4.1. Un verre ?

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Comme à son habitude, Léna s’arrêta quelques secondes devant la Tour Eiffel, puis poursuivit son chemin jusqu’au Petit Dupleix, son café préféré. De l’autre côté de la rue, elle scruta l’intérieur à la recherche de l’homme qu’elle y avait rencontré la dernière fois. Sa solitude trouverait fin avec lui. Elle aperçut ses trois amis, assis à une table près de la vitrine et décida de tenter sa chance. Entre le tintement des verres, les rires, les discussions et les chaises raclant le sol, un brouhaha assourdissant l’étourdit.

— Tu te joins à nous, cette fois-ci, souffla une voix grave, derrière elle.

Léna sursauta et se retourna brusquement, la main sur la poitrine. Elle fusilla Ben du regard, encore essoufflée par la peur. Lui la dévisagea un instant et lui offrit un rictus mutin. La jeune femme tenta bien de garder son sérieux, le cœur battant encore à tout rompre, mais ne put résister plus longtemps et lui sourit à son tour.

— J’ai cru que tu ne reviendrais jamais, susurra-t-il, en se penchant vers elle.

Ben adressa un clin d’œil à cette jolie blonde, qu’il dévorait du regard, ne laissant aucun doute sur ses intentions.

— Je t’avais promis un verre. Tu viens ?

Hésitante, Léna n’était plus sûre de rien. Voulait-elle vraiment entrer dans ce jeu ? Pesant le pour et le contre dans sa tête, elle finit par accepter. Après tout, si elle était venue, c’était pour le revoir. Elle devrait juste éclaircir les choses avec lui : il n’obtiendrait rien d’elle. Encore moins avec de l’alcool.

— Alors tu viens souvent ici ? se renseigna-t-elle après lui avoir emboîté le pas.

— Deux ou trois fois par semaine. C’est un peu notre QG, avec mes potes. Et toi, qu’est-ce que tu fais là toute seule ?

— J’habite le quartier et j’avais l’habitude d’y retrouver quelques amis. Mon ex travaillait ici comme serveur. C’est de l’histoire ancienne.

Elle balaya l’information d’un haussement d’épaules sous le regard intrigué de Ben. Il crut voir ses yeux s’éteindre à l’évocation de ce passé révolu et se demanda bien ce qui avait pu y mettre un terme. Mais ses questions se dissipèrent vite lorsqu’un sourire timide éclaira de nouveau ce visage angélique. Il n’avait cessé d’y penser depuis qu’il l’avait rencontrée, deux semaines plus tôt. Cette femme dégageait quelque chose qui l’avait profondément marqué. Il aurait été bien incapable d’identifier ce petit je-ne-sais-quoi qui la rendait si particulière, mais chaque jour il guettait sa venue.

— Les gars, je vous présente Léna, fanfaronna-t-il, arrivé à hauteur de ses amis.

Gênée, Léna leur adressa un signe discret et prit place sur la banquette, près de Ben. A sa gauche, les deux frères lui souriaient. Elle les aurait presque pris pour des jumeaux si l’un d’eux n’avait pas quelques ridules au coin des yeux et des lèvres.

— J’en reviens pas que Ben ait réussi à te convaincre, s’exclama-t-il, admiratif. Moi, c’est Ilyes. Et je te présente mon frangin, Anis.

Ce dernier leva la main en guise de bienvenue. Ne sachant plus trop où se mettre, peu habituée des nouvelles rencontres, Léna se tortilla sur son siège en simili cuir qui collait à ses cuisses mises à nues par les plis de sa jupe. Le rouge lui monta aux joues quand elle remarqua le quatrième homme, assis face à elle. Il la fusillait encore des yeux, la mâchoire crispée, puis se détourna d’elle, trouvant son verre bien plus intéressant.

— Bon, et lui, c’est Matthias, la renseigna Ben, moqueur. Vu qu’il n’a pas l’air de vouloir se présenter. Fais pas attention à lui, il est comme ça avec tout le monde, je sais même pas pourquoi on est pote avec lui.

— Va te faire foutre, grommela Matthias.

Léna rêva de disparaître dans un trou de souris et regretta son initiative. Elle aurait dû rester chez elle et rattraper le retard accumulé dans le traitement de ses dossiers.

— Qu’est-ce que tu bois ? s’enquit Ben.

Comme à son habitude, Léna commanda un thé russe, seule boisson qu’elle s’autorisait lorsqu’elle sortait.

— Un thé à cette heure ? la charria-t-il. Tu veux pas autre chose ?

— Je ne bois pas d’alcool, s’excusa-t-elle, gênée.

Ben allait insister, quand Ilyes changea de sujet, curieux d’en savoir plus sur la mystérieuse blonde dont leur ami ne cessait de leur parler depuis des jours. La jeune femme répondit volontiers à leurs questions, mais se garda bien de révéler quelques détails de sa vie, de peur d’attiser leur pitié. Les soupirs agacés de Matthias, qui levait les yeux au ciel à dès qu’elle ouvrait la bouche, lui confirmèrent qu’elle avait pris la bonne décision. La conversation fut vite détournée vers Anis — au grand soulagement de Léna. Ce dernier lui racontait sa rencontre avec Ben, trois ans plus tôt, après lui avoir expliqué qu’il connaissait Matthias depuis l’école maternelle. Soudain, la sonnerie d'un portable l'interrompit en plein récit. Confuse, Léna fouilla dans son sac à main à la recherche de son téléphone et pâlit à la vue du rappel qui s’y affichait. « Médicaments ». Déjà vingt heures ? Elle n’avait pas vu le temps passer et était en retard pour prendre ses cachets. D’une main tremblante, elle éteignit l’écran de peur que Ben ou Ilyes voient ce qui y était écrit.

— Je dois y aller, soupira-t-elle.

— Déjà ? s’exclama Ben, déçu.

— Oui, je… Je dois passer un appel important, mentit-elle.

Léna posa un billet de vingt euros sur la table et se faufila entre les autres clients.

— Attends, Léna ! s’écria Ben en la rejoignant sur le trottoir. On va se revoir ?

La jeune femme ne put réprimer un sourire attendri, non plutôt heureux. Ces quelques heures passées auprès de ces quatre amis lui avaient fait oublier la médiocrité de sa vie, elle ne refuserait pas une telle invitation. Pourtant, tout au fond de son esprit, une petite voix protestait. Elle la fit taire.

— Bien sûr. Merci pour cette soirée, c’était très agréable.

Sans trop y réfléchir, Léna embrassa la joue barbue du jeune homme et disparut dans la foule de Parisiens qui se pressait hors du métro. Ben resta là quelques secondes, encore électrisé par ces lèvres douces sur sa peau, puis secoua la tête. Ridicule ! Il devait se reprendre. Alors, il rejoignit ses amis, qui le dévisageaient d’un air goguenard.

— Quoi ? râla-t-il.

— T’es vraiment pathétique, marmonna Matthias, les bras croisés sur torse. Rassure-moi, tu vas pas nous l’imposer tous les soirs ?

— Et toi, t’es vraiment casse-couilles en ce moment. T’as qu’à rester chez toi si c’est pour faire la gueule.

Matthias se renfrogna et plongea sur son verre de bière. Il abusait de la patience de ses amis, il le savait, mais c’était plus fort que lui. Chaque année, c’était la même chose. Il détestait l’automne et devenait insupportable. Ben avait peut-être raison, mieux valait qu’il reste chez lui jusqu’à l’arrivée de l’hiver. Pourtant, il avait besoin de sortir pour se changer les idées. Si seulement Ben n’avait pas invité Léna à se joindre à eux, il aurait pu oublier sa peine, oublier qu’il haïssait les femmes.

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