Chapitre 10 : Eces vehtë, eces ambar-lanwa

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Une autre vie pour un autre monde

Les limbes relâchaient leur emprise tandis que sa conscience se réveillait. Peu à peu, elle se reconnectait à son corps. Il avait souffert, encore une fois, sans en connaître la raison exacte. Elle cherchait encore la lumière aveuglante des phares dans les ténèbres qui l’entouraient. Car de cela, elle s’en souvenait. C’était comme un cauchemar sans fin, un disque rayé qui se répétait sans cesse. Cet éblouissement, le crissement des pneus sur l’asphalte mouillé et ce klaxon de poids lourd qui hurlait toujours plus fort. Elle se voyait s’époumoner, mais n’entendait pas sa voix puis tout disparaissait. Le silence s’installait, lourd et oppressant.

Ensuite, les images revenaient, tel un kaléidoscope. Elle contemplait son corps d’en-haut. Bien qu’elle n’arrive pas trop à le distinguer tant les hommes et les femmes en blouse, s’affairaient autour. La pièce était petite et encombrée d’un matériel médical complexe. L’urgence était là, elle n’en doutait pas, mais elle ne comprenait pas pourquoi. Combien de temps s’était écoulé ? Elle ne savait pas. Parfois, elle fermait les yeux, alors c’est une autre scène qui apparaissait toujours dans la même chambre. Un lit rehaussé, entouré d’une batterie de machine dont les écrans brillaient dans le noir. Une veilleuse restait continuellement allumée, envoyant sa lumière blafarde au plafond, comme une petite lueur d’espoir.

Comme elle aurait aimé qu’on lui parle ! Parce qu’elle, elle ne le pouvait pas ! Et cela, elle l’avait découvert un peu par hasard. Sans en connaître la raison, elle s’était mise à observer les gens au niveau du sol, se tenant à leur côté. Comme cette infirmière, à l’écriture si aérienne qui avait inscrit des noms au feutre, sous des photos accrochées au tableau blanc.

Il y en avait une dizaine, mais elle ne s’attardait jamais à trop les regarder parce que la tristesse et la culpabilité finissaient par l’envahir. Tout comme ce pauvre corps meurtri, défiguré et mutilé.

Elle avait cherché à quitter cet endroit, mais elle n’y arrivait pas. Toutes ces tentatives s’étaient soldé par un échec, les portes étaient infranchissables. Alors, elle attendit encore jusqu’à ce qu’elle l’aperçoive, lui ! Lui et son sourire espiègle, ses yeux pétillants de vie sur ce cliché au milieu des autres. Elle détailla son visage comme pour le graver dans sa mémoire. Ses larmes jaillirent et son cœur se serra. Elle voulait toucher la photo, mais elle n’y arrivait pas. Des sanglots s’échappèrent de sa gorge et elle s’écroula.

A cet instant, Léo pénétra dans la pièce. Plus tard, elle allait se demander s’il avait seulement ouvert la porte pour entrer. Il s’était agenouillé et il lui avait souri en lui disant que tout irait bien. Les choses étaient ce qu’elles étaient, on ne choisissait ni le lieu, ni le moment. Puis il avait pris sa main en lui demandant : « Tu veux le voir ? »

Toujours incapable d’émettre un son, elle avait hoché la tête et le suivit en traversant le mur de la chambre jouxtant la sienne. S’était curieux, mais cela ne l’avait pas étonné plus que ça. La seule chose qu’elle désirait, s’était d’être auprès de son frère.

Devant le lit, Léo avait lâché sa main. Elle s’était approchée, tremblante, fixant ce masque de souffrance, tuméfié et boursouflé qui cachait les traits de celui avec qui elle avait grandi. Un dispositif médical le maintenait en vie et à ce qu’elle pouvait observer, aucun membre ne lui manquait. Cette réflexion l’avait soulagée et elle s’était surprise à sourire quand elle pensa qu’il pourrait de nouveau remarcher.

Son regard se posa sur l’alliance qu’il avait au doigt et des larmes roulèrent sur ses joues. Ses lèvres s’entrouvrirent mais aucun son n’en sorti. Pourquoi ne pouvait-elle pas parler ? Elle se tourna vers Léo qui lui dit simplement : « Tu n’es pas encore prête. »

A cet instant, son esprit s’embruma et elle se sentit flotté, guidé toujours plus haut vers quelque chose qui l’attirait hors des limbes. Puis le décor changea au travers du prisme de sa mémoire. Elle revoyait les longs couloirs qu’elle arpentait telle une âme en peine, à la recherche d’une explication sur ses divagations. Elle avait appris à s’échapper de sa chambre et avait fait des rencontres pour le moins surprenantes. Des personnes de tout âge, aux humeurs joviales ou sombres avec des vies plus ou moins bien remplies.

Certains rejoignaient très vite la lumière qui apparaissait soudainement sous forme d’un encadrement lumineux, d’autres semblaient dans l’indécision de rester ou partir. Malgré tout, les scènes qu’elles observaient restaient toujours joyeuses. On l’interpellait parfois pour se moquer du petit personnel qui déambulait en blouses ou encore à la machine à café. C’était le jeu préféré de ses compagnons d’infortune. Une boisson chaude qui se déversait toute seule, des commandes bloquées et l’hilarité grandissait devant des vivants décontenancés.

Léo la retrouvait souvent là-bas et il s’amusait de son étonnement de le voir encore ici, s’intéresser à elle et à ses ressentis. C’était un bel homme, bien bâti, dans la trentaine. Elle ne connaissait rien de lui et étrangement, elle ne posait aucune question. Sa seule présence la réconfortait.

Puis un jour, quelque chose changea. Au souvenir de la chemise à carreaux noir et rouge que Léo portait, son cœur se serra. Elle se revoyait immobile dans le couloir devant sa chambre à observer toutes les personnes à l’intérieur sans arriver à distinguer leur visage. Une femme se tenait près de son corps qui reposait sur le lit. Un médecin était là. Il parlait doucement et son empathie n’était pas feinte. A cet instant, Léo s’était approché : « Ils sont venus pour te dire au revoir. » Elle s’était avancée en observant la scène et sans objecter un refus, elle regarda les écrans s’éteindre et le monitorage de l’électroencéphalogramme devenir plat.

Soudain, les ténèbres de nouveau l’entourèrent. Un souffle chaud parcourra son corps et elle sentit quelque chose pressé sa main. Son esprit émergea des lames de l’inconscience et elle répondit à cette pression en resserrant ses doigts. Une odeur de cannelle s’engouffra dans sa trachée la faisant clignée des paupières. Elle sentit sur son corps la chaleur des draps et sur sa tête un tissu humide qui l’enserrait. Son torse se souleva et l’air empli ses poumons. Elle entrouvrit les lèvres et sentit une goutte d’eau salée roulé jusqu’à sa langue puis la chaleur d’une paume posée sur sa joue. Ses yeux cillèrent quand la lueur des bougies pénétra ses pupilles. Eblouie par les mèches vacillantes, elle détourna la tête et posa son regard sur celui qui lui tenait la main si tendrement.

Son cœur accéléra ses battements et ses yeux se voilèrent. Des larmes coulèrent le long de son visage faisant écho à celles de l’homme qui se tenait au-dessus d’elle.

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