CHAPITRE 12

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Une fois libéré de ses liens, Kim Soon se frotte les poignets, heureux d’être encore vivant, mais inquiet de n’avoir aucun plan. D’abord, on lui demande de donner naissance à un monstre invincible et ensuite on exige de trouver son point faible, cherchez l’erreur !

A force de ne pas savoir dire non, il se retrouve souvent dans des situations embarrassantes. Sain et sauf, mais à chaque fois contraint de réaliser l’impossible.

Devant lui, le militaire s’impatiente. Il faut proposer du concret, maintenant, un plan en béton, mais aucune étincelle ne vient éclairer l’esprit pourtant brillant du scientifique.

Kim Soon décide donc de gagner du temps. Il pose une question dont il espère une réponse négative. Cela lui donnera un délai de réflexion supplémentaire :

  • Dites, monsieur, lance-t-il. Avez-vous récupéré mon matériel, lorsque vous êtes intervenus dans le laboratoire ?
  • Affirmatif !
  • Tout mon matériel ? insiste-t-il, incrédule.
  • Affirmatif, on a tout embarqué, vos bestioles, votre matos, c’est la propriété de l’armée américaine maintenant. Tout se trouve dans les cales de ce foutu porte-avions.
  • Ah, super, conclut-il, dépité.

Kim Soon ne s’attendait pas à cette réponse. Il tente un autre angle d’attaque, encore une fois pour gagner du temps.

  • Quel dommage qu’il faille attendre d’arriver à terre pour que je puisse pratiquer mes expériences… soupire-t-il, l’air faussement déçu.

Le militaire répond du tac au tac.

  • Je crois que vous avez pas saisi la foutue urgence de la situation ! On a pas le temps d’attendre ! Donc, on va vous aménager une cabine et vous allez réparer vos conneries, fissa ! Mais attention, pas d’entourloupe, sinon, bang bang ! ajoute-t-il en pointant l’index et le majeur au milieu du front de Kim Soon, à la manière d’un pistolet.

Acculé, Kim Soon baisse la tête et capitule.

  • D’accord, allons-y.
  • Au fait, vous avez pas dit comment vous allez tuer cette foutue calamité.
  • Oh, c’est assez compliqué pour un non-initié. La science, vous savez…, répond-il, évasif.
  • Ouais, z’avez raison, j’ai jamais rien compris à ces trucs d’intello à lunettes, répond le militaire en se curant le nez.

Quelques instants après, le scientifique se retrouve dans une vaste cabine, au milieu de ses caisses, ses aquariums remplis de poulpes et ses terrariums à fourmis.

Derrière lui, devant la porte close, deux marines l’observent, attentifs au moindre de ses gestes.

Le scientifique se gratte le menton. Le militaire lui a imposé le défi suivant : comment tuer le fourmipoulpe ? Mais la question ne devrait-elle pas être formulée ainsi : pourquoi tuer le fourmipoulpe ? Certes, l’animal est imprévisible et dangereux, mais pourquoi devrait-on l’abattre ? Pourquoi tuer cette créature parfaite, fruit de deux semaines de recherches ? Pourquoi assassiner son bébé ? C’est un réflexe tellement humain que de se débarrasser systématiquement de ce dont on a peur ou de ce que l’on ne connaît pas. Il est tellement plus facile d’écraser une araignée avec la semelle plutôt que de la déposer sur une feuille, d’observer son comportement et d’apprendre à la connaître !

Kim Soon en est convaincu, il est préférable de capturer le fourmipoulpe, de l’étudier et peut-être de l’apprivoiser, voire le domestiquer. On ne jette pas le riz avec son eau de cuisson.

Maintenant qu’il a reformulé le problème, Kim Soon se sent mieux. Avec un peu d’astuce et de bons arguments, il se fera fort de convaincre les Américains qu’il est préférable d’attraper le fourmipoulpe plutôt que d’essayer de s’en débarrasser.

La question consiste à présent à savoir comment retrouver un animal que même les radars ne parviennent pas à détecter. Le scientifique regrette de ne pas avoir eu le temps de pucer le bébé à la naissance. Ah, si seulement le Commandeur Suprême s'était abstenu de jouer les nounous maladroites !

Comme le dit le proverbe, “si Le Commandeur Suprême ne vient pas à la rizière parfumée, la rizière parfumée viendra au Commandeur Suprême”. Autrement dit, si on ne peut localiser l’animal, il faut le faire venir à soi. Le cerveau du scientifique entre en ébullition. Comment attirer le céphalopodo-hyménoptère ? Kim Soon griffonne sur son carnet, en proie à un regain de créativité et trouve enfin une solution. Finalement, il avait eu le nez creux en demandant de récupérer le matériel de son laboratoire, il en aura besoin.

Il prend une grande inspiration et se met au travail sans tenir compte des surveillants armés, immobiles comme des piquets (et à peu près aussi intelligents).

Le scientifique saisit d’abord un gros poulpe, le dépose sur la table à la manière brutale d’un poissonnier, effectue une incision dans son abdomen, en extrait une petite boule gluante et réitère l’opération sur d’autres céphalopodes. Ensuite, il récupère une de ses fourmis géantes génétiquement modifiées, pratique une opération similaire et verse tous les organes récupérés dans un bocal. Il enfourne le tout dans une centrifugeuse en sifflotant et démarre la machine qui se met à vrombir avant de lâcher un tintement signifiant la fin de l’opération. Kim Soon ajoute des produits chimiques phosphorescents, filtre la préparation, retourne à la machine. Au bout d’une heure de travail intensif, il brandit fièrement une éprouvette remplie d’un liquide marron très odorant.

C’est le moment que le militaire américain choisit pour faire une entrée fracassante.

  • C’est la merde ! hurle-t-il en claquant la porte derrière lui. Votre fourmipoulpe se dirige vers Hawaii. Il a détruit un destroyer et trois F-16. Autant vous dire que le président est furax ! Il a pris le premier avion et sera ici dans une foutue heure, ça va chauffer !

Il s’arrête un instant pour renifler, puis grimace en plaquant sa main sur la bouche.

  • Ça fouette, ici !
  • Le parfum de la science, monsieur, répond humblement Kim Soon.
  • Bon, vous en êtes où ?
  • Je crois que j’ai fini, répond Kim Soon en désignant son éprouvette.
  • Sérieusement ? C’est avec ça que vous comptez tuer le foutu monstre ?

Kim Soon prend un air surpris et se défend en faisant de grands gestes avec les bras.

  • Ah, non, il n’a jamais été question de le tuer !
  • Mais si ! Il tue nos hommes, je vous ai demandé de le buter ! Je réclame vengeance ! La loi du talon dans l’oeil et dans les dents !
  • Vous avez juste demandé quel est son point faible et si on pouvait le tuer… Ce que l’on énonce clairement se conçoit bien, murmure Kim Soon.
  • Je comprends pas.
  • Ce n’est pas grave. Laissez-moi vous expliquer : dans cette éprouvette se trouve un puissant concentré de phéromones.

Le militaire fronce ses sourcils broussailleux, sort son arme et la pointe vers l’homme de sciences.

  • Je comprends rien à votre charabia ! On est là pour buter un foutu monstre, pas pour faire l’aumône !

Kim Soon s’incline respectueusement et secoue la tête en souriant. Ce militaire n’est pas bien malin, la prudence commande de s’en méfier davantage. L’imbécile est celui qui allie la confiance en soi et la bêtise, il faut le flatter et lui donner l’impression d’être le plus intelligent. Un art dans lequel le scientifique excelle.

  • Désolé de m’être mal exprimé, ô puissant et vigoureux militaire. Dans notre charabia scientifique, les phéromones désignent des hormones sexuelles. Par exemple, quand vous passez à côté d’une jolie fille et qu’elle se retourne pour observer votre fessier musclé de dieu grec, c’est parce qu’elle a senti les phéromones de mâle puissant que vous dégagez et qu’elle souhaite se reproduire avec vous. C’est grâce aux phéromones que vous attirez toutes les jolies femmes dans votre lit.
  • Ah ouais, je comprends mieux, fait le militaire, flatté, tout en se massant inconsciemment le postérieur et en tâchant de se rappeler depuis quand date sa dernière relation sexuelle non tarifée.
  • Le point faible du fourmipoulpe, comme tous les animaux, du reste, c’est qu’il va chercher à tout prix un moyen de se reproduire. C’est là que les phéromones interviennent. J’ai ici un concentré extrêmement puissant de ces hormones du désir. Il suffit d’en vaporiser sur un leurre : le fourmipoulpe rappliquera aussitôt à la recherche de sa compagne.

L’Américain esquisse une grimace d’incompréhension, lève les yeux au plafond, en proie à une intense réflexion. Soudain, son regard se durcit et il s’indigne.

  • Ah parce qu’il y a deux fourmipoulpes, maintenant ! Je croyais qu’il y en avait qu’un !
  • En effet, vous avez raison, il n’y a qu’un spécimen, répond Kim Soon calmement. Mais nous allons lui faire croire qu’il y a une femelle dans les parages. C’est un piège.
  • Ahhhh, malin ! s'écrie le militaire, une étincelle d’intelligence dans les yeux.
  • Tout comme vous, Vigoureux Officier. Une fois qu’il sera à proximité, vous pourrez le tuer, si vous le souhaitez...
  • Ah ouais, on va lui balancer des missiles dans la tronche à ce foutu pervers !
  • C’est une brillante idée, en effet. Cependant, me permettez-vous de proposer une modeste suggestion ?
  • Mouais, allez-y toujours.
  • Bien. Je pensais que vous pourriez plutôt essayer de le capturer vivant. Si vous parveniez à le domestiquer, vous serez les maîtres du monde !
  • On est déjà les maîtres du monde, nous, les américains.
  • Oui, certes, votre puissance incommensurable impressionne tous les dirigeants de la planète et même au-delà… Mais vous avez pu constater de quoi est capable un seul spécimen. Alors, imaginez une armée de fourmipoulpes ! Une armée invincible ! Pensez à ce que dirait votre président si vous lui faites cette proposition ! Vous prendrez certainement du galon !

Un sourire se dessine sur le visage du militaire et s’efface aussitôt, au grand regret du scientifique.

  • Et comment on va le capturer ?
  • Grâce à moi, répond Kim Soon, rassuré. Du peu que j’ai pu constater, le fourmipoulpe obéit à mes ordres. Après tout, c’est moi qui l’ai créé. Je ne pense pas qu’il soit naturellement agressif. S’il agit ainsi, c’est parce qu’il se sent traqué, agressé, il se défend. Moi, Kim Soon, je me fais fort de réussir à le calmer. Moi Kim Soon, je vais le rendre docile comme un agneau. Moi Kim Soon, je vais offrir à l’Amérique un monstre invincible.

Devant la moue dubitative de l’Américain, Kim Soon ajoute, un sourire aux lèvres :

  • Faites-moi confiance, j’ai l’habitude de traiter avec des entités agressives et dangereuses.

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