Obsession (1/2)

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An 998 des Temps Galactiques, cent-deuxième rotation planétaire de Maailma :

Comme le disait feu mon grand-père, rien ne doit entraver le labeur d’un cultivateur de kaura. Pas même la fin du monde. Parce que le kaura n’attend pas.

En quarante-cinq ans de boulot, j’ai jamais vu ça. Pas même quand ces idiots de Vahingollinen ont brûlé mes champs pour que je leur revende l’exploitation. Et dieu sait que j’ai sué pour tout replanter.

En me levant, toutes mes tiges de kaura étaient mortes. Mortes. Oh, à l’extérieur, elles paraissaient parfaitement vivantes et conservaient leur teinte verdâtre synonyme de vitalité. Mais lorsque j’ai passé ma paume sur leur frêle tige, je n’ai pas senti la sève couler en elles. J’ai vu la mort, et rien d’autre.

Ce ne peut être ces idiots de Vahingollen qui ont fait le coup. Ils sont plutôt spécialisés dans les sabotages pernicieux et directs de type bidon d’essence au milieu d’un champ en pleine sécheresse. Non. Ce n’est pas eux. Ils sont trop bêtes pour inventer un truc pareil.

Parce que là, les responsables ont carrément tué mes plantes, non pas en les brûlant ou en les rasant, mais en les exterminant de l’intérieur ! Ils ont aspiré leur âme ! Ils leur ont fait un terrible baiser de la mort, les ordures ! Oh ! Mes pauvres kaurae !

Cent-troisième rotation :

Je suis allé voir le Vieux pour lui demander s’il avait déjà entendu parler d’un incident de ce genre. Le Vieux, c’est un peu notre sage, le gars qu’on consulte quand on a oublié. Il oublie jamais, lui… Mais il m’a regardé en caressant sa bouteille d’eau de vie, et a dit qu’il n’avait jamais vu ça en plus d’un siècle et demi d’existence. Puis il m’a fait son regard mystérieux, celui qu’il balance quand il en sait plus qu’il en dit, et a marmonné sur le ton de la confidence :

« Il s’est toujours passé des choses étranges là-bas, chez toi. Ton grand-père savait. Il a su jusqu’à la fin. »

Qu’est ce qu’il voulait dire par-là ? Mon grand-père est mort prématurément dans son champ, au milieu des kaurae. Paf, comme ça, d’un coup sec. On l’a retrouvé tout raide, debout, mais mort. Il admirait le ciel et il est resté figé dans cette position. Je ne savais pas que c’était possible, un truc pareil. Mais bon, ma mère a dit qu’il avait toujours été bizarre, et qu’il fallait surtout pas en parler pour éviter de voir des hordes de journalistes débarquer chez nous. Du coup, on l’a enterré debout, au milieu de son champ. Creuser un trou à sa taille a été difficile. Parce qu’il était grand, le grand-père…

Quand j’ai demandé au Vieux si ça pouvait être un coup de ces idiots de Vahingollen, il a ri de son rire de vieux fou et s’est exclamé :

« Seuls les petits bonhommes verts seraient assez tordus pour prendre l’âme d’un tas de kaurae. »

Il disait ça en rigolant, bien sûr, mais ça m’a chiffonné tout le reste de la journée.

Cent-cinquième rotation :

Je me sens tout chose depuis ma conversation avec le Vieux. J’ai mal au crâne et tout autour de moi semble tourner bizarrement. Je devrais aller voir un docteur…

Cent-sixième rotation :

Le docteur m’a passé un cachet pour calmer mes douleurs. Il était curieux, ce médecin. Il avait je ne sais quoi de singulier, mais je n’arrive pas à dire précisément quoi. Peut-être son regard. Ou autre chose.

Cent-septième rotation :

Je me souviens de la fois où le chien avait hurlé à la mort toute la nuit. Il avait tant aboyé qu’il en était resté aphone tout le reste de sa vie. Le matin, j’ai retrouvé ma mère sur le lit, le regard rivé au plafond, comme si elle regardait les étoiles. J’ai cherché ce qui avait pu l’effrayer de la sorte, mais il n’y avait rien. On l’a enterrée à côté du grand-père. Depuis, les kaurae forment un cercle autour des sépultures, comme s’ils avaient peur de la mort sous la terre. Comme ça, les morts peuvent admirer le ciel pour l’éternité.

Cent-neuvième rotation :

Je ne me rappelle plus très bien de cette nuit. C’était si étrange ! Je dormais paisiblement, quant une violente douleur m’a vrillé le cerveau. C’était un espèce de son aigu qui brûlait les oreilles. Je me suis levé et me suis passé un coup d’eau sur le visage, mais le son a continué. Le chien s’est alors mis à aboyer, comme la fois où son aïeul avait hurlé avant la mort de ma mère.

Apeuré, je suis sorti voir ce qu’il se passait. Tout autour de moi tournait comme dans un manège, mais j’ai quand même repéré le chien qui fixait le ciel. J’ai levé les yeux et vu. Quelque chose de terrible, sorti de je ne sais où ! C’était un objet singulier que je n’arrive même plus à décrire ! Je me rappelle que ma douleur venait de là. Il flottait dans le ciel nocturne, à une certaine distance de nous et… je crois qu’il nous regardait aussi. C’était terrifiant ! Mes jambes sont restées sciées au sol sous le choc.

L’objet est resté quelques temps, je ne sais plus trop, puis il s’est volatilisé. Depuis, la douleur et le son ont cessés.

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