ou ne veulent pas, tu as une vision binaire, donc nécessairement limitée, des relations amoureuses. C'est bien plus compliqué que ça, tu sais, bien plus nuancé. Sur le moment, pendant la soirée, j'ai pensé que Lorelei était bourrée, et racontait n'importe quoi. Maintenant, je ne le crois pas. Elle n'avait pas vraiment bu et, en plus, depuis deux ans, je ne l'ai jamais vu délirer après quelques verres. Elle serait plutôt du genre à s'endormir. Je me demande si, au fond, elle n'a pas dit la vérité. Si elle n'a pas été, tout ce temps, profondément amoureuse de Franck.
— Avoue qu'elle ne sait pas ce qu'elle veut alors ! Pourquoi elle ne lui a pas dit ? Elle avait peur de quoi ?
— De Franck. De l'intensité de ses sentiments, de la force de ce qu'ils auraient pu vivre... Je ne sais pas moi. Peut-être que si Franck était arrivé dans sa vie quelques années plus tard, tout aurait été possible... La complexité, les nuances, c'est ça qui a effrayé Lorelei. La simplicité rassure, au point, peut être de passer à côté de belles choses. Lorsqu'elle a connu Franck, elle était vierge. Pour débuter sa vie amoureuse, elle voulait un garçon avec de l'expérience, et en plus, qui soit beau. Elle en avait besoin, comme pour étalonner sa valeur en tant que femme... Mais ça, tu dois avoir du mal à le comprendre.
Je faillis lui répondre qu'elle aussi ne devait pas être spécialement bien placée, vu ses goûts, pour le comprendre, mais je m'abstins de tout commentaire, en profitant pour glisser un œil négligent vers son décolleté rebondi pendant qu'elle parlait. Quel dommage !
— Et après ses premières conquêtes ? Pourquoi a-t-elle continué à le repousser, si elle l'aimait ? Parce qu'il était repoussant, justement ? Et ses autres copains, pendant ce temps, elle ne les aimait pas ?
— Ce n'est pas pareil... Franck était là, à ses côtés, il lui apportait la stabilité d'une relation sans les inconvénients...
— Comme coucher avec un mec moche et inexpérimenté !
— Non, pas seulement ! Tu ne penses qu'à ça !
— Ben, lui aussi !
— Non justement. C'est pour cela que tu ne peux pas le comprendre, que tu es si loin de ce qui a existé entre eux. Pour moi, c'est une chance d'avoir vu ce genre de relation, dont je pensais qu'elle n'existait que dans les romans. Honnêtement, je pense que s'il avait juste voulu coucher avec Lorelei, elle aurait été d'accord, enfin, peut-être.
— Comment ça ?
— Lorelei est une fille sérieuse. Elle fait passer le travail, ses études, avant tout. Ce que Franck lui proposait, c'était de vivre, tout de suite, une grande histoire d'amour. Et ça, ça lui a fait peur. De petites amourettes, avec de beaux garçons, d'accord, pour un soir ou bien quelques mois, mais une relation qui aurait pu être plus intense, plus passionnée... Ce n'est pas ça qu'elle voulait. Lorsque tu es accompagnée d'un beau garçon, tu n'as rien à justifier, sa présence semble une évidence, presque une valorisation parfois. Mais si tu es en couple avec un garçon que tout le monde s'accorde à trouver assez laid, ou du moins peu attirant, la seule explication, c'est que tu l'aimes, que tu es, sentimentalement, si fortement liée à lui... Lorelei voulait conserver la liberté de son cœur. En fait, peut-être que, tout simplement, Franck l'a trop aimée.
— Elle est quand même aussi tordue que lui dans son genre, non ? Lorelei n'est tout de même pas un top model !
— Non, elle n'est pas tordue. On est toutes comme ça... Elle paraissait rêveuse. Je pensais que tu le savais, toi qui te vantes de tes succès féminins !
— Il y a longtemps que j'ai compris que pour séduire, il ne faut pas trop connaitre les femmes, ni surtout, trop les aimer. Je me trompe ?
— J'aimerais te dire que oui. Tu sais, les filles et les femmes, ce n'est pas la même chose. Franck a peut-être commis la même erreur que toi, à sa façon, mais quand je repense à ce qu'il m'a raconté... J'en suis encore toute remuée.
— Raconte-moi ça, avant qu'il arrive !
— Je ne sais pas si je dois... mais vu qu'il t'a déjà parlé de ses relations avec Lorelei... Il est venu me voir il y a deux jours.
— Tu l'as connu comment ?
— Si tu m'interromps toutes les deux minutes... Je l'ai connu en prépa. Il était carré lorsque j'étais bizu.
— Gné ?
— Il était en deuxième année lorsque j'ai fait ma première année !
Je savais que Tine avait fait une classe préparatoire, même si elle n'avait pas obtenu les concours qu'elle désirait, contrairement à Lorelei, arrivée un an plus tard. Mais j'ignorais que le pleurnichard en venait lui aussi. J'appris à cette occasion que c'était ce qu'il convenait d'appeler une tronche : non seulement il avait d'excellents résultats scolaires et universitaires, mais il avait déjà écrit des nouvelles publiées, rédigé plusieurs ouvrages de philosophie, contribué à des thèses et même traduit des œuvres inédites du latin et du grec ancien. Il lisait le chinois et parlait couramment cinq ou six langues. Je ne m'en étais pas aperçu. Visiblement, un être déséquilibré : tout dans la tête, rien dans le... hum, il valait mieux que je garde ces réflexions pour moi si je voulais continuer à profiter de la compagnie de Tine. Je la laissais me raconter son entrevue avec le « génie solitaire ». Tout en me parlant, elle s'était assise sur un des hauts tabourets d'une espèce de bar qui constituait tout le décor de notre pièce. Elle croisait et décroisait ses longues jambes, ce qui faisait remonter un peu, à chaque fois, sa jupe courte. Je me demandais si elle portait des collants ou des bas. J'adorais les bas. J'imaginais déjà la démarcation entre le tissu sombre et sa chair blanche, douce... Je commençais à me demander si elle n'essayait pas de me chauffer. Bon, elle aimait les filles, mais peut être qu'un peu « d'exotisme » ne lui déplairait pas ? Il faudrait que j'en aie le cœur net.
« Franck m'a raconté que lorsque Lorelei lui a dit qu'elle l'aimait, il s'est senti ridicule. Il avait tant rêvé de ces paroles, de ce moment, il l'avait tellement investi, émotionnellement, qu'il a été décontenancé lorsqu'il s'est rendu compte que pour Lorelei, cela ne signifiait rien. Il s'est senti misérable. Il m'a confié qu'il savait bien qu'il n'était pas désirable, qu'il comprenait même que Lorelei ne le regarde pas comme un homme. Il m'avait déjà avoué qu'il préférait, en un sens, la voir avec de beaux garçons, qu'il se sentait un peu valorisé comme cela, confirmé dans la qualité de ses gouts, et qu'il lui fallait apprendre à trouver son bonheur dans le fait de voir d'autres donner à Lorelei le plaisir que lui n'était pas en mesure de lui octroyer. J'ai trouvé cela délicieusement romantique.
— Et surtout très con, si tu y réfléchis.
— Si tu réfléchis comme un homme, oui, sans doute. Mais Franck pense un peu comme nous, c'est tout le problème.
— Pourquoi ?
— Parce qu'aucune fille... Elle marqua un arrêt. Aucune fille n'a envie de coucher avec sa meilleure copine, fusse-elle un garçon, aucune fille n'a envie de trop d'intimité dans une relation amoureuse. L'amitié est quelquefois plus précieuse que l'amour. Lorsqu'une fille n'est pas trop laide, trouver un amant n'a rien de difficile, trouver un bon ami, un confident, une personne de confiance, qui sera toujours là lorsque tu auras de la peine, qui pourra te consoler en te prenant dans ses bras sans avoir pour autant tout de suite envie d'en profiter pour passer la nuit avec toi, par contre... C'est bien plus précieux.
— Bref, trop bonne poire, quoi.
— Dis-le comme ça si tu ne peux mieux le comprendre. En fait, il s'est dit que même si une fille qui l'aimait n'avait pas voulu de lui, alors il n'avait plus aucun espoir. Franck sait très bien qu'il est plutôt laid, c'est d'ailleurs pour cela qu'il ne se filme jamais, qu'il n'apparait sur aucune photo, mais il pensait pouvoir compenser cela, et il pense s'être trompé.
— Tu ne vas pas me dire qui s'il avait été beau, les choses n'auraient pas été différentes ?
— J'aimerai bien te dire que non...
Elle décroisa ses jambes. Sa jupe remonta un peu, dégageant ses cuisses, un instant légèrement écartées. Elle inspira fortement, gonflant sa jolie poitrine. J'étais salement excité. Je me penchais un peu plus vers elle, l'odeur de sa peau et de son parfum m'étourdissait un peu. Je devais afficher un sourire bien niais, mais elle poursuivit son monologue sans même s'en apercevoir.
« Lorsque Franck a demandé à Lorelei si elle voulait sortir avec lui, il y a deux ans, elle m'a parlé longuement, un soir, de ce qu'elle ressentait. Elle y est revenue lorsqu'elle m'a appelé hier soir. Elle m'a avoué avoir réalisé, ces derniers mois, lorsque l'éventualité de son départ est devenue une certitude, qu'elle avait toujours été amoureuse de Franck, tout le temps, et que, finalement, elle tentait de ne pas donner de l'importance à ce sentiment en s'amourachant d'autres garçons qui lui plaisaient. Au fond, elle en revenait toujours à lui, et ça lui faisait honte.
— Pourquoi ?
— Tu vas être content : parce que physiquement, je te le dis comme elle me l'as dit « je ne peux pas, il me dégoute ». Pourtant, le lendemain de cette fameuse soirée, sais-tu qu'elle est allée le voir chez lui ?
— Non ? Et ils ont enfin...
— Tu devines la réponse. Elle m'a dit qu'elle avait essayé, que Franck avait tenté de l'embrasser, plusieurs fois, mais qu'elle n'avait rien ressenti, ou presque. Elle était heureuse d'être avec lui, mais aucun désir, sauf, peut être, une fois, mais elle ne voulait pas, de toute façon. Il s'est même enhardi jusqu'à essayer de la caresser, mais il a bien ressenti qu'il n'y avait aucun désir chez elle, qu'elle se laissait simplement faire, qu'il n'avait sous ses mains qu'une poupée de chair sans âme. Son propre désir n'y a pas résisté, et ils sont restés un moment serrés l'un contre l'autre, sans rien dire, sans rien faire, trop tristes même pour se dire adieu. Moi-même, j'en ai été surprise, et je lui ai demandé si, vraiment, elle n'avait aucun désir pour lui. Lorelei m'a alors avoué que si cela avait été le cas, elle se serait sentie, et le mot qu'elle a employée m'a choqué moi-même, elle se serait sentie salie s'il l'avait touchée...
— J'espère être préservé de ce genre d'amoureuse ! Mes goûts vont ailleurs... Disant cela, je posais ma main sur son genou, glissant nonchalamment vers sa cuisse. Pendant qu'elle m'adressait un sourire ravageur, je sentis ses ongles pointus s'enfoncer dans ma chair, me griffant jusqu'au sang. J'ôtais immédiatement ma main endolorie, reprenant instantanément mes distances.
— Excuse-moi. Tu vois, je ne suis pas Franck. Je me suis trompé sur ton attitude, tu m'a rembarré de façon... explicite, j'ai compris. Pas d'embrouille, pas de souffrance, pas d'alanguissements énamourés d'eunuque... Bref ce qu'il aurait du faire depuis longtemps !
— Tu ne vas sans doute pas le comprendre, mais si Franck, que tu méprises tellement, avait fait la même chose que toi... je l'aurai laissé faire. Il a beau être laid à tes yeux, sa vision du monde est si belle...et je suis même certaine que j'y aurais pris du plaisir !
Il me fallut bien du temps pour comprendre ce que Tine avait voulu me dire, pour accepter d'envisager qu'à leur façon, ces deux-là s'étaient aimés plus que de raison. Franck est venu nous filmer ce soir-là. À sa façon, il a posé sa camera, nous a laissé faire, et il est parti. Un moment, Tine est allé le voir. J'avoue en avoir été jaloux. Jaloux de ce mec, je ne l'aurais jamais cru. Lui a-t-il demandé des nouvelles de Lorelei ? Je ne sais pas. Ce soir là, lorsqu'il a quitté notre salle de répétition, il avait toutefois les yeux un peu trop brillants. Pour un gars, apparemment, c'est une malédiction que d'être trop sensible. Je me félicitais d'avoir l'esprit plus simple que le sien. Au moins, je ne passais pas mes nuits seul, avec pour unique compagne la substance de mes rêves !
* Tout cela, c'était il y a une vingtaine d'années, et je viens de me rappeler de tout en quelques instants. J'avais totalement oublié Franck, Lorelei... Mais pas vraiment Tine. Je n'ai jamais revu une fille avec un corps pareil... J'en rêve encore, vingt ans après !
Ce soir, je zappais mollement, à la recherche d'un programme plus ou moins distrayant. Je suis passé par hasard sur Arte, et, avant que je ne change automatiquement de canal, j'ai entendu sa voix. Comme un canard qu'on écrase. Du coup, j'ai mieux regardé. C'était lui, le Franck, un peu moins maigre, un peu plus vieux, l'âge l'ayant un peu embelli, enfin, dans certaines proportions. Incroyable. À ce que j'ai compris, c'est maintenant un cinéaste reconnu par le milieu des intellos, les spécialistes du cinéma chiant qui s'extasient sur des films ouzbeks sous-titrés en finnois traitant du martyre d'un figuier transplanté en Sibérie. Je n'avais jamais vu un des films de Franck, je ne me serais même jamais douté qu'il en tournait, vu que j'ignorais son nom de famille.
Le journaliste interrogeait mon Franck, l'air toujours aussi paumé, d'ailleurs. Je pensais dans l'instant qu'il était peut-être même encore puceau. Un invité s'extasiait sur sa façon de « souligner la matière brute de la vie » et autres phrases à la noix pour signaler qu'il ne comprenait pas grand-chose à ses films, ou que Franck se moquait de lui et des siens sans en avoir l'air. J'allais continuer de zapper, me disant que, sans le savoir, j'avais été filmé par une future célébrité — il faudra que je retrouve ce film... C'est peut-être Tine qui l'a gardé — mais le journaliste, lui, se prenant pour un psy, interrogea Franck sur sa vie privée. Je tendis l'oreille, attentif aux mensonges qu'il allait déballer. L'animateur lui demanda quel était son plus grand regret. Je suppose qu'il s'attendait à ce qu'il compare son œuvre à celle d'autres cinéastes aussi inconnus pour moi qu'il ne l'était, mais sa réponse me pétrifia : « mon plus grand regret, c'est d'avoir rêvé ma vie plutôt que d'oser la vivre. Ainsi, vous ne le croirez pas, mais il n'y a eu qu'une seule jeune fille à m'avoir dit qu'elle m'aimait. En faisant cela, elle a semé en moi les germes de ce désespoir secret, de cette nonchalance latente avec laquelle je dois regarder le monde des relations humaines comme extérieur à ce que je suis. Cette extériorité revendiquée, cette source de la singularité contemplative de ce que vous tenez à nommer mon œuvre, provient simplement de cela : deux mots, je t'aime, prononcés un soir sans espoir, qui ont brisé à jamais ma conception du monde, et dont vous retrouvez les éclats dans mes films. »
Incroyable. Il n'avait rien oublié. Vingt ans après, il ressassait encore ça ! S'il en tourne, il aimait encore, il recherchait toujours sa Lorelei. Pauvre type ! Je le regardais pérorer à l'écran un moment avant de changer de chaine. Finalement, je terminais ma bière et j'allais me coucher. Les enfants dormaient déjà, ma femme m'attendait. Je me sentais vaseux et, vaguement, plutôt mécontent. C'est juste avant de m'endormir que je compris pourquoi. Franck avait rêvé sa vie, et, malgré son inadaptation aux relations humaines, il continuait, depuis vingt ans, et peut être jusqu'à sa mort, à vivre dans son rêve. Et, secrètement, je l'enviais.
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