Chapitre 15. Ascenseur émotionnel.

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Ma gorge s'assèche, j'ai soif, et faim. Sa main se tend vers moi. Je ne bouge pas attendant de savoir quoi faire. Quand, finalement, ses doigts s'emparent des miens, je ne peux m'empêcher de trouver sa peau douce. Il faut que j'arrête d'être une usine à compliments involontaires. Comme une prévention, le visage de David se calque sur celui de Stan. Ils sont bien tous les deux. Comme électrocuté, il me lâche et m'ordonne de le suivre. Puisqu'il a l'air décidé à me faire la tête, je m'autorise à penser à autre chose. Je divague un peu sur David et essaye de deviner ce qu'il devient, seul dans ces égouts. La mélancolie prend possession de mon esprit quand je l'imagine mort, ou changé en ces êtres qui m'ont terrorisée dans l'armoire, ou encore mourant, blessé par des rats. Stanislas, une fois de plus se retourne pour me lancer un regard acéré. D'un ton froid, éloigné, il m'ordonne d'avancer plus vite.

Sa chemise ne semble pas trop lui manquer. Accrochée à mon épaule, elle a stoppé l'hémorragie et n'a désormais plus sa couleur d'origine. Avec mes doigts, j'effleure ma plaie de nouveau, elle a l'air de s'être un peu refermée. Tant mieux. Il faut tout de même que je ne fasse pas de gestes brusques. J'ai perdu trop de sang, j'ai trop faim, trop soif et on a trop marché. J'ai envie de m'arrêter mais il va me crier dessus, il marche déjà vite pour mettre de la distance entre nous. Il s'accroupit, soulève une grille et saute. Je ne le vois plus, je ne sais pas où est la grille. J'ai envie de crier mais ma gorge est sèche et mes lèvres sont craquelées. Des points noirs commencent à obstruer ma vue. Pour la deuxième fois, je m'évanouis, abandonnée. Plus tard, quand je reprends connaissance, mon inconscience m'a paru une éternité et la première chose que je vois est le visage de Stan, très inquiet. Il ne paraît plus fâché. J'ouvre la bouche, et aussitôt un liquide coule. C'est agréable mais l'eau ne me semble pas potable, ce doit être l'eau des égouts. Il pose sa main sur mes yeux et dépose quelque chose dans ma bouche. Quand je lui demande, il me dit que c'est de la viande. Je me demande si c'est du rat, seul animal que j'aie vu ici, mais je n'ose pas formuler ça à voix haute, trop peur de la réponse.

— Ne cherche pas à savoir et mange !

— Tu n'es plus fâché ?

— J'ai eu tellement peur quand, dans ma tête, tous s'est éteint ! J'ai cru que tu étais morte, Sélène, je suis ressorti aussi vite que j'ai pu et ton corps m'a paru si loin ! Quand j'ai su que tu n'étais qu'évanouie, je t'ai porté jusqu'a la grille pour aller te chercher de quoi manger et j'ai attendu. La peur a effacé la colère.

Il se tait, mais il y a un truc qui le perturbe. Je pose ma main sur sa joue, et, posément je cherche à lui tirer les vers du nez. Je sens sa mâchoire se serrer sous ma paume, si fort que je m'attends presque à ce qu'il grince des dents. Il finit par se lancer d'un ton amer :

— C'est qui ?

— Pardon ?

— Celui que tu as vu mort, blessé, seul, changé en monstre. Celui qui t'a rendue mélancolie et avec lequel tu m'as comparé.

— Oh. C'est David. C'est le premier de notre espèce que j'ai rencontré et qui a quitté le groupe pour sa transformation. Il te fait peur ?

— Il ne me fait pas peur. Je tiens à toi autant que tu tiens à moi. Mais tu tiens aussi à lui et je ne sais pas s'il tient à toi. C'est un concurrent. C'est de toi que j'ai peur au final.

— De moi ? Je ne comprend plus rien là...

— J'ai peur de tes sentiments.

— Pourquoi ? Je ne comprends toujours pas ! C'est moi ou lui le problème ?

— Vous deux.

— Un coup c'est moi, puis lui et ensuite nous deux. Tu trouves ça clair toi ?

— Non, tu as raison je vais essayer d'être plus compréhensible. Toi. Tu m'apprécies et tu l'apprécies, ok ?

— Hmm, oui.

— Bon. Mais moi, je t'apprécie aussi.

— Si tu le dis, oui. Et ?

— Le problème, c'est que je ne sais pas combien il t'apprécie, car c'est certain que si, il t'apprécie aussi. Donc, j'ai peur que tu le préfères à moi.

— Essaie de ne pas trop t'en faire, moi-même j'ignore lequel de vous je préfère.

— Tu as forcément une préférance au fond...

— On peut parler d'autre chose là ?

— Ça te gêne.

— Et puis tu connais mes sentiments, tu peux éviter de le dire à voix haute, même si l'on est seuls. C'est une mauvaise habitude.

— Tu as raison.

— On peut repartir ? J'ai une dernière question, pourquoi cette soudaine affection alors que l'on ne se connait que depuis quelques heures ?

Il ne répond pas, se contentant de hocher la tête pour signaler qu'il faut repartir. Nous ne reparlons pas. Pour qu'il soit tranquille, j'essaye quelque chose que je n'avais jamais eu besoin de faire avant ; fermer mon esprit et emprisonner ce que je ressens. Avec patience et calme j'y arrive. Stanislas me jette un coup d'oeil intrigué, avec un sourcil arqué. Je l'entend soupirer, mais je ne veux pas qu'il se sente rejetté, je ne veux juste pas tendre l'atmosphère avec me pensées. Nous progressons a notre rythme dans les égouts. Brusquement, une crampe me tord le ventre, peu de temps après, une douleur reconnaissable se fait ressentir dans mon bas-ventre. Oh p..., non mais c'est pas vrai ! Pourquoi maintenant ? J'interpelle Stan :

— Continue sans moi je te rattraperais.

— Quoi ? Mais qu'est ce qui t'arrives ? J'ai fait un truc qu'il ne fallait pas ?

Comme je suis paniquée, je ne réponds pas et laisse juste mes pensées faire surface. Il rougit quand il comprend. Et part en courant... Pendant quelques minutes je reste plantée là en me disant qu'il va revenir. Je me demande si je n'ai pas inventé cet allié momentané... Une subtile envie de pleurer me prend, je la refoule du mieux que je peux. Comment vais-je faire ? Que vais-je faire ? Rester ? Partir ? Je ne ferais décidément pas une bonne héroïne ; dans les livres et les films, les femmes n'ont jamais ce problème cyclique, elle n'abandonnent pas non plus leur groupe et n'ont pas autant de malchance physiquement. Elles ont de la chance. Je suis pitoyable, d'autant plus qu'il ne revient pas. Pourquoi il a fallu que ça m'arrive ? Sal... de planète ! Me voilà coincée dans les égouts, seule. Jurer ne me sert à rien. Je m'allonge par terre, sur le dos. Je trouverais une solution plus tard, alors que le sang chaud coule sur moi.

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