18. Radiateur humain

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Clémentine

J’attrape la couverture sur mon canapé et sors sur la terrasse pour me lover dans le fauteuil, le téléphone à l’oreille.

— Vivement que la saison se termine. Tu rentreras ici, hein ? Tu me manques, Matou.

— Je vais voir. Tu sais que je n’aime pas rester sur place, et encore moins dans notre trou paumé.

— Je sais, soupiré-je. Mais je t’assure qu’on y est bien aussi, ici. Tu pourrais venir bosser avec moi, je t’apprendrais les plats de mon père et on serait toutes les deux en cuisine, comme dans le truck, dans la joie et la bonne humeur. Je veux retrouver ma meilleure amie…

— C’est toi qui m’as lâchée, Clem. Et je comprends pourquoi, je ne t’en veux pas, mais moi, je n’ai pas envie de tout lâcher.

— Je comprends. Mais je te jure que je vais l’emplafonner, le Terrence Migliano de mes ovaires ! C’était vachement plus sympa de cuisiner avec toi.

— Tu m’étonnes, tu pouvais voir mon cul à toute heure, rit-elle à l’autre bout du fil.

— Ouais, j’adore te voir te déhancher dans le truck et tout faire trembler.

— Tu m’étonnes ! Enfin, le mieux, c’est quand t’as ramené ce mec là, comment il s’appelait, déjà ?

— Enzo, ris-je au souvenir de cette soirée.

— Je te jure, de l’extérieur, j’ai eu l’impression qu’il y avait une mini tornade chez Clem et Matou !

— Crois-moi, ce mec n’avait rien de mini !

— Je me suis doutée au bruit, s’esclaffe-t-elle, je ne t’avais jamais connue aussi bruyante !

Je rigole en regardant la mer tranquille au loin. Mathilde est repartie pour le Sud avec notre Truck et j’ai l’impression d’avoir perdu ma seule famille, encore. C’est comme si tous les gens à qui je tenais se barraient ou mouraient. Mes parents, John, le serveur que remplace Alexei et qui est un vieil ami, Paul qui ne reviendra pas avant une éternité, maintenant Matou… Tout le monde s’éloigne. Ne manquerait plus que Sonia décide de devenir mère au foyer et je suis bonne pour la dépression.

— Clem ?

— Oui, pardon, j’étais perdue dans mes pensées.

— Au souvenir de l’étalon à cause duquel tu as eu du mal à marcher droit ?

— Roooh arrête, ris-je. Il était surtout très doué de sa langue. C’est fou que les mecs, dès le premier soir, y aillent franco. Tailler une pipe pour une première fois, beurk !

— Ouais, enfin, vous baisez, dans tous les cas. Dans ta bouche ou dans ton petit m…

— C’est bon, c’est bon, la coupé-je. Stop.

— Quelle prude ! Alors, t’en es où avec Thor ?

Je jette un œil à sa véranda et constate que les rideaux sont fermés. Faut dire qu’il est plus de minuit, et que si j’ai fini relativement tôt, j’aurais bien aimé aller dormir pour récupérer un peu de mes nombreux accrochages avec l’autre abruti. Mais c’est le jour du coup de fil à une amie, et je ne raterais ça pour rien au monde.

— J’en suis nulle part, Matou, dis-je en baissant d’un ton.

— Tu devrais te lâcher. Une nuit sans engagement, vous reprenez votre petite vie bien tranquille et basta.

— Non, y a trop d’attachement, maintenant qu’on bosse ensemble depuis un moment.

— Tu veux dire que tu le kiffes ?

— Que je le… Hein ? Nooon ! Mais...

Merde, est-ce que je le kiffe ? Non. Je ne crois pas. Enfin, il me plaît beaucoup, mais de là à dire que je suis amoureuse, il y a un monde, non ? Évidemment, j’aimerais beaucoup aller plus loin avec lui, mais j’envisagerais tout de suite plus qu’une nuit. Ce qui, en soi, est stupide, parce que je ne le connais pas vraiment au final. Alexei est tellement secret ! Il jette une info par-ci par-là sur lui, toujours au compte goutte, comme on garnit un plat en sauce.

— Mais ?

— Mais bon rien, je l’apprécie, c’est tout, soupiré-je.

— Je crois que lui te kiffe, en tout cas.

— Lui veut me foutre dans son lit.

— C’est déjà quelque chose.

— Mouais... Bref, comment tu vas ?

— Je suis sérieuse, Clem, tu devrais craquer, au moins, ce serait moins de stress.

— Si tu le dis. Oh, au fait, tu sais, j’ai imaginé dépecer Terrence et lui fabriquer une toque avec !

— T’es dégueulasse, Clem.

— Ou faire revenir ses testicules avec une petite sauce aux champignons et à la crème.

— Clémentine…

— Ce midi, je lui ai dit que s’il voulait poser ses couilles sur la table, il n’avait qu’à me prévenir, je sortirais mon plus beau couteau pour les lui couper.

— Clémentine Millon !

— Et je lui ai proposé d’en faire des brochettes. Je suis sûre que ça peut être très esthétique et faire une jolie présentation au milieu des poivrons, un peu grillés...

Voilà, elle a raccroché. Au moins, on ne parle plus d’Alexei. Je lui envoie un petit message de bonne nuit en riant tout seule comme une conne, et récupère mon café posé au sol, tiède à présent. Bien sûr qu’il veut me mettre dans son lit. Et après ? Et pourquoi ça me ferait chier que son objectif soit seulement de me foutre dans son lit ? Pourquoi, alors que ce serait tellement plus simple de ne vouloir de lui qu’un coup d’un soir, j’ai envie de plus ? Fait chier.

Je tourne vivement la tête en entendant la porte vitrée de mon voisin s’ouvrir. Il a les cheveux tout ébouriffés et a enfilé un tee-shirt par-dessus l’un de ses fameux boxers.

— Je t’ai réveillé ? Excuse-moi…

— Tu parlais avec qui ? me dit-il en baillant.

— Mathilde… Je lui racontais le plaisir que j’ai de bosser avec l’autre Cannelloni.

— Linguini, les Cannelloni, on les fourre. Tu veux quand même pas le fourrer, l’autre con ?

— Ah non, sans façon, ris-je. J’en ai fini avec Matou, si tu veux retourner te coucher. Promis, je serai silencieuse.

— Ah ouais ? D’habitude, quand tu raccroches, tu utilises ton truc pour te faire plaisir. Pas ce soir ?

— Bon sang, occupe-toi de ton joli cul, beau blond, bougonné-je en lui faisant une place sur le petit fauteuil. Il fait frais ce soir, si tu comptes m’enquiquiner, viens sous la couverture. Ce serait dommage que tu tombes malade. Enfin, j’ai besoin de toi, moi.

— Euh, tu es sûre ? C’est vrai que je ne voudrais pas tomber malade… Mais tu sais, le froid ne me fait rien.

Il vient s’installer à côté de moi et me bouscule, un peu maladroit, mais se colle contre mes jambes, m’apportant en effet toute sa chaleur.

— Une vraie bouillotte, j’aurais dû t’inviter plus tôt, ris-je. T’es pas en colère parce que je t’ai réveillé ? D’habitude j’ai le droit à une petite remarque…

— Ben j’allais râler et puis tu m’invites sous ta couverture. Je n’ai plus rien à dire vu que je peux m’approcher du Saint Graal.

— Du Saint Graal ? Vraiment ? Tu veux dire des seins tout court, non ?

Il ne peut s’empêcher de baisser les yeux vers mon décolleté et je le sens poser sa main sur ma cuisse.

— Disons que la vue est agréable, mais tu le sais déjà que je te trouve superbe.

— Ça ne fait jamais de mal de l’entendre une fois de plus, soupiré-je en posant ma tête contre son épaule. Ça me change de toutes les remarques désagréables de Linguini.

— Moi, j’aime bien te voir te rebeller comme ça. Tu as l’air si farouche. C’est pas désagréable à mater.

— C’est pas désagréable ? T’es aussi dingue que moi alors. Je me trouve ridicule quand je repense à quel point je m’énerve avec lui. Il a le don de me faire sortir de mes gonds comme personne, et je suis sûre que mon oncle savait que ça ferait des étincelles…

— Oui, tu devrais arrêter de répondre à ses provocations. Ça ne mène à rien. Tu donnes tes ordres. Il va le faire. Personne ne peut te résister.

Alexei caresse machinalement ma cuisse et je ne peux réprimer un frisson. Je tourne la tête vers la mer, à la fois mal à l’aise de cette proximité alors que je lui refuse plus, et tellement bien, là, tout contre lui. Je soupire en remontant la couverture contre moi.

— Mon oncle résiste, c’est de la mauvaise herbe et j’ai beau y mettre toute l’eau de cuisson des pommes de terre possible, il est encore là.

— Il veut le restaurant et il est prêt à tout pour ça, dit mon voisin dans un soupir.

— Je suis prête à tout pour le garder, j’ai une promesse à tenir. Et si je dois m’y enchaîner seins nus en faisant une grève de la faim pour ça, je le ferai, sans hésiter…

— Ah oui ? Tu me fais une démonstration ? Si tu veux t’entraîner, n’hésite pas…

— Ben voyons ! T’es vraiment un profiteur, toi, m’amusé-je.

— C’est toi qui profites de ma chaleur. Moi, je voulais juste dormir.

— Si je voulais vraiment profiter de ta chaleur, c’est pas comme ça que je serais installée, crois-moi !

— Ah oui ? Et comment tu serais alors ? me lance-t-il, un air de défi dans la voix.

— Hum… Alors, déjà, je pense que je mettrais mes jambes comme ça, ris-je en passant mes jambes au-dessus des siennes. Et… Merde, là je suis mal, je vais avoir froid partout sauf aux jambes. Non…

Je ris en me levant, faisant mine d’étudier la situation. Les yeux d’Alexei se promènent sur mon corps sans gêne aucune, et je suis bien contente, en l’entendant se racler la gorge, de n’avoir mis qu’un petit short de nuit et un débardeur. Après quelques secondes d’hésitation, je baisse les bras théâtralement.

— Le problème, c’est que pour vraiment profiter de ta chaleur, je risque de t’étouffer, et toi tu vas bander comme un âne, et on sera tous les deux mal à l’aise, en fait.

— Je ne suis jamais mal à l’aise quand je bande. Si tu as vraiment froid, soit tu viens dans mes bras, soit tu rentres chez toi, mais ne reste pas là comme ça !

Est-ce que j’ai vraiment froid ? J’avoue que maintenant que je suis debout, avec le petit vent, je n’ai pas très chaud, et il le repère sans aucun doute vu le regard qu’il lance à ma poitrine. Est-ce que c’est vraiment parce que j’ai froid ? Peut-être… Un peu ? Je sais que je ne dois pas craquer, et ce n’est même plus une question de patronne et d’employé. Je veux juste préserver mon cœur de sensible, caché derrière ma grande gueule. Pourtant, jouer un peu et se chercher est au final tout aussi excitant que de succomber à la tentation. Au moins, dans ces moments-là, j’entrevois son sourire, ses yeux rieurs, gourmands, et j’ai un peu plus l’impression de le voir vraiment. En dehors de ces moments, il reste une muraille infranchissable et ça fait encore plus flipper l’organe vital qui bat la chamade dans ma cage thoracique alors que je me décide enfin et tire la couverture pour venir m’installer à cheval sur ses genoux. Je me presse contre son torse et enfouis mon nez dans son cou.

— Je crois que c’est le mieux pour profiter de ta chaleur, mais je ne vois plus la mer.

— Oh, désolé si la vue ne te plaît pas, mais au moins, j’espère que je te réchauffe bien, me répond-il en caressant mon dos pour me serrer contre lui. Et tu vois, je ne suis pas mal à l’aise, au contraire !

— T’en as de la chance, parce que moi j’ai l’impression d’être aussi chaudasse que les filles l’autre soir au bar, ris-je en glissant mes mains fraîches dans son dos à mon tour.

— Je peux t’assurer qu’elles n’avaient pas la moitié de tes charmes.

Sa main vient caresser mon cou et ma nuque. Je sens son érection à peine séparée de l’étoffe de nos sous-vêtements et je m’amuse à m’y frotter un peu, histoire de vraiment bien réchauffer l’atmosphère.

— C’est pas très sérieux, tout ça, soupiré-je en caressant sa joue barbue du bout de mes doigts.

— Et qu’est-ce qui n’est pas sérieux ?

Il ponctue sa phrase d’un petit baiser dans mon cou et je sens sa barbe qui vient me chatouiller la peau. Une de ses mains a trouvé le chemin sous mon tee-shirt et caresse doucement la peau de mon dos.

— Un câlin plus qu’amical d’une patronne avec son employé, deux voisins qui fricotent, surtout quand l’un est ami avec mon oncle… Mais ça fait du bien aussi, ça brise un peu la solitude.

— Ce n’est pas désagréable, en tous cas. Oublier le monde extérieur… Par contre, je ne suis pas ami avec ton oncle. C’est un homme odieux.

— Ah, je pensais… Je vous ai vus discuter tous les deux le jour de l’arrivée de Terrence.

— C’est lui qui m’a recruté, oui. C’est tout. Je n’approuve pas ses méthodes, dit-il en se refermant comme il sait si bien le faire.

— Bien… J’ai plus très chaud, tu es devenu un véritable glaçon en un quart de seconde, soupiré-je en me réinstallant à côté de lui.

— Désolé, jolie Clémentine, je… Je suis comme ça parfois. Ne m’en veux pas.

— Je ne t’en veux pas, ça vaut mieux comme ça au final. Je vais aller me coucher, il est tard. Bonne nuit, Alexei.

Je me lève et dépose un baiser sur sa joue alors qu’il attrape la main pour me retenir. Il reste ainsi quelques secondes mais, ne me voyant pas réagir, soupire et lâche l’affaire. Je regagne rapidement mon appartement. Quelque chose me dit qu’au final, il est d’accord avec moi. Je sais qu’il a conscience qu’il me plaît, et il ne fait quasiment rien pour me faire craquer. L’homme des glaces reprend toujours ses droits à un moment ou à un autre. Et ça devrait m’alerter un peu qu’il n’essaie pas vraiment, non ? Qu’est-ce qu’il a vécu, qu’est-ce qui se passe dans sa tête pour qu’il vrille, passant du brasier à l’iceberg en un quart de seconde ? Ce type est un mystère et, malheureusement pour mon palpitant, c’est aussi excitant qu’inquiétant d’essayer de le percer à jour.

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