38. Menaces et remerciements

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Clémentine

Je remercie l’ouvrier qui me tend les clés des nouvelles serrures du restaurant. Hervé ne remettra jamais les pieds ici sans moi. Ce fils de… - Pardon mamie - a décidé de me faire couler, il peut bien rêver. Je n’ai jamais eu autant envie de me battre pour ce restaurant que depuis que je sais qu’il est allé jusqu’à engager Linguini et Alexei pour me mettre des bâtons dans les roues. La seule chose qui m’empêche d’aller chez les flics, à l’heure actuelle, a dix ans et est blonde comme les blés. Sans Lisa, je serais déjà allée porter plainte contre Hervé, et tant pis pour le paternel de la jeune fille, qui s’est lui-même impliqué dans cette merde. Oui, j’essaie de me convaincre que je m’en fous, de Thor. Pas facile, mais j’y travaille.

J’ai laissé le restaurant fermé durant trois jours. Une éternité qui m’a permis, au final, de me ressourcer un peu. Enfin, soyons clairs, je n’ai pas fait grand-chose hormis ruminer, en vouloir à la terre entière et à moi en priorité. Comment ai-je pu être aussi crédule, sérieusement ? Il peut bien me dire ce qu’il veut, le Russe, je n’arrive plus à croire un seul mot qui sort de sa bouche.

Je dépose les clés sur le plan de travail et reprends le travail. Il faut faire tourner le restaurant mais avec moi comme seule cuisinière, le défi est de taille. Je l’ai déjà fait, mais je ne me vois pas continuer sur le long terme. J’ai hâte que Mathilde arrive, autant pour m’aider en cuisine que pour me remettre les idées en place. Je déteste être dans cet état. Une seconde je me dis que je vais y arriver, l’autre je me dis que c’est impossible. Une seconde j’ai envie de croire qu’Alexei ne se foutait pas de moi durant nos tête-à-tête, l’autre je me dis que j’étais vraiment conne de penser qu’un type aussi canon puisse s’intéresser à une nana comme moi. J’ai la tête dans tous les sens et envie d’y croire chaque fois que mes pensées se tournent vers lui et moi, c’est-à-dire à peu près tout le temps depuis trois jours. Peut-on vraiment faire semblant ? Je veux dire… Je doute qu’il se shootait au viagra quand même, merde ! Ce mec me rend dingue même quand je ne le vois pas. Ok, j’ai compris que s’il m’avait menti, s’il bossait pour mon oncle, c’est pour Lisa. Je l’entends, mais ça n’excuse pas tout, si ?

Et une sauce cramée, une ! Bon sang, il faut que j’arrête mon cerveau. Ou du moins, que j’arrête de penser à Alex. Je balance la casserole dans l’évier en soupirant et reprends la préparation de ma sauce normande. Je découpe un nouvel oignon, qui a au moins le mérite de me faire pleurer pour autre chose que Thor et ma vie de galères, le fait rissoler avec du beurre pour le blondir quand le dieu Russe passe la porte de la cuisine.

— Oh… Pardon, je ne voulais pas te déranger, je..., dit-il, confus en faisant demi-tour.

— C’est l’oignon, t’emballe pas, marmonné-je en ajoutant de la farine dans ma poêle.

— Ah… Oui, je suis bête, évidemment, soupire Alex en venant récupérer l’ardoise où le plat du jour est détaillé.

Je ne réponds pas et m’attelle à mouiller ma préparation au cidre. J’ai reproduit ce geste des centaines de fois avec mon père et je crois que je pourrais le faire les yeux fermés. Je vois Alex qui, du coin de l'œil, approche.

— Ça sent bon, dit-il en observant les gamelles.

— Ouais… T’approche pas trop quand même, et garde tes mains loin du sel, ne puis-je m’empêcher d’attaquer.

— Clem, marmonne-t-il. Tu n’as pas à t’inquiéter, ça fait un moment que j’ai arrêté mes bêtises… Et, je n’ai pas fait grand-chose au final.

— C’est déjà trop. J’ai pas le temps de parler, sors, s’il te plaît.

— Tu veux un coup de main ?

— Non. Je peux me débrouiller seule. Retourne en salle.

Hors de question de l’avoir sous les yeux des heures durant. Et puis quoi encore ? Ce serait comme mettre un type au régime et l’enfermer dans une pièce avec son repas préféré sans qu’il puisse y toucher, ou coller une nympho dans une pièce remplie d’hommes nus alors qu’elle s’est décidée à l’abstinence.

Alexei n’insiste pas et sort de la cuisine. Je retrouve ma respiration, ou je la perds, je ne saurais dire. Ce type m’a retourné le cerveau et le cœur.

Je galère pour le service du midi, mais nous ne faisons pas salle comble, et heureusement. Je suis crevée, j’ai dû me lever encore plus tôt pour pouvoir faire les desserts, et les nuits sont plutôt mouvementées, ces derniers jours. Rien à voir avec mes nuits dans les bras d’Alex, là, la fatigue est en partie psychologique. Je m’empresse de ranger la cuisine une fois le service fini, et passe en salle pour découvrir Sonia et Alexei installés à une table, devant un café.

— On faisait juste une petite pause, Clémentine, se défend Sonia immédiatement.

— Vous avez bien raison, dis-je en déposant une clé devant elle. J’ai fait changer les serrures, je te laisse la clé pour fermer boutique. Je monte me reposer un moment.

— Ça marche, patronne. Tu devrais effectivement dormir, tu me sembles bien trop fatiguée pour quelqu’un qui a pris trois jours de repos.

— Faut croire que ce restaurant me prive de mon sommeil. A plus tard.

Je quitte rapidement la pièce et monte dans mon appartement. Je me laisse tomber sur mon canapé et mets mon réveil pour être sûre de ne pas être en retard, j’ai encore beaucoup de boulot pour le service du soir mais j’ai bon espoir de pouvoir dormir une petite heure histoire de garder les idées claires.

— Clem… Clem ?

J’ouvre les yeux pour tomber sur ceux d’Alex qui me secoue gentiment.

— Laisse-moi dormir, bordel, marmonné-je en lui tournant le dos. Tu me prives déjà de mes nuits, laisse-moi au moins ma sieste.

— Clémentine, ça fait au moins dix minutes que ton réveil sonne, il doit avoir réveillé tout le quartier.

— Il sonne pas, là, qu’est-ce que tu racontes ?

— Je l’ai arrêté, je supportais plus !

Je fais mine de ne pas remarquer sa main posée sur ma hanche alors que je ne sens plus que ça, et reste silencieuse un moment. J’ai honte d’encore apprécier le moindre contact avec lui mais, bon sang, un rien me fait du bien, même à travers le tissu de mon legging.

— J’ai l’impression de ne pas avoir dormi, soupiré-je en me retournant finalement vers lui.

— Je suis désolé, vraiment, murmure-t-il d’une voix faible. Mais je sais que tu vas y arriver. Tu n’as pas fait tout ce chemin pour abandonner là.

— Hum. Tu peux dire à ton patron que ce n’est pas au programme, en effet. D’ailleurs, si tu pouvais éviter de lui dire que j’ai l’air d’un zombie, ce serait cool…

— Ce n’est plus mon patron depuis longtemps, Clem. C’est toi ma patronne. Je n’ai plus rien à dire à ton connard d’oncle qui ne pense qu’à l’argent et pas à tout ce que tu fais ici. Bref, tu ne me croiras pas, mais sache que je suis là pour t’aider.

Je fais la moue et me lève finalement avant de prendre trop de retard.

— Merci de m’avoir réveillée, ça aurait été la merde, sinon. Comment va Lisa ?

— Elle m’en veut autant que toi. Elle n’arrête pas de me dire que je devrais m’excuser et que si je le faisais vraiment, tu me pardonnerais car tu es gentille. A part ça, ça va, je dirais.

— Ta fille vit dans le monde des Bisounours. C’est mignon, mais utopique… Je file, à tout à l’heure.

Je fuis littéralement mon appartement et dévale les marches en direction du restaurant. Je me prépare un café et me mets à la préparation du service du soir. Je ne sais pas si Lisa a raison. Est-ce que je peux lui pardonner ? La confiance est morte, la colère encore présente, et pourtant le manque de lui est déjà bien là.

— Bonjour Clémentine.

Oh non, c’est pas possible. Qu’est-ce qu’il fout là, lui ? Pourquoi est-ce que je ne me suis pas enfermée dans le restau, sérieux ? Quelle andouille !

— Qu’est-ce que tu veux, Hervé ?

— Je viens voir comment tu es en train de couler le restaurant. Trois jours de fermeture en fin de saison touristique, tu es folle ou quoi ?

— Une canalisation a pété dans la cuisine. Il a fallu que je me débarrasse de la merde qu’elle a laissée, marmonné-je, déjà fatiguée par l’échange qui va assurément déraper tant j’ai envie de le tuer.

— Tu sais aussi bien que moi qu’il n’y a pas eu de canalisation qui a pété. Pourquoi tu as fait la connerie de virer le chef que je t’avais envoyé ? C’était lui le seul qui maintenait le restaurant à flots ! Tu déconnes, Clémentine.

— Tu me demandes vraiment pourquoi ? Est-ce qu'Alzheimer te guette, cher Tonton ?

— Je ne vois pas de quoi tu parles. Je ne cherche qu’à t’aider, moi ! Et là, j’ai l’impression que tu deviens folle. Tu n’as même plus de chef ! Tu vas faire comment pour tenir ?

— Je suis cheffe ! Et tu m’aides autant qu’une mycose, bordel ! Arrête avec ton numéro à la con, je ne crois pas une seule seconde à tes conneries !

— Tu ne vas quand même pas croire toutes les inepties qu’a dites cet enfoiré de Terrence ? Il a dit n’importe quoi sous le coup de la colère ! Je devrais porter plainte pour diffamation !

Son ton mielleux et faussement outré m’énerve et m’insupporte au plus haut point. Je sens que je vais craquer.

— Si quelqu’un doit porter plainte, ici, ce serait plutôt Clem, intervient alors Alexei qui débarque dans la cuisine. J’ai quelques SMS et je pourrais témoigner au besoin.

— Alexei, toi aussi tu dis n’importe quoi, persifle mon oncle, visiblement secoué par l’intervention de son employé.

Enfin, j’aurais presque tendance à penser qu’il s’agit du mien, là.

— Tu vas vraiment continuer à nier ? C’est hallucinant. J’en reviens pas que tu cherches à couler le restaurant de Papa… T’as vraiment aucun cœur ! Il s’est saigné pour lui, et toi tu veux le faire cramer ?

— C’est Terrence qui voulait le cramer, pas moi. Ne mélange pas tout, Clémentine. Moi, je veux le sauver, ce restaurant. Et je ne crois pas que tu sois celle qui puisse y arriver, c’est tout, répond-il d’un ton froid et glaçant.

— Manque de chance pour toi, Papa pensait que j’en étais capable puisque c’est à moi qu’il l’a confié. Tu n’as rien à faire ici, sors de ma cuisine, de mon restaurant, et même de ma vie ! Si je deviens folle comme tu dis, toi tu l’es apparemment depuis un moment.

— Attends Clem, il faut pas le laisser partir, intervient à nouveau Alex qui a attrapé le bras de mon oncle. Écoute-moi, connard, je vais te proposer un truc qui va t’apprendre à ne pas jouer avec les mauvaises personnes. Tu vas rentrer chez toi et appeler ton notaire. Tu vas faire un acte de cession du restaurant dans sa totalité à Clémentine. Et tu vas faire ça pour un euro symbolique. Sinon, il y aura un dépôt de plainte et tu auras toute la communauté russe sur le dos. Jamais tu n’en réchapperas, est-ce que je me fais bien comprendre ?

Je vois dans le ton d’Alex qu’il est sérieux et je ne peux m’empêcher de frissonner à la vue de cet ancien militaire en train de menacer mon oncle, lui aussi visiblement sous le choc de cette menace.

— C’est hors de question, finit par répliquer Hervé. J’ai investi dans ce restaurant avant et avec Clémentine. Tes menaces en l’air ne me font pas peur. Quelle communauté Russe ? Tu n’as personne, ceux que tu connais veulent ta peau.

— Tu es un criminel, Hervé. Tu vas finir en prison, répond Alex qui le lâche néanmoins et s’éloigne un peu, troublé par les propos de mon oncle.

— Si les amis de Papa savaient ce que tu as mis en place pour couler le restaurant, soupiré-je. Vraiment, je ne comprends pas pourquoi tu agis comme ça. Ça aurait pu bien marcher, à deux, mais tu veux quoi, le raser ? Créer un hôtel ? Ce n’est pas ici que tu gagneras des mille et des cents, lâche l’affaire, sérieusement. Tout ce que je veux, moi, c’est que l’endroit où j’ai grandi, où j’ai vu mes parents s’aimer, le bonheur de mon père avant la mort de maman, continue à vivre. Tu peux m’envoyer dix Terrence ou Alexei, ça ne changera rien à mon acharnement. Je ne lâcherai pas l’affaire.

— Stupide romantique. Tu n’arriveras jamais à rien avec tous ces bons sentiments. En tous cas, je te préviens. Si tu tentes quelque chose contre moi, si je coule, tu coules aussi. Jamais tu n’auras ce restaurant si je ne l’ai pas. Mon frère était un con et c’est à moi qu’il aurait dû léguer le restaurant. A cause de lui, c’est la merde.

— Clem, tu veux que je le mette dehors ? me demande Alex, en s’approchant à nouveau de mon oncle, ses muscles prêts à intervenir si je le demande.

— Je veux bien. Aussi con qu’ait pu être mon paternel, tu bats tous les records, Hervé. Et stupide, en prime. Ce n’est pas en te léguant le restaurant qu’il aurait perduré et tu le sais. Sors d’ici.

— Dégage, et ne reviens plus, ou je m’occupe personnellement de toi, ajoute Alex qui attrape mon oncle par les épaules et l’emmène vers la sortie sans ménagement, n’écoutant pas ses protestations.

J’ai l’impression qu’il va lui mettre un coup de pied au cul, mais il se contente de le jeter dehors en claquant la porte derrière lui. Il jette un œil vers moi mais n’ose pas venir me parler, a priori, car il détourne le regard et se dirige vers le restaurant.

— Alexei ? Je… Merci. Allez, au boulot. Hors de question de lui donner raison, à ce con fini.

— De rien, Clem. Ce type a ruiné ma vie. Je le hais.

Je ne réponds pas et reprends mes préparations. Après la petite visite de Hervé, au moins je peux être rassurée quant au service du soir. Ça ne pourra pas être pire que ce moment. Dire que mon seul parent encore en vie est un connard fini qui veut me voir échouer… Je suis gâtée, vraiment gâtée.

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