Chapitre 5

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La neige avait cessé de tomber, et le vent ne soufflait plus. Seul le bruit de ses pas sur le sol gelé résonnait au cœur de cette immensité. Pourtant, elle avançait avec une joie toute enfantine au milieu de ce labyrinthe qui ne cessait de lui jouer des tours. Tantôt, il s’ouvrait devant elle, écartant certaines de ses branches, tantôt il se fermait, condamnant des passages et l’obligeant à continuer sa route ailleurs. Loin de se laisser abattre, elle reprenait son chemin, s’arrêtant parfois pour savourer la quiétude des lieux.

Autour de quelques lanternes, des papillons de nuit, visiblement très résistants face au froid mordant de l’hiver, voletaient gracieusement. L’un d’eux se posa sur la main tendue d’Alice, qui contemplait le spectacle en silence. De ses grands yeux noisette, la jeune femme observa l’insecte qui, étrangement, semblait lui rendre son regard. Cet échange dura un temps indéfinissable. Les longues ailes brunes du papillon frémissaient, ses antennes bougeaient parfois. Alice, elle, se contentait de cligner des yeux, immobile.

Lorsque le papillon prit enfin son envol, ses ailes soulevèrent un nouveau souffle de vent. Un souffle plus glacial que tous les précédents. Une à une, les lanternes s’éteignirent sous cette soudaine bourrasque, plongeant le chemin dans l’obscurité. Le cœur battant, Alice se retourna. Au loin, brillait encore quelques lumières que le vent n’avait pas encore touché. Comme si sa vie en dépendait, elle se raccrocha à cette infime lueur et se mit à courir, ne laissant derrière elle que des traces de pas.

Rapidement, Alice atteignit la première lanterne qui, à son approche, cessa de briller, ne laissant que ténèbres. Il en fut de même pour les suivantes, jusqu’à ce que, fatalement, l’une d’elle vacille et ne se brise sur le sol. Alice s’arrêta, les yeux rivés sur la flamme qui vacillait. Étrangement, elle continua de brûler, bravant les lois de la physique, luttant contre la neige qui aurait dû fondre et anéantir le feu qui continuait de consumer la flamme de la bougie.

La jeune femme fit un pas en avant, dans l’intention d’attraper l’objet et de s’en servir pour lutter contre le voile de la nuit. Alors qu’elle tendait la main, la flamme, comme dans une vision d’horreur, se mit à grandir, lui brûlant les doigts et se propageant dans les branchages du labyrinthe. Horrifiée, Alice se redressa, reculant vivement, la bouche entrouverte. Non, non ! Je ne veux pas que mon rêve s’étiole ! S’exclama-t-elle mentalement.

Lorsqu’elle sentit des larmes rouler sur ses joues, elle reprit brutalement contenance, se reculant un peu plus tandis que le feu illuminait le labyrinthe de part et d’autre. Quelques cendres s’élevèrent dans l'air, contrastant étrangement avec les flocons de neige qui s’étaient remis à tomber. C’est ça, la réalité. Ma réalité, songea-t-elle. Des cendres qui consument un bois déjà brûlé. Je n’ai plus rien à perdre, plus rien à donner. Ce labyrinthe sera bientôt un terrain dépouillé de toute sa beauté. Son dos heurta la haie du labyrinthe et ses doigts se refermèrent sur quelques feuilles tandis que son regard se perdait dans l’incendie qui se propageait.

Alice…

Le même papillon que tout à l’heure se posa sur le bout de son nez, la faisant sursauter. A nouveau, ils semblèrent se regarder. Attendait-il quelque chose ? Quoi ?

Le temps t’est compté.

La jeune femme plongea la main dans l’une des poche de sa veste et en ressorti la montre à gousset. Son pouce vint en caresser la surface avant de l’ouvrir, attendant d’y trouver une réponse. Déçue, elle s’aperçut que rien n’avait changé. La petite aiguille sur le six, la grande sur le douze. Rien d’autre. Un soupir franchit ses lèvres et elle rangea l’objet. Lorsque ses yeux se posèrent sur le brasier, une certitude demeurait : atteindre le centre du labyrinthe. C’était le seul moyen de s’en sortir, elle le savait.

* * *

- Alice n’a jamais été à sa place ici. S’il restait quelque chose à briser en elle, c’est bien ici que cela s’est produit…

Jonathan s’enfonça dans son fauteuil, joignant ses mains entre elles sur ses jambes croisées tandis que le docteur Godric reprenait un peu de café.

- En arrivant, elle s’est plongée dans un mutisme qui a duré plusieurs semaines. Elle refusait également de s’alimenter. Durant nos séances, nous nous fixions essentiellement dans le blanc des yeux… Lorsqu’elle s’est finalement ouverte, elle s’exprimait beaucoup par le dessin. Parfois, ils reflétaient un monde onirique, de larges prairies, des chevaux, des montagnes… Et parfois il n’y avait qu’une seule couleur : le noir, et des tourbillons angoissants. Plus elle grandissait, plus il était évident qu’elle n’avait pas sa place dans cette institution. Son tuteur lui rendait visite chaque semaine, et je crois que c’est lui seul qui décida de la fin de son séjour ici.

Jonathan se racla doucement la gorge.

- Vous avez eu de ses nouvelles lorsqu’elle est partie ?

- Quelques-unes… Je me tenais informé. Elle ne paraissait pas malheureuse, cependant elle avait un voile de mélancolie au fond des yeux, qui ne l’a jamais quitté je pense. J’ai appris qu’elle s’était mariée il y a deux ans de cela, à un homme plutôt riche.

Jonathan haussa vaguement les épaules avant de se lever pour faire le tour de la pièce, attentif à tous les détails. L’endroit était chaleureux, et non dénué de touches personnelles. Un cadre reposait sur une étagère, illustrant l’image souriante d’un enfant de cinq ans, les cheveux bouclés, le visage d’un ange.

- Vous avez des enfants ?

- Oui, répondit doucement le docteur Godric qui, à son tour se leva pour se placer aux côtés du professeur, Que comptez-vous faire, pour Alice ?

- Je ne sais pas encore. Je pense que j’irais la voir, c’est une jeune femme intelligente ; mes actes dépendront des siens, et elle le saura.

- Oui, c’est certain…

Jonathan fixa un instant l’image angélique du petit enfant sur la photo avant de s’en détourner et de se diriger vers la porte, sans une poignée de main pour son interlocuteur qui, ne s’en formalisant pas, le raccompagna jusqu’à la sortie.

- Bonne nuit, monsieur Around.

- Vous de même.

- J’espère qu’elle parviendra elle-même à retrouver son chemin, murmura le psychiatre en regardant Jonathan s’éloigner.



A SUIVRE.

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