08. La vilaine du collège

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Clémentine

Il y a un moment que je n’ai pas passé autant de temps devant mon armoire, à me demander ce que je vais bien pouvoir mettre. Les jolies femmes… J’ai souvent droit au “tu as un si joli visage, dommage que tu ne fasses pas plus attention à ton poids” ou trucs dans le genre, mais un homme qui me trouve jolie et le dit ouvertement… Entendons-nous bien, j’arrive à me trouver des mecs pour quelques nuits et j’ai déjà eu des relations suivies, mais j’ai davantage droit au “j’aime tes formes” plutôt qu’au “je te trouve jolie”. Quand je suis bien dans ma tête, je suis bien dans ma peau et j’assume ces courbes, mais en ce moment, tout est bien trop compliqué pour que je me sente sensuelle et désirable. D’un autre côté, depuis la mort de mon père, je ne suis pas sortie, je n’ai pas cherché à me caser ou à passer une agréable nuit. Pas le temps, pas l’envie, pas le courage.

J’enfile finalement une petite robe d’été couleur corail, dos nu qui se noue sur la nuque et m’oblige à abandonner l’idée d’un soutien-gorge. Heureusement, elle est assez serrée au niveau de la poitrine et la maintient en créant un joli décolleté, avant de s’évaser sur mes hanches. L’arrière est long, descendant jusqu’à mes chevilles, quand le devant s’arrête au-dessus de mes genoux. Autant dire qu’il m’est nécessaire de lâcher les baskets pour enfiler des petites sandales que j’ai achetées dans le sud. J’attache rapidement mes longs cheveux bruns en un chignon haut et laisse tomber l’idée du make-up pour éviter de prendre du retard. J’attrape mon petit sac en bandoulière et sors de mon appartement pour aller frapper à celui de mon voisin. Alexei est prêt et m’ouvre dans un petit short bleu clair décontracté et un tee-shirt gris ajusté. Il a encore les cheveux humides de sa douche et lisse sa barbe de sa grande main en faisant courir ses yeux sur mon corps.

Je ne sais pas ce qui m’a pris tout à l’heure. Jamais je n’aurais imaginé, ce matin en me levant, que je me retrouverais nue devant lui et l’assumerais. Enfin, à moitié. Il a clairement apprécié ce qu’il voyait et moi je ne voulais qu’une chose, me cacher derrière cette serviette. Son regard me trouble énormément, et savoir qu’il connaît à présent ce lieu où j’aime me réfugier, où j’aime me baigner sans avoir le regard de qui que ce soit, me gêne doublement. Je crois que je ne pourrai plus me baigner dans cette petite crique cachée le matin, nue comme j’ai l’habitude de le faire depuis des années.

Je descends les marches sans un mot alors qu’il me suit, et nous sortons par le petit portillon en bois, côté mer, pour gagner la rue principale en contrebas. Il est encore tôt et la ville se réveille petit à petit. Lorsque nous arrivons au marché, il n’y a pas grand monde et Marc, le poissonnier, m’interpelle immédiatement.

— Tiens tiens, voilà la p’tite Millon !

— Bonjour Marc, souris-je en contournant l’étal pour lui faire la bise. Je te présente Alexei, mon nouveau serveur.

— Bonjour, lui dit Alexei en lui tendant la main.

Marc le salue chaleureusement et commence à lui parler de ses poissons avec passion, pendant que je regarde les soles. Ce sont de beaux bébés et j’ai hâte de les cuisiner, accompagnés d’une sauce normande.

— Marc ? Pour demain, tu me prépareras des soles, des moules et des crevettes, s’il te plaît ?

— Oh, tu fais le plat de ton père ? Je vais peut-être venir déjeuner !

— Oui, il fait fureur, ce plat, souris-je. Tu es le bienvenu, tu le sais !

— Je sais ma p’tite, mais ça me fait bizarre de revenir au Plaisir Normand sans voir ton père.

— Je comprends, soupiré-je. Ça me fait encore bizarre aujourd’hui.

Le vieil ami de mon père me sourit tristement et presse mon épaule de sa main. Marc m’a vu grandir, a connu ma mère, et venait dîner tous les vendredis soir au restaurant avec sa femme et ses trois enfants. Voilà pourquoi le restaurant de Papa marchait aussi bien : il avait ses habitués, qui ont tous ou presque quitté les lieux à sa mort, ne me donnant aucune chance de poursuivre l'œuvre du Chef Millon.

Nous saluons le poissonnier avant de nous rendre sur le plus beau et le plus coloré étal du marché avec tous ses fruits et légumes. Maude et Jean me saluent chaleureusement à leur tour avant que je ne leur présente Alexei.

— Alors, comment allez-vous ?

— Aussi bien que possible avec ce soleil et cette mer. Tu dois avoir froid et trouver la mer trouble après ton séjour dans le sud, rit Jean alors que je commence à sélectionner les produits en les lui tendant au fur et à mesure.

— Non, ça va. La Manche fraîche me manquait, et mon lit est plus confortable que le matelas gonflable de ma tente.

C’est vrai, même si j’aurais préféré rester là-bas avec Matou. Je ne sais pas ce qui me manque le plus. Le Sud ? Non, pas vraiment, ou peut-être juste l’accent chantant des régionaux. Le truck ? Un peu oui. Tout était plus simple avec mon petit camion. Des sandwichs avec des produits frais, des salades, des desserts plus élaborés, aucun jugement de nos clients par rapport à la réputation de mon paternel. Matou ? Assurément. Le temps devient long et je suis à deux doigts de la supplier de rentrer pour me donner un coup de main ici et m’apporter le soutien moral qui m’est nécessaire.

Après avoir passé un moment avec ce couple de quinquagénaires agréables, nous nous baladons sur le marché pour gagner l’étal du boucher. Alexei est plutôt silencieux, les fruits et légumes dans les bras, et observe les alentours avec ses yeux de lynx, comme il l’a fait avec le restaurant ou la cuisine lorsqu’il est arrivé.

J’adore l’ambiance des marchés, même s’ils sont un peu parasités par les touristes en plein été. Cela ne change rien au plaisir que je prends à venir ici, et je ne crache pas sur les touristes parce qu’ils permettent au restaurant de faire du chiffre. La balade est agréable jusqu’à ce que je croise le regard d’une vieille connaissance. Je m’en serais bien passée, assurément ! La ravissante Marion fend la foule en approchant de moi, un sourire aux lèvres, mari et enfants aux basques.

— Oh Clem ! Quelle surprise de te voir !

— Bonjour Marion. Stéphane, dis-je poliment sans oser trop regarder ce dernier dans les yeux.

Je suis à la recherche de ma confiance en moi. Marion, c’était mon bourreau au collège. Une jeune et belle adolescente qui avait tout pour elle : la beauté, la réputation, les parents riches, le petit-copain populaire, les bonnes notes. Bref, comparé à moi qui étais déjà bouboule, qui n’arrivais pas à me concentrer en cours, n’avais qu’un cercle très restreint d’amis, pas de petit copain… Bref, j’étais devenue son sujet de moquerie favori, et forcément ce fut le cas de tout son petit groupe d’imbéciles de potes. Pire encore quand ils ont appris que j’en pinçais pour le fameux Stéphane. Dieu merci, je ne les ai pas suivis au lycée puisque je suis partie en CAP cuisine.

— Tu ne nous présentes pas ? Attends, tu t’es enfin trouvé un mec ? Mais comment tu as fait pour séduire un aussi bel homme ? rit-elle et j’ai envie de fuir loin d’ici dans la seconde. Qu’est-ce que vous lui trouvez, à notre bouboule nationale ? Le Sud t’a réussi pour le teint, mais certainement pas pour les kilos, Cléboule.

La nana a assurément mûri en devenant adulte, hein ? J’ai beau avoir quitté le collège il y a maintenant onze ans, cette dinde me hante encore. Vingt-six ans et toujours intimidée par cette fille au charisme naturel, c’est ridicule. Le ton se veut gentillet, mais je la connais, et les mots sont blessants quoi qu’il en soit.

— Bonjour. Vous êtes toujours aussi méprisante avec vos amis ? demande un Alexei d’un ton froid et sec, l’air de rien, mais qui fait ressortir son côté slave d’une manière très tranchante.

— Oh c’est amical, rit-elle, même si elle semble un peu déstabilisée. Clémentine et moi nous connaissons depuis longtemps, elle sait bien que je plaisante.

— La prochaine fois que vous plaisantez sur ses magnifiques courbes, je vous coupe la tête, dit-il le plus sérieusement du monde, jetant un froid glacial entre nous, avant de reprendre quelques longues secondes après, en souriant. Je plaisante, bien sûr.

— Votre humour n’a rien de drôle, intervient Stéphane, les sourcils froncés.

— C’est vrai, je m’en excuse, répond-il en tendant la main, arborant un franc sourire. J’essayais de me mettre au niveau de votre amie, ce n’était pas très malin. Je suis Alexei. Ravi de vous rencontrer et désolé pour ma susceptibilité. J’ai juste horreur qu’on dévalorise les jolies femmes.

— Marion n’est pas toujours très subtile, lui répond mon crush du collège en serrant la main de mon voisin, mais elle n’est pas méchante.

— Enchanté, Marion, et merci pour le compliment alors.

Je reste médusée devant cet échange auquel je n’ai pas eu le temps de participer. Je suis à la fois ravie qu’Alexei ait pris ma défense et remis Marion à sa place, et surprise de la facilité avec laquelle il a retourné la situation pour faire oublier les menaces qu’il a prononcées. Je ne sais pas si je dois être contente d’avoir trouvé un protecteur ou en colère qu’il ne m’ait pas laissée me défendre. Je ne suis plus une petite collégienne mal dans ma peau, même si je vacille encore parfois, et j’aurais pu la remettre à sa place moi-même. Je tente de ne pas prendre la mouche, mais une part de moi est tout de même agacée. Cependant, j’essaie de rester sur le positif : Alexei a, une nouvelle fois, dit que j’étais jolie, et n’a même pas démenti une possible relation entre nous. En soi, on en est loin, puisque je ne suis nul autre que sa patronne, mais il a le mérite de ne pas donner plus de poids aux remarques de Marion.

— Bien… On va vous laisser faire votre marché tranquillement, nous avons des choses à faire avant l’ouverture du restaurant. On y va, Alexei ?

— Il faut venir au restaurant, on y mange bien, dit mon serveur en s’adressant à mes amis qui le regardent avec curiosité venir m’enlacer et me serrer contre lui. La cuisine est équilibrée, on ne prend pas de kilos superflus, mais on y mange des carottes et il paraît que ça rend aimable.

J’éclate de rire, surprise par la volubilité du taiseux qui m’accompagne et par sa nouvelle petite pique à l’égard de mon amie. J’essaie de ne pas trop penser à son bras autour de ma taille pour rester concentrée sur la conversation. Je me dis aussi que ce n’est pas le meilleur moyen de les convaincre de venir mais, à ma grande surprise, Marion rougit et répond, un peu gênée :

— Oui, nous viendrons, promis. Nous n’y sommes jamais allés et ce serait formidable de pouvoir découvrir ta cuisine, Clem !

— Nous vous accueillerons avec plaisir, dis-je le plus naturellement possible. La vue est sublime, en plus.

— A bientôt alors.

Lorsque nous nous éloignons, toujours le bras d’Alexei qui m’enserre, je sens le regard de mes anciens camarades de classe sur nous. J’ai l’impression que Marion a flashé sur le beau russe qui m’accompagne et qu’elle se demande comment la bouboule que je suis a réussi à mettre la main sur cet homme sublime et mystérieux. J’avoue que j’apprécie la sensation et que je ne fais rien pour me dégager de son étreinte, arborant un large sourire aux lèvres alors que nous nous approchons de la marchande de fromages de chèvre frais à qui mon père adorait acheter ses petits crottins qui sont si délicieux et font la joie des clients. Je me dégage malgré tout gentiment avant que Maryse, la fermière des fromages, ne nous repère. Il me jette un regard un peu déçu mais reprend vite son air naturel, impassible. Fini le rôle du petit copain, revoilà Thor dans toute sa splendeur.

— Merci pour le coup de main, mais j’aurais pu me défendre toute seule.

— C’était pas pour te défendre, c’était pour l’attaquer. J’aime pas les connes, me répond-il, toujours en prononçant le moins de mots possible, on dirait.

— C’est la reine des connes, tu vas t’épuiser, soupiré-je en m’arrêtant devant un stand de fleurs qui n’est pas souvent là.

— Je suis inépuisable, me lance-t-il en me regardant de ses magnifiques yeux bleus plein d’un désir contenu qui me fait frissonner.

— Elle n’en vaut pas la peine, elle est justement trop bête pour comprendre que ça ne sert à rien de s’acharner sur les gens. Bref, on s’en fout de cette dinde qui mériterait d’être fourrée et mise au four.

— Oui, trop bête pour se rendre compte de ce qui est joli ou pas, dit-il en m’inspectant de la tête aux pieds avant de s’éloigner de moi sans un mot de plus.

Je le regarde un instant et j’avoue que la succession de ses compliments sur moi me fait vraiment du bien. Je pourrais facilement m’y habituer, à toutes ces petites douceurs qu’il me distribue régulièrement. En revanche, j’ai du mal à faire avec son côté slave et froid, changeant et tranchant. Le contraste entre la chaleur de ses yeux et la froideur de ses interventions, la plupart du temps, le rend d’autant plus secret et intrigant. Percer le mystère Alexei ne va pas être une mince affaire.

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