52. Interview piégée

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Clémentine

Je refais mon chignon, les mains tremblantes, alors que j’entends Alex rire avec Lisa à côté. Bordel, j’aimerais être aussi détendue qu’eux, là tout de suite. J’étouffe dans cette salle de bain, à chercher comment avoir l’air à la fois professionnel et décontracté. Je me fous la pression toute seule, c’est épuisant d’être dans ma tête. J’ai enfilé mes sous-vêtements les plus sexys, comme si ça allait me donner plus d’assurance. Connerie ! Hormis l’inconfort du tanga en dentelle noire qui me rentre à moitié dans le popotin, aucune assurance supplémentaire n’est à noter.

Je vérifie une nouvelle fois mon maquillage dans le miroir quand la porte de la salle de bain s’ouvre du côté des Russes, me faisant sursauter.

— Fais comme chez toi surtout, bougonné-je avant de soupirer. Désolée…

— Je croyais que tu étais sortie, je n’entendais plus de bruit, me répond-il en me dévisageant avec son air gourmand habituel en ma présence.

— Pas besoin de faire du bruit pour stresser, je crois, ris-je nerveusement alors que ses yeux se promènent sur mon corps clairement pas assez habillé.

Il faut vraiment que j’arrête de me balader en sous-vêtements dans cette salle de bain… Enfin, j’ai au moins un petit boost de confiance en moi. Pas sur ma cuisine, certes.

— Pourquoi tu stresses ? Tu vas assurer ! Comme toujours, me dit-il d’une voix douce en posant ses mains sur mes épaules pour les masser légèrement.

— Arrête d’être aussi gentil, c’est… Merde, arrête, c’est tout, marmonné-je sans pour autant bouger.

Il ne répond pas et vient simplement se coller dans mon dos. Je sens son érection contre mes fesses alors que ses mains se posent sur mes hanches et sa bouche vient effleurer mon cou.

— Tu n’as aucune inquiétude à avoir, Clem. Tout va bien aller.

— Tu fais quoi, là ? Arrête Alex, dis-je d’une voix tout sauf convaincante alors que mon corps vient de me trahir en frissonnant.

— Je te déstresse, Clem, continue-t-il, mais je peux te laisser tranquille si tu préfères.

— Encore une minute alors… Juste une petite.

Je sens ses lèvres poursuivre leurs caresses alors que ses mains me pressent contre lui. Est-ce utile de dire que cette torture est délicieuse et que j’en oublierais presque qu’un journaliste doit se pointer au restaurant dans moins d’une demi-heure ?

— Alex… Stop, arrête, ris-je alors qu’il caresse mes flancs, me chatouillant au passage. Merci pour la distraction, mais je vais être en retard.

— Les jolies femmes se font toujours désirer, tu le sais bien.

— Pas avec tout le monde. Ce n’est drôle et excitant qu’avec certaines personnes, dis-je en me retournant contre lui.

— Tu trouves ça drôle ? Moi, je trouve ça frustrant, me confie-t-il en souriant.

Je sens ses doigts parcourir mon visage et le caresser doucement. Il est magnifique, doux et tendre, désirable.

— Ça l’est aussi, oui, mais… Ça en vaut la peine, je crois, rien que pour te voir frustré, ris-je avant de l’embrasser tendrement sur la joue.

— Pourquoi ma barbe peut profiter autant de tes lèvres alors que les miennes restent frustrées ? me demande-t-il en plongeant son beau regard dans le mien.

— Parce que j’approche du grand plongeon et que j’ai encore un peu d’appréhension… Quand on plonge, il n’y a plus de retour en arrière possible. Encore un peu de patience, beau blond… S’il te plaît.

— Je ne suis pas patient, me répond-il en déposant un nouveau baiser sur mon front brûlant de désir, mais pour toi, je veux bien faire une exception. Allez, dépêche-toi, le journaliste va arriver et tu vas enfiler quelque chose d’autre, j’espère.

— Je ne sais pas, je veux mettre toutes les chances de mon côté… T’en penses quoi ? Ça peut être pas mal, pour l’accueil, non ?

— C’est parfait, mais j’aimerais pouvoir croire que tu réserves ça aux personnes à qui tu tiens un peu. Tout le monde n’a pas la chance de t’admirer en sous-vêtements, rassure-moi ?

— En vérité, ce n’était réservé qu’à moi, ce matin, jusqu’à ce que tu débarques dans la salle de bain, ris-je, toujours pressée contre lui.

— Je ne regrette pas mon irruption. Mais là, je dois te laisser pour accompagner Lisa à l’école. Je serai de retour avant le journaliste, promis !

— Bien monsieur, file. A plus tard alors.

Je pose mes lèvres au coin des siennes rapidement et sors de la salle de bain tout aussi vite pour terminer de me préparer. J’ai longtemps hésité sur ma tenue, mais je finis par enfiler un pantalon noir basique et un tee-shirt tout aussi simple. C’est moi, ça, et pas un tailleur ou je ne sais quelle tenue guindée ou coincée. Le pantalon me fait de jolies fesses, mon voisin appréciera, et le col en V du tee-shirt, plutôt moulant, saura attirer son regard à coup sûr. Oui, je pense à ça aussi…

Je descends finalement au restaurant et enfile un tablier pour commencer à cuisiner en attendant l’arrivée du journaliste. J’ai ainsi moins l’occasion de penser, je fais ce que je sais faire et le stress ne me submerge pas. Quand Alexei revient de l’école, j’en suis à dresser mes mousses au chocolat dans des ramequins alors que mes tartes aux pommes sont au four.

— Vous n’avez pas été en retard, c’est bon ?

— Non, tout va bien. Déstresse ! Jolie comme tu es, ils vont te mettre en première partie du JT !

— Je ne suis pas là pour être jolie, Alex, soupiré-je en levant les yeux au ciel.

— Non, ça, c’est le bonus ! rit-il, toujours aussi peu discret quand il me mate alors qu’il enfile son tablier. Alors, aujourd’hui, on fait un steack frites à la parisienne ou bien une spécialité normande ? J’hésite…

— Comme tu veux, peu m’importe. Tu as envie de quoi ?

— Un petit lapin au cidre, ça te dit ?

— Oui, parfait, dis-je alors que la porte de la cuisine s’ouvre.

Qu’est-ce qu’il fout là, lui ? Hervé entre, accompagné du journaliste qui doit faire un reportage sur le restaurant, comme s’il était chez lui. Foutu con, avec son sourire lisse et sa tronche de François Pignon.

— Oh, Clémentine, s’exclame-t-il d’une voix mielleuse qui me donne envie de vomir. Je te présente Pierre, ma chérie, c’est lui qui va faire l’interview, avec Eric derrière la caméra.

Je jette un œil à Alexei, clairement sur le cul mais pas plus surpris que ça par son petit jeu de Tonton parfait.

— Bonjour, messieurs. Ravie de vous accueillir dans ma cuisine, dis-je en essuyant mes mains pour les saluer.

— Bonjour Madame, votre oncle nous a dit que vous n’aimiez pas trop parler devant la caméra et qu’il pouvait le faire si vous le désiriez. Vous confirmez ou bien vous allez quand même vous lancer ?

— Je n’ai surtout jamais eu l’occasion de le faire, mais comptez sur moi pour parler avec passion de ce restaurant que je connais sur le bout des doigts.

— Ah, mais c’est parfait, ça, dit le journaliste alors que mon oncle me lance un regard furieux. Avant l’interview, on peut vous filmer en train de cuisiner ? On peut vous filmer aussi, Monsieur ? rajoute-t-il en s’adressant à Alexei. Je pensais que vous étiez seule en cuisine, mais a priori, vous êtes deux.

— Pour la faire courte, mon pâtissier est malheureusement hors service depuis quelque temps, et j’ai assuré seule un moment avant que ma meilleure amie, puis Alexei, qui servait en salle, ne viennent me donner un coup de main l’un après l’autre.

— Ne filmez donc que ma nièce, Robert, le Russe là n’est pas un vrai cuistot, ça ne rendrait pas bien sur le film, intervient mon oncle qui essaie de reprendre la main en m’enfonçant.

Heureusement, le journaliste a l’air de n’avoir entendu que mon intervention car il ignore totalement mon oncle qui trépigne à ses côtés.

— On dirait que vous êtes une femme courageuse, Madame, je me trompe ?

— C’est la plus courageuse des femmes et elle a réussi à sauver le restaurant contre vents et marées ! Rien ne lui a résisté, n’est-ce pas Hervé ? intervient Alex, goguenard vis-à-vis de mon oncle.

— Je fais de mon mieux, souris-je après avoir fait un clin d'œil à Alex. J’ai grandi dans ce restaurant et je ne veux pas le voir fermer. Mais je suis globalement bien entourée, ça aide.

— Votre oncle nous a en effet dit que sans lui, vous n’en seriez pas là. Comment vous avez vécu les premiers mois au restaurant ? Vous pouvez nous expliquer en quoi c’était difficile ?

Je lève les yeux au ciel sans m’en cacher et lance un regard agacé à Hervé. Il ne doute de rien, ce taré, c’est fou !

— Hervé m’a aidée financièrement, oui, mais, soyons honnêtes, ris-je, et sans vouloir le dénigrer, il ne saurait pas différencier du fait maison de l’industriel. Les débuts ont été difficiles, d’autant plus que j’ai eu la malchance d’accumuler les galères, comme si j’avais un petit démon qui s’amusait à me mettre des bâtons dans les roues… Mais je m’accroche, à mes souvenirs, à mes engagements, et à ma passion pour la cuisine, à ce que mes parents m’ont appris, et au plaisir des papilles que je veux apporter aux clients amateurs de produits frais et de cuisine régionale.

— Des bâtons dans les roues ? J’ai cru comprendre que vos difficultés venaient du fait que vous manquiez d’expérience, je me trompe ?

Le journaliste a l’air de jubiler de l’orientation que prend son interview. Je crois qu’il a compris que mon oncle et moi, nous n’étions pas sur la même longueur d’ondes, et il doit entrevoir un angle pour son reportage. J’inspire doucement et prends le temps de réfléchir à ma réponse. Hors de question que tout ceci tourne au règlement de comptes.

— Vous savez, avant que mon père ne me lègue le Plaisir Normand, j’étais déjà cheffe d’entreprise. Alors, certes, il ne s’agissait pas d’un restaurant sur la côte, mais d’un petit Truck qui vadrouille dans le Sud, cependant j’avais déjà une certaine expérience dans la gestion. Et puis, j’ai tout appris d’une fabuleuse pâtissière, et d’un cuisinier dont la renommée n’est plus à rappeler dans la région. Il me fallait un peu de temps pour m’adapter, j’imagine, et le soutien sans faille de mes employés qui, pour la plupart, étaient déjà là lorsque mon père menait d’une main de maître son affaire.

— J’ai cru comprendre que ce n’était pas facile de travailler pour vous. Vous n’avez pas un chef qui a décidé de partir plutôt que de travailler avec vous récemment ?

Je fulmine car mon oncle a vraiment essayé de miner le terrain et de me discréditer auprès de ce journaliste qui est en train de noter toutes les contradictions alors que la caméra tourne toujours. Alors que je vais répondre à cette insinuation, c’est Alex qui intervient.

— Clémentine, c’est un ange. Sauf quand on ne fait pas son travail à fond. Quand on n’essaie pas de satisfaire le client au maximum, elle peut devenir comme une furie. Mais c’est normal, non ? Quand on fait de la bonne cuisine, il faut qu’elle soit vraiment bonne ! Sinon, ça ne sert à rien. Le chef qui est parti, il était juste bon à faire des pâtes trop cuites. Indigne d’un restaurant comme le Plaisir Normand !

— C’était un excellent chef, grommelle mon oncle. Et un vrai cuisinier, lui. C’est moi qui l’ai recruté.

— Bref, soupiré-je. Aujourd’hui tout va bien, Alexei et moi nous entendons à merveille en cuisine et le Plaisir Normand ne s’est jamais aussi bien porté depuis le décès de mon père. Tout ce qui compte, c’est de satisfaire les clients et de prendre du plaisir en cuisine.

— On peut vous filmer un peu en train de cuisiner tous les deux ? Cela donnera des bonnes images pour illustrer le reportage ?

— Bien sûr oui, aucun problème. Alex, c’est ok pour toi ?

— Aucun souci, c’est pour moi un vrai plaisir… Normand bien entendu ! dit-il faisant rire ainsi les deux journalistes.

Je souris en allant me laver les mains avant de reprendre la préparation de mes desserts. Si le travail de sape d’Hervé m’agace profondément, le soutien sans faille d’Alexei est une bouffée d’air frais. Ça fait du bien de pouvoir compter sur quelqu’un.

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