CHAPITRE 2 - 3/3

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Eddy restait planté devant la porte. Comme une mauvaise graine. Immobile. Silencieux.
— CHABRAC, JE SAIS QUE VOUS ETES LA ! PAS LA PEINE DE FAIRE LE MORT !
Eddy regarda sa montre, maugréa puis se résigna à ouvrir la porte. Il était là, son voisin de palier, garé sur le seuil. Le colonel Ramirez ! Trempé de la tête aux roues de son fauteuil roulant. Les cheveux collés, le visage rabougri anthracite, la moustache frisotante, la chemise à fleurs complètement fanée et l’œil furibard.

Un étrange personnage, le colonel Ramirez. Ce vieux maboul racontait qu’il avait servi la nation toute sa vie. Tour à tour, agent secret, pilote de chasse, capitaine de sous marin, prisonnier de guerre puis enfin colonel dans l’armée de l’air. Rien que ça.
Après avoir perdu ses jambes en Afghatadjikénistan, l’armée lui avait donné une médaille et promut colonel ! Une drôle de façon que de récompenser les têtes en l’air.

Eddy posa un pied réticent dans le couloir. La désagréable sensation de marcher dans une grande flaque, une très grande flaque. Le vieux lino baignait sous dix bons centimètres d’eau. Un torrent dissipé qui déambulait gaiement le long des marches. Le colonel Ramirez fulminait.
— Alors ces vacances ? tenta sans conviction Eddy.
— VACANCES ? MON CUL OUI ! C’EST QUOI CE BORDEL ? QU’EST-CE QUE VOUS AVEZ ENCORE FOUTU ? outrancia le colonel Ramirez en désignant l’eau qui s’écoulait de son appartement.

À contre cœur, Eddy remonta le courant en augmentant l’amplitude de ses foulées puis colla son oreille contre la porte. L’écho du tonnerre chuintait avec force. Eddy expira toute sa mauvaise humeur avant de tourner la poignée d’un geste sec. Un volume d’eau impressionnant se déversa avec fougue dans le couloir. Eddy nagea dans l’appartement du colonel Ramirez sans aucune visibilité. Dans l’obscurité d’un nuage aux abois. Des pluies lumineuses et des éclairs torrentiels s’abattaient sur lui. À bout de force, il atteignit la baie vitrée du salon et l’ouvrit difficilement. Sans se faire prier, le nuage gagna de nouveau sa liberté et s’échappa dans le ciel.

Une fois les ténèbres dissipées, une cohue-bohu indescriptible ensoleilla l’appartement. Eddy ne savait plus où donner de la tête. Juste devant lui, debout sur la table du salon, une danseuse étoile et un marchand de sable insomniaque se déhanchaient sur un air de tango. Émerveillés, un zèbre à lunettes et une famille de têtards sans rayures admiraient cet élégant spectacle. À l’autre bout de la pièce, une vieille peau poursuivait des formulaires virevoltants sous les regards amusés de malades planqués sous le tapis. Enfin, dans la baignoire de la salle de bain, un banc de poissons volants et une étoile de mer aventureuse hululaient et se gondolaient en contemplant un dauphin dresser maladroitement un gardien de zoo tête en l’air. Avant que ce cirque lunaire ne lui arrache un sourire, Eddy pressa le commutateur mural. Dans un grondement mécanique, le plafond et la toiture s’enroulèrent autour d’une barre métallique comme le couvercle d’une boîte de sardines. L’appel d’air souffla tous les artistes qui s’envolèrent dans le ciel.

Excepté ce léger dégât des eaux, l’appartement du colonel Ramirez avait retrouvé un semblant d’ordre. Eddy qui ne maitrisait pas le dialecte de la perfide Albion tenta de filer à l’anglaise.
— Bonne soirée, je dois partir, lança-t-il laconiquement au colonel Ramirez qui l’attendait d’une roue ferme dans le couloir.
— Négatif ! grinça-t-il en lui barrant la route.
Eddy jeta un rapide coup d’œil à sa montre contrariée. Il n’aimait pas être en retard.
— Mon cher Chabrac, avez-vous eu le temps de régler le problème de toiture avec le concierge, comme je vous l’avais demandé ? J’ai bien l’impression que votre commutateur déclenche toujours l’ouverture et la fermeture simultanées de nos deux toits…
Malgré sa voix étonnement mielleuse, les traits de son visage trahissaient un début d’éruption volcanique
— Monsieur Dupuy est hélas décédé pendant vos vacances !
— DECEDE !!?? MON CUL OUI ! JE VIENS DE LE VOIR EN BAS.
— Ah…son état de santé s’est amélioré alors ! Me voila rassuré, ironisa Eddy en s’approchant de l’escalier. Je vous promets que je vais m’occuper rapidement de ce problème mais là je dois filer.
Ces derniers mots s’échappèrent à pas de loup de sa bouche et s’évaporèrent comme autant de paroles en l’air.

Sous une bordée de juron fleuris, la silhouette massive et pataude d’Eddy disparut dans les escaliers. Il lui restait dix minutes. Dix minutes avant la session hebdomadaire de son club. Son club de ragots…

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