Chapitre 1

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Bridie

  Assise par terre, dans le salon, entre le canapé et la table basse avec une bonne tasse de café, je vais profiter d’une journée de congé pour écrire.

  C’est mon endroit préféré. J’observe mon ordi devant moi, pourtant je n’arrive à rien. Je regarde distraitement par la fenêtre d’en face, laissant vagabonder mon esprit, tout en sirotant mon arabica. Comme toujours, la musique accompagne mes pensées comme elle accompagne chaque phase d’écriture ou chacun des bons, comme des mauvais moments de ma vie. Elle est tout aussi importante que l’écriture pour moi… L’une comme l’autre, ont une place prépondérante dans mon petit univers. Et c’est bien là, le problème. Surtout du côté de l’écriture…

  Je bloque sur mon prochain bouquin. Aucune inspiration. Pas même le début de la plus petite idée. Et j’avoue que ça m’angoisse carrément. Ça ne m’était jamais arrivé jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, j’ai écrit des tas de livres. D’après Dwayne, mon éditeur, je suis une auteure prolifique. J’ai une imagination débordante et sans limite… Faut croire qu’il se trompe ! Ma spécialité : la romance, les romans d’amour, sensuels ou érotiques. Ou comme le dit Nina : les livres de cul ! Et je n’ai jamais, jusqu’ici, passée une seule journée sans écrire une ligne, ou sans musique.

  Écrire est une seconde nature pour moi. C’est une bulle de bien-être, dans laquelle j’adore me réfugier. J’adore inventer des histoires, ne pas savoir à l’avance où elles vont me mener, ni comment elles vont se terminer. Je peux tout imaginer. Je n’ai aucune limite et je crois que c’est ce qui me plaît. Être libre de créer une histoire. Des personnages. Une vie. De l’amour. Tantôt passionné et intense, tantôt doux et profond, mais toujours évident. Ecrire, c’est être libre de rêver.

  Pour la musique, c’est la même chose. Elle me libère. Chaque chanson est finalement une histoire, qui nous entraîne avec elle. Lorsque je tiens ma guitare et que je joue, le bien-être m’envahit dès les premiers accords. Je me sens libérée de toutes douleurs, appréhensions ou doutes. Je suis juste heureuse. Il est souvent plus facile de dire les choses en musique. Il y a quelque chose de cathartique quand on compose comme dans l’écriture. Enfin pour moi, c’est le cas.

  Alors que la réalité est vraiment déprimante… Enfin la mienne… Ma vie sentimentale s’apparente au désert de Gobi, après le passage de l’ouragan Katrina. C’est dire. Pas d’amour. Pas de papillons dans le ventre. Pas de sexe non plus. Le désert, je vous dis ! Et surtout pas de foutu prince charmant. Le premier et dernier s’apparentait plutôt à un vil et cruel crapaud, qu’aucun baiser n’aurait jamais pu transformer en prince, même avec toute la bonne volonté du monde. Certes, il était du genre séduisant, avec un physique de rêve, mais très très loin d’avoir les qualités humaines requises pour l’exercice de cette fonction. C’était un homme infect, odieux, détestable. Un de ceux qu’on préfère ne jamais rencontrer ou dont on essaie de tout oublier. Si seulement c’était possible… Bref, je m’égare.

  Depuis quelques jours, c’est vraiment la panne sèche. La page blanche. Le néant. Et ça me contrarie autant que ça m’inquiète. Du coup, mon cerveau tourne à plein régime pour essayer de comprendre pourquoi. Les questions se succèdent, mais les réponses se font attendre. Une revient en boucle : comment puis-je écrire des bouquins qui parle d’amour, de sexe et des bouquins à succès en plus, alors que je ne suis faite, ni pour l’un, ni pour l’autre ?

  Ma vie sentimentale est un véritable désastre. D’ailleurs, elle est inexistante depuis mon ex. Quant à ma vie sexuelle, mon expérience est quasi nulle et totalement biaisée. Elle se résume aussi à ce seul homme, qui ne m’a jamais donnée de plaisir, bien trop concentré sur le sien. Et soyons honnête, qui avait une vision toute particulière de la satisfaction de ses pulsions, excluant par exemple, le consentement de l’autre.

  Depuis, je me tiens le plus loin possible des hommes. Très très loin. Je n’ai aucune envie de retenter l’expérience. Non merci ! Est-ce que ça pourrait expliquer cette soudaine panne ? Pourtant, depuis la fin de ce cauchemar, j’ai écrit sans problème. Alors pourquoi maintenant ? Que se passe-t-il ? Que m’arrive-t-il ?

  Écrire est vital pour moi au même titre que respirer. Je pourrais envisager de cesser de respirer, mais pas d’écrire ou de vivre sans musique ! Je dépéris lorsque je n’écris pas et là, je dépéris à vue d’œil…

  Bien que la musique de fond m’enveloppe et me rassure, je regarde à nouveau cette page blanche, dépitée et morose. Black out de l’inspiration. Trou noir de l’imagination. Bref, panne sèche. Pas d’idée brillante. Pas d’histoire d’amour rock’n’roll ou pimentée, et encore moins romantique. Niet. Rien. Nada.

  Mince.       

  Bien que ma maison d’édition ait encore plusieurs romans d’avance à publier, cette absence d’inspiration, de ressentis, d’excitation à l’écriture d’un nouveau manuscrit m’anéantit. Elle me jette dans les affres du doute et fait planer le douloureux spectre du passé.

  Et s’il avait même réussi à détruire ça ?

  Je repousse cette idée avec force, tout en prenant une longue gorgée de café brûlant. Je ne peux pas vivre sans écrire. Impossible. Mais est-ce que je vis vraiment ?

  D’après ma meilleure amie et colocataire, Nina, je passerai plutôt à côté. Mais comment tenir la comparaison avec elle ? Peine perdue. Aucune chance. Elle est son propre soleil. Et aussi le mien. Elle croque la vie à pleines dents et ne se pose aucune question. C’est un principe pour elle. Carpe Diem. Vivre l’instant présent et pour le reste, on verra demain.

  Penser à elle, m’arrache un sourire. Nous avons grandi ensemble, Nina, Adam et moi. Nos mères étaient voisines et sont très vite devenues amies. Elles avaient des histoires similaires : mères célibataires avec des enfants en bas âge, abandonnées par leurs conjoints, des responsabilités et beaucoup de galères. Alors, elles se sont serrées les coudes, soutenues et entraidées. Elles pouvaient se confier l’une à l’autre sans jugement, trouver réconfort et conseils auprès de l’autre. Elles avaient ça aussi en commun : leur force, leur courage et leur amour inconditionnel pour nous.

  Entendons-nous bien, elles ne formaient pas un couple, ce qui, même si cela avait été le cas, ne nous aurait pas gênés le moins du monde. Je dirais même que me concernant ça m’aurait presque rassurée. Ma mère aurait enfin tourné la page de mon géniteur. C’est vrai, elles auraient eu toutes les raisons du monde de préférer une femme à un satané bonhomme. Ces derniers n’avaient pas vraiment brillé par leur sens des responsabilités, leur courage ou leur présence.

  Mais qu’importe ! Puisque nous étions une famille. Certes particulière, différente et atypique, mais une famille quand même. Nina, Adam et moi, on a grandi entre deux merveilleuses femmes, fortes et fragiles à la fois, courageuses et déterminées, protectrices et aimantes, des guerrières du quotidien. Nous leur devons tellement. Tout ce qu’elles nous apportaient, contrebalançait la lâcheté, l’égoïsme et l’abandon de nos pères. Elles ne se sont jamais plaintes, n’ont jamais tenu rancune à nos géniteurs, ne les ont jamais dénigrés. De vraies forces de la nature.

  Notre enfance et leur éducation ont forgé notre détermination à tous les trois, de ne pas laisser la vie nous piétiner. Ça nous a rapprochés, soudés, au-delà des mots. Bien que la vie ne nous ait pas épargnés, cette famille était le plus beau des cadeaux. Pas conventionnelle, c’est vrai. Mais de celle qu’on aime plus que tout et qu’on défend avec acharnement, parce que les liens qui nous unissent sont profonds, solides et indéfectibles.

  Nous étions inséparables. Nina et moi, le sommes toujours. Elle est tout pour moi. Ma coloc. Ma meilleure amie. Ma sœur. Ma famille. Ma lumière. Mon univers. Bien que nous soyons très différentes, que nous nous engueulions souvent, on s’aime plus que tout et avons toujours veillé l’une sur l’autre.

  Je repense avec nostalgie à cette période plus insouciante. Notre enfance. Notre adolescence. Parce que même si nous avons dû grandir plus vite que les autres, nous avons été heureux. Jusqu’à ce que la vie décide de nous rappeler, que rien n’est immuable et que tout peut basculer en une seconde. Comme toujours, lorsque je me replonge dans mes souvenirs de cette époque, une profonde tristesse m’envahit. Les larmes surviennent rapidement, même si je tente de les réprimer.

  La musique s’accorde toujours curieusement à mon humeur. Et lorsque résonne One more light de Linkin Park, elle m’emporte ailleurs. Les notes, les paroles me rappellent l’important. Le peu de temps qui nous est accordé, notre impuissance face à la mort. Les souvenirs. Leur force. Celle de l’amour aussi, qui perdure malgré tout.

  Je me rappellerai toute ma vie de son amour pour moi, pour nous. De sa douceur, de sa gentillesse, mais aussi de sa détermination. De la chance que nous avons eu. Et je me rappellerai aussi de cette fameuse seconde où tout a basculé.

  J’avais tout juste quinze ans et je venais de perdre ma mère. Mon monde s’est écroulé et a disparu avec elle. J’ai perdu ma force, ma motivation, mon pilier, mon rayon de soleil, mon arc-en-ciel les jours de pluie. Je l’adorais et l'admirais tellement. Bien que Nina, Adam et leur mère aient été là, qu’ils soient ma famille, on ne partage aucun lien de sang. Alors j’ai été séparée d’eux.

  Placée en foyer le temps qu’on recherche des personnes appartenant à ma famille. J’étais seule. Orpheline. Sans avenir. Sans perspective. Anéantie. Dévastée. Et surtout tellement en colère. Contre la terre entière. Contre l’univers, le destin, le karma ou Dieu, peu importe comment on l’appelle. En colère contre la mort, qui me l’a prise, enlevée trop tôt. En colère contre la vie, de continuer sans elle, alors que j’avais tant besoin d’elle.

  Faut dire que la vie a une drôle de manière de nous rappeler à l’ordre. Ou alors elle a un humour caustique. Ma mère m’a été arrachée par un chauffard ivre, qui l’a fauchée. Quand on sait que plus de quinze ans auparavant, elle avait déjà failli se faire renverser, par personne d’autre que celui qui s’est avéré être son grand amour : mon géniteur. Drôle d’humour n’est-ce pas ?

  Malgré tous mes efforts pour les contenir, les larmes roulent le long de ma joue et la rage secoue mon corps, comme à chaque fois que je me rappelle cette période de ma vie. J’essuie ma joue d’un geste rageur. Je ne parle jamais d’elle. Trop douloureux. Les larmes devancent systématiquement les mots, qui restent coincés dans ma gorge, puis disparaissent sous le flot des sanglots. Encore aujourd’hui, je ne peux l’évoquer sans ployer sous une tristesse et une souffrance incommensurables. Je l’aimais tellement. Elle a laissé un tel vide dans ma poitrine et dans ma vie.

  On dit que la douleur s’estompe avec le temps. Peut-être est-ce vrai pour certains. Pour ma part, elle est aussi vive que lors de sa mort. Son absence, toujours aussi cruelle. Et mes regrets au-delà de toute raison. Elle n’aura jamais tourné la page de cette histoire d’amour avec mon géniteur. N’aura jamais refait sa vie, eu le bonheur de vieillir auprès de quelqu’un qui aurait pu prendre soin d’elle. J’aurais été là quoi qu’il en ait été. Mais j’aurais aimé savoir qu’elle avait goûté au bonheur. Qu’elle était heureuse.

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