Chapitre 37

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Sagitta, Douzième Royaume, Valyar.

La nuit tombait lentement sur la capitale. Les nuages s'étiraient en longs filaments irisés aux couleurs allant du rose pâle au mauve en passant par toutes les nuances de rose-orangé.

L'Envoyé Itzal marchait seul dans les allées autour du Palais, le panthirion Roïk sur ses talons. L’attaque survenue en fin d’après-midi lui avait renvoyé en pleine face son inexpérience des combats. Face aux capacités des Messagers, il n’était qu’un débutant. Se sentir ainsi inutile était déprimant.

On va où ?

Voir Laria.

Ah ! Pourquoi toi sembler si triste ? Elle être très gentille ! Elle gratter les oreilles de Roïk ! Roïk adorer ça ! Roïk pas comprendre pourquoi toi pas être content.

Oh mais je suis content.

Toi pas pouvoir tromper Roïk. Roïk savoir.

Tu ne peux pas comprendre. Comment t'expliquer ? C'est une … femelle …

Toi vouloir des petits ?

Le jeune félin semblait vraiment désireux de comprendre, mais Itzal ne se sentait pas le cœur de lui expliquer. Surtout depuis qu’il avait pris connaissance de la note que Lucas avait laissée à son intention.

Le Messager avait vu juste. Itzal n’avait jamais pensé que Laria puisse souhaiter sa présence juste pour… ça.

Je suis un être humain. Ça marche pas pareil.

Ah…

Itzal crut en avoir terminé mais Roïk n'était pas décidé à lâcher l'affaire.

Roïk toujours pas comprendre.

Tu verras alors.

Le jeune homme s'arrêta devant une porte, celle de la jeune femme s’il ne s’était pas trompé dans ses indications. Elle logeait dans les quartiers des invités, près du Palais.

Il était arrivé. Une angoisse sourde s'empara de lui. Pourquoi ne pas faire demi-tour et rentrer tranquillement à la caserne ? Lucas n'était pas là, donc il n'aurait droit à aucune réflexion.

Toi avoir peur ?

L'intervention du petit félin le fit rougir. Il pouvait très bien dire qu'il s'était perdu, qu'il avait confondu avec une autre date…

Oui, la meilleure solution était de s'en aller et de présenter ses excuses. Son cœur s'allégea soudainement à cette pensée. À peine avait-il tourné les talons qu'un grincement se fit entendre. Il se figea, le cœur battant.

–Ah, tu es là. Je t'attendais.

Laria. Il avala difficilement sa salive. Trop tard, il avait laissé passer sa chance.

–Heu…je…

–Ne reste pas planté là. Entre.

La mort dans l'âme, le jeune homme suivit Laria dans ses appartements. Ses sens furent aussitôt submergés par une masse d'informations : une lumière diffuse effaçait les contours, des senteurs marines laissaient un agréable parfum de fraîcheur, et une douce musique résonnait agréablement à ses oreilles.

La jeune femme avait noué une étoffe de soie en guise de ceinture autour de ses hanches, et deux pans de tissus soyeux, bien trop étroits au goût de Itzal qui se sentait de plus en plus mal à l'aise, dévoilaient entièrement ses jambes aigue-marine. Sur son ventre nu scintillait une pierre à la couleur ambrée, incrustée dans son nombril. Le jeune Envoyé n'avait aucune idée de sa valeur. Une étole en soie enveloppait sa poitrine, une étole bien trop transparente selon Itzal, qui se demandait encore comment elle osait se montrer ainsi. Les Atlantes étaient décidément un peuple aux mœurs étranges.

Elle le conduisit dans un petit salon, et s'assit sur un sofa moelleux, tout en indiquant à Itzal de la rejoindre. La gorge serrée, le jeune homme s'installa le plus loin possible de l'Atlante. Mauvais choix, la jeune femme se rapprocha aussi sec. Elle était si près de lui qu'il pouvait sentir son parfum. Comment allait-il se sortir de cette situation ? Il ne pouvait plus reculer, le rebord du divan le lui interdisait ! La jeune Atlante commença à défaire le premier bouton de sa chemise. La respiration du jeune homme s'accéléra. Il sentait sa peau s'électriser au contact de la main de la jeune femme.

–Heu…ne serait-il pas préférable…de…enfin de…heu…discuter un peu ?

Laria recula aussitôt.

–Je ne suis pas assez bien pour toi ? lui reprocha-t-elle. Dans ce cas, pourquoi avoir accepté ?

–Si…enfin non…heu…c'est que…

–C'est que quoi ?

Ses yeux bleu-vert étincelèrent. Paniqué, Itzal remarqua que sa main se dirigeait vers la dague passée à sa ceinture.

–Heu…j'aimerais juste…heu…mieux te connaître…enfin…voilà quoi…

À son grand soulagement, la jeune femme parut se détendre quelque peu.

–J'aurais dû m'y attendre…on m'avait pourtant prévenue. Comme tu le veux.

–Je peux savoir…pourquoi moi ? Pourquoi n'as-tu pas choisi quelqu'un d'autre ? Qui connaisse tes coutumes ?

–Oh, Lucas m'aurait rendu ce service si je lui avais demandé. C'est un ami, il n'aurait pas refusé… mais de toute façon il était déjà pris ce soir.

Itzal resta interloqué par cette réponse. Lucas ? Non, impossible. Ils ne devaient pas parler du même. Réalisant que son regard restait fixé sur les jambes nues de l'Atlante, il détourna brusquement les yeux à l’amusement de Laria.

–Mais pourquoi pas un Atlante ? Tu as une fascination pour les Massiliens ? Je ne connais rien à toutes tes coutumes !

–Oui, on peut voir ça comme ça. J'ai toujours rêvé de toucher ces plumes duveteuses que vous possédez. Ca doit être si doux…

–Heu… pas autant que tu le penses ! s'affola le jeune homme comme elle joignait le geste à la parole.

Roïk aussi avoir fourrure douce.

Le petit panthirion bondit entre les deux jeunes gens et vint se frotter en ronronnant contre la jeune femme qui se mit à rire.

Espèce de traître… tu pactises avec l'ennemi !

La jeune Atlante laissa courir ses doigts dans la douce fourrure et Itzal sentit un frisson lui parcourir l'échine. Lucas l'avait prévenu. Le Wild était un lien qui fonctionnait dans les deux sens. À en juger par les yeux perçants posés sur lui, il devina que Laria semblait connaître ce petit détail.

–Et si le petit monstre allait se coucher ? suggéra-t-elle.

Roïk pas fatigué !

Le petit félin protestait énergiquement.

–Heu…il ne semble pas trop d'accord…

Itzal était heureux que la jeune femme trouve un autre centre d'intérêt. Le jeune panthirion, lové sur les genoux de Laria, semblait avoir décidé de rester là. Impossible de convaincre le félin de les laisser seuls, aussi l’Atlante entreprit de le câliner jusqu’à ce qu’il s’endorme. Elle lui gratouilla les oreilles, puis le cou pour qu'il se détende et s'abandonne totalement à ses caresses sur son ventre dodu au poil duveteux. Roïk était aux anges.

Itzal aurait aimé plus que tout être ailleurs. Il ne désirait qu'une chose, que le petit s'endorme pour que la jeune femme arrête de le caresser. Il sentait des frissons lui parcourir le corps chaque fois que la main de Laria passait dans la fourrure du jeune animal. Il ne savait pas combien de temps il pourrait encore tenir le coup alors que des gouttes de sueur ruisselaient le long de son dos. Laria suspendit son geste un instant. Aucune réaction du jeune panthirion.

–Il dort, murmura-t-elle.

L’Envoyé s’abstint sagement de tout commentaire : il n'osait ni réveiller le petit félin, ni contrarier Laria.

Se levant, l'Atlante déposa délicatement Roïk sur l'un des nombreux coussins qui jonchaient le sol. Avant de se tourner vers Itzal, qui sut que les choses sérieuses allaient commencer. Il déglutit péniblement comme la jeune femme s'avançait vers lui.

–Ai-je suffisamment attendu à ton goût ?

–Heu…je suppose que je n'ai pas le droit de dire non ? répondit-il, paniqué.

–Tu supposes bien, murmura-t-elle au creux de son oreille.

Elle était maintenant tout près de lui, beaucoup trop près.

–Je ne … je ne sais pas si…

–Pff, tu ne sembles pas très coopératif. Embrasse-moi.

Le jeune homme ne savait que faire. Il avait chaud, trop chaud. Il sentait son corps réagir à la proximité de la jeune Atlante. Mais il ne pouvait bouger, comme paralysé, prisonnier de son esprit paniqué.

–Embrasse-moi, murmura-t-elle de nouveau d'une voix pressante.

–Laria…je ne …désolé…je ne veux pas…pas comme…ça…

La jeune femme s’écarta et croisa les bras. Était-ce de la tristesse qu’il lisait dans ses yeux ?

Il ne s’attendait pas du tout à ça.

–Je ne veux pas te faire de peine, souffla-t-il.

–Alors pourquoi agis-tu ainsi ? J'ai l'impression de ne pas exister à tes yeux. Est-ce parce que je suis une Atlante que tu refuses de m'approcher ?

–Mais… mais ce n'est pas du tout ça ! dit-il, effaré devant l'ampleur que prenaient les évènements. J'ai toujours admiré cette couleur irisée et ces minuscules écailles qui couvrent vos corps, continua-t-il en baissant la voix.

Sans trop savoir pourquoi, il se sentit rougir. Mais elle ne pouvait le remarquer avec la faible lumière qui régnait dans la pièce, non ?

La jeune Atlante soupira.

–Alors dis-moi ce qui te chagrine ? Tu me plais, je suis loin de te laisser indifférent… qu’attends-tu de plus ?

–Ca se résume à ça, pour toi ? Où mets-tu les sentiments là-dedans ? rétorqua Itzal.

–Les sentiments ? s’étonna la jeune femme. Passer un agréable moment, n’est-ce pas suffisant ? Les sentiments viennent toujours tout compliquer.

–Pourquoi donc ? interrogea Itzal, soudain curieux.

–Eh bien, l’amour ne dure qu’un temps voyons. Ensuite apparait la jalousie, la haine… inutile de s’encombrer de tout ça.

–Certes, marmonna Itzal.

–Tu es Massilien, non ? Tu seras confronté aux T’Sara tôt ou tard. Je doute qu’elles se montrent aussi accommodantes que moi.

Tandis qu’Itzal hésitait, toujours indécis, Laria se faufila entre ses bras. Contrairement à ce qu'il s'attendait, sa peau écailleuse était douce et chaude au toucher. Sa peur disparut, chassée par un sentiment qu'il n'arrivait pas vraiment à définir.

Le contact de son corps fin et musclé lui sembla brûlant. Lentement, sa main glissa sur le bras de la jeune femme, s'émerveillant de ces minuscules écailles qui la rendait irrésistible…si souples, si douces, de cette couleur indéfinissable qui oscillait entre le bleu et le vert. Ses cheveux blonds étaient soigneusement nattés en une lourde tresse qui serpentait le long de son dos.

Elle releva la tête vers lui, et Itzal se trouva face à face avec ses yeux d'un bleu lagon. Ou vert émeraude ? Leur couleur semblait hésiter sans cesse entre le bleu et le vert, leur conférant une teinte mystérieuse.

Laria esquissa un sourire. Cette fois, il était perdu, complètement hypnotisé. Elle s'approcha doucement pour ne pas briser le délicat équilibre du charme sous lequel il était tombé et posa ses lèvres sur les siennes sans qu’il ne cherche à la repousser.

Elle l'embrassa, doucement d'abord, puis avec plus d'intensité tandis que les mains du jeune Envoyé se refermaient autour de sa taille. Sans hésiter, elle défit les boutons de son uniforme. Il ne s'y opposa pas, pas plus qu'il ne s'opposa aux mains douces et agiles qui se glissèrent sous sa chemise. Puis ce fut au tour d’Itzal de prendre l'initiative, dans un premier temps avec hésitation, puis avec de plus en plus d'assurance. Les bougies qui émettaient une faible lueur finirent lentement de se consumer, les plongeant dans l'obscurité.

*****

Sagitta, Douzième Royaume, Palais de Valyar…

Satia venait de rejoindre ses appartements après avoir dîné en compagnie du Souverain Dionéris et de son épouse. Elle l'avait trouvé plus en forme que les jours précédents, malgré un teint pâle et des yeux cernés. Les guérisseurs venus expressément de Soctoris, Septième Royaume, étaient certains que le pire était passé et que le Souverain était maintenant sur la voie de la guérison.

Cette bonne nouvelle avait été la seule de la journée, marquée par des massacres ayant pour cibles des Massiliens. De nombreux Mecers avaient été tués sur Niléa. Le Djicam Ivan en personne avait survécu de peu à une attaque dans l'enceinte même de la capitale ! Comment l'Empire réussissait-il si facilement à pénétrer au cœur de la Fédération ?

Une seule réponse pour Dionéris : des traîtres fournissaient des informations à l'ennemi. Le Souverain était également inquiet pour le Djicam du Troisième Royaume, Vénéré, dont il n'avait aucune nouvelle depuis plusieurs jours. Des troubles agitaient le Royaume, et des rumeurs de villages entiers brûlés par l'Empire étaient arrivées jusqu'ici. Les soldats envoyés aux nouvelles n'étaient pas revenus. Le Souverain envisageait de demander à l'Assemblée d'envoyer des Mecers pour obtenir de plus amples informations.

La jeune femme fut tirée de ses réflexions par un coup frappé à la porte.

–Qui est-ce ?

–C'est Damien. Puis-je entrer ?

Damien. Elle n'avait plus songé à lui depuis ce qui ressemblait à une tentative d'excuses. Devait-elle s'en méfier éternellement ? Il avait été très courtois depuis, comme si elle avait enfin gagné son respect.

–Bien sûr, répondit-elle en se levant pour l'accueillir.

Une seule chose n'avait pas changé : son goût pour les couleurs extravagantes. Aujourd'hui il portait un rouge agressif avec des broderies argentées.

Il s'inclina presque autant que pour son père.

–Eraïm te protège, Satia.

Une salutation des plus formelles, comme il en avait pris l'habitude avec elle.

–Je t’en prie, assieds-toi, l’invita-t-elle.

Le jeune homme prit place dans un fauteuil en face de Satia.

–Monie, apporte-nous du thé, je te prie.

–Tout de suite, Durckma.

La discrète suivante s'inclina rapidement avant de quitter le petit salon.

–Je suis venu t’apporter des informations supplémentaires sur les attaques de la journée, commença-t-il directement.

–Comment ça ? demanda Satia en fronçant les sourcils.

–Mon père s'est entretenu avec le Djicam Ivan, révéla-t-il.

–Cet entretien n'était-il pas censé être confidentiel ? sourcilla la jeune femme.

Damien haussa les épaules.

–Je ne savais pas qu'ils étaient dans cette pièce. Le Djicam semblait persuadé que seule la Seycam de Massilia était visée par cette attaque. Quatre de ses enfants et donc potentiellement futurs Djicams sont morts. Les autres sont blessés plus ou moins gravement, tout comme lui-même. Les branches secondaires de la Seycam n’ont pas été épargnées. Si cela se confirme, ce sera une terrible tragédie. Tu imagines aisément l’impact de cette nouvelle ? L’Empire capable d’anéantir presque entièrement une Seycam entière en quelques heures ?

Satia frissonna.

–Et ils en sont certains ? Après tout, plusieurs Royaumes ont été attaqués : Niléa, Massilia, Sagitta… la coïncidence serait quand même étonnante.

–Le Souverain semblait d'accord avec lui. Ils ont parlé de choses étranges…

–Quelles choses étranges ?

Monie revint à cet instant et leur servit une tisane brûlante dans un service en porcelaine. Satia adorait les senteurs de pomme et de cannelle qui s’en dégageaient, pourtant cette fois elle avait du mal à les apprécier.

Le fils du Souverain attendit que Monie les quitte avant de parler à nouveau.

–J'ai été dérangé au moment où ça devenait intéressant. Ils commençaient à parler des phénix. Que viennent-ils faire dans cette histoire ?

Satia s'efforça de ne pas laisser paraître son malaise. Les phénix. Que savaient-ils exactement ?

–Je ne sais pas, Damien.

Pourquoi avait-elle froid, tout à coup ? Pourquoi ces quelques paroles avaient eu autant d'effet sur elle ? Elle vida la tasse pour se réchauffer. Que pouvait-elle faire ?

*****

Satia ouvrit difficilement les yeux. Sa tête bourdonnait, elle avait la bouche pâteuse, les paupières lourdes. Quelle heure était-il ? Il lui semblait avoir dormi des heures.

Elle voulut s'étirer, et se rendit compte à ce moment-là qu'elle était solidement ligotée. La mémoire lui revint soudain. La tête lui avait tourné, elle s'était sentie glisser de son fauteuil. Puis le noir total.

La panique l'envahit tandis qu'elle réalisait qu'elle était nue, bras et jambes solidement attachés aux quatre coins du lit à baldaquins. Elle essaya de se libérer, tordit ses poignets et ses chevilles dans tous les sens, tenta sans succès de défaire l'épais cordage. Les nœuds qui la maintenaient prisonnières étaient trop serrés. Elle ne réussissait qu'à s'écorcher la peau.

Comprenant que ses efforts étaient vains, elle cessa de se débattre, essoufflée. Agrippant les cordes qui l'enserraient, elle se força au calme et tenta de réfléchir. Où était-elle ? Combien de temps s'était écoulé ?

Son regard se porta pour la première fois sur les alentours. La pièce était de forme cubique, pour autant qu'elle puisse en juger. Les murs étaient tendus de soie rouge. De lourds rideaux en velours d'un jaune sale encadraient la seule fenêtre que Satia pouvait voir. Elle frissonna en apercevant la lourde porte sur sa droite, apparemment sans serrure. Elle devait se verrouiller uniquement de l'extérieur. Elle était piégée, à la merci de son agresseur. Elle serra plus fort les cordes autour de ses poignets comme la peur l'étreignait, refusant la douleur autant que les larmes de désespoir qui lui piquaient les yeux. Elle devait rester forte. Ne pas paniquer. Respirer lentement, calmement. Elle ferma les yeux, se concentra pour apaiser son esprit.

Satia n’était pas arrivée ici par hasard. Elle avait été droguée, la révélation lui apparut comme une évidence. Comment ?

La tisane. C’était son dernier souvenir. La tisane préparée par Monie, sa femme de chambre. Elle lui avait accordé sa confiance ; comment aurait-elle pu faire autrement ? Elle en payait maintenant le prix. Une trahison au goût d’amertume.

–Bonsoir. Je m'excuse de t’avoir fait attendre.

Son corps se glaça au son de cette voix qu'elle ne reconnaissait que trop bien. Damien. Elle tourna lentement la tête dans sa direction, horrifiée. Il souriait tout en la regardant.

–Damien…

–Je t’ai manqué ? Tu es si belle.

–Cesse tes petits jeux. Détache-moi, cracha-t-elle.

–Bien sûr. Immédiatement, si tu le souhaites, continua-t-il en s'asseyant près d'elle.

Elle tenta d'éviter son contact, mais ses liens l'en empêchèrent.

–A une condition, cependant. Épouse-moi.

–Jamais ! jeta-t-elle sans même réfléchir.

Le regard de Damien se durcit.

–Comme tu veux. Tu resteras ici tant que tu ne changeras pas d'avis.

–Plutôt mourir, murmura-t-elle en lui lançant un regard haineux. On s’apercevra de mon absence.

A son grand dam, le sourire de Damien s'élargit.

–Mais je compte bien participer aux recherches, ne t’en fais pas. Personne ne pourra te trouver ici. Et je veillerai personnellement à ce que tu restes en vie.

Sa main caressa lentement sa joue. Satia eut un mouvement de dégoût.

–Pourquoi toute cette mise en scène ? Tu n’as rien à gagner à me retenir ainsi. Quand je serai libre…

–Ce sera ta parole contre la mienne, coupa Damien. Je suis le fils du Souverain, je suis né sur Sagitta… pourquoi ne pourrais-je pas gouverner la Fédération ? Tu ne sembles pas te rendre compte du pouvoir que tu détiendras un jour. Tout le monde ici me considère encore comme un gamin, comme un jeune Seyhid écervelé. Quand je détiendrai le pouvoir, ils seront bien obligés de s’incliner devant moi et me témoigner le respect qui m’est du.

–Tu divagues complètement, murmura la jeune femme, désemparée.

–Tu es à ma merci. Tu cèderas. Tu m'épouseras.

–Hors de question, gronda la jeune femme.

Elle se força à rester calme tandis que la main de Damien descendait lentement sur son corps, dans son cou, sur ses seins, sur son ventre.

–Un enfant t’enchaînera à moi beaucoup plus sûrement qu'une chaîne, murmura-t-il en s'approchant d'elle.

Satia lui cracha au visage, sans parvenir à effacer le sourire satisfait qu'il arborait. Sortant un mouchoir brodé de sa poche, il essuya lentement la trace sur son visage.

–Tu changeras vite d'avis, je t’assure.

Il se leva.

–Je dois te quitter, ajouta-t-il. Une affaire urgente à régler. Je reviendrai vite.

Ses yeux bleu clair étincelèrent.

–Je ne souhaiterai pour rien au monde manquer la fin de cette première nuit que nous allons passer ensemble.

La jeune femme aurait voulu hurler, mais refusa de lui accorder ce plaisir, se contentant de détourner la tête. Elle entendit la porte qui se refermait avec un bruit sourd. Deux grosses larmes roulèrent sur ses joues sans qu'elle puisse les retenir. Les mains crispées sur les cordes, elle était impuissante.

Quel était son avenir ? Il ne pouvait la retenir éternellement ici. Si elle l'épousait, elle resterait à sa merci, il serait là dans l’ombre pour influencer sur ses décisions. Non.

C'était impossible, elle ne pouvait l'accepter. Elle devait se libérer, seule, ne plus compter sur personne. Ne plus accorder sa confiance. Sa détermination s'affermit. Dans ses yeux violets brilla la lueur d'une concentration farouche.

La chaleur envahit ses doigts. Une chaleur qui la rassurait, qui la brûlait, qui était partie intégrante de son être. Les cordes sous ses mains lâchèrent brusquement. Elle mit un instant à réaliser qu'elles ne tenaient plus que les extrémités de ses liens. Brûlés.

Les battements de son cœur s'accélérèrent. Qu’avait-elle fait ? Elle regarda ses poignets contusionnés, perplexe. Nulle trace de sang. Son sang violet s’enflammait en séchant, elle le savait. Que s’était-il passé ?

Satia se ressaisit. Nul besoin de comprendre pour l'instant, elle n’avait pas de temps à perdre. Les minutes dont elle disposait avant le retour de Damien étaient précieuses. Elle se redressa, défit de ses doigts tremblants les liens qui enserraient ses chevilles. La tête lui tournait, tout allait trop vite : son enlèvement, sa peur, sa libération… Rien n’était encore joué.

Elle s'accorda quelques secondes de répit, assise au bord du lit, puis se leva et se dirigea vers la porte, tentant sans succès de l'ouvrir. Maudissant le temps précieux qu'elle perdait, elle fit le tour de la pièce, chercha une autre issue, n'en trouva aucune. La peur qu'elle était parvenue jusqu'ici à tenir à l'écart s'insinua de nouveau en elle.

Un grincement la fit sursauter. La porte ! Elle était en train de s'ouvrir de nouveau ! Affolée, elle découvrit que Damien était de retour. Elle vit son regard s'obscurcir à la vue du lit vide, puis parcourir la pièce pour se poser finalement sur elle. Il avança. Elle recula. Heurta le mur.

–Tu croyais pouvoir t'enfuir, hein ? dit-il, un sourire de satisfaction plaqué sur son visage. Et tu as réussis à te détacher… impressionnant. Cela apportera du piment à notre rencontre…

Satia tâtonna le long du mur, se déplaça latéralement pour rester le plus loin possible de lui. Sa main découvrit une texture différente. Un fol espoir l'embrasa. La fenêtre ! Elle l'avait complètement oubliée. Se retournant vivement, elle ouvrit les deux battants.

Un éclat de rire s'éleva derrière elle.

–Tu n'y penses pas ? Tu n'es pas au rez-de-chaussée. Ta chute signifiera ta mort.

Elle se tourna vers lui.

–Je te l'ai déjà dit. Je préfère mourir plutôt que d'être ta chose.

Elle enjamba le cadre. La nuit était d'un noir d'encre. Elle ne voyait rien.

–Idiote ! siffla Damien en accourant vers elle.

Aucune autre solution. Son pied trouva appui sur une mince corniche. Le plus rapidement possible, elle passa à l'extérieur, et fit quelques pas sur le côté, le corps collé contre la pierre brute du bâtiment. Tâtonnant, elle trouva une autre corniche, plus mince, à hauteur de ses épaules.

Damien se pencha à travers la fenêtre et tenta de saisir son bras. Il la frôla. Elle fit quelques pas de plus. Sa peur de Damien dépassait celle du vide qui l'attendait si elle perdait pied. Le jeune homme prit position à son tour sur la corniche étroite, résolu à ramener Satia dans la chambre.

La jeune femme décida de s'éloigner le plus rapidement possible de Damien. Son pied gauche glissa tout à coup sur la corniche friable. Elle se rattrapa de justesse. Son cœur battait la chamade.

–Satia ! Sois raisonnable, reviens ici !

Décelait-elle une touche de peur dans sa voix ? Il avait profité de la pause dans sa progression pour se rapprocher. Elle devait continuer. Vite. Ses mains se retrouvèrent bientôt sur la pierre nue.

La corniche supérieure avait disparu. Elle déglutit péniblement. Le chemin se compliquait. Elle se colla au maximum contre la paroi, fit un pas hésitant, puis un autre. Avant de perdre pied comme la deuxième corniche se dérobait sous elle. Impossible de se raccrocher à quoi que ce soit. Elle tombait, de plus en plus vite. Elle ferma les yeux. Ainsi, finalement, elle allait mourir.

*****

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