Chapitre 69

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Satia et Lucas se retrouvèrent à suivre un domestique dans les larges couloirs du Palais Impérial. Les murs étaient sombres ; des cadres trônaient çà et là, des portraits qui alternaient avec des paysages bucoliques et des œuvres plus abstraites. Sur le sol, des tapis d’un rouge profond assourdissaient les pas. Ils tournèrent et tournèrent encore ; Satia se rendit compte qu’elle était complètement perdue ; elle espéra que le Messager avait prêté davantage attention qu’elle aux tours et détours de leur guide.

Elle ne savait même plus depuis combien de temps ils marchaient lorsque le domestique s’arrêta enfin.

–Voici vos appartements, Altesse, dit-il en s’inclinant.

Moins que pour l’empereur, certes, mais il s’inclinait quand même. C’était un premier pas.

–Merci, répondit-elle gracieusement.

La politesse ne coûtait pas grand-chose et pouvait se révéler précieuse par la suite. Le Messager lui ne s’embarrassa pas et ferma la porte au nez de leur guide.

–Ce n’était pas très gentil, ça, dit-elle doucement.

–Ce n’était pas important, répondit-il en s’avançant dans le petit salon qui servait d’antichambre.

Son regard expert s’attarda sur tous les recoins où aurait pu se cacher un assassin ; il déploya les lourds rideaux de velours derrière les fenêtres : ainsi, ils ne feraient plus des cibles faciles.

–Lucas, si l’empereur avait voulu nous tuer, il l’aurait déjà fait.

–Quelques précautions s’imposent malgré tout.

Satia soupira et pénétra dans la chambre proprement dite. Le lit imposant occupait une bonne partie de la pièce ; sur la gauche, une porte donnait sur une petite salle d’eau. En face, la deuxième chambre contenait un petit lit : elle se demanda si Lucas était considéré comme son serviteur, et si elle devait ou non corriger cette méprise.

Elle s’assit sur le lit qui s’enfonça de plusieurs centimètres. Enfin un peu de repos. Cette journée avait été chargée en émotions, et cette rencontre imprévue avec Dvorking avait manqué de faire voler en éclats le peu de contrôle qu’il lui restait.

–Tout va bien ? s’inquiéta Lucas en passant la tête par la porte.

–Oui, dit-elle avec un sourire. Juste un peu fatiguée. Et toi ?

–Ça ira, éluda-t-il à son habitude.

–Viens t’asseoir, proposa-t-elle en tapotant les couvertures près d’elle. Dis-moi ce que tu as pensé de l’empereur.

Le jeune Messager obéit et vint la rejoindre. Ils étaient dangereusement proches l’un de l’autre ; il ne devait pas se déconcentrer. Pas en territoire ennemi. Pas au cœur du Palais impérial.

–Dvorking est redoutable, dit-il enfin après avoir pris le temps d’arranger convenablement ses ailes.

–Je l’avais deviné sans peine.

–Je ne comprends pas trop à quoi il a joué ce soir. Mais il n’a pas joué qu’avec nous, cela est certain. Éric semblait lui aussi mal à l’aise dans ce rôle qui n’est pas le sien.

–Tu ne m’avais pas dit qu’il était ton frère, releva-t-elle.

–Tu m’excuseras de ne pas avoir divulgué l’un des plus grands secrets de la Seycam de Massilia, rétorqua-t-il.

Elle écarquilla les yeux.

–Alors ton père était au courant depuis le début ?

–Bien sûr. C’est lui qui a renié son fils ainé, après tout.

–Celui qui était mort ? Mais…

–Celui que tout le monde a pensé mort, expliqua patiemment Lucas. Ne t’en veux pas ; je ne suis moi-même au courant que depuis peu.

–Je pensais bien connaitre les coutumes massiliennes, dit-elle lentement, mais là, quand même, c’est fort ! Votre façon de jouer avec la vérité est assez incroyable.

–C’est votre perception de la vérité qui est facilement manipulable. Ne me dis pas que tu es choquée ; tu en as été témoin bien plus que la plupart de tes confrères. De toute façon, même en étant mon frère, le commandeur des Maagoïs est avant tout un ennemi.

–Tu comptes toujours le tuer ?

–Oui.

–Mais…

–Aucun autre choix n’est possible. Aioros a grandi avec lui ; trop de sentiments les unissent encore. Et les jumeaux sont loin d’avoir le niveau. Les autres… (Lucas ravala sa salive). Il ne reste que moi.

–C’est cruel d’obliger ses propres enfants à s’entretuer.... La base de la famille c’est l’entraide.

–L’honneur de la Seycam doit être lavé dans le sang.

–Mais…

Lucas se leva d’un bond. Il ne pouvait rester. Elle le troublait trop, l’obligeait à envisager d’autres possibilités que leur survie immédiate.

Avec effort il rassembla ses pensées. Une chose après l’autre. L’Empereur était un ennemi. Leur accorder l’hospitalité ainsi n’était pas logique. Il devait rester à l’affût d’un nouveau piège. Être ainsi surpris par le Commandeur avait été mortifiant.

Ramener Satia saine et sauve sur le sol de la Fédération restait son unique objectif ; la concentration était primordiale.

–Il est inutile de poursuivre cette discussion. Repose-toi, si tu le souhaites.

–Lucas, attends, dit-elle comme il rejoignait le petit salon. Je suis désolée… je ne voulais pas que tu le prennes ainsi. Ne peux-tu me dire ce qui ne va pas ?

Elle attendit en silence, tandis que le jeune homme, immobile dans l’embrasure de la porte, pesait sa décision.

–Non, dit-il doucement. Je ne peux pas.

Il ferma derrière lui, et Satia se sentit plus seule que jamais. Sans prendre le temps de se déshabiller, elle s’effondra sur les draps et laissa les larmes inonder l’oreiller.

*****

Derrière la porte, le Messager perçut les sanglots étouffés de la jeune Souveraine ; un instant, la culpabilité le saisit, puis il se reprit. Quelques respirations lentes calmèrent ses émotions, avant qu’il ne balaie la pièce du regard. Ce n’était pas sa chambre, mais le petit salon. A défaut, le tapis ferait un matelas acceptable.

Sérieusement, Lucas !

J’essaie de dormir, Iskor.

Je te laisse seul quelques heures et vois l’état dans lequel tu la mets ! Séliak est folle de rage !

Arrête, Iskor, fit sombrement Lucas. Je ne suis pas d’humeur.

Ça te tuerait d’être un peu plus humain avec elle ?

Tu étais en train de roucouler avec Séliak ! Je sais reconnaitre quand je suis influencé par le lien.

Un tourbillon d’émotions conflictuelles embrasa leur lien ; de la satisfaction, de la honte, et une pointe de culpabilité.

Tu as autant d’émotions qu’un bloc de glace, soupira Iskor. Ne perçois-tu pas sa peine ? Tu ne devrais pas la laisser seule.

Je sais.

Alors pourquoi ne fais-tu rien ?

Le Messager ne répondit pas.

Crains-tu tes émotions à ce point ? insista Iskor. Tu cadenasserais tes pensées même contre moi ?

S’il le faut, oui.

La frustration d’Iskor transparaissait clairement dans le lien qu’ils partageaient. Une rage qui se transforma peu à peu en tristesse.

Tu n’es pas obligé de porter seul ce fardeau, dit-il enfin. Tu n’es plus seul. Je suis là. Cesse de te replier sur toi-même. La souffrance, comme la douleur, se partage. Tu as perdu beaucoup de personnes ces dernières semaines… Valérian, Dorian, Anya, Iriana… tu n’as pas eu le temps de pleurer tes frères et sœurs. Ni de te pencher sur les blessures sévères d’Aïtor, Alya et Aioros. Tu as du verrouiller ton cœur pour enchainer sur une nouvelle mission ; la protection de ton Estérel, au prix de ta vie et de celle de Lika. Tu as aspiré à un oubli qui t’a été refusé, pour être confronté à la mort de ton père, que tu respectais et admirais tant. Tu l’as vécu seul, parce que tu ne voulais pas rajouter au chagrin d’Aioros qui se trouvait propulsé Djicam. Et depuis, tu n’as fait que combattre et survivre. Affronter Syrcail… ça a été la goutte de trop. Je le vois, Lucas, ton chagrin. Je la ressens, cette peine et cette douleur. Tu l’occultes pour ne pas y succomber. Mais tu ne pourras pas fuir éternellement. Chaque sentiment doit se vivre, même s’il est douloureux. Surtout s’il est douloureux. Tu dois l’accepter pour le surmonter. Pour t’en libérer. Toute blessure mérite sa cicatrice, Lucas. Une cicatrice n’est pas l’oubli. Réfléchis-y. Je suis là pour toi.

Merci, fit doucement le Messager. J’apprécie. Vraiment. Mais…

Mais ? demanda Iskor avec espoir.

Nous sommes en territoire ennemi. Ce n’est pas le moment.

Vu comme c’est parti, ce ne sera jamais le moment, rétorqua Iskor avec amertume.

Désolé.

Et vous êtes en sécurité pour l’instant. Certes, une sécurité relative… mais bon. Tu n’as plus ce collier d’esclave autour de ton cou. Satia n’est plus dans les geôles de l’Arköm. Tu dois en profiter pour souffler, martela le phénix. Ne reste pas enfermé dans ta coquille.

Si j’en sors maintenant, je n’aurais plus rien pour me protéger.

Tu seras plus fort.

Je ne peux pas laisser mes sentiments s’interposer entre Éric et moi.

Crois-tu qu’ils t’empêcheraient d’accomplir ton devoir ? questionna Iskor. Ca ne te ressemble pas.

Je ne sais pas. Peut-être. Je préfère ne pas prendre le risque.

Chaque combat est un risque en lui-même, pourtant.

Le Messager soupira. Iskor avait raison, il le savait. Ses retrouvailles avec Satia avaient agi comme un déclic, libérant des émotions qu’il redoutait.

Les craindre ne les fera pas disparaitre.

Et pour éviter de souffrir lui, il l’avait fait souffrir elle. C’était indigne de son serment. Lucas ravala sa salive. L’honneur lui commandait d’aller s’excuser.

Très bonne idée, confirma Iskor. Et avant que tu me demandes, non, elle ne dort pas.

Le Messager posa sa main sur la poignée de la porte et la fit doucement jouer sur ses gonds. Un rai de lumière éclaira la chambre plongée dans la pénombre.

–Lucas ? C’est toi ? demanda-t-elle en allumant précipitamment la lumière du chevet.

–Oui.

Il discerna ses yeux rougis bien avant qu’elle ne les essuie et tente un sourire pour rattraper la douleur dans son regard.

Et en fut bien plus affecté qu’il ne l’aurait cru.

Il se détourna pour masquer son trouble, se retrouva face à un placard qu’il ouvrit pour se donner une contenance.

Un flot de vêtement apparut.

–Tu souhaites te changer peut-être ? demanda prudemment Lucas. Prendre un bain ?

–Vas-y d’abord, que je prépare mon choix, répondit-elle.

Elle se leva pour s’approcher des robes, fit mine de s’absorber dans sa sélection.

Le Messager retint un soupir et disparut dans la salle de bains. Un moment de détente lui ferait le plus grand bien, à lui aussi. Iskor avait raison. Il y avait trop longtemps qu’il était sous pression. Négliger ses émotions ainsi n’était pas dans ses habitudes. L’entrainement des Mecers était strict sur ce point ; c’était vital pour qui cotoyait la mort à chaque combat.

La pièce était immense, à l’échelle du Palais impérial, mais son luxe tenait dans sa sobriété. Des carreaux de céramique blancs formaient une délicate mosaïque sur les murs, évoquant feuillage et fleurs dans un camaïeu de vert. Une couleur aux vertus apaisantes.

Il ouvrit l’eau qui se déversa dans la baignoire aux marbrures délicates et prépara plusieurs des serviettes mises à leur disposition. En attendant que le niveau de l’eau monte, il ouvrit les placards, examina les produits disponibles. Plusieurs savons aux odeurs épicées, des huiles parfumées… Un vaste choix auquel on était en droit de s’attendre dans le Palais d’un Empereur. Il ôta ses vêtements et les roula en boule dans un coin de la pièce.

Lucas se coula dans l’eau brûlante, savoura l’instant. Bon, la baignoire n’était pas adaptée pour les massiliens et les plumes de la base de ses ailes seraient inévitablement mouillées, sans parler de la position qui deviendrait rapidement inconfortable, mais c’était un luxe auquel il n’avait pas goûté depuis son départ de Mayar, et il comptait bien l’apprécier à sa juste valeur.

Tu n’es pas seul, dépêche-toi.

Je croyais que tu voulais que je me détende ?

Lucas soupira comme son Compagnon devenait soudainement muet. Il attrapa un savon, un gant, et entreprit de se décaper vigoureusement. Les cicatrices de son combat contre le drai’kanter n’étaient que de fines lignes ; et il ne resta bientôt plus aucune trace de ses combats dans le Temple d’Orssanc. Il n’avait plus qu’à se rincer et se sécher.

Il enroula une serviette autour de ses hanches, vida la baignoire, avant de la remplir à nouveau et d’y ajouter quelques sels.

Lucas passa prudemment la tête dans l’embrasure de la porte, mais la jeune femme était toujours en train de réfléchir à sa prochaine tenue. Il s’approcha, posa les mains sur ses épaules. Son sursaut le fit sourire.

–Ton bain est prêt, dit-il en la conduisant jusqu’à la salle de bain. Prends ton temps. Personne ne te dérangera.

–Je ne sais plus si je dois te tuer ou te bénir, marmonna Satia. Ne t’avise pas d’essayer de regarder, continua-t-elle en lui claquant la porte au nez.

Le Messager préféra s’abstenir de répondre.

Je ne suis pas sûre qu’elle t’ait pardonné, fit Iskor.

Ce n’était pas le moment.

Il fouilla l’armoire et dénicha des sous-vêtements et un ensemble à peu près beige qui lui tiendrait lieu de tenue pour la nuit.

Avec ou sans vêtements, quel que soit le temps, je peux aussi ajuster ta température corporelle, tu sais, lui rappela Iskor.

Porter des vêtements s’appelle la décence, Iskor. Mes plumes ne recouvrent pas entièrement mon corps.

Et je me demande encore comment une telle chose est possible, frissonna le phénix. Et maintenant ?

Maintenant ? Il suffit d’attendre.

Oh. Tu vas encore me sortir que la patience est une vertu ?

Oui. Surtout lorsqu’il s’agit du sexe féminin.

Le Messager s’assit en tailleur et ferma les yeux. Autant profiter de ce répit pour apaiser son esprit et tirer au clair ses émotions.

*****

Satia se baissa pour regarder par le trou de la serrure. Non, il ne chercherait pas à l’espionner. Il avait bien trop d’honneur. Dommage, elle aurait pu l’utiliser contre lui. Avec un soupir, elle se débarrassa de son pantalon et de sa tunique avant de s’immerger dans l’eau délicieusement chaude et parfumée. L’odeur de santal était absolument divine. Elle décida de lui accorder ce point.

Il était tellement difficile de savoir sur quel pied danser avec lui, songea-t-elle tout en se savonnant. Son regard se posa sur les bleus qui constellaient son corps et elle grimaça. Séliak l’avait aidé à surmonter la douleur et elle l’en avait remerciée. Seule, elle aurait douté de sa capacité à résister aux mauvais traitements de l’Arkom Samuel.

Tu es plus forte que tu ne le penses, Satia. Je n’ai pas eu beaucoup à faire.

La jeune fille ferma les yeux et essaya de se détendre. Certes, elle était en territoire ennemi, au cœur même du Palais Impérial, mais d’un autre côté, elle espérait être vecteur du changement. Si elle arrivait à ramener un traité de Paix à la Fédération… ce serait un gros bonus pour son retour. Elle devrait aussi gérer la trahison de la Djicam Mickaëla… Satia soupira. La Grande Prêtresse d’Eraïm avait été l’une de ses meilleures alliées au sein de l’Assemblée. Elle avait perçue son pouvoir, lorsqu’elle s’était évadée des appartements de Damien. Elle pinça les lèvres. Ce souvenir était nettement moins agréable ; et si elle en croyait Séliak, il avait en plus eu le culot de se faire nommer Souverain ! Intérimaire, certes, mais en affirmant ses intentions de s’unir à elle… Comment allait-elle se sortir de là ?

Satia regrettait amèrement la mort de Dionéris. Le Souverain s’était toujours montré aimable et sympathique avec elle. Si elle tardait trop à rentrer, elle raterait la possibilité de lui dire merci une dernière fois.

Tant de choses attendaient son retour. Quand elle pensait que le Djicam Ivan avait été assassiné juste pour la localiser, la rage l’envahissait. Elle ne savait plus quoi penser de l’Empire ; l’Arköm Samuel avait-il vraiment agi seul, de sa propre initiative, lorsqu’il avait envoyé les Strators éradiquer la Seycam de Massilia, puis lorsqu’il l’avait téléportée dans le Temple d’Orssanc ? Elle n’en était pas si sûre. L’empereur Dvorking était connu pour être retors. Son affabilité pouvait tout aussi bien être un masque de façade. Elle doutait de pouvoir lui accorder sa confiance alors que sa première réaction avait été de les menacer.

D’un autre côté, il lui avait promis la tête de l’Arköm… Lui permettait-elle de supprimer un opposant trop important ou comptait-il vraiment lui offrir ce cadeau comme témoignage de sa bonne foi ?

Satia espérait réussir à être présente lors de la réunion avec les neuf Seigneurs de l’Empire. Étudier leurs réactions pourrait lui permettre de mieux comprendre la situation dans laquelle elle se trouvait. Car pour le moment, elle avait l’impression de nager dans le brouillard et elle n’aimait pas ça.

Et si tu cessais un peu de penser à tout ça ? Profite de ce moment. Prends ce temps pour toi. Recentre-toi sur l’essentiel.

Tu as raison, Séliak. Mais j’ai besoin de visualiser d’abord mes soucis avant de pouvoir les mettre de côté.

Tu les surmonteras. Et je serai là, ne l’oublie pas.

La jeune femme s’émerveilla une fois de plus du lien qui l’unissait à Séliak. C’était tellement puissant, tellement doux, tellement évident… Elle commençait tout juste à entrapercevoir la douleur que Lucas avait pu ressentir quand son Compagnon avait perdu la vie.

Quant à Lucas lui-même… Satia retint un soupir. Il était à la fois si proche, et si distant… un Massilien pur souche qui exigeait plus de lui-même que son honneur requérait. Quitte à s’interdire tout ce qui aurait pu mettre en danger la réputation de la Seycam.

Sa présence à ses côtés l’avait toujours rassurée, même avant qu’il ne lui prête serment. Et depuis, elle savait qu’il avait toujours gardé un œil sur elle, plus souvent de loin que de près, mais Satia ne doutait pas que son Compagnon ait utilisé le Wild pour lui communiquer ses faits et gestes. Était-ce vraiment grâce au serment du Sa’nath qu’il avait toujours su quand elle avait besoin de lui ? Lucas lui avait sauvé la vie à de nombreuses reprises, comme il avait su se taire et respecter ses décisions quand elles ne contrevenaient pas à son honneur.

Alors qu’elle s’était sentie si impuissante à l’épauler lors des dernières épreuves qu’il avait traversées… C’est là qu’elle avait commencé à réaliser qu’elle prenait bien trop à cœur les paroles qu’il lui adressait. Le Messager n’était pas qu’un ami proche, c’était un confident, un appui sûr dans son entourage, qui donnait toujours son avis sans chercher à lui plaire, capable de mettre de côté ses différends pour suivre ses ordres malgré tout. Elle ne savait pas trop si c’était par respect envers elle ou s’il s’agissait de suivre le code d’honneur de la Seycam, mais elle appréciait.

Bientôt, cette parenthèse prendrait fin. Ils seraient de retour sur Sagitta, elle serait intronisée officiellement Souveraine… et lui reprendrait ses missions de Messager, toujours en déplacement. Toujours au loin.

Tu t’es attachée à lui bien plus que tu ne le crois, si tu redoutes son absence.

Oui. Je n’avais pas vraiment réalisé…

Les Massiliens étaient des êtres libres par nature. Et elle ne savait plus vraiment comment définir leur relation. Une incertitude qui la ravissait et l’angoissait à la fois.

La jeune femme rouvrit les yeux et frissonna. Elle s’était trop attardée dans le bain, l’eau avait refroidi. Elle se leva, sortit de la baignoire et attrapa une serviette dans laquelle elle s’enroula. Satia se frictionna vigoureusement pour se sécher, grimaçant lorsqu’elle en vint à appuyer trop fort sur ses ecchymoses. Dommage qu’elle n’ait pas aperçu de lotion pour le corps dans le meuble, elle n’aurait pas dit non à un produit qui aurait camouflé les coups, au moins sur son visage.

Satia s’enroula étroitement dans sa serviette. Bien évidemment, elle n’avait pas pensé à prendre une tenue propre avec elle… Le tissu la couvrait jusqu’à mi-cuisses, mais savoir Lucas tout proche la rendait étrangement timide.

Le cœur battant, elle ouvrit doucement la porte et jeta un coup d’œil à l’extérieur. Le Messager était assis sur le sol, les yeux fermés, les ailes étalées derrière lui. À la faible lumière des lampes de chevet, son visage paraissait serein, heureux, détendu. Elle tenta un pas qu’elle imagina discret et imperceptible ; il ouvrit les yeux aussi sec.

–Tu as pris ton temps.

Elle arqua un sourcil.

–Reproche ?

–Constatation, rétorqua-t-il.

Satia ne put empêcher un sourire de venir éclore sur ses lèvres. Lucas se leva et s’approcha d’elle ; elle eut soudain trop conscience de leur proximité et du seul drap de bain sur sa peau.

–Je m’excuse, pour tout à l’heure, dit-il gravement.

–Merci, répondit-elle en se souvenant au dernier moment qu’une autre réponse eut été prise pour une insulte.

–Tu as traversé beaucoup d’épreuves, récemment, continua-t-il. Accepterais-tu un massage pour te détendre ? Et discuter, si tu le souhaites.

Satia s’empourpra et son cœur s’emballa de concert. Non, décidément, elle ne le comprendrait jamais !

–Si ma proposition te met mal à l’aise, n’hésite pas à refuser ou à me le dire. J’oublie parfois que tu n’es pas massilienne.

La jeune femme rayonna sous ce qu’elle devinait être un compliment.

–Je veux bien. Merci.

–Installe-toi, alors, dit-il en désignant le lit. Je vais chercher un peu d’huile.

Satia profita qu’il s’éclipse pour s’allonger entre les coussins et arranger sa serviette pour couvrir ses hanches. Malgré tout, elle avait l’impression de se sentir totalement nue. Elle enfouit son visage dans ses bras, bien résolue à ne pas lui dévoiler ses joues qui avaient dû virer à l’écarlate.

Elle l’entendit à peine arriver ; par contre elle sentit très bien les mains qui glissèrent lentement sur son dos.

–Tes mains sont délicieusement chaudes, s’étonna-t-elle.

–Je triche, répondit-il avec un sourire qu’elle ne pouvait voir.

–Comment ça ?

–Je redirige la chaleur d’Iskor. Tes muscles sont noués, commenta-t-il en remontant vers sa nuque. Détends-toi un peu.

–J’essaie, maugréa-t-elle.

Satia n’avait que trop conscience de sa présence à ses côtés, de ses mains qui montaient et descendaient, de ses épaules à ses hanches, à la fois douces et fermes, qui s’attardaient sans jamais forcer pour dénouer les tensions, qui effleuraient ses ecchymoses sans insister.

Comment voulait-il qu’elle se détente alors qu’il était si proche ?

–Ils ne t’ont pas ratée, quand même.

–Ah, ça ? Ils s’apprêtaient à bien pire. Ce ne sont que des coups.

Il ne s’immobilisa qu’un instant, mais elle devina qu’il fulminait.

–Dommage que tu aies déjà demandé la tête de l’Arköm à l’empereur, dit-il en reprenant ses mouvements lents et appuyés.

–Ce qui est fait est fait ; tu es arrivé au bon moment, finalement. Comme toujours, reprit-elle après un silence.

Les mains du Messager effleurèrent à peine ses hanches, avant de descendre sur ses jambes.

–Comme à Valyar, continua-t-il.

–Oui, répondit-elle en s’empourprant à ce seul souvenir.

Ses mains glissèrent jusqu’à ses genoux puis ses chevilles ; remontèrent en s’attardant sur les mollets.

–Que s’est-il passé, ce jour-là ?

La jeune Souveraine laissa échapper un soupir.

–C’est ta façon polie de me demander comment j’ai fait pour atterrir nue dans tes bras ?

–Oh, ça je le sais, rétorqua-t-il d’un ton matois. Tu as chuté d’une fenêtre. Et ce n’était pas celle de tes appartements.

–Je vois que tu as mal pas réfléchi à la question.

–Il m’arrive d’avoir du temps libre, dit-il comme ses mains descendaient sur la plante de ses pieds.

–Si tu me chatouilles je ne réponds plus de rien, l’avertit-elle.

–Aucun risque. Ne change pas de sujet, veux-tu ?

–C’est un massage ou un interrogatoire ?

–Une simple discussion, répondit-il.

Elle sentit un souffle effleurer son dos comme ses mains remontaient le long de ses cuisses puis de ses hanches. L’une de ses ailes ?

Les doigts experts continuèrent leur agréable manège dans son dos. Satia savait que Lucas n’insisterait pas davantage dans ses questions ; ce ne serait pas honorable. Elle lui devait bien ça.

–C’était Damien, souffla-t-elle.

Les mains s’arrêtèrent immédiatement, et elle discerna toute sa colère dans leur frémissement. Une colère pourtant maitrisée, qu’il gardait sous son contrôle. Il n’exigea rien de plus ; il avait perçu dans son murmure que le souvenir lui était pénible. À sa surprise, elle continua néanmoins :

–Il a soudoyé l’une de mes femmes de chambre pour qu’elle drogue mon thé. Je ne savais pas où j’étais quand j’ai repris conscience. J’étais juste… nue. Attachée en croix sur ce lit comme un animal à disposition de son maitre. (elle serra les dents et se crispa à l’évocation du souvenir.) Il a… porté… ses mains sur moi… j’ai profité de son départ pour me libérer. Grâce au feu, j’ai rompu mes liens. Je n’avais qu’une seule option, la fenêtre. Je pensais qu’en m’éloignant un peu sur la corniche, je serai en sécurité. Mais j’ai glissé et… tu connais la suite.

Elle se tut.

–Je suis désolé, murmura Lucas. Si j’avais su… jamais je ne t’aurais fait une telle proposition.

–Tu n’as fait que proposer. J’aurais pu refuser ; tu m’as laissé le choix. Lui, non. C’est toute la différence.

–Tu as du courage. Dépasser tes peurs, ou aller te promener ainsi au-dessus du vide, je n’aurai jamais cru cela possible de la part d’une terrestre ; sans vouloir te vexer, ajouta-t-il précipitamment.

–Je ne suis pas vexée, dit-elle en étouffant un bâillement. C’est juste que… c’est la première fois que j’en parle à quelqu’un.

Lucas garda le silence et continua le massage de son dos, plus troublé qu’il ne le pensait.

–Tu avais raison, reprit Satia.

–Sur ?

–Je me sens mieux. Détendue. Ça ne t’ennuie pas trop ?

–Non. Ou je ne te l’aurais pas proposé.

–Certes, fit-elle, songeuse. J’apprécie beaucoup. De pouvoir parler en confiance.

–J’en suis ravi.

Ses mains remontèrent à la base de sa nuque, s’attardèrent sur les trapèzes, dessinèrent les contours de ses épaules.

–C’était douloureux ? dit-il en atteignant le creux de son coude, constellé de bleus.

–Pas vraiment. Même si c’était un peu jouissif de les voir s’acharner en vain. Mon sang brûle en séchant, ils ne s’y attendaient pas.

Lucas esquissa un sourire.

–Comment t’es-tu retrouvé à apprendre les massages ? reprit Satia, curieuse.

–C’est dans notre cursus d’apprentissage.

–Sérieusement ?

–Oui. Tu sais, nous cotoyons la mort presque quotidiennement. Se détendre est d’autant plus important. Et nous avons plusieurs semaines de formation à suivre dans les centres gérés par les T’Sara. C’est là que nous apprenons à masser. Entre autres.

–T’Sara… ce sont les Massiliennes qui mettent au monde de nombreux enfants, c’est ça ?

–Plus ou moins. Elles sont l’un des piliers de notre culture. Je sais bien que hors Massilia, de nombreux citoyens les considèrent à peine mieux que des prostituées. Pourtant leurs talents sont loin de se limiter aux seuls arts du plaisir. Elles assistent toute femme qui en fait la demande, accouchent leurs enfants. Leurs connaissances dans ce domaine rivalisent avec celles des Guérisseurs de Doctoris. Le respect qu’on leur porte sur Massilia est énorme. C’est grâce à elles que notre peuple perdure.

Satia soupira.

–J’aurais bien aimé y passer un jour, à l’occasion. Mais j’imagine que cela va être bien difficile maintenant que je suis Souveraine.

–La nouvelle n’a pas l’air de te réjouir.

–J’aurais dû avoir plus de temps. J’avais peu de proches, et j’en ai perdus beaucoup, ces derniers temps. Sans compter les alliés sur lesquels je ne peux plus compter…

–Je serai là, si tu as besoin.

–Tu n’as pas à être mon ombre, Lucas. Je sais que tu auras bien d’autres missions plus importantes…

–Rien n’est plus important pour moi que d’être à tes côtés.

Il interrompit net ses gestes, surpris par ses propres paroles.

–Je suis touchée, murmura Satia. Je ne voulais pas…

Elle avait terriblement conscience que l’incapacité des Massiliens à mentir était au cœur de cet aveu forcé ; et une part d’elle-même se réjouissait de savoir ses sentiments partagés.

–Ne t’excuse pas, interrompit Lucas. Il y a des vérités plus compliquées que d’autres à accepter.

Satia se tourna à demi vers lui, scruta ses traits dans la pénombre qui s’était faite.

–Tu m’apportes un truc qui ressemble à un peignoir ou une robe de nuit ?

Le Massilien se leva et alla fouiller les placards.

–Tiens, lui lança-t-il.

Elle attrapa la masse de tissu au vol et enfila rapidement ce qui ressemblait à un vêtement de nuit tandis qu’il se détournait poliment. Satia sourit. Le sens de l’honneur des Massiliens était vraiment exacerbé.

–De quoi ai-je l’air ?

Lucas haussa un sourcil, circonspect.

–Tu tiens vraiment à avoir une réponse honnête ?

–Tu as raison, maugréa-t-elle. Ne dis rien. Quoique… tu aurais pu m’épater avec tes tournures de phrases. Tu viens ?

Satia le détailla tandis qu’il prenait place à côté d’elle. Lucas était doué pour l’impassibilité mais au fil des ans elle avait appris à lire ses moindres expressions. Avant leur départ de Valyar, il avait déjà enterré quatre frères et sœurs. Durant leur périple, il avait perdu son Compagnon ; pour passer ensuite à deux doigts de la mort à son tour. Et enfin, son père avait été assassiné. Cette accumulation de décès pesait forcément sur lui.

N’importe qui aurait basculé dans le désespoir. Elle n’avait pas pu l’aider alors ; mais il n’était pas trop tard.

Satia culpabilisa de ne pas y avoir songé plus tôt.

Lucas s’installa près d’elle, mais elle nota immédiatement ses réticences. Qu’à cela ne tienne, il allait découvrir à ses dépens à qui il avait affaire.

–À ton tour, attaqua-t-elle en prenant ses mains dans les siennes.

Elles étaient si chaudes ! Elle devrait absolument demander l’astuce à Séliak. Sous ses doigts fins, elle percevait les cals dus au maniement de l’épée ; et que son pouls était bien plus rapide que son assurance de façade ne le laissait deviner.

–Raconte-moi, continua-t-elle en fixant les yeux bleu-acier.

–Que veux-tu savoir ? capitula-t-il.

–Une anecdote. Quelque chose. Dont tu n’as jamais parlé à personne.

–Tu es sérieuse ?

–Oui. Je ne te laisserai pas t’autodétruire. Tu ne peux pas toujours tout garder pour toi. Je sais que tu as Iskor, mais… c’est un phénix. Tu as toujours été là quand j’ai eu besoin de toi. Je veux te rendre la pareille.

Elle le laissa réfléchir en silence de longues secondes.

–Le rôle de Souveraine va t’aller à merveille, tu sais ? dit-il enfin. Très bien.

Il commença un récit qui fit pâlir la jeune femme. Plus que les mots, c’était le ton détaché, impersonnel, de celui qui a vécu des évènements terribles et n’a trouvé que ce moyen pour s’en préserver. Dans chaque phrase elle devinait la souffrance, une douleur sourde, contenue par une volonté d’acier. Chaque fois, il s’était retranché de plus en plus loin en lui-même. Et les dernières semaines avaient été terribles.

Satia ouvrit lentement les bras et l’attira contre elle. Lucas ne résista pas, et elle fut touchée de la confiance qu’il lui accordait. C’était tellement étrange, réalisa-t-elle comme elle refermait son étreinte sur lui, les bouts de ses doigts chatouillés par les plumes. C’était elle, d’habitude, qui trouvait son réconfort sur son épaule. Et cette inversion des rôles n’était pas aussi déstabilisante qu’elle l’aurait cru.

Ils restèrent ainsi un long moment, blottis l’un contre l’autre, savourant l’instant. Elle ne savait plus trop quand ses ailes étaient venues l’entourer à leur tour ; peut-être quand un frisson l’avait traversée ?

Le silence avait repris ses droits depuis longtemps ; un silence apprécié, empli de sérénité. Il s’était clairement passé quelque chose, sans qu’elle puisse le définir. Les dernières traces de tension avaient disparu. Seul restait un lien invisible.

Quand ils se séparèrent, leurs mains restèrent liées.

–Merci, dit sincèrement Lucas.

Ils étaient encore si proches, réalisa-t-elle tandis que le rouge montait à ses joues.

–Et maintenant ? demanda Satia.

–Maintenant ? Il serait raisonnable de dormir, répondit Lucas avec un sourire.

–Je ne sais pas trop si j’ai envie d’être raisonnable, rétorqua-t-elle.

Elle se pencha vers lui, effleura ses lèvres d’un baiser, se blottit contre lui. Les bras qui se refermèrent sur elle lui arrachèrent un sourire ; les mains qui glissèrent dans son dos lui renvoyèrent une onde de chaleur.

Ce n’était clairement plus un geste de massage.

Lucas s’empara de ses lèvres et son cœur accéléra. Elle réalisa toute la frustration qu’elle portait en elle depuis qu’elle avait pris conscience de ses sentiments envers le jeune Messager ; ils n’avaient jamais vraiment pu profiter de moments seuls. Et elle allait de réparer cette erreur.

Les lèvres du jeune homme descendirent dans son cou alors qu’elle s’abandonnait entre ses mains expertes. Ses gestes étaient lents et doux, à peine davantage qu’un toucher léger, pourtant chaque fois il réveillait un feu brûlant en elle.

Rendue impatiente, elle s’attaquait aux boutons de sa chemise lorsqu’il s’empara de ses poignets. Perplexe, Satia releva les yeux.

–Tu peux t’acharner sur les boutons, chuchota-t-il à son oreille. Ils sont purement décoratifs.

La jeune femme fut rapide à découvrir les lacets sur les côtés et tira sur les boucles.

–Vous ne faites décidément rien comme tout le monde, marmonna-t-elle.

Il rit doucement tout en ôtant sa chemise.

–Eraïm, toutes ces cicatrices ! dit Satia en écarquillant les yeux.

Ses doigts suivirent les fines lignes entrelacées sur son torse, certaines pâles, d’autres plus foncées, d’autres encore comme ciselées. Sous ses doigts elle percevait la chaleur de son corps, les muscles qui jouaient juste sous la peau. Pas une once de graisse superflue ; appartenir à l’élite nécessitait un entrainement intensif.

–Toutes n’ont pas été acquises à ton service, rétorqua-t-il en plongeant sur son cou offert.

Satia frissonna de plaisir, referma ses bras autour de lui, l’extrémité de ses doigts chatouillés par les premières plumes de ses ailes.

–Je peux…

–Bien sûr, répondit-il en accompagnant son geste.

Les plumes remontaient bien plus haut qu’elle ne le croyait ; elle s’émerveilla une fois encore de leur douceur. À la base de ses ailes, elles étaient fines et duveteuses. Les autres étaient plus lisses, de plus en plus grandes. Satia avait trop peur de le blesser pour oser davantage qu’une simple caresse ; le sentir frissonner sous ses doigts était électrisant.

Elle ne savait plus trop comment sa robe avait rejoint le sol ; quand elle s’aperçut qu’il la dévorait du regard elle vira à l’écarlate.

–Éteins les lumières, s’il te plait.

Il glissa les doigts dans ses cheveux, l’attira de nouveau pour un long baiser.

–Je veux bien, répondit-il ensuite, mais ça ne changera pas grand-chose.

Réfléchir devenait difficile, entre ses doigts agiles qui parcouraient chaque parcelle de son corps et les baisers dont il la couvrait.

–Comment ça ? parvint-elle enfin à articuler.

–Les phénix sont nyctalopes. Tu verras donc parfaitement la nuit, maintenant que tu es Liée.

–Oh.

Lucas l’installa sur ses genoux, releva son menton.

–Qu’est-ce qui te tracasse ?

Il joua avec ses cheveux, massa son crâne ; elle ferma les yeux et laissa échapper un soupir d’aise. Ignorer le désir qui brûlait ses veines devint soudain plus facile et elle apprécia cette pause.

–J’ai peur, souffla-t-elle.

–Peur ?

–Que nos obligations nous séparent.

Lucas ne répondit pas, poursuivit les mouvements circulaires sur le haut de son crâne. La jeune femme se lova contre son torse, nicha sa tête contre son cou avec un soupir de contentement.

Quand les doigts du Messager descendirent sur sa nuque, ses poils se hérissèrent en réponse.

–Il n’y pas d’obligation pour le moment, non ? dit-il enfin. Je ne renoncerai pas à toi si facilement.

La jeune femme lui rendit son sourire, rassurée, dessina le contour de son visage, l’embrassa avec délicatesse, ravie de sentir ses lèvres s’ouvrir sous les siennes, percevant le renouveau de son désir.

Les mains qui se déplaçaient avec une fausse désinvolture dans son dos réveillèrent une chaleur croissante au creux de son ventre.

Jamais elle n’aurait cru que tant de légèreté puisse autant l’embraser. Chaque fois il l’emmenait un peu plus loin, la laissant frémissante au bord de l’abime. Satia n’avait plus qu’une envie, qu’il la délivre de ce merveilleux tourment.

Mais Lucas se garda bien de céder, même quand elle se pressa férocement contre lui. Il s’aventura sur le galbe délicat de sa poitrine ; le souffle court elle resta plaquée contre sa main, souhaitant presque que le temps s’arrête.

Quand ses doigts descendirent sur ses hanches, un frisson d’anticipation la parcourut et ses cuisses s’ouvrirent en réponse à son simple contact. Elle ne l’aurait pas cru possible, mais ses gestes devinrent encore plus doux à l’approche de son intimité. La lenteur délibérée de son toucher était comme une brûlure délicieuse ; sa moiteur était une invitation à l’exploration.

Satia embrassa ses lèvres, s’agrippa à ses cheveux quand les doigts du jeune homme se posèrent à l’entrée de sa fente, suffocant sous le plaisir qui déferlait en elle.

La jeune femme enfouit sa tête dans son cou, réprimant un gémissement.

Lucas rit doucement en réponse, se délectant de ses frémissements, des tremblements qu’il sentait sous ses doigts. Elle bondit presque quand il atteignit le point le plus sensible de son anatomie avec une douceur et une lenteur calculées.

Leurs souffles courts se mêlèrent et Satia l’attira en elle. Le plaisir la consumait ; des vagues de plus en plus puissantes emportaient avec elles toute trace de pensée cohérente ; son corps vibrait sur le rythme lent qu’il imposait à sa frustration.

La délivrance vint sous la forme d’une extase qui lui coupa le souffle ; ils restèrent là un instant, la respiration saccadée, le regard brillant, les ailes blanches formant la voûte d’un cocon autour d’eux.

Lucas bascula sur le côté et Satia se nicha contre lui, savourant l’agréable langueur qui s’emparait d’elle tandis que ses doigts erraient sur le torse du Messager. Elle ferma les yeux, apprécia la légère brise rafraichissante.

–Tes ailes sont décidément bien utiles. Devrais-je t’embaucher en tant qu’éventeur ?

–Mes ailes sont faites pour voler, contra-t-il. Es-tu satisfaite ?

Satia rouvrit brusquement les yeux et vira à l’écarlate. Par Eraïm, il était vraiment sérieux !

–En doutes-tu ? rétorqua-t-elle en cherchant à reprendre contenance.

–Non, répondit-il en caressant sa joue. C’est la coutume de demander.

Satia étouffa un bâillement.

–Je ne cesserai donc jamais d’en apprendre sur toi ?

–Je l’espère bien, dit-il avec malice. Dors, maintenant. Une journée importante t’attend demain.

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