Réponse à « L’autre monde »

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- À l'évidence nous n'étions pas sur une sœur jumelle de la Terre, la planète berceau de l’humanité… En fait, cet astre n’était même pas une planète, c’était une étoile. Et nous nous apprêtions à nous poser dessus.

- Comment c’est possible ? Comment peut-on mettre le pied sur une étoile ? C’est bien trop chaud maman.

- Pas s’il s’agit d’une naine noire. Une étoile en train de mourir. Le stade après la naine blanche, lui-même après la géante rouge… Sur le noyau qui reste au centre, quand les couches externes se sont dispersées dans l’espace, en formant une belle nébuleuse planétaire.

- Mais, la gravité devait être extrêmement élevée sur une étoile ?

- Non, elle était tout à fait supportable. Une naine noire se décompose tout doucement en radiations, ce qui fait diminuer sa masse. Et elle était depuis longtemps à ce stade.

- Ouh là là, c’est compliqué !

- Oui. Et c’était aussi l’endroit le plus froid de l’univers. En fait, sa température était presque celle du fond diffus cosmologique lui-même. Le fameux trois kelvins, tu sais, juste trois petits degrés au-dessus du zéro absolu ! C’est-à-dire moins deux cent soixante-dix degrés Celsius. L’agitation thermique du Big bang lui-même, après la dilution et le refroidissement dus à l’expansion de l’univers…

- Et tu t’es posée là-bas ?

- Oui, c’était mon travail. J’étais astrophysicienne, ma chérie. Et j’avais même beaucoup de chance. Personne n’avait jamais marché sur un tel astre. Mais qu’est-ce que j’ai eu froid ! Au départ, on était juste censés se poser avec le vaisseau pour faire des prélèvements à plusieurs endroits, avec des robots. Et puis, on a eu envie de sortir… Nos scaphandres étaient prévus pour deux kelvins minimums, donc en théorie, c’était possible. Ils devaient nous réchauffer juste assez pour survivre un quart d’heure dehors.

- Tu n’avais pas peur ?

- Si, bien sûr, et j’étais un peu inconsciente, j’étais jeune, j’aimais l’aventure ! Sinon je n’aurais pas choisi de faire ce métier.

- Et alors, c’était comment, dehors ?

- Glacial ! Et le mot est faible ! Les atomes de la naine noire ne vibraient pratiquement plus à trois K. Ils étaient proches de l’immobilité totale. Et nous étions très loin de toute autre étoile. Donc même les planètes qui étaient autour de la naine restaient dans le noir, puisqu’elles n’étaient pas éclairées. Et malgré le double circuit de liquide caloporteur de ma combinaison, le froid au niveau de mes pieds était si intense que j’avais l’impression que l’étoile aspirait ma vie vers le bas, mais c’était la chaleur de mon corps qui partait.

- Waouh…

- Avec mes deux co-équipiers, nous avons décidé d’éteindre toutes nos lumières, et nous avons regardé le ciel, dans le noir total. Nous sommes probablement les trois personnes qui ont vu le plus beau ciel étoilé de tous les temps, depuis la surface d’un astre. Au bout de quelques minutes, le temps que nos yeux s’habituent à l’obscurité, nous avons été submergés par le nombre d’étoiles visibles au-dessus du sol qui était d’un noir absolu. C’était le néant, et au-dessus un feu d’artifices. Et là, j’ai eu une idée bizarre.

- Quoi donc ?

- J’ai eu envie d’appuyer sur le bouton pour relever la visière de mon casque.

- Quoi ? Mais tu serais morte !

- Oui, c’est pour ça que je ne l’ai pas fait.

- Mais pourquoi tu avais envie de faire ça ?

- C’était tellement beau ! J’avais envie de ne plus avoir la vitre devant moi, ni la buée dessus. Ce jour-là, j’ai failli être tuée par la beauté de l’univers.

- Tu es folle !

- J’étais folle. Mais pas tout à fait, puisque je ne l’ai pas fait. Et de toute façon, ça n’aurait servi à rien. À trois kelvins, j’aurais été instantanément surgelée. Même pas congelée, mais carrément surgelée. L’eau de chacune des cellules de mon corps se serait cristallisée finement, ce qui ne les aurait pas abimées du tout. Et je serais restée intacte, comme cela, jusqu’à la fin des temps, parfaitement conservée, les yeux reflétant à jamais la beauté du ciel.

- Heureusement que tu ne l’as pas fait !

- Non, mais j’ai bien failli. Allez, dors maintenant ! Et ne fait pas de cauchemars. En m’imaginant toute raide, pétrifiée dans ma combi, comme si j’avais croisé le regard de Méduse, le monstre de l’antiquité…

- Bonne nuit maman.

- Bonne nuit ma chérie.

- Maman…

- Quoi ?

- Je serai astrophysicienne moi aussi plus tard.

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