Chapitre 2

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Hunter - Au même moment

  Putain, c’est la grosse merde. Comment j’ai pu me retrouver là ? Comment ? Je ne comprends rien. J’ai beau retourner le problème dans ma tête, il n’y a aucune explication logique à tout ça. Aucune.

  Putain ! J’ai la rage. Les nerfs à vif. J’ai besoin de cogner ! De défoncer une putain de gueule. La seconde d’après, j’explose la mâchoire de ce gros connard de Conti. Cet enfoiré terrorise un gamin, qui n’a aucune chance contre cette tête de con bodybuildée. Je ne fais pas dans l’humanitaire, mais lui exploser sa gueule de bâtard va me détendre.

  Sûr de lui, le sourire aux lèvres malgré le sang qui colore ses dents, cet enfoiré me balance un gauche que j’esquive sans problème. C’est un titan mais il est lent. Trop lent. Et moi, j’ai la haine. Je lui envoie mon gauche dans l’estomac avant qu’il ait eu le temps de réagir. Je pourrais en venir à bout en quelques secondes, un coup dans la trachée et on n’en parle plus. Mais j’ai envie de faire durer le plaisir.

  Autour de nous, un cercle s’est formé. La bagarre excite les autres détenus. Faut dire que les divertissements sont rares ici. Ils encouragent, hurlent, prennent les paris. Mais j’en ai rien à carrer. J’ai qu’une idée en tête : défoncer ce connard à m’en éclater les phalanges. J’enchaîne les coups, esquive les siens.

  Ma rage augmente avec mon rythme cardiaque. Une vive tension crispe mes muscles. La brûlure de l’effort. La douleur et l’excitation. La jouissance dans l’adrénaline. Tout ce que j’aime. Tout ce dont j’ai besoin pour me sentir vivant.

  L’armée m’a pourtant appris discipline, rigueur et contrôle de soi. Mais ces derniers mois, j’ai complètement vrillé. J’ai laissé ma colère et mon impulsivité dominer. Je me dope à la baston. J’adore cogner. Et ça m’évite de gamberger. La douleur physique est palpable, réelle. Le reste me bouffe de l’intérieur et j’y peux rien.

  Je lui assène un coup de genou en pleine gueule. Un craquement sinistre m’arrache un sourire. Son nez. J’attrape le bâtard par les cheveux et lui relève la tête.

  — Tu vas m’écouter connard. Trouve-toi un adversaire à ta taille. Et laisse le gamin tranquille. Premier et dernier avertissement, lui grondé-je.

  L’enfoiré hoche la tête et s’écroule dès que je relâche ma prise. Quand je me redresse, tous évitent mon regard, comme si me défier tenait du suicide ou de l’inconscience. Ils ont probablement raison. Je suis un putain de fils de l’Enfer. Et je crèverai probablement ici.

  J’aperçois plus loin mes frères, sourire aux lèvres, parler aux deux gardiens qui n’ont pas bougé. Les Sons of Hell sont puissants et redoutés. Et les généreux dessous de table qu’on leur file font le reste.

  — Merci.

  Je me retourne brusquement pour trouver le môme planté en face de moi, tête baissée. Je l’avais presque oublié celui-là.

  — Pas la peine gamin. Je suis pas un foutu héros ou un putain de sauveur. J’avais juste envie de défoncer la gueule de quelqu’un et celle de ce connard ne me revenait pas.

  Je m’apprête à rejoindre Snake et Styx, mes frères, pendant que les gardiens arrivent tranquillement pour récupérer Pierce, toujours inconscient à mes pieds.

  — Merci quand même.

  Je fais à nouveau volte face et croise le regard noir plein de défi du môme. Il a relevé la tête et me fixe, campé droit sur ses deux jambes, les bras le long du corps et les poings serrés. Il porte ses couilles ce petit con? Maintenant? Sans rire ?

  — T’es bouché gamin. Ou suicidaire ?
  — J’ai entendu. Mais, je ne trahirai pas la mémoire et les principes de la seule personne qui comptait pour moi. Même si ça doit me coûter une bonne dérouillée ou la vie.

  Son regard est plein de détermination. Sa loyauté inébranlable. Surprenant ce gamin. Il y a deux secondes, il crevait de trouille. Et là, il me défie sans sourciller. Courageux ou inconscient ?

  — Alors tu crèveras ici, gamin. Tes principes, tu peux t’les foutre au cul. Bienvenue en enfer.

  J’ai pas fait deux pas dans la direction de Styx et Snake que les paroles du môme me percutent avec la violence d’une méchante tarte dans la gueule. Sans me retourner, je souffle :

  — Qui?
  — Quoi?
  — Qui mérite que tu risques ta vie, grondé-je.
  — Ma mère.
  — Quand?
  — Il y a plus d’un an.

  Putain. Mon visage ne trahit aucune émotion. Pourtant, ma cage thoracique se serre. La tristesse et la colère me déchirent les tripes.
Ma mère. Putain. Morte, elle aussi. Sans que je puisse m’excuser. Sans que je puisse lui dire à quel point je l’aimais. On était en froid depuis des années. J’ai attendu. Laissé couler... Puis, plus rien. Elle n’était plus là. Même si je ne l’avouerai jamais, les regrets et la culpabilité me bouffent, jusqu’à m’asphyxier lentement. Son image s’imprime sur mes rétines et me crève le cœur. J’aimerais faire comme si ça n’existait pas. Repousser tout ça au fond de mon crâne. Pour éviter d’y penser et de ressasser. Mais rien n’y fait. Tout s’embrouille. Ma mère. Morte. Bri. Loin. Le manque d’elles. Le chagrin. La douleur. Le déchirement. Le désespoir.

  À cet instant précis, un truc se brise dans ma tête. La souffrance me submerge. Puissante. Dévastatrice. Tout est noir. Puis, rouge.

  Quand la couleur revient, je tiens le gamin à la gorge, tellement fort que mes doigts s’impriment dans sa peau. Ses mains agrippent mon poignet avec toute la force dont il est capable. Styx et Snake sont juste derrière moi, tendus, prêts à intervenir. Je respire fort. J’en ai mal à la gorge. Mais ça, c’est sans doute parce qu’un poids invisible s’est logé dans ma trachée.
Puis, je la vois. Elle est là. Près de moi. Bri. Magnifique. Douce. Ma lumière. Mon ancre. Mon ange. Elle me sourit. Et putain, ce sourire vaut tout ce que cette chienne de vie pourrait m’offrir.
Je desserre ma prise sur le cou du môme sans le lâcher du regard. Bordel. Qu’est-ce que je fous ? Je respire, me reprends et me barre. Mes frères me rejoignent rapidement, l’air soucieux.

  — Je veux tout savoir sur ce gamin. Gardez-le à l’œil. Que personne ne le touche, ordonné-je alors que Styx et Snake me répondent d’un hochement de tête.
  — Des nouvelles? me demande Styx.
  — Non. Ils cherchent.
  — Ça pue cette histoire, ajoute-t-il inquiet.

  J'hoche la tête, tout comme Snake. C’est clair. Se retrouver au trou pour meurtres, c’est la merde. Quadruple meurtre. Une famille. Avec deux gosses. Pire quand t’es innocent de ce dont on t’accuse, que tes empreintes sont sur l’arme du crime et que tu ne peux pas donner ton alibi parce que tu trahirais ton club, tes frères, ta famille. Impossible.

  Pas que j’ai pas de sang sur les mains. Pas que j’ai pas déjà descendu des mecs. Mais jamais d’innocents. Jamais de femme. Et encore moins d'enfants. C’est une putain de blague. Un foutu coup de tronche de ce putain de karma de merde.

  J'encours la peine de mort. Ou la perpétuité. Pour un quadruple meurtre que j’ai pas commis alors que je ne serai jamais inquiété pour les autres. Notez l’ironie de la situation. Juste retour des choses? Peut-être.

  La peine capitale n’a pas été appliquée, ni même demandée depuis des années. Mes avocats ont bon espoir. Moi, aucun. Je suis un putain de biker. Et une famille entière a été abattue. Dont deux mômes. Ces charognards de journalistes vont s’en repaître comme les vautours qu’ils sont. Je risque de servir d’exemple. Bref, je ne me fais pas d’illusion. C’est mal barré.

  Ceci dit, si je suis condamné, vaut mieux que ce soit à mort qu’à perpète. Parce qu’enfermé entre ces quatre murs, je vais devenir barge. Adieu ma bécane. Les rides avec mes frères. Les soirées beuverie et baise au club. La liberté. Bref, tout ce qui vaut le coup.
Et adieu Bri.

  Putain de bordel de merde.

  Cette pensée m’arrache le cœur et les tripes. J’y survivrai pas. Ça fait déjà plus de dix ans que la situation entre nous est merdique. Que je la laisse pourrir sans rien faire. Malgré des appels réguliers, on ne parle plus que de choses sans importance. Je ne sais plus rien de sa vie. Je n’en fais plus vraiment partie. Et j’en crève.

  À qui la faute? accuse ma conscience.

  C’est vrai. J’aurais dû lui parler il y a bien longtemps. Tu parles d’un mec. Un putain de biker. Un Sons of Hell. Road Captain. Violent. Dangereux. Craint. Et pas foutu de porter ses couilles pour avouer à la gonzesse de ses rêves qu’aucune vie ne mérite d’être vécue sans elle.

  À cet instant précis, je me prends l'équivalent d'un quarante-cinq tonnes sur la gueule à pleine vitesse. Putain. Jamais je ne lui dirai. Jamais elle saura.

  Bri a toujours refusé de venir me voir ici à Oakland. Elle refuse catégoriquement de foutre les pieds aux États-Unis. J’ai jamais compris pourquoi. Et ça me rend complètement barge. Les questions ravagent mon crâne.

  Je ne suis rien pour elle. Un pote d’enfance. Un gars avec qui elle a grandi. Le frère de sa meilleure pote. Rien de plus. Je ne lui plais pas. Pire, je l’ai déçue. Je suis un biker. J’ai du sang sur les mains. Ma vie, moi, on la répugne. Elle a raison putain. Je suis pas assez bien pour elle. J’ai rien à lui offrir.

  Elle a une vie. Une brillante carrière d’avocate pénaliste. Qu’est-ce qu’elle foutrait d’un connard de biker hors-la-loi ? Ça ternirait son image. Sans parler de son âme.

  Non. C’est mieux comme ça. Elle n’a jamais foutu les pieds ici et cette fois ne sera pas différente. Elle prétexte toujours trop de boulot ou d’autres excuses bidons. Et ça me rend complètement taré de ne pas savoir !

  Mon poing heurte violemment le mur en face de moi. Mes phalanges craquent sous le choc, mais je m’en carre. La douleur fait partie de moi.
On n’a jamais réussi, Bri et moi, à avoir une conversation claire, honnête, franche, en tête à tête. Y'en a toujours un des deux qui finit par se barrer. Souvent moi. Quand ses yeux me transpercent, j’ai l’impression qu’elle peut lire mon âme et ça me fait littéralement flipper. Qu’elle n’aime pas ce qu’elle voit. Alors, je me tire. Pas très courageux pour un gros dur de biker, ancien membre des forces spéciales, ancien SEAL. Mais j’y peux rien. Bri c’est… Je ne peux pas supporter de la décevoir.

  Mais, je ne la reverrai pas. Et c’est ma faute. J’ai pas été foutu de saisir ma putain de chance. Pas foutu de lui dire que je l’aime depuis gamin. Qu’avec les années, ça n'a fait que se renforcer. C’est puissant. Démesuré. Incontrôlable. Je suis fou d’elle. Elle est tout, absolument tout pour moi. Je crève d’amour pour elle. Sans elle, ma vie n’a aucun sens. Un seul de ses sourires l’illumine. Un seul de ses regards me réchauffe. Sa présence m’est indispensable. Vitale. Sa douceur m’apaise. Être loin d’elle me broie le cœur et m’arrache les tripes. Être exclu de sa vie me tue.

  Putain de merde quand j’y pense, j’ai envie de tout défoncer. Mes poings s’abattent plusieurs fois sur le mur et le sang coule. Mais qu’importe. Ne pas pouvoir être près d’elle, la protéger, l’aimer est mille fois pire. C’est un putain de supplice. Et j’en suis responsable.

  Quel gros con, putain. Connard de biker de merde.

  Elle ne saura jamais à quel point elle illumine mes jours et mes nuits. Je donnerai tout pour la revoir une seule fois. Une putain d’unique fois. Graver son visage dans ma mémoire. Plonger mes yeux dans les siens. Admirer sa beauté. Profiter de sa présence. De son odeur d’agrumes. La serrer dans mes bras. Son corps contre le mien. L’aimer.

  Combien de fois j’ai imaginé frôler ses lèvres des miennes. L’embrasser à en perdre haleine. Effleurer et caresser chaque centimètre carré de sa peau si douce. Découvrir ses seins ronds et parfaits. Lécher, agacer et en mordiller les pointes, pendant que ma main descendrait lentement le long de son flanc, la faisant frissonner d’anticipation, jusqu’à trouver son clito gonflé. Jouer avec. Me délecter de ses gémissements. Introduire un doigt, puis deux dans sa petite chatte mouillée et prête pour moi.

  Putain de merde ! Les images qui affluent ne m’aident pas à garder le contrôle. Mon sang converge vers une toute autre zone plus au sud. Merde ! J’ai une gaule d’enfer ! Ça en est presque douloureux. Putain de merde !! Quel con !

  Je ne la reverrai pas. Je ne la reverrai pas. JE. NE. LA REVERRAI. PAS.

  Cette seule idée me fait débander aussi sec. J’ai été clair avec le Près. Hors de question qu’il les avertisse. Non. Hors de question qu’elles sachent. Ni elle, ni ma frangine. Elles n’ont pas besoin de savoir. C’est trop la merde. Connaissant ma frangine, elle foutrait encore plus le bordel. Non, elles doivent rester loin de tout ça. Ce qu’on ignore ne peut pas nous faire de mal.

  Cette idée me revient dans la gueule comme un boomerang. Si je crève de ne plus rien connaître de sa vie, de ne pas en partager les bons moments comme les mauvais, de ne pas savoir pourquoi elle refuse de venir aux Etats-Unis, est-ce que cette putain de situation merdique entre nous pourrait la toucher? L’attrister? Non. Impossible. Je repousse cette idée. Ce n'est pas le moment de rêver. T’es en taule, mec ! Et t’es pas prêt d’en sortir. T’as vraiment plus rien à lui offrir.


Putain. L’amour quelle connerie.

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