Chapitre 7

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Hunter

  

  La conversation avec le Près’ tourne dans ma tête putain. Allongé sur le truc qui me sert de lit, les mains derrière la tête, je fixe le sommier de celui du dessus en réfléchissant. Amber est de plus en plus ingérable. Elle crée pas mal d’emmerdes. Anchor l’a déjà prévenu de ne pas franchir la ligne, qu’il n’hésiterait pas à la punir ou à la foutre dehors. Mais elle n’en à rien à carrer. Elle persiste à le défier. Et ça va mal finir pour elle. Mon frère n’est pas du genre clément, encore moins avec une gonzesse qu’il ne peut pas encadrer.

  Est-ce que j’en ai quelque chose à foutre? Non. Mais je n’apprécie pas qu’elle se serve de moi pour arriver à ses fins. Putain, qu’est-ce que j’ai été con. Elle balance à qui veut bien l’entendre au club, que je lui ai demandé d’être ma régulière, que mon arrestation m’aurait empêché de l’annoncer et de concrétiser la chose. La salope. Jamais putain. Elle rêve. Jamais je ne l’aurais choisie comme régulière, même aux abois. Mon frère m’aurait arraché la tête avant que j’ouvre la bouche.

  Bien qu’il sache à quel point depuis quelques temps j’ai envie de me poser, jamais il n'aurait accepté Amber. À chaque fois qu’elle ouvre sa gueule, il a juste envie de l’éclater. Et cette idée m’arrache un putain de sourire. On est deux aujourd’hui. Faut dire que sa voix de crécelle en agace plus d’un, mais dès qu’elle a la bouche pleine, elle fait des prouesses. Curieusement, penser à toutes les pipes qu’elle a pu me tailler ne m’excite même pas. Savoir qu’elle fout le bordel me met en rogne. J’ai pas vraiment besoin de ça.

  En même temps, est-ce qu’une fois cette gonzesse a montré un peu d'intérêt et de compassion pour quelqu’un d’autre qu'elle-même ? Elle est restée dans mon plumard, nuit après nuit, à me regarder me débattre avec des cauchemars tous plus terrifiants et réels les uns que les autres. Des scènes de guerre. J’étais de retour en Afghanistan. Des cadavres par centaines. Hommes, femmes et enfants. Elle m’a entendu hurler dans mon sommeil. M’a observé me réveiller en sueur, le regard perdu à espérer la présence de Bri pour m’apaiser. Je pensais lui avoir suffisamment foutu la trouille.

  Certes, j’ai merdé putain. Je l’ai baisé de manière presque exclusive ces derniers mois. Suffisamment pour qu’elle pense que je pourrais la choisir comme régulière? Sûrement. Putain, pourtant j’ai toujours été clair. Franc. Direct. Je me suis même comporté comme un vrai connard. J’ai baisé d’autres brebis, histoire que le message passe bien. Mais rien à faire, Amber est tenace. Putain, mon frangin m’avait prévenu. Ce qu’elle veut c’est pas moi, mais ce que mon rôle au sein du club peut lui offrir. Parce que même après lui avoir expliqué sans ménagement qu’elle ne serait jamais ma régulière, que la place était prise et mon coeur aussi, qu’Anchor avait émis un veto ferme et définitif, que ça ne lui laissait aucune chance, elle a continué de faire comme si de rien n’était. Et aujourd’hui, elle profite que je sois en taule pour tenter d’arriver à ses fins, putain ! Quelle salope !

  À bien y réfléchir, le Près’ et mon frère n’ont peut-être pas tort, elle est complètement barge. Jamais ils ne la laisseront faire, mais j’aurais préféré régler les choses à ma manière. Parce que quoi qu’il en soit, elle s’est bien foutue de ma gueule. Je l’ai laissé s’approprier mon pieu sans résister ou l’envoyer chier parce que j’allais mal. Avec le décès de ma mère, les regrets, la colère, la culpabilité me rongeaient. Ne pas avoir pu lui dire que je l’aimais une dernière fois. Lui demander pardon pour être parti et l’avoir blessée. Ne pas avoir pu la serrer une dernière fois dans mes bras… Un poids se loge à nouveau dans ma trachée, pèse sur ma poitrine et m’empêche de respirer correctement. Des griffes invisibles me lacèrent les tripes. Je les ai laissées seules. Toutes les trois, mais seules. C’était le prix à payer pour qu’ils les laissent en paix. Mais chaque heure de chaque jour a été une véritable torture depuis.

  L’armée m’a permis de tenir l’éloignement géographique et de ne rentrer qu’à de très rares occasions. J’y ai connu mon meilleur pote, celui qui est devenu mon frère, Anchor. Et on forme une putain d’équipe. Il sait que nos missions m’ont laissé plus de cicatrices qu’il n’y paraît, que mes cauchemars me laissent peu de répit. Il sait aussi à quel point Bri compte pour moi. Et bien qu’il se foute de ma gueule quand je tourne en rond en attendant de ses nouvelles, il a toujours su à quel moment se servir d’elle pour m’arrêter avant que je ne disjoncte.

  Bri. J’en reviens toujours à elle. Comment faire autrement ? Elle occupe toutes mes pensées et ce depuis tellement longtemps. Je ne me rappelle pas comment nos mères se sont rencontrées, ni le lieu ou les circonstances, mais je me souviens avoir croisé une paire d’yeux bleus incroyables. J’ai été comme hypnotisé, incapable de m’en détacher. Mon cœur s’est mis à battre très fort dans ma poitrine de petit garçon et tout un tas de sentiments indescriptibles m’ont traversé. Je n’étais qu’un gamin, mais j’ai su tout de suite que je ne pourrais jamais oublier ces yeux.

  À partir de là, je ne l'ai jamais quittée. Et déjà gamin, je ne supportais pas que les autres l’approchent. Bri a toujours été timide et introvertie, sauf avec nous. Donnant l’apparence d’une fillette fragile, rêveuse et son regard si particulier ne l’aidait pas vraiment. Les autres se moquaient souvent d’elle, mais ça ne semblait jamais l’atteindre. Comme si elle était dans sa bulle, hermétique au monde qui l’entourait.

  Moi, en revanche, ça me rendait dingue. Hors de question que qui que ce soit s’en prenne à elle. J’ai connu mes premières bagarres pour la défendre. Et je ne me suis jamais arrêté. Fier d’être son preux chevalier, j’aimais la voir arriver en courant pour me stopper et m’éviter des ennuis. C’était devenu un rituel entre nous. Je la défendais des autres et elle m’évitait les punitions. Ce que j’aimais par-dessus tout, c’est quand elle se plaçait devant moi, en protection. J’admirais cette force qui émanait d’elle. Elle était plus petite, plus fine et ça ne l’empêchait pas de me défendre avec hargne face aux adultes et de ne rien lâcher jusqu’à obtenir gain de cause. Quand j’y pense, ça m’arrache un sourire. Défendre les autres, plaider, putain, elle a ça dans le sang.

  Puis, on est devenu ado et les hormones s’en sont mêlées. Elle est devenue magnifique. Jolie brune, fine et élancée aux courbes ravageuses avec un regard à tomber. Les mecs bavaient en la matant putain et ça me rendait de plus en plus barje, sans pour autant que je sois capable de lui avouer mes sentiments. J’étais un p’tit con. Je voulais me la jouer caïd. Je passais mon temps avec mes potes à éclater tous ceux qui lui adressaient le moindre regard. Mais la donne avait changé. Je n’étais plus un gamin. Bri n’accourait plus pour me défendre et si elle l'avait fait, devant mes potes qui étaient tout aussi cons, mon ego en aurait pris un sacré coup et je l’aurais sûrement envoyé chier ! J’ai cherché un moyen de lui faire comprendre qu’elle me plaisait, mais à chaque putain de fois que j’en avais l’occasion, je me comportais comme un connard.

                     ***

  On est dans la chambre de Bri, seuls depuis un moment déjà. Je suis assis sur son lit, dos au mur, les jambes étendues et elle est couchée la tête sur mes cuisses en train de bouquiner, pendant que je lui caresse les cheveux et que mon cerveau surchauffe. Ces moments de proximité avec elle sont de plus en plus fréquents, et putain, c’est le pied ! Quand ma sœur n’est pas là pour nous casser les couilles, c’est le paradis ! J’aime ces moments avec elle, près d’elle. Simples. Calmes. Intimes. Comme si mon cœur parlait au sien en silence. J’aime pouvoir la toucher, la caresser et qu’elle me laisse faire. Je me sens bien. Détendu. Serein. Apaisé. Moi-même.

  On se parle peu. Faut dire que je ne suis pas du genre causant. J’ai imaginé dix mille fois la manière de lui dire ce que je ressens et chaque fois que j’en ai l’occasion, je bloque. J’ai une putain de trouille de dire une grosse connerie. Bri est une tronche. Une de ces nanas brillantes qu’il est difficile d’impressionner pour un type comme moi. Bon, c’est vrai, je suis beau gosse et je plais aux gonzesses. Là-dessus aucun doute. Mais elle… Est-ce que je lui plais? Là, rien n’est moins sûr putain. Je ne sais pas si je suis son genre. En même temps, est-ce qu’elle passerait autant de temps avec un mec qui ne lui plait pas? Mais ce qui me fout carrément les boules, c’est si elle n’éprouvait pas la même chose ? Si elle me rejetait ? Merde. Je me fige à cette pensée. Ça m’arracherait le cœur et les tripes, putain. Plus de petits moments intimes tous les deux. Plus de caresses. Anéantie cette intimité entre nous. Aucun moyen de la fuir et de l’éviter. Ma frangine est sa meilleure pote et nos mères sont amies. Ce serait la grosse merde !

  — Adam? Est-ce que ça va?

  Elle a posé son bouquin sur son ventre et me fixe de ses beaux yeux bleus. La tension dans mes muscles a dû l’alerter. Merde. Installé ainsi, j’ai tout loisir de l’observer. Elle est tellement belle. Ses traits fins, ses longs cils, ses yeux magnifiques et ses lèvres que je rêve d’embrasser. Ma main est suspendue au-dessus de sa joue. J’ai arrêté mes caresses, captivé par le spectacle. Je plonge dans cet océan saphir qui continue de me fixer, inquiet. Ça me fout toujours autant la trouille pourtant. Parce que j’ai toujours la sensation qu’elle lit en moi comme dans un livre ouvert, qu’elle peut déceler chacune de mes émotions, de mes pensées. Et là, je suis clairement focalisé sur l’envie irrépressible de l’embrasser... Et si j’essayais… Mon cœur tambourine à cette idée. Mon cerveau carbure. J’aimerais trouver les mots. Là. Maintenant. Les yeux dans les siens. J’aimerais lui dire à quel point elle est belle et combien elle compte pour moi. Que mon coeur ne bat que pour elle. Que je ne vois qu’elle.

  Elle fronce les sourcils et je perds pied.

  — Sandra Martin, dis-je sans réfléchir.

  Elle se redresse sans me lâcher du regard, fronce un peu plus les sourcils et finit par s’asseoir près de moi. Putain ! Sandra Martin ! Mais quel con ! Merde !

  — Sandra Martin, répète-t-elle en me dévisageant pour essayer de comprendre où je veux en venir.

  — Ouais, je… Elle a… Enfin, tu vois, bafouillé-je, en matant sa poitrine avec insistance.

  Les sourcils toujours froncés d’incompréhension, elle me regarde m’enfoncer comme un connard sans comprendre. Maintenant, pas le choix. Je dois aller au bout, sinon elle va capter qu’il y a un truc pas net.

  — Bah ouais, elle a une putain de poitrine ! Et j’essaie de me la faire depuis une semaine, mais je galère, lâché-je, presque dégoûté de moi-même. Ça me prend la tête !

  Je vois un éclat de déception traversé son regard, de la tristesse aussi et j’en crève. J’ai fait éclater notre bulle. Juste parce que j’ai la trouille. De me prendre un méga râteau. De ne pas savoir gérer si mes sentiments n'étaient pas partagés. De la perdre. Je crève de trouille et ça empire à chaque fois qu’elle plante son regard saphir dans le mien. Parce que je le sais, elle y voit mon coeur, mon âme.

  — Et si tu m’en parles, c’est parce que…

  — Bah... T’es une nana après tout.

                      ***

  Le regard qu’elle m’a lancé ce jour-là, je m’en rappellerai toute ma vie. Il m’a transpercé le cœur, fendu l’âme. Je l’ai blessée et pourtant, elle m’a donné tous les conseils possibles pour réussir à baiser Sandra Martin, que je n’ai même pas approché finalement. Après ça putain, je m’en suis voulu. J’aurais aimé m’excuser. Lui dire que je m’étais comporté comme un vrai connard. Mais je n’en ai pas eu l’occasion. C’est la dernière fois qu’on a partagé un moment d’intimité.

  Quelques semaines après, Suzanne, la mère de Bri, mourrait renversée par un chauffard et la vie de mon ange basculait. Tout comme la mienne. Elle se débattait avec la souffrance engendrée par cette perte et la réalité de sa situation d’orpheline, avec ce putain de placement en foyer. Regarder la peine, la tristesse et la colère imprimer ses traits me retournait les tripes. Face à la distance imposée par ma connerie et à l’impuissance que je ressentais à la voir si malheureuse, j’ai complètement vrillé. De rage de ne pouvoir la soutenir, d’être là pour elle, je combattais illégalement pour la première fois et explosais mon adversaire sans difficulté.

  Je me suis rapidement fait un nom, malgré mon jeune âge. J’étais de moins en moins présent à la maison ou en cours. Ma mère me prenait la tête mais putain, j’avais besoin d’un exutoire. La voir comme ça m'était insupportable. Alors la rage déferlait lors des combats clandestins. Après avoir mis K.O. plusieurs de leurs hommes, la mafia italienne s’est emmêlée et c’est là que les emmerdes ont commencé.

  Les Italiens voulaient que je combatte pour eux. Au début, c’était cordial. Les propositions alléchantes, mais putain, pas suffisamment pour que je risque une balle entre les deux yeux. D’autant que la Bratva a des moyens et méthodes dont les autres ne disposent pas. Les Russes et les combats clandestins, c’est comme moi et mon cuir, indissociable.

  Au fur à mesure des mois, mes refus et victoires ont clairement mis en rogne les Italiens, qui ont durci le ton. Menaces, intimidations, rixes. Ils exigeaient que je me couche, que je truque les combats en m’allongeant devant leur meilleur combattant. Hors de question. L’idée de tricher m'écœurait. Mais par-dessus tout, renoncer à la seule chose pour laquelle je suis fait me foutait carrément les nerfs putain. En y repensant, j’étais jeune, ça aurait dû me foutre la trouille. J’aurais dû tout stopper, mais j’avais mis le doigt dans quelque chose qui me dépassait. Arrêter aurait mis en danger ma famille… Et Bri.

  Alors j’ai fait ce que je sais faire de mieux, j’ai combattu avec encore plus de hargne. Plus ils redoublaient de violence, plus ma rage augmentait. J’explosais, massacrais mes adversaires sans une once de remords avec une seule crainte qui décuplait ma rage, qu’ils s’en prennent à elles. Les Russes veillaient sur elle, c’était le deal. Mais on était pas à l’abri d’un coup d’éclat. Les relations avec ma mère et Nina se détérioraient à mesure de mes absences, bleus et blessures qui s’accumulaient. Mais l’argent que ça rapportait permettait à ma mère de s’en sortir sans avoir à enchaîner les heures de boulot. Elle le refusait toujours par principe, mais la réalité de notre situation ne lui laissait pas le choix de l'utiliser.

  Les relations avec mon ange n'étaient pas aussi détériorées qu’avec ma frangine et ma mère. Elle était toujours présente pour moi, putain. C’est elle qui pansait mes plaies, autant physiquement qu’émotionnellement. Sa seule présence suffisait à adoucir n’importe quelle douleur. Ses doigts sur ma peau m'arrachaient des frissons. Sa douceur était un baume réparateur pour mon cœur en souffrance. Une heure passée auprès d’elle rechargeait mes batteries, même si je n’étais pas plus loquace pour autant. Les occasions de lui parler se succédaient, mais ma situation ne m’y autorisait pas. Il était hors de question de la mettre plus en danger qu’elle ne l’était déjà. Et je n’avais plus rien à lui offrir. Même si la tristesse que je pouvais voir dans ses deux billes saphir m’arrachait le cœur, Bri continuait d’avancer. Elle était promise à un bel avenir. Le mien était plus sombre que jamais. Alors je gardais ces moments précieusement en mémoire. Et cet amour impossible pour moi.

  À la veille de mes dix-huit piges, les choses ont dégénéré. Les Italiens ont tenté de les enlever toutes les trois. Les Russes ont bien géré la situation, putain. Heureusement, elles ne se sont aperçues de rien. Mais il fallait que je me tire avant qu’ils ne réessayent.

  — Pour ces connards de bouffeurs de pâtes, c’est réglé, lâche Styx en entrant la cellule mettant un terme à mes pensées. Que dit le Près’?

  — Il voulait envoyer Anchor et les gros régler le problème Novikov, grogné-je. Mais finalement, on s’en charge. Demain, il est affecté à la promenade, donc on va en profiter pour lui rappeler qui finance sa putain de voiture de sport.

  Pour toute réponse, Styx hoche la tête avec un demi-sourire.

  — Le gamin, vous en êtes où? demandé-je.

  — Snake le garde à l'œil.

  J’acquiesce et il poursuit.

  — Aucune visite. Pas de famille. Sa mère est morte d’un cancer y’a un peu plus d’un an. Le traitement et les frais d’hôpitaux les ont mis sur la paille. Il avait une putain de dette. Pour s’en sortir, ce p’tit con a eu une idée de génie. Pirater les comptes de gros bâtards de pédophiles qui achetaient ou revendaient des vidéos de gamins. Mais il est tombé sur un os. Et bienvenue en Enfer.

  — Il a de la ressource ce môme, dis-je avec un petit sourire en coin.

  — Et des couilles, confirme Styx.

  — Ok. Dis à Snake de continuer à le garder à l'œil. J’en toucherai deux mots au Près’.

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