04. Vengeance tendue

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Clémentine

Je bougonne en désactivant l’alarme sur mon téléphone. Si je suis du genre pile électrique, le réveil, lui, doit se faire en douceur. Je me tourne dans mon lit et serre mon oreiller contre moi avant de m’étirer. C’est parti pour une nouvelle journée au restaurant. Une journée de galère, sans doute, pour changer. C’est difficile, vraiment difficile, de tenir un établissement comme celui-là, avec cette réputation, maintenant que mon père n’est plus de ce monde. J’ai beau faire la forte, plus ça va et plus je sens mon moral se fragiliser, ma motivation s’estomper et mes angoisses prendre de l’ampleur. J’ai peur de ne pas y arriver, peur de ne plus avoir d’autre choix que de vendre à Hervé. Mon paternel était un cuisinier hors pair, et s’il a essayé de me former, je pense ne pas lui arriver à la cheville, malheureusement. Cuisiner ses plats, c’est comme tenter une reproduction d’un Picasso, d’un Monet ou de je ne sais quelle toile célèbre, on touche du doigt au but sans jamais réussir à y mettre l’âme qui fait tout dans l’original.

Je soupire en me levant. Ce n’est pas en ruminant que la journée va bien débuter. Un sourire démoniaque doit s’afficher sur mon visage quand j’ouvre le rideau de la petite fenêtre de ma chambre donnant sur le port. Hier soir, mon nouveau serveur et voisin a déconné. Aujourd’hui, il va payer. Hors de question que je laisse passer ça, et hors de question de me sentir gênée devant lui. Je traverse ma petite pièce de vie et vais ouvrir en grand la véranda. L’air de la mer s’imprègne immédiatement dans mes narines et le soleil, déjà levé, réchauffe l’atmosphère.

Après un rapide passage à la cuisine pour lancer la cafetière, je file ouvrir la porte de la salle de bain. Alexei voulait de la discrétion, il va être servi. J’allume ma télévision et y branche mon ordinateur avant de chercher une musique qui me permettra de bien me réveiller. Je monte le volume du home cinéma et lance un morceau de Metallica. Même moi qui m’attendais à un bon volume, je sursaute. Si le pervers dormait encore il y a quelques secondes, nul doute qu’à présent, ce n’est plus le cas.

Je baisse les yeux sur ma tenue et me dis que je provoque tout de même un peu. Autant dire que me montrer comme ça devant un quasi inconnu, en petite culotte et débardeur qui moulent tout ce qui m’insupporte, ce n’est pas mon genre. Sauf s’il s’agit d’une soirée de plaisir, sans implication, sans lendemain, avec un mec qui apprécie les formes, au premier abord. Cela n’a pas semblé déranger Alexei hier soir, mais pour assurer le coup, je fouine dans mon armoire et en sors une nuisette noire qui ne cache pas grand chose de ma peau encore bronzée de mon début d’année dans le sud, si ce n’est les conséquences premières de mon métier. Foutus kilos en trop.

Je doute qu’il vienne me voir, mais je me prépare quand même à la confrontation en dégustant mon café, assise sur mon fauteuil, sur la terrasse. Avec une telle vue sur mer, le réveil est parfait. Un peu bruyant, mais l’idée d’emmerder mon voisin était trop tentante et vaut la peine que je sacrifie ma tranquillité.

Je suis perdue dans mes pensées, fredonnant les paroles de la chanson suivante de ce groupe de metal, quand je vois une ombre recouvrir mon corps. Bingo.

— C’est quoi ce bordel ? Ça va être comme ça tous les matins ? me lance-t-il, visiblement excédé, en matant cependant clairement mon décolleté.

— Oh, bonjour très cher voisin ! Pardon, j’avais oublié votre présence.

Je le dévisage et constate qu’il doit sortir du lit. Sa tignasse blonde n’a clairement pas été coiffée et il ne porte en tout et pour tout que le même boxer qu’il avait hier. Dans mon excitation et ma colère, je n’avais pas remarqué, mais il a un corps musclé à souhait et je vois ses abdos bien dessinés. Il a aussi des tatouages que j’ai du mal à distinguer, éblouie comme je le suis par la lumière du soleil que son corps dissimule à moitié. Je vois juste une ancre qui recouvre tout son avant-bras. Ses yeux bleus clairs ont viré au gris et il semble prêt à me bondir dessus.

— Vous avez juste envie de me faire chier, c’est ça ? fulmine-t-il en me montrant du doigt.

— Moi ? Mais non, enfin ! J’ai l’habitude de vivre seule, ici, je n’avais pas pensé que vous étiez là, je vous assure, lui dis-je avec un air innocent.

Si son regard pouvait lancer des éclairs, je crois que je serais au milieu de la pire tempête qui ait jamais rugi sur ma Normandie natale. Il est visiblement excédé et moi, je jubile. Oubliant la tenue dans laquelle je suis, je remonte une jambe, attirant malencontreusement son attention sur ma quasi-nudité. Et Monsieur semble apprécier les formes et les rondeurs. Je constate avec un plaisir que j’aimerais réprimer que son boxer se tend. Mais il a l’air d’avoir envie d’autre chose que la gaudriole car il me toise du regard avant de se pencher et de venir chuchoter à mon oreille juste assez fort pour que je l’entende au dessus de la musique :

— Soit vous arrêtez cette horreur, soit, c’est moi qui le fais, Malychka.

— Je vais baisser le volume, mes excuses, Alexei, loin de moi l’idée de vous déranger.

Je réprime le frisson qui a pris naissance sur ma nuque à cause de son souffle et de sa voix grave, me lève et lui souris innocemment avant d’entrer dans mon appartement pour aller considérablement baisser le son. Lorsque je me retourne vers la terrasse, j’ai tout le loisir de le griller en train de me reluquer assez peu discrètement. Merci, jolie nuisette.

— Voilà, dis-je en souriant, la voix mielleuse. Je serai plus vigilante, à présent. Encore toutes mes excuses, Alexei.

— La prochaine fois, je vous préviens, je rentre chez vous sans prévenir et j’éteins tout. Même si vous êtes en train de vous foutre un gode au fond de vous, grogne-t-il dans sa barbe.

— Oh, mais je ne me masturbe pas sur du Metallica, voyons ! Sacrilège, ris-je en sortant mon tapis de Yoga de mon placard ainsi qu’un legging, que j’enfile sous ses yeux clairement gourmands. Bonne journée, voisin, on se voit au travail !

— Je ne suis pas viré ? me demande-t-il, incrédule.

— Viré ? Pourquoi ? Parce que vous vous planquez derrière ma plante pour mater ? Non, mais gare à votre entrejambe si vous recommencez, je n’aurai aucun scrupule à prendre mon couteau le plus aiguisé pour couper tout ce qui se trouve sous le peu de fringues que vous portez.

— Donc, si je veux mater, il ne faut pas que je me planque ? C’est noté, me répond-il, amusé, en continuant à me dénuder du regard.

D’habitude, ce genre de regards me met totalement mal à l’aise, mais là, je sens une douce chaleur se répandre dans tout mon corps, et je suis toute excitée de le voir aussi intéressé par le spectacle que je lui offre. Je ressors sur la terrasse, le frôlant au passage, et y dépose mon tapis.

— Contente de voir que vous êtes plus loquace qu’hier, dis-je en me penchant en avant, dos à lui et face à la mer, pour commencer mes mouvements.

— Je vais aller me recoucher, maintenant que la tranquillité est revenue. Je commence à quelle heure ? marmonne-t-il. Quand je l’observe, entre mes jambes, je constate qu’il lutte contre son excitation. Il a la mine renfrognée, certes, mais il est émoustillé par la vision de mes fesses dressées vers lui alors que je fais un salut au soleil. J’ai vraiment l’impression qu’il est à deux doigts de venir poser ses mains sur mon cul et je ne sais pas si je l’en empêcherais. Je suis vraiment trop en manque, c’est pas possible, parce qu’une part de mon cerveau est à deux doigts de m’ordonner de me redresser pour venir frotter mes fesses contre l’érection qui déforme de plus en plus clairement son short.

— Onze heures, profitez-en. Demain, je vous emmène au marché du coin, on y va chacun notre tour pour récupérer les produits frais, il faut que je vous présente à mes fournisseurs locaux.

— Je crois que je vais finalement aller m’installer sur la chaise longue, là-bas. Je n’ai plus trop envie de dormir et la vue ici est vraiment magnifique, continue-t-il en me matant toujours sans gêne alors que je fais des mouvements pour étirer mes jambes.

— Vous verrez moins bien du rez-de-chaussée, vous savez. Vous devriez prendre le fauteuil. Profitez du calme de la mer, ça vous détendra.

Je reste volontairement vague dans mes propos, jouant sur tous les double-sens possibles. La haie cache la vue de la mer, du rez-de-chaussée, et il sera bien plus loin de moi. Quant à son côté tendu, on peut parler de son humeur autant que de ce qu’il se passe sous son boxer. Je débloque totalement, à jouer comme ça. Alexei est un employé après tout, mais ce jeu est drôle et quelque peu émoustillant. Et puis, je doute qu’il s’attende à être rembarré.

— Et où je peux avoir la meilleure vue, alors ? Je ne sais pas quel angle de visionue choisir, me dit-il sans se démonter et en tirant le fauteuil pour se rapprocher de moi.

Il s’assoit et je vois son sexe dressé sous son boxer, juste à hauteur de mes yeux pendant que je suis agenouillée à ses pieds en train de me cambrer pour bien étirer mon dos. Se faisant, ma tête se retrouve dangereusement près de son entrejambe.

— Vous tournez le dos à la mer, la meilleure vue est derrière vous ! dis-je en tentant tant bien que mal de ne pas fixer ses parties intimes.

Il se retourne et observe un instant l’eau bleutée et les reflets du soleil, avant de revenir poser son regard sur moi. Je sens son hésitation sur la conduite à tenir. Je crois que j’ai enfin réussi à perturber Thor et cela me donne un plaisir que je ne devrais pas ressentir.

— Je… Oui, vous avez raison, sûrement, me répond-il sans toutefois détourner son regard.

— Bien sûr, vous comprendrez vite que j’ai toujours raison. Même quand j’ai tort, souris-je en me redressant avant de prendre la position du chien tête en bas.

Je sens ma nuisette glisser le long de mon corps, dévoilant mon dos à sa vue et j’imagine ses yeux posés sur mes fesses que je mets bien en l’air. J’essaie de rester concentrée sur mes positions, mais mes pensées dérivent vers ce qui se cache sous son sous-vêtement. Visiblement, je l’excite, mais Monsieur est déterminé à rester bougon plutôt que de venir en profiter. Bougon, ou professionnel ? Toujours est-il que je ne sais pas si ça me rassure ou si ça m’agace.

— Vous êtes une vraie patronne, donc. On ne peut pas vous contredire ?

— A quoi bon me contredire, puisque j’ai toujours raison ? soupiré-je en me redressant.

— D’accord. A vos ordres alors, cheffe !

— Parfait, dis-je me plantant face à lui. Maintenant, est-ce que vous pourriez arrêter de me regarder comme si j’étais le morceau de viande le plus alléchant de l’étal et rentrer votre cul chez vous ? Autant, je me disais qu’hier soir, vous aviez une excuse, autant aujourd’hui, hormis jouer le pervers voyeur, je ne vois pas en quoi vous pensez légitime de vous installer comme ça et de me mater ouvertement, en vous imaginant je ne sais quoi de pervers si j’en crois votre érection !

Je croise les bras sous ma poitrine pour accentuer mes dires. Oui, je sais, j’abuse, j’en ai bien profité, mais il vaut mieux couper court à ces conneries avant d’en faire une plus grosse. Et, de cette façon, lui aussi sera sans doute gêné par la suite, puisque je le grille clairement excité alors que je ne fais que du Yoga.

— Oui cheffe, soupire-t-il sans même se révolter, à ma grande déception.

Il se lève et va s’appuyer contre la balustrade de la terrasse. J’admire les muscles de son dos et vois qu’il arbore un autre tatouage sur son omoplate. On dirait un lynx ou en tous cas, un félin prêt à bondir. A chacun de ses mouvements, on a l’impression que les pattes de l’animal bougent en rythme avec lui. Il reste là, sans plus me regarder, mais totalement perdu dans ses pensées, son agréable petit cul moulé dans le tissu. Faut que j’arrête de mater comme ça et que je me trouve un mec pour combler mon manque, c’est pas possible.

Je sens que lui et moi, ça va être compliqué. Ce mec a l’air secret à souhait, et n’est pas très loquace. Et puis, il y a un truc qui me chiffonne, sans que je parvienne, pour le moment, à comprendre quoi. Je me dis que c'est sûrement parce que mon oncle me l’a quasiment imposé, au travail, et dans ma vie personnelle en lui proposant l’appartement libre à côté du mien, et j’espère que ce n’est que ça. Je ne sais finalement pas trop sur quel pied danser avec cet homme qui, au demeurant, fait son taf sans problème et s’adapte vite. Paul et moi ne l’avons pas eu dans les pattes en cuisine hier, quand Sonia est toujours là où il ne faut pas rien qu’en venant chercher les plats, malgré le fait qu’elle travaille ici depuis des années.

— Vous venez d’où, Alexei ? lui demandé-je en m’étirant.

— De l’Est, répond-il sans se retourner.

Réponse courte et sans fioriture, on a connu plus précis comme localisation. Je ne demande pas des coordonnées GPS, mais quand même, un pays, au moins ? Un vrai taiseux, ce mec…

— Ça fait longtemps que vous êtes en France ?

— Oui, vous trouvez que j’ai trop l’accent ?

— Non, non, du tout, je suis juste curieuse… D’où vous connaissez mon oncle, au fait ? Vous ne m’avez pas répondu hier. Vous travailliez où, avant ? Je n’ai même pas vu votre CV. Et, dites-moi, ça veut dire quoi Maly-je-ne-sais-pas-quoi ? Vous me l’avez dit deux fois hier, ça m’intrigue.

Il se retourne lentement et pose son regard bleu sur moi, me donnant l’impression d’être littéralement transpercée de part en part alors que j’essaie de déterminer s’il est plus gris que bleu, à cet instant.

— Malychka, ça veut dire fillette.

Puis, sans un mot de plus, il me laisse là et retourne dans son appartement sans m’adresser un autre regard. Malgré la douceur qui règne en ce matin d'août, je frissonne et ce n’est pas du plaisir de le sentir tout proche de moi comme tout à l’heure. J’ai l’impression que ce qu’il vient de me dire sonne comme un au revoir froid et distant, comme si un monde entier nous séparait.

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