La Place du Jour

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 Le matin était à peine levé, et déjà les rues de Dhilia étaient bien agitées. Le soleil se faisait timide, en partie dissimulé derrière quelques nuages. Les pluies de la veille avaient laissé derrière elles une humidité ambiante très pesante et de larges flaques de boue dans les plus petites venelles. Dans une auberge minuscule, coincée entre une tour et un grand bâtiment délabré, Cole était sur le départ. Bottes lustrées, épée aiguisée, casque et plastron impeccables, tout était fin prêt.

 Le jeune homme se regarda quelques secondes dans la chose qui lui servait de miroir ; une glace fendue en deux, rongée par l'humidité et tachée d'on-ne-préférerait-pas-savoir. Le climat océanique de la capitale l'avait forcé à tailler sa barbe. Et même ainsi, aux premières lueurs du jour, quelques gouttes de sueur perlaient déjà sur son visage. Le climat du toit du monde lui manquait.

— Le temps de m'habituer, pensa t-il.

 Il ajusta sa tunique à ses chausses, puis enfila ses protections avec une rigueur presque rituelle. Il termina par attacher son ceinturon et rangea son épée dans son fourreau. Le casque à la main, Cole se dévisagea. Il avait toute l'élégance d'un bon soldat, mais encore fallait-il convaincre les instructeurs de Dhilia. Il prit une profonde inspiration et quitta sa chambre.

 En descendant des escaliers craquants, Cole fut interpellé par l'aubergiste, qui sans prendre de pincette, réclama son dû pour la nuit. L'étranger, arrivé la veille, n'avait pas trouvé tenancier plus courtois pour l'héberger à moindre frais. Il s'approcha du comptoir pour y déposer un sou, puis se retourna sans dire adieu. Le maître des lieux, avare, ne lui proposa même pas la monnaie de sa pièce. Cole ne l'espérait pas de toute façon.

 Un enfant manqua de bousculer le jeune homme en dévalant la ruelle, poursuivi par ses deux aînés armés de bâtons. La scène se déroulait dans une ambiance joyeuse, aussi Cole choisit de ne pas intervenir. Il les laissa passer en se collant au mur puis emprunta le même chemin qu'eux. Dix mètres plus loin, il mit les pieds sur la place du Jour. Il s'agissait d'une grande place ceinte en partie d'une grande muraille qui encerclait la ville haute. Une tour accueillait à ses pieds un petit marché qui attirait tous les curieux. Cole s'approcha.

 La tour était en réalité un poste de la garde royale. Y était assignée une quinzaine de soldats flanquée d'un sergent. Dans sa ville natale, ce genre de structure était l'enfer des miliciens : une fois qu'on y avait atterri, il était rigoureusement impossible d'évoluer. Cole espérait ne jamais être affecté dans de telles casernes. Il n'avait aucune envie de contrôler des ivrognes et des enfants rêvant d'une vie meilleure jusqu'à la fin de ses jours.

 Le monument était accolé à une grande porte. De l'autre côté, l'étranger distinguait un autre marché. Les toiles des vendeurs lui sembaient identiques à celles qui se trouvaient de ce côté de la muraille. Peut-être les prix des marchandises faisaient la différence. C'était la direction qu'il empruntait, la réponse était donc proche.

 Cole leva un peu les yeux. La muraille et certains bâtiments étaient couverts de mousse. Si la végétation n'était pas le point fort de la place du Jour, il était difficile de passer à côté d'un tel état de vétusté. Le futur soldat estimait que quelques coups de bélier suffisaient à faire tomber toute la structure. Heureusement qu'il n'était pas ici pour établir un plan d'invasion : c'était sûrement à cet endroit précis qu'il aurait mis ses meilleurs atouts.

 Des étals s'élevaient de nombreuses odeurs qui, mélangées les unes aux autres, agressaient le passant. Peu habitué à ce genre de sortie, Cole se retint plusieurs fois d'éternuer en se pinçant le nez. En jetant un oeil aux premières marchandises qui lui furent présentées, il fut incapable de nommer la moitié de la cinquantaine d'épices du présentoir. Un arôme amer, presque toxique, vint lui irriter la gorge. En réprimant tant bien que mal une violente quinte de toux, le jeune homme poursuivit sa route sans rien acheter. Il n'était pas là pour ça, et quand bien même, ses finances étaient limitées.

 Le marchand d'épices concurrençait le vendeur d'huiles en tout genre d'en face. Les senteurs, toutefois plus douces, se mêlaient à toutes les autres pour donner un résultat fétide. Pour couronner le tout, un boucher préparait à deux pas de là de petites broches de viande grillée, presque brûlée.

 Un peu plus loin, un garçon négociait le prix de peaux auprès d'un étal de chasseurs. Ceux-ci travaillaient le gibier fraîchement capturé, et il n'était pas rare que les artisans venaient eux-mêmes chercher leurs matières premières. La capitale faisait figure d'exception : les ouvriers renommés envoyaient des coursiers pour éviter le déplacement. Cole reconnut le blason célèbre d'un cordonnier piqué sur le pourpoint du livreur. Le garçon ne devait pas avoir plus de treize ans. Le soldat se dit un instant qu'il était un peu jeune pour travailler, avant de se rappeler qu'il vendait du parchemin et des plumes avec son père avant son dixième anniversaire.

 Cole passa le reste du marché en revue : un marchand d'outils divers, un poissonnier, un aiguiseur et un cuisinier ambulant. Ce fut à ce seul commerce qu'il dépensa un peu d'argent. Quelques piécettes pour un pain de viande et une gourde d'eau. Cela ne valait pas un bon plat dans une taverne mais cela suffirait à lui tenir l'estomac jusqu'au déjeuner. Une fois rassasié, il reprit sa route.

 L'étranger dépassa les grandes portes ouvertes sans se faire contrôler, bien que les deux gardes en faction le toisèrent avec méfiance. Cole ne leur en voulait pas. Cela dit, à leur place, il n'aurait pas laissé passer un immigré en armure sans le questionner avant. Il observa rapidement les quelques étals de ce côté de la muraille puis entama son ascension de la haute ville. Le chemin était facile : les grandes artères étaient toutes droites et menaient directement au palais. Et donc au point de rendez-vous.

 Plus il avançait, plus il y avait foule. Rapidement, il lui fut difficile de progresser sans jouer des coudes. Entre les voitures à cocher des nobles qui quittaient la capitale, les livreurs des marchands des échoppes supérieures, les badaux et les candidats qui, comme lui, se dirigeaient vers le palais, se frayer un chemin était un véritable parcours du combattant. Les autres prétendants portaient tous arme et armure, et avaient tous le même regard : un air de détermination collé sur le visage.

 Cole ressentit comme un poids dans le ventre. L'espace d'une seconde, il voulut faire demi-tour et retourner se cacher dans ses montagnes. Il se demanda s'il avait eu raison de venir à Dhilia. A l'Oblihati, il avait une bonne position et aurait facilement pu devenir un grand chevalier de l'Oracle. Ici, il ne connaissait personne, n'appréciait ni le climat ni la ville, et n'avait aucune idée de s'il existait ne fusse qu'une chance d'entrer dans la garde royale. Il repensa à tout ce qu'il avait laissé derrière lui en partant pour la capitale.

 Quelqu'un bouscula Cole. Le soldat reprit ses esprits et se rendit compte qu'il s'était arrêté au milieu de la voie. Il bloquait une partie de la circulation. En quelques enjambées, il quitta la rue et se colla contre un mur. Il leva la tête en direction du palais : on distinguait à peine les murailles au dessus des têtes. En reprenant la route, l'étranger remarqua un panneau d'indications. Ses connaissances écrites en dhilien n'étaient pas parfaites, mais il avait appris comme s'écrivait le mot "caserne". Et celui-ci était inscrit sur l'une des pancartes. Il suivit les indications et parvint à son objectif assez rapidement.

 La caserne royale était bien plus qu'une simple garnison. Le bâtiment était non seulement gigantesque, mais valait architecturalement les plus beaux monuments du monde. Cole avait devant lui une véritable oeuvre d'art. L'Académie royale des Chevaliers de Dhilia faisait la taille d'un géant, autant en hauteur qu'en longueur. Devant le bâtiment s'étendait une cour qui ferait passer les grandes places publiques de l'Oblihati pour de malheureux jardins de banlieues.

L'heure n'était pas à l'admiration. Devant lui, des dizaines de prétendants se rassemblaient devant l'entrée. Sur une imposante estrade, trois gardes royaux donnaient des instructions pour classer les nouveaux arrivants. Les épreuves de sélection étaient sur le point de commencer. Cole serra le pommeau de son épée, et se dirigea vers l'attroupement.

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