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– Qui est-ce ?

En même temps qu’il interrogeait la standardiste du rez-de-chaussée, il songeait à la conversation téléphonique qu'il avait eue dans la voiture.

– Mademoiselle Julie van Clemtov.

– Demandez-lui la raison de son appel, Margarita, s’il vous plaît.

– C’est personnel, elle ne veut en parler qu’avec vous, monsieur Weiss.

– Bien… bon, Margarita, dites-lui de monter, je la reçois dans cinq minutes.

Pourquoi cette secrétaire avait-elle donc un nom de pizza... Il faudra en parler au directeur, ça ne fait pas sérieux au standard en plus. Et pourquoi pas Napolitana pendant qu'on y est !

Un coup d’œil à sa montre : neuf heures neuf. Fallait-il y voir un signe ? Un(e) spécialiste en numérologie aurait interprété cela sans vergogne : le neuf – si cher à Eléonore – marquait la transformation, et sans jeu de mot dérisoire, le neuf – et deux fois en plus – devait sans coup férir signifier la nouveauté. Ses pensées indisciplinées sautaient d’un sujet à l’autre.

Que se passait-il donc aujourd’hui ! Pourquoi Nicole avait-elle choisi ce jour pour lui témoigner sa passion ? Décidément, y avait-il des choses qu’il n’avait pas voulu voir ? Tout arrivait en même temps, pourtant ce n’était pas le meilleur moment ! Quel était donc l'artisan de cet acharnement ?

Nicole rajusta ses vêtements pendant que Patrick remontait son pantalon. Il se dirigea vers son cabinet de toilettes pour s’asperger le visage et se laver les mains. Quand il réapparut, son assistante était sortie. Il jeta un rapide coup d’œil à travers l'immense vitre. Son cerveau cherchait à remettre ses idées dans l’ordre. « Julie van Clemtov… », ce nom lui disait quelque chose, il l’avait déjà entendu quelque part... Sa mémoire était trop encombrée, preuve que la fatigue lui jouait des tours. Un voilier tentait de remonter l’estuaire face au vent. Les nuages dissimulaient le soleil par-devers leurs caprices. De quoi souhaitait-elle donc s’entretenir, cette inconnue qui connaissait son numéro perso ?

Perdu dans sa méditation, il ne s’était pas rendu compte d'une présence dans le cadre de la porte. Elle ne mesurait pas moins d’un mètre quatre-vingt cinq, avec des bottines grimpant jusqu’en dessous des genoux. La décontraction caractérisait cette silhouette à veste noire recouvrant ses poignets. Deux bagues – le cercle du yin et du yang à l’annulaire, un rubis violacé à l’index –ornaient sa main droite. Le nez aquilin indiquait un menton mal dessiné sous des poils naissants. Les yeux demeuraient invisibles derrière des verres teintés.

– Euh… Excusez-moi, mais vous devez faire erreur…

Patrick s’était préparé à recevoir une femme, sans doute celle qui l’avait contacté dès potron-minet. Or ce n’était pas une femme, son esprit était d’accord là-dessus.

– Monsieur, dit-il, vous avez dû vous tromper d’étage, ou de bureau.

Celui-ci resta immobile, silencieux.

– Ecoutez, j’ai un rendez-vous dans quelques instants, je suis désolé, je vais vous demander de sortir et d’attendre ailleurs.

Patrick Weiss avait dit cela sans hésitation, en retournant s’assoir derrière son bureau et cliquer sur sa souris pour envoyer une nouvelle musique.

La porte claqua, l’homme s’était avancé d’un pas. Asian Dub Foundation l’accompagnait : « By hook or by crook they always find their way / Still at the bottom of the learning curve…» (Coûte que coûte, ils trouvent toujours leur chemin / Toujours au sein de la courbe d’apprentissage…)

Patrick se leva d’un bond. Son cœur avait accéléré. L’homme s’assit nonchalamment sur le fauteuil face au bureau. Le sentiment d’être devenu une proie s’empara de l’esprit de Patrick.

– Que me voulez-vous ?

Le type ouvrit la bouche et sourit tranquillement.

– Moi ? Rien.

Patrick imagina une farce, mais elle était de mauvais goût. Qui était ce type assis-là en face de lui, dans son bureau, au sixième étage d’une des tours les plus convoitées de la ville, dans une des banques les plus prestigieuses du pays ?

« Get hungry Get angry Get Hungry And take back the power / Put your fist in the air Rebels here and everywhere…» (Ayez faim Soyez en colère Ayez faim et Reprenez le pouvoir / Dressez votre poing en l’air Rebelles ici et partout...)

La musique l’encouragea :

– Bon, écoutez, la plaisanterie a assez duré, j’ai un rendez-vous qui va arriver dans quelques instants, dit Patrick s'avançant, monsieur je vous demande de sortir…

– Monsieur Weiss, interrompit l’homme, se dressant de toute sa taille, j’aurais besoin d’un certain document.

Il contourna le bureau. Patrick se rassit. La placidité du géant le tétanisait. L’homme coupa le son et éteignit l’ordinateur.

– Passons aux choses sérieuses, monsieur Weiss, dit-il tout en s'asseyant sur le bureau, nous voudrions récupérer la partition que votre beau-père vous a confiée. Nous savons que vous la gardez précieusement dans un de vos coffres.

– Ecoutez, je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler, mon beau-père ne m’a rien donné, répondit Patrick vivement, laissez-moi téléphoner à ma femme…

– Ne vous inquiétez-pas, monsieur Weiss. Eléonore et vos enfants sont sous notre protection.

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