Chapitre 73

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La nuit était tombée sur la capitale, et toujours pas de trace des deux hommes partis traquer l’Arköm.

La Souveraine avait fini par rejoindre ses appartements. Les Seigneurs avaient commencé à parler réformes et gouvernance avec l’Empereur, et elle sentait qu’elle n’avait plus sa place dans les débats. Dvorking lui avait promis un document paraphé pour le lendemain ; elle n’aurait plu qu’à détailler les points avec l’Assemblée sur Valyar. Une autre rencontre serait à fixer pour signer le document définitif. Le tout prendrait certainement quelques mois, mais elle était confiante. Le processus était engagé, et elle en était à l’initiative.

Elle aurait aimé pouvoir partager sa joie avec Lucas, mais le Messager n’était toujours pas là. Elle s’était alors retirée, désireuse de pouvoir se détendre un peu, de laisser de côté l’apparence de la Souveraine et de redevenir pour quelques heures la simple jeune fille de vingt-deux ans qu’elle était.

Satia fit couler un bain chaud et parfumé, avant de se déshabiller et de s’y plonger avec délices. Le parfum du santal lui rappelait la veille ; une soirée qui avait mal commencé mais s’était merveilleusement bien terminée.

Elle soupira. Lucas lui manquait. La Fédération lui manquait. Ses appartements sur Valyar lui manquaient. Il lui tardait de quitter l’Empire et de rentrer chez elle. La dernière réunion avec les Seigneurs s’était pourtant très bien passée, mais elle ne se sentait plus à sa place ici. Elle ne pouvait oublier qu’elle n’était pas venue ici de son plein gré, qu’elle avait été enlevée par l’Arköm pour servir au mieux ses intérêts…

Satia avait su retourner la situation à son avantage mais n’oubliait pas l’aide précieuse de Lucas. Il s’était écoulé des heures depuis son départ avec le Commandeur ; qu’est-ce qui les retenait ainsi ?

*****

Lucas a besoin de toi.

L’inquiétude de Séliak la fit bondir ; Satia glissa dans la baignoire, jura en se débattant avec sa serviette trempée. Elle s’était vraiment assoupie dans son bain ?

Que se passe-t-il ? réussit-elle à demander.

L’Arköm a réussi. Ils l’ont tué, mais il semble immortel.

Que dois-je faire ?

Elle était étrangement calme.

Demande du renfort à l’Empereur. Rends-toi sur place.

Je ne suis pas douée pour me battre, tu te souviens ? Je déteste ça.

Ta passivité aura des conséquences, cette fois, prévint Siléak. Décide-toi, mais décide-toi vite.

La jeune femme ravala sa salive. N’avait-elle pas dit qu’elle était prête à tout, dans les geôles de l’Arköm ? Elle avait menacé le Commandeur, l’Empereur lui-même ; elle avait participé au combat contre les Strators, même si son rôle avait été minime.

Aucun ne la terrifiait pourtant comme l’Arköm. Jamais elle ne pourrait oublier ce regard déshumanisé. Glaçant. Son impuissance.

Si tu n’y vas pas, il mourra.

Satia se rua dans la chambre, fouilla les placards, enfila un pantalon et une veste à la va-vite. Elle terminait les boutons en arrivant à la porte ; chercha la commande pour appeler quelqu’un. Un domestique, un serviteur, un esclave : n’importe qui.

L’attente ne fut que quelques minutes qui lui parurent insupportables.

–Je dois voir Dvorking ! Tout de suite !

–Mais… balbutia l’homme, terrifié, sans réussir à terminer son salut. Il est fort tard, je ne sais si…

–Je me moque de l’heure ! C’est une urgence ! Conduis-moi !

Elle devait paraitre bien intimidante pour qu’il s’incline si bas avant de courir dans les couloirs. Satia le vit parler à son poignet ; un communicateur ? Parler à distance pouvait s’avérer bien pratique. Elle était essoufflée quand elle reconnut les grandes portes frappées du sceau impérial. Satia laissa l’homme l’annoncer, impatiente.

Enfin, elle fut autorisée à pénétrer dans l’antichambre. Incapable de rester assise, Satia fit les cent pas. Quand Dvorking apparut, drapé dans une robe de chambre, et visiblement contrarié, elle s’immobilisa.

–Qu’y a-t-il de si urgent ? grogna-t-il.

–L’Arköm. Ils ont besoin de renforts. Tout de suite.

Son regard s’étrécit.

–Comment pouvez-vous le savoir ?

–Je le sais, c’est tout. Je dois me rendre sur place.

La jeune femme ravala sa salive.

–S’il vous plait.

L’Empereur la fixa longuement, silencieux. L’inquiétude de la Souveraine était palpable. Il n’avait pas réussi à l’intimider précédemment, pourtant il discernait maintenant la crainte dans son regard.

–Vous cachez bien votre jeu, dit-il enfin. Très bien. Donnez-moi quelques minutes.

–Merci, répondit-elle sans pouvoir masquer son soulagement.

Dvorking revint quelques instants plus tard, habillé convenablement. Satia le vit pianoter sur une console ; malgré sa curiosité, elle tint sa langue.

Quelques minutes plus tard, on frappa à la porte.

–Entrez, répondit l’Empereur sans quitter son écran des yeux.

Satia se raidit comme deux Maagoïs le saluaient. Dvorking profiterait-il de l’absence de Lucas pour revenir sur sa parole ?

–Sous-Commandeur Ralf, vous allez prendre une escouade et vous rendre immédiatement à… où sont-ils, au fait ?

–Je peux vous indiquer le lieu sur une carte.

Dvorking lui montra l’écran, et Satia chercha à se repérer. Difficile encore pour elle de localiser précisément Iskor au travers de Séliak.

Ici, dit la phénix comme elle balayait l’écran du doigt.

–Parfait, ce n’est pas très loin. Vous neutralisez toute menace et vous vous placez sous les ordres du Commandeur Éric, s’il est toujours en vie. Dépêchez-vous.

–À vos ordres, sire, répondit Ralf en saluant très bas. Lieutenant Emdyr, vous avez le commandement en notre absence.

Son accompagnant s’inclina et prit position contre le mur tandis que Ralf quittait les lieux en aboyant des ordres brefs.

–Vous m’avez demandé, sire ?

Surprise, Satia se retourna. Le Seigneur Evan était là, habillé à la va-vite si elle en croyait ses vêtements froissés, accompagné d’Ishty et de son esclave massilien. Sital, se souvint-elle.

–La Souveraine Satia a besoin d’une escorte pour rejoindre l’Arköm. Consentiriez-vous à l’accompagner ?

–À cette heure ? s’étonna-t-il.

Dvorking acquiesça.

–Pourquoi moi, sire ? osa prudemment le Seigneur d’Arian.

–Le sous-Commandeur Ralf devrait vous avoir déblayé la route. Rentrez ces coordonnées et conduisez-la.

–Il y a eu un problème ? déduisit Evan.

L’Empereur pinça les lèvres.

–Apparemment. Demandez-lui en chemin.

Le Seigneur d’Arian ravala sa salive. Ireth lui ferait payer cher son départ intempestif – avec une jolie jeune femme de surcroit – mais il ne pouvait aller contre la volonté de l’empereur.

–Merci, Dvorking, salua poliment Satia. Je me souviendrai de votre aide.

Elle emboita le pas au Seigneur qui quittait les lieux, ses hommes sur les talons. Comment allait-elle gérer de lutter aux côtés d’un esclave, surtout Massilien? Lucas avait vécu plusieurs jours avec ce collier autour du cou. Sous les ordres de ce Seigneur qui avait fini par le libérer, d’après ce qu’elle avait compris. Était-ce la raison pour laquelle Dvorking les avait associés ?

Satia n’oubliait pas que Dvorking était retors, et que sous couvert de lui rendre un service il chercherait aussi à profiter de la situation.

Un attelage les attendait aux portes du Palais ; sans être tiré par des centaures, à son soulagement. Le Seigneur d’Arian donna ses ordres au cocher avant de la rejoindre à l’intérieur.

–Qu’est-ce qui nous attend là-bas ? demanda Evan dès que le véhicule se mit en route.

–L’Arköm. Il serait… immortel. Je ne sais pas combien de temps ils pourront le retenir.

–Ils sont donc toujours en vie.

–Pour l’instant.

Satia s’obligea à mettre de côté son inquiétude, et sentit Séliak lui envoya chaleur et confiance. Elle préféra changer de sujet.

–Comptez-vous le libérer ?

–Je me conformerai à la décision de l’empereur, Orssanc lui prête sa force, répondit prudemment Evan. Tu aurais envie de rentrer chez toi, Sital ?

Assis près d’eux, l’esclave serra et desserra plusieurs fois ses mains avant de confronter son seigneur.

–Ma planète me manque, maitre, avoua le Massilien. Malgré tout… aucun futur ne m’attend là-bas.

Evan était surpris, nota la Souveraine. Satia avait suffisamment fréquenté les Massiliens pour savoir que l’esclavage était pire que le déshonneur. Il ne rencontrerait que mépris et dédain auprès des siens. Une cruelle réalité qui la peina. Lucas aussi avait été esclave, même si seulement quelques jours. Et il ne craignait pas son retour. Était-ce une simple question de délai ? Y’avait-il autre chose, une subtilité toute massilienne ? Elle devrait lui poser la question, quand ils auraient le temps. S’ils avaient le temps.

–Que comptes-tu faire quand tu retrouveras ta liberté, en ce cas ? demanda Satia. Vendre tes talents ?

–Si j’avais le choix, je resterai au service du seigneur Evan, répondit Sital.

–Alors l’affaire est entendue, déclara Evan. Je signerai les papiers nécessaires dès notre retour.

Sous le choc, Sital ne sut comment réagir.

–Être libre de vous servir sera un honneur, Seigneur, salua-t-il.

–Cela ne fera donc pas un très grand changement, lâcha Ishty. Si ce n’est dans la formulation.

–Malgré tout le respect que j’ai pour vous, Maitre Ishty, c’est une différence. En tant qu’esclave, je suis contraint de vous obéir. La loyauté n’est pas possible sous la contrainte, ne le comprenez-vous pas ? Ce collier m’enlève tout choix. Où se trouve la liberté d’agir quand aucun chemin n’est le bon ?

Le capitaine resta silencieux et Evan gloussa doucement.

–Tu t’en sors très bien, Sital. Est-ce là ce que vous escomptiez, altesse ?

–Les Massiliens sont un peuple d’honneur. N’espérez pas que je vous explique leur fonctionnement, j’en serai bien incapable.

Sital sourit.

–L’honneur et la loyauté sont des valeurs au cœur de notre société. En acceptant l’esclavage, je n’ai pas été fidèle à ces principes.

–En acceptant, dis-tu ? Mais il n’y avait pas d’autre choix, s’étonna Ishty.

–Il y a toujours un autre choix, dit doucement Sital. J’aurais pu choisir de mourir.

–Qui peut t’en vouloir de choisir de vivre ?

–L’honneur commande de faire ce qui doit être fait. Pas ce que l’on désire.

–Vous êtes un peuple bien étrange, marmonna Ishty après un silence.

Satia sourit.

*****

La Souveraine s’avança de quelques pas, porta ses mains à ses lèvres en découvrant la scène. Elle comprenait mieux pourquoi le couloir étroit était désert. Derrière elle, le seigneur Evan et ses hommes s’étaient assombris.

Le sol de marbre sombre était barbouillé d’écarlate. Les deux ailés étaient à terre, comme s’ils avaient été projetés sur les murs par une force surhumaine avant de glisser au sol. Les ailes blanches de Lucas, sur sa gauche, étaient éclaboussées de sang. À sa droite, elle devinait le Commandeur blessé ; sa poitrine se soulevait encore.

Eraïm, qu’est-ce qu’il s’était passé ici ?

Iskor était là, également. Sa seule présence signifiait que le pire n’était pas arrivé, mais que l’urgence avait nécessité son intervention. Elle se précipita auprès de Lucas. Eraïm, dans quel état était-il !

Iskor l’a soigné, mais il est encore faible. Il va lui falloir du temps pour se remettre. Temps que tu n’as pas.

Satia ravala sa salive. Séliak avait raison, l’Arköm devait être arrêté dans sa folie. Mais si deux guerriers d’élites tels que Lucas et le Commandeur avaient échoué, comment pouvait-elle espérer réussir ?

Tu as d’autres atouts. Crois en toi.

Elle caressa doucement sa joue ; ses yeux papillonnèrent avant de s’ouvrir brusquement.

–Que fais-tu là ? articula-t-il avec difficulté.

Satia sourit face à son inquiétude. Il ne changerait pas sur ce point.

–Séliak dit que c’est à moi de m’occuper de l’Arköm.

Le Messager serra les poings face à son impuissance. Son serment lui hurlait de ne pas la laisser seule face au danger que représentait l’Arköm, mais son corps était trop mal en point pour lui obéir.

Tu as frôlé la mort, rétorqua Iskor. Trouve-toi plutôt chanceux d’être seulement faible.

Je ne le sais que trop. Mais je ne pourrai jamais me réjouir de la laisser seule face au danger.

La jeune femme blêmit en avisant les larges déchirures écarlates sur ses vêtements.

–Ce n’est pas passé loin, n’est-ce pas ?

–Je pense qu’il m’a cru mort, oui.

Ses doigts trouvèrent les siens. Une simple pression qui lui redonna courage.

–Je te rejoins dès que je le peux. Sois prudente.

La jeune femme refoula ses larmes et se releva.

–Où est-il parti ?

–Les escaliers, vers le sous-sol, indiqua Lucas. Il doit y avoir d’autres niveaux, encore.

Elle épousseta sa tenue, lui adressa un dernier sourire puis s’enfonça dans l’escalier, ses pensées tourbillonnant. Comment se concentrer sur l’Arköm alors qu’elle ne pensait qu’à Lucas ?

Blessé. Vulnérable. Si fragile.

L’abandonner ainsi était une vraie déchirure.

Iskor veille sur lui, l’apaisa Séliak. Fonce.

L’Arköm était devenu immortel avec son sang. Personne d’autre qu’elle ne pouvait mettre fin à cette abomination.

Quoi qu’il ait concocté, sa potion ne peut avoir un effet permanent, intervint Séliak. Les cellules naissent et meurent. Les phénix aussi, meurent. L’immortalité est une illusion.

Il me suffit donc de détruire son laboratoire ? énonça lentement Satia.

Je pense. Il ne doit pas avoir beaucoup de réserves et tu n’es plus là pour lui servir de matière première.

La culpabilité l’envahit. Jamais elle n’aurait dû le laisser agir.

Tu n’avais pas le choix.

Satia ravala sa salive. L’Arköm ne pouvait être loin. Il ne s’enfuirait pas sans ses précieuses potions.

Avec précaution, elle descendit les marches. Du sang couvrait le sol et les murs ; des lignes complexes avaient été tracées, par l’Arköm lui-même. Mais plusieurs cadavres rompaient les tracés, les effaçant presque complètement par endroit. Satia lutta pour ne pas vomir. Tous n’avaient pas eu droit à une mort rapide. L’escouade de Maagoïs avait été entièrement exterminée.

Je me demande comment tu penses que je vais réussir là où ils ont tous échoué.

Tu as le Don, n’oublie pas.

Satia chercha une autre sortie possible ; en vain. Aucune porte n’était visible, il n’y avait aucune fenêtre, et rien qui ressemblait à un escalier.

Frustrée, elle frappa du poing sur le mur. Des pas précipités la firent bondir.

–Je viens vous aider, haleta Sital.

–Merci, répondit-elle.

Evan l’accompagnait. Perdue dans ses pensées, Satia avait presque oublié qu’elle n’était pas seule.

–J’ai préféré laisser Ishty avec les blessés, commenta-t-il. Que cherchez-vous ?

–Il aurait fui par ici, mais… il n’y a pourtant aucune issue.

Evan fit le tour de la pièce en se tapotant les lèvres, enjambant les cadavres sans y penser. Les traces sanglantes avaient formé des runes, initialement. Peut-être que s’il retrouvait le tracé initial… L’exercice était délicat, mais Evan adorait les défis.

–Ici, dit-il. Regardez. Le joint est légèrement plus épais. Il y a une trappe. Sital, viens m’aider.

Les deux impériaux unirent leurs forces pour déplacer les corps et révélèrent une ouverture. Satia frissonna, saisie par le froid humide qui s’en dégageait.

–Je passe devant, décida Sital.

Les ailes étroitement repliées contre lui, il descendit dans l’obscurité. Bientôt, des tâches de lumières apparurent.

–Un éclairage automatique, commenta Evan. Il avait donc tout prévu. Après vous, altesse.

Sital les attendait quelques mètres plus loin.

–Que ferons-nous face à l’Arköm ?

–Je n’y ai pas encore réfléchi, avoua la jeune femme.

–L’empereur a demandé à ce que je vous accompagne, mais le combat à l’arme blanche est loin de mon terrain de prédilection. Et si Sital est doué, le Commandeur et votre ami l’étaient davantage.

–Les phénix croient que mon Don du Feu sera suffisant face à l’Arköm.

–Vous communiquez avec eux ? questionna Evan, surpris.

–Séliak est Liée à moi, confirma Satia.

Ils marchèrent de longues minutes en silence ; les couloirs étaient sombres malgré le faible éclairage, et l’humidité suintait des murs. Aucune fioriture, aucune décoration : l’accent avait été mis sur la praticité.

–C’est vous qui créez les potions et poisons pour l’armée impériale, n’est-ce pas ? demanda Satia.

Evan la dévisagea.

–Que souhaitez-vous savoir exactement ?

Il n’avait pas répondu à sa question, nota-t-elle. Il était bien plus subtil qu’elle ne l’avait cru au premier abord et avait parfaitement compris ses non-dits implicites.

–Lucas ne le sait donc pas ? déduisit-elle.

Evan pinça les lèvres.

–Non. Je connais la valeur de Sital au combat. Je l’ai libéré dès que j’ai vu son phénix. Nos intérêts concordaient sur ce point, de toute manière. Il souhaitait vous retrouver, et je voulais la mort du Commandeur.

–Je ne lui dirai pas, l’assura Satia. Vous avez de quoi empoisonner l’Arköm ?

–Oui. J’ai des toxines paralysantes, qui devraient au moins le ralentir. N’escomptez pas de miracle de ma part.

–Et ce truc qui explosait au contact d’une flamme ? reprit la jeune femme.

–Il m’en reste, dit Evan en triturant ses bracelets.

–Parfait. Je vous laisserai le soin de choisir le moment adéquat ; ne retenez rien. Si nous échouons à le tuer là…

Evan acquiesça. Elle était jeune, mais étonnamment perspicace. Deux mètres devant eux, Sital s’immobilisa soudain et d’un geste requit le silence. Evan prépara l’un de ses bracelets, Satia serra convulsivement sa dague, tout en sachant sa protection bien dérisoire.

Une ombre se découpa dans l’encadrement du corridor ; ils n’avaient aucune cachette. Ils retinrent leur souffle. L’ombre diminua, jusqu’à finalement disparaitre.

Satia s’autorisa à respirer de nouveau. Eraïm, si une simple silhouette la mettait dans cet état ! Elle suivit Sital dans la petite pièce sur leur gauche. Le sol et les parois métalliques lui rappelèrent sa cellule ; elle frissonna. Des étagères étaient fixées sur les murs, garnies de récipients et flacons en tout genre, contenant des poudres, des liquides aux nombreuses teintes, ou des substances qu’elle n’arriva pas à identifier. Les étiquettes étaient couvertes d’une écriture fine et minutieuse. Son laboratoire, Satia en était certaine.

Sourcils froncés, le seigneur Evan examina les flacons, fit glisser ses doigts sur les étagères pour constater qu’ils étaient exempts de toute poussière. Il déboucha plusieurs flacons, les renifla, avant de les reboucher.

–L’un de ses laboratoires, je présume, constata-t-il. Je reconnais certains produits, d’autres me restent étrangers.

–Des mélanges avec mon sang, certainement, marmonna Satia en frottant ses bras. Il faut tout détruire.

–Vous êtes sûre ? Nulle explosion n’est discrète.

Elle opina.

–Coupons-lui ses idées de fuite et obligeons-le à la confrontation.

–Êtes-vous prête ?

Satia lui retourna un pâle sourire.

–Non. Mais ai-je le choix ?

Tu raisonnes sagement. Aie confiance.

–Donnez-moi quelques minutes. Sital, monte la garde.

Evan sélectionna minutieusement plusieurs perles sur les diverses rangées de ses bracelets colorés ; en même temps qu’il s’activait, il murmurait une litanie presqu’inaudible dans laquelle Satia finit par discerner des calculs mathématiques. Evan s’interrompit, lui jeta un coup d’œil.

–Vous pourrez me fournir des flammes ?

–Dites-moi quand.

Satia recula près de Sital quand une fumée verte et un arôme de pomme envahirent les lieux ; une fois encore la jeune femme fut émerveillée par la capacité d’Evan à produire des substances toxiques à l’odeur si agréable.

Elle attendit qu’ils se replient dans le couloir avant de créer une flamme dans sa main ; elle propulsa la boule incandescente dans la pièce avant de se réfugier à l’extérieur. La détonation les fit vaciller, et malgré les mains sur leurs oreilles, tous les sons leur parurent soudainement assourdis.

Le cri de rage de l’Arköm qui revenait sur ses pas leur fut pourtant aisément perceptible.

–Courez !

Evan la repoussa vers Sital avant de fracasser un autre bracelet sur le sol. Une épaisse fumée monta aussitôt, les camouflant. Mais ils n’avaient d’autre issue que de rebrousser chemin dans ce même couloir. Devant lui, Sital entrainait la Souveraine à sa suite. Quelques pas derrière eux, Evan suivait le rythme, sans pouvoir s’empêcher de jeter des coups d’œil réguliers derrière lui. L’Arköm les rattrapait, il en était certain. Il avait traversé l’écran de fumée empoisonnée sans même ralentir. Si même ses poisons étaient inefficaces, ils n’auraient aucune chance. Encore une fois, le Seigneur fut stupéfié par le travail titanesque abattu par l’Arköm. Creuser ces galeries sans éveiller les soupçons ; planifier ses coups depuis des dizaines d’années… l’Empereur n’était pas le seul à l’avoir sous-estimé. Aucun Seigneur n’avait compris la puissance que dévoilait l’Arköm aujourd’hui.

De chasseurs ils étaient devenus les proies ; Evan referma la trappe avec un juron. Satia recula quand elle fut agitée de soubresauts.

–Préparez-vous, avertit Sital. Nous devons le combattre ici, les escaliers et les couloirs sont trop étroits pour vos artifices.

La jeune Souverain acquiesça bravement ; la perspective du combat à venir la terrifiait.

–Écarte-toi, Sital.

Interloqué, le Massilien la dévisagea.

–Je ne peux pas, altesse, dit-il enfin. Mon devoir est de vous protéger, le Seigneur Evan et vous.

–Elle a raison, Sital, déclara Evan. Il est au-delà de tes compétences. Ton sacrifice ne servirait à rien.

L’esclave pinça les lèvres mais obéit et se rapprocha de l’autre issue. L’Arköm jaillit du tunnel, la fureur déformant son visage.

–Qu’avez-vous fait ? hurla-t-il.

Il était bien moins impressionnant ainsi, trouva Satia. Quand il ne portait pas ce masque de froideur insupportable, quand il perdait sa voix suave, quand il montrait enfin ses émotions.

Ils devaient profiter de cette aubaine. Evan avait lu dans ses pensées, parce qu’il envoya plusieurs perles exploser aux pieds de l’Arköm. Des fumées colorées se mêlèrent ; Evan pesta comme l’Arköm les traversait sans dommage apparent.

–C’était censé le ralentir. Ça ne marchera pas !

Satia convoqua son feu et envoya plusieurs boules de feu ; si la fumée s’embrasa, l’Arköm se contenta de grimacer avant de tapoter les flammèches qui avaient gagné ses vêtements.

La jeune Souverain croisa le regard dément de son ennemi. Le froid s’empara d’elle, glaçant jusqu’à ses os. Sa terreur la paralysait.

Vas-y, souffla Séliak dans son esprit.

La chaleur de sa présence dissipa l’emprise de l’Arköm ; réchauffa son courage. Les flammes apparurent dans ses mains, irradiantes de chaleur.

Plusieurs boules de feu fusèrent vers l’Arköm ; il bondit pour les éviter. Il les craignait donc. Son insensibilité aux flammes n’était qu’une illusion.

Satia continua son manège, chercha à l’attirer loin des deux hommes. Elle ne pouvait se permettre de le laisser venir au contact. Même morts, les Maagoïs se révélaient utiles ; une part d’elle-même s’en révulsait, mais les cadavres brûlaient bien et l’Arköm était obligé de contourner ces obstacles, perdant un temps précieux. La fumée âcre et noire le fit tousser ; la haine pure de son regard l’incitait à la rapidité. Satia était trop terrifiée pour songer à autre chose qu’isoler l’Arköm.

Evan l’attrapa par le coude, l’incita à remonter les escaliers. Un linge recouvrait son nez et sa bouche ; la fumée rendait la respiration difficile.

La porte franchie, Sital referma derrière eux et barricada de son mieux.

–Ça va ? s’inquiéta Evan face à son essoufflement.

–Oui. Merci pour cette pause bienvenue.

–Elle sera courte, j’en ai peur, intervint Sital en fronçant les sourcils.

Déjà la fumée sourdait par l’encadrement, bientôt suivie de martèlements sourds.

–Étrange qu’il ne cherche plus à fuir, marmonna Evan en lançant l’un de ses derniers bracelets.

–Sa haine le domine, répondit Satia. Nous avons détruit ses précieuses recherches. Il sait que je suis là, et il désire me faire payer.

Une brise fraiche à l’odeur de cannelle dissipa bientôt la fumée.

–Vous êtes plein de talents, remarqua Satia.

–Merci. Cet air irrespirable nous serait aussi nocif qu’à lui. Ils n’ont toujours pas repris connaissance, remarqua-t-il en balayant la pièce du regard.

–Si, mais seulement brièvement, intervint Ishty. L’oiseau les maintient dans cet état, continua-t-il en désignant le phénix couché sur Lucas.

Le capitaine n’avait pas chômé et avait regroupé les deux ailés dans l’un des recoins de la pièce.

–Vos ordres, seigneur ? hasarda-t-il.

–Pourriez-vous me rendre un service ? demanda la jeune Souveraine.

–Je vous écoute.

–L’Arköm ne mourra pas facilement. Il parait insensible aux poisons, et de ce que j’en sais, se remet de n’importe quelle blessure.

Satia ravala sa salive avant d’oser relever son regard sur les trois hommes qui la fixaient en silence.

–Néanmoins, si je parviens à l’amener à terre, pourriez-vous… pourriez-vous le décapiter pour moi ? Je n’en serai jamais capable.

–Je m’en chargerai, répondit farouchement Sital.

–Nous le démembrerons, par précaution, confirma Evan. Vous mettrez le feu aux différentes parties, j’imagine ?

Satia acquiesça.

–J’espère que ça suffira. Le sang des phénix ne devrait pas lui permettre de renaitre de ses cendres, mais je préfère ne pas prendre de risque.

–A raison, approuva Evan. Nous disperserons ses cendres.

–Les noyer serait plus sûr, mais je ne vois rien qui ressemble à une source d’eau ici.

La porte vola en éclats dans un rugissement. Satia recula d’un pas face à la silhouette menaçante qui se dressait dans son encadrement. Sur une impulsion de Séliak, elle reprit ses esprits et généra ses flammes protectrices. Les cadavres des hommes de l’Arköm brûlèrent bientôt ; derrière le mur de flammes, Satia se sentait presque en sécurité.

Un éclat miroita alors dans la main de l’homme ; Satia réalisa qu’il s’agissait d’une dague. Et qu’elle en était la cible.

L’Arköm était bien trop proche. Elle n’avait aucune chance d’esquiver l’arme qui volait droit sur elle ; seul éclatait dans son esprit l’avertissement trop tardif de Séliak.

Elle allait mourir là, devant le rictus haineux et satisfait de l’Arköm.

La dague percuta le mur dans un fracas métallique. Satia cligna plusieurs fois des yeux. Nulle lame n’avait dévié sa trajectoire. Et l’Arköm avait pourtant reculé d’un pas, abasourdi.

Satia croisa le regard bleu-acier si familier, y lut toute sa détermination ; Lucas luttait pour rester conscient, pour la rejoindre, et en même temps… ne percevait-elle pas comme un certain… soulagement ?

Perplexe, Satia chercha ses alliés. Evan était bouche bée, Sital et Ishty la regardaient avec une sorte de crainte admirative.

La jeune femme était persuadée d’avoir senti l’arme la traverser. Elle se sentait différente. Quelque chose n’allait pas.

Sa main chercha la trace qu’aurait dû laisser la dague sur sa poitrine et s’enfonça de plusieurs centimètres sans rencontrer de résistance. Satia baissa les yeux.

Son corps avait disparu ; des flammes le remplaçaient.

Je te l’avais dit, fit la voix amusée de Séliak. Tu ES le Feu.

Son désarroi premier passé, l’Arköm avait repris contenance.

–Voilà qui devient intéressant, murmura-t-il. Mais je suis immortel. Combien de temps tiendrez-vous ainsi ?

Satia n’en menait pas large. Comment contrôler le brasier qui la dévorait ?

De la même façon que le reste, dit doucement Séliak. Rien n’a vraiment changé.

La chaleur de la phénix raffermit sa détermination. La situation était étrange mais si Séliak disait qu’elle était capable de la gérer, elle devrait lui faire confiance.

Quand elle pointa son bras vers l’Arköm, un torrent de feu s’en échappa. L’Arköm bondit sur le côté pour esquiver puis s’avancer pour frapper de taille avec son épée.

L’arme la traversa sans rencontrer de résistance et l’Arköm lâcha l’épée devenue brûlante, jura avant de se cogner dans le mur en cherchant à esquiver un nouveau déluge de flammes. Satia ne lui laissait aucun répit et déployait son Feu sur son chemin, découvrant à tâtons de nouvelles manières d’exploiter son pouvoir.

L’Arköm tituba en enjambant un cadavre dissimulé par la fumée, percuta le mur une nouvelle fois en voulant esquiver les flammes. À moitié sonné, il mit un genou à terre.

Les trois impériaux n’attendaient qu’une occasion ; ils se jetèrent sur l’Arköm et l’immobilisèrent.

Samuel se débattit en grognant ; en vain. Même lui ne pouvait lutter contre les trois hommes. Sital s’affaira avec sa dague pour détacher la tête du corps, jurant comme les jets de sang les éclaboussaient.

–Mes vêtements seront irrécupérables, marmonna Evan.

Le corps continuait à se débattre alors même que la tête était séparée ; la vision était repoussante au possible.

Satia lutta contre la nausée qui l’envahissait et fit jaillir ses flammes sur la tête que Sital avait posé au sol.

L’odeur de la chair brûlée était insupportable. La bouche était ouverte sur un cri silencieux, et les yeux la fixèrent avant de fondre comme le reste des tissus.

Continue, souffla Séliak en sentant sa détermination vaciller.

Satia n’arrivait pas à détacher son regard, horrifiée et fascinée malgré elle par la chair qui se racornissait, la fumée noire qui la faisait tousser, les dernières fumerolles qui s’élevèrent enfin du crâne noir et lisse. Elle aurait vomi si elle n’avait pas été enflammée.

Sital s’approcha avec prudence, et écrasa l’os de plusieurs coups de bottes. La jeune Souveraine reporta son attention sur le reste du corps de l’Arköm. Evan et Ishty étaient couverts de sang ; et les différentes parties de l’Arköm formaient un tas répugnant. Satia rassembla son courage pour carboniser ces restes ; l’odeur était insoutenable et elle doutait de pouvoir apprécier de nouveau les grillades.

La flambée dura longtemps ; quand les dernières flammes moururent, Satia était épuisée. Son Feu disparut, elle s’effondra sur ses genoux, haletante et constata que ses vêtements n’avaient pas résisté à sa transformation.

Sital et Ishty s’occupaient de disperser les cendres encore brûlantes, jurant lorsque des escarbilles volaient jusqu’à eux. Leurs vêtements maculés de sang fumaient par endroits.

–Est-ce terminé ? demanda prudemment Evan.

–Je l’espère, répondit Satia avec un pâle sourire.

Vous avez fait le nécessaire, dit Séliak. Merci.

Tu savais que je … je… me transformais, ainsi ?

Oui. Le sang des phénix coule dans tes veines. Tu le savais, mais sans comprendre à quel point le Feu est pour toi naturel. La mort que tu as vu a débloqué ce verrou inconscient que tu t’imposais.

Tant de puissance… J’aurais pu réduire les lieux en cendres.

Tu ne l’as pas fait. Fais-toi confiance.

Merci, Séliak.

Trébuchant, vacillant, Lucas tituba près d’elle, la serra dans ses bras et l’entoura de ses ailes.

–J’ai eu si peur. Tu n’as rien ?

–Ça va, le rassura Satia en lui rendant son étreinte. J’ai eu très peur aussi.

Elle resta de longues secondes blottie contre lui, savourant son contact rassurant.

–J’apprécierai un vêtement quelconque, ceci dit.

–Attrape !

Un tissu vola vers elle ; Lucas l’intercepta et l’en enveloppa. Son regard n’avait pas quitté son visage ; Satia sourit. Elle accepta sa main pour se relever, vérifia que son corps était convenablement couvert par la cape.

Derrière Lucas, le Commandeur. En piètre état lui aussi, au vu de son uniforme ensanglanté. Il tenait à peine sur ses jambes, mais Satia se garda de toute remarque. Quoi qu’ils en disent, ils partageaient une certaine vision de l’honneur.

–Vous avez donc réussi là où nous avions échoué, lâcha Éric. Remarquable.

–J’ai eu de l’aide, nota Satia.

Une troupe plus importante pénétra dans la pièce ; les soldats se dispersèrent sur un geste du Commandeur pour sécuriser les lieux.

–Des renforts un peu tardifs, mais j’imagine que l’empereur Dvorking, Orssanc lui prête sa force, a fait au mieux quand il s’est rendu compte que vous et votre second était injoignables, fit le Seigneur Evan.

–Rentrons au Palais. Nous n’avons plus rien à faire ici et l’Empereur appréciera d’avoir des nouvelles.

Malgré sa faiblesse, le Commandeur refusa l’aide timidement proposée par ses hommes. Ishty et Sital restèrent sur place, désireux de s’assurer que l’Arköm resterait mort.

La petite équipée remonta les couloirs chichement éclairés ; Satia s’immobilisa soudain.

–Qu’y a-t-il ? questionna le seigneur Evan.

–Vous n’entendez rien ?

Tous tendirent l’oreille. Le Commandeur ouvrait la bouche pour se moquer de ses craintes quand un faible grattement fut perceptible.

–Il doit bien y avoir un moyen d’ouvrir cette porte, s’agaça la jeune femme en malmenant la poignée en vain.

–Laissez-moi faire, intervint Evan.

Le Seigneur d’Arian écrasa une perle entre ses doigts et saupoudra la poudre obtenue sur le boitier de commande que Satia n’avait pas remarqué.

Après quelques essais, le voyant passa au vert en produisant un « clic » et Evan poussa la porte.

Satia s’avança de quelques pas dans la pénombre, laissa ses yeux s’accoutumer à la faible lumière. Un cri de surprise lui échappa.

–Eraïm ! Qu’est-ce que c’est que… comment…

Trois oiseaux étaient prostrés contre les murs de l’étroite pièce - si l’on pouvait appeler pièce ce placard sombre dépourvu de la moindre ouverture – et pas n’importe quels oiseaux : des phénix.

–Ouvrez les autres portes, ordonna Evan dès qu’il en eut un aperçu.

Iskor avait jailli devant Satia ; la jeune femme comprit rapidement qu’il y avait un problème quand les oiseaux restèrent de marbre face à leur congénère. Iskor s’énervait, elle le percevait clairement, sans réussir à tirer une quelconque réaction aux autres phénix. Finalement, Lucas le rappela et le tint serré contre lui de longues minutes.

Explique-moi, demanda-t-elle face au mutisme de Séliak. Ce sont bien des phénix ?

Oui, répondit-elle après un silence. Ce sont des phénix. Mais… Iskor et moi n’arrivons pas à communiquer avec eux. Je ne sais pas si ce sont des expériences de l’Arköm ou s’il les a obtenus par capture. Une seule chose est certaine : leur esprit a été mutilé. Ils n’ont pas accès au Wild.

Satia accusa le coup. La sagesse des phénix était légendaire, et tous les animaux, à de rares exceptions, avaient la possibilité de communiquer par le Wild.

Les laisser aux mains de l’Empire serait criminel, non ? poursuivit Satia.

Qu’as-tu en tête ? questionna Séliak, curieuse. Oh. Je doute que ça marche, mais nous n’avons rien à perdre.

La jeune femme revint vers Lucas, posa la main sur son bras.

–J’ai besoin de l’aide d’Iskor, dit-elle doucement.

Le Messager découvrit le phénix, prostré dans ses bras. Satia eut un pincement au cœur. Sa tristesse face à la détresse de ses congénères était palpable.

–Peut-il les ramener à Valyar ? Sanae devait s’y rendre.

–Je me renseigne, répondit Lucas d’un ton las.

Peu de temps après, Iskor quitta les bras de son Lié, s’approcha des phénix qu’Evan avait réuni. Une douzaine au total. L’Arköm avait bien caché son jeu, remarqua Satia, dépitée. Tout était prévu avant même qu’elle soit en sa possession.

La jeune femme détourna les yeux de la lumière éblouissante qu’émettait le phénix quand ils disparurent.

–Pas d’autre surprise ? demanda-t-elle à Evan.

–Non. L’empereur sera mis au courant. La traitrise de l’Arköm se révèle bien plus importante que prévue.

–Il exigera une enquête approfondie, marmonna le Commandeur.

Le trajet dans la calèche qui les ramenait au Palais de l’Empereur fut paisible et silencieux ; Satia luttait pour rester éveillée, épuisée qu’elle était ; Lucas tentait de masquer sa faiblesse et les tremblements qui le secouaient encore de temps à autre après la guérison d’Iskor. Le regard pensif d’Evan montrait qu’il gardait le silence par politesse. Seul le Commandeur avait fermé les yeux. Satia n’osait croire qu’il dormait réellement.

Quand ils débarquèrent aux portes du Palais Impérial, Satia n’aspirait qu’au repos. Evan la retint un instant ; Satia rassura Lucas d’un geste quand elle s’aperçut qu’il avait déjà la main sur son épée.

–Il est bien plus qu’un simple garde du corps, n’est-ce pas ? murmura le Seigneur pour ses seules oreilles.

–Qu’est-ce qui vous fait penser ça ?

–Son manque de surprise à vous voir nue ? Soyez prudents.

Satia se contenta de vagues paroles avant de rejoindre Lucas. Trop de problèmes, trop de fatigue : elle avait désespérément besoin d’une pause.

*****

La porte claqua derrière elle, et Satia s’effondra sur le lit moelleux, soulagée. L’Empereur avait bien voulu se contenter du minimum ce soir ; une prochaine réunion comblerait son besoin de détails, même si elle se doutait que ses hommes ne se priveraient pas de raconter le combat contre l’Arköm en détails.

Elle rouvrit les yeux pour découvrir Lucas planté devant elle.

–Tu dormiras plus tard. Va prendre un bain.

Satia soupira avant d’obtempérer. Elle n’en avait nulle envie mais savait qu’il avait raison. L’odeur des combats était sur elle, et elle était toujours nue sous la cape qui avait connu des jours meilleurs.

–Et toi ? questionna-t-elle.

La jeune Souveraine n’oubliait pas qu’il avait été blessé et restait affaibli. Il était encore bien pâle.

–Vas-y.

Elle pinça les lèvres. Il était évasif, à son habitude.

L’eau brûlante et parfumée était un délice en même temps qu’une invitation au sommeil. Elle fit disparaitre les traces de cendres et les relents de mort qui s’étaient infiltrés sur elle ; se sentir propre était agréable après cette soirée de cauchemars. Quand elle revint dans la chambre, elle trouva Lucas endormi dans l’un des fauteuils. Un sourire gagna ses lèvres. Il devait être réellement épuisé pour s’assoupir ainsi.

La jeune femme s’approcha et passa la main sur son front. Il ouvrit aussitôt les yeux, surpris.

–À ton tour, sourit-elle.

Satia l’attendit en silence, assise sur le lit, jouant avec les cordonnets des coussins. Il ne tarda pas à réapparaitre, vêtu de propre et sentant le savon.

Quand Satia réalisa qu’il gagnait sa propre chambre, elle l’interpella :

–Ne me laisse pas seule. Pas ce soir.

Le Messager soupira avant de revenir auprès d’elle. Il était réellement exténué, songea-t-elle avec un pincement au cœur. Mais elle ne désirait rien d’autre que sa simple présence, cette nuit.

Satia glissa sous les draps pour se blottir entre ses bras.

–Ça ne va pas ? s’enquit Lucas en caressant ses cheveux.

–Je n’arrive pas à m’ôter ces images de la tête, frissonna-t-elle. J’ai peur de fermer les yeux et de le voir encore. Son visage. Son crâne. Je n’avais jamais… Eraïm, je l’ai brûlé à le réduire en cendres !

Le doigt sur ses lèvres la fit taire.

–Dors tranquille. Il ne peut plus te faire de mal.

La respiration lente et profonde de Lucas était apaisante. Somnolente, Satia bascula doucement dans le sommeil.

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