Chapitre 17

10 minutes de lecture

10-Soleil Noir

Le seul nom de l’organisation suffisait à semer la terreur, presque aussi efficacement que le bras droit de l’Empereur.

Soleil Noir.

Deux petits mots. Rares étaient ceux à oser les prononcer à voix haute.

Au cours du temps, l’organisation criminelle avait étendu son influence aux quatre coins de la galaxie. Nul n’échappait à ses nombreuses ramifications.

Tilias supervisait les droïdes de leur immense forteresse. Quand il affinait les réglages, quand il se promenait dans les longs couloirs pour inspecter leur travail, quand il visionnait les images des caméras de surveillance, il se prenait parfois à rêver. Peut-être serait-ce lui, un jour, le prochain dirigeant du Soleil Noir.

Sagitta, Douzième Royaume, Palais de Valyar.

Satia s’éveilla et s’étira longuement entre ses draps. Déjà une semaine qu’elle logeait au Palais, pourtant chaque réveil lui paraissait irréel.

La jeune femme prenait ses marques et apprivoisait son emploi du temps, chargé. Le matin, quand l’Assemblée ne se réunissait pas, elle étudiait les dessous de l’histoire de la Fédération avec le Souverain, ou bien approfondissait ses connaissances des coutumes de chacune des douze planètes auprès de l’un des Djicams.

Satia prenait ensuite son repas avec Dionéris et sa famille, souvent accompagnés par plusieurs membres des Seycams, voire par les Djicams présents à Valyar.

L’après-midi lui apportait un peu de répit. Il était en général consacré à des visites, des promenades… l’occasion pour elle de fréquenter les Seyhids d’un peu plus près, et d’apprendre encore, qu’il s’agisse de lire les sous-entendus ou de s’initier à de nouvelles activités. Le soir, Satia débriefait souvent la journée avec Dionéris, avant de diner le plus souvent avec Damien et quelques Seyhids, quand elle n’était pas invitée à l’une des nombreuses réceptions. Malgré ses préférences personnelles, Satia était bien décidée à ne froisser personne et à se montrer polie.

Et dans quelques mois, quand le Souverain la jugerait prête, elle effectuerait le traditionnel pèlerinage en visitant les douze Royaumes. Tout en continuant à assister aux réunions hebdomadaires de l’Assemblée, bien sûr. Une somme de travail gigantesque l’attendait.

Satia chassa ces pensées déplaisantes. Autant ne pas angoisser tout de suite pour les évènements futurs. Une chose à la fois. Le reste viendrait bien assez tôt.

Un coup fut frappé à la porte de sa chambre.

–Votre petit déjeuner est prêt, Durckma.

La jeune femme avait encore beaucoup de difficulté à accepter d’avoir besoin d’une femme de chambre. Deux à son service exclusif ! D’accord, Satia n’avait pas vraiment le temps de s’occuper du ménage, et monter treize étages avec un plateau dans les bras ne pouvait être qu’un supplice.

Pour l’habillage, par contre, Satia restait pudique. Et c’était aussi la raison pour laquelle ni Monie ni Elysie n’avaient l’autorisation d’entrer dans sa chambre sans s’annoncer.

Satia soupira. Le Souverain lui avait accordé deux jours par mois pour rendre visite à son père. C’était si peu, et elle avait tellement peu de temps pour elle… Il lui tardait de le revoir. Elle avait tellement à lui raconter.

*****

Massilia, Neuvième Royaume, Quartier-Général des Mecers.

Allongé sur son lit, Lucas contemplait le plafond blanc de la chambre qu’il occupait durant son court séjour. Les Mecers ne possédaient pas grand-chose, et changeaient de lieu de vie au gré de leurs missions.

–Je peux entrer ? fit une voix étouffée derrière la porte.

–Je t’en prie, fais donc, répondit le jeune homme.

Matthias pénétra dans la petite pièce, et Lucas s’assit pour accueillir son ami.

–Comment te sens-tu ? s’enquit ce dernier.

–Aussi bien qu’on peut espérer l’être après ce genre d’épreuve.

–Je comprends, fit l’Émissaire avec compassion. Si tu souhaites en parler... n’hésite pas.

–Merci, répondit sincèrement Lucas. J’ai encore besoin de temps. Et toi ?

Il n’avait pas manqué de remarquer les trois Cercles entrelacés sur l’uniforme gris de son ami.

–Surpris, mais content d’avoir réussi.

Matthias frissonna au simple souvenir de l’épreuve.

–Quand j’y repense… je n’ose imaginer ce que réservent les Cercles suivants.

–Devenir Messager est un véritable enfer.

–Oui. Le Premier Cercle t’a-t-il détourné de ton but ?

–Non, souffla Lucas. Je savais déjà que le chemin serait long et ardu. Je commence à peine à entrevoir à quel point.

Son regard dériva au-delà de la petite fenêtre carrée qui perçait sa chambre, en direction des pics enneigés qui se confondaient avec les nuages.

–Tu penses à elle ?

Lucas fronça les sourcils un instant, étonné que son ami aborde un tel sujet.

–Je songe seulement à sa sécurité… dit-il enfin.

Matthias sourit. Le ton gardait sa froideur coutumière, mais depuis le temps il était capable d’en discerner toutes ses variations. Et une touche de chaleur teintait toujours ses paroles quand il parlait d’elle.

–Je me demande si tu n’es pas amoureux d’elle, poursuivit-il.

–Je ne suis pas… commença Lucas en se levant. Elle est mon Estérel, termina-t-il avec un regard furieux pour son ami.

Lequel se contenta de croiser les bras avec un sourire.

–Tu espérais vraiment que je ne remarquerai rien ? C’est mal me connaitre.

–Mon seul désir est de la protéger. Je ne demande rien d’autre.

Matthias décida d’en rester là pour le moment. Il ne servait à rien de brusquer Lucas, et il se pouvait aussi qu’il ait raison. Le jeune Massilien ne vivait que pour son devoir, après tout. Matthias se demanda comment il réagirait quand il serait confronté à un problème qu’il ne pourrait résoudre avec son arme.

Avant de se rappeler qu’il avait excellé à l’examen de stratégie. Non, vraiment, Lucas serait un véritable prodige.

S’il survivait aux prochaines années.

*****

Sagitta, Douzième Royaume, Valyar.

Satia frissonna et resserra son manteau autour d’elle. Le printemps était bien avancé, pourtant le vent était froid ce jour-là. Elle leva les yeux au ciel, considéra les lourds nuages gris chargés de pluie, et accéléra le pas.

Après un mois de séparation, elle avait enfin retrouvé son père. Partager un repas avec lui, dormir dans sa petite chambre emplie de souvenirs… ces bonheurs simples lui avaient tant manqué. Elle n’avait pu empêcher ses larmes de couler en le quittant pour rejoindre le Palais.

Le trajet de retour lui était doux-amer. Ces quelques heures avec son père lui avaient paru trop brèves, même si sa nouvelle vie au Palais lui manquait tout autant.

Avec nostalgie, elle leva le regard en parcourant les allées du parc. Elle se souvenait parfaitement de l’arbre, aux branches alors nues, et sur laquelle s’était dévoilée une silhouette familière.

Satia soupira. Il s’était écoulé de longues semaines et elle n’avait pas encore revu son ami. À croire qu’ils ne partageaient pas la même notion du mot « bientôt ».

–Bonsoir.

Le ton glacé fit frissonner Satia, et elle retint un cri en portant ses mains à sa poitrine.

–Lucas ! Tu m’as fait peur !

Le Massilien était adossé au large tronc, les bras croisés, ses ailes à demi-repliées. Son uniforme gris était boutonné jusqu’au col, comme à son habitude. Quelle que soit la saison, Satia ne l’avait jamais vu autrement vêtu. À croire que ni le froid ni la chaleur n’avait de prise sur lui.

L’Émissaire la rejoignit et salua.

–Ne me refais jamais ce coup-là, menaça-t-elle.

–Ne devrais-tu pas être plus vigilante ?

–La Garde du Phénix est censée veiller sur moi, maugréa-t-elle.

Le jeune homme ravala un commentaire désobligeant. Aucun des soldats ne s’était aperçu de sa présence avant qu’il n’atterrisse auprès d’eux. Et ils avaient bondi presqu’aussi haut que Satia quand il avait posé sa main sur leur épaule.

Mais la mettre dans la confidence ne ferait que l’angoisser davantage.

–Comment te fais-tu à ta nouvelle vie ? s’enquit-il.

Un changement de sujet digne des conseils de Matthias. Il regarda son visage s’éclairer tandis qu’elle se lançait dans une description détaillée de ses appartements, de ses cours et des Seyhids qui peuplaient le Palais. Aucun doute n’était possible, elle s’épanouissait dans ce rôle, et il en était ravi. La fuite et la peur qu’on découvre son secret avaient été son quotidien pendant de trop nombreuses années. L’incertitude du lendemain avait gouverné la plupart des décisions prises par son père. Lucas espéra que ce dernier changement lui permette d’envisager l’avenir plus sereinement et de bâtir des projets au long cours. Elle apporterait un souffle de fraicheur et de renouveau bienvenus à la Fédération.

Satia s’interrompit brusquement devant les hautes grilles du Palais.

–Oh, nous sommes déjà arrivés…

–Oui.

–Je suppose que tu ne peux m’accompagner plus loin ?

–Ce serait préférable.

–Merci d’être passé, alors, dit-elle en se forçant à sourire.

–C’était un plaisir, Durckma, répondit Lucas avant de s’incliner formellement, poing sur le cœur.

Un salut parfait exécuté au millimètre près, avec une précision toute massilienne. Lucas se pliait au protocole avec autant de naturel qu’un Seyhid. Et une grâce que nombreux lui auraient enviée. Satia savait que l’entrainement des Mecers leur conférait cette habilité à gainer de douceur l’acier de leurs actions, pourtant le voir à l’œuvre était toujours autant déstabilisant.

Satia puisa un dernier réconfort dans le regard bleu-acier de son ami, avant de rentrer au Palais. Chez elle, désormais. Alors pourquoi se sentait-elle toujours aussi seule une fois passée la porte de ses appartements ?

*****

Les jours, les semaines puis les mois s’écoulèrent. Satia alternait entre les réunions, les entretiens protocolaires, les bals et réceptions plus festives. Elle visitait les Royaumes, rencontrait le peuple qu’elle serait un jour amenée à diriger, décryptait pendant des heures des colonnes de chiffres hermétiques sur les finances de la Fédération.

La jeune femme jonglait tant bien que mal entre vie privée et maintien des apparences. Elle se ressourçait auprès de son père, si fier et si inquiet, prenait du bon temps avec les Seyhids qu’elle appréciait.

En de trop rares occasions, elle parvenait à voir Lucas. Son ami ne restait jamais bien longtemps sur Sagitta, mais elle savait qu’il venait aux nouvelles dès qu’il le pouvait. L’Empire se montrait très agressif et enchainait les attaques en forçant les Portes. Quand ce n’était pas le cas, les impériaux s’arrangeaient pour engager des troupes de mercenaires prêts à tout pour semer le chaos sur le sol de la Fédération.

Satia était bien placée pour savoir que les Mecers étaient souvent engagés au cœur des combats les plus féroces. Chaque fois, elle espérait que Lucas s’en sorte vivant. La Durckma préférait ne pas connaitre ses affectations. Elle n’avait pas besoin de distraction supplémentaire.

Le jeune homme ne se plaignait jamais lors de leurs rencontres, même lorsqu’il était blessé. Un détachement qu’elle avait du mal à considérer. Pourtant, elle savait à quoi s’attendre ; c’est en persévérant face à sa froideur et son impassibilité qu’elle était devenue son amie. Le Massilien aurait pu donner des leçons d’indifférence à des rochers.

Il restait son seul véritable confident. La méfiance de Satia était trop profondément ancrée en elle pour qu’elle ose partager son intimité avec les Seyhids de son âge, même avec ceux qu’elle appréciait comme Joya ou Lyni. Quant à son père… il n’était pas de la même génération. Elle ne se voyait absolument pas lui parler de sa vie sentimentale.

Alors que tout était si naturel avec Lucas. Il savait écouter sans la juger. Il n’avait pas eu l’air surpris quand elle lui avait annoncé sa relation avec Damien avec enthousiasme.

Ni quand elle lui avait appris qu’elle y avait mis un terme, quelques mois plus tard. Satia avait beau eu s’y attendre, le comportement du jeune Seyhid avait trop changé en sa présence pour qu’elle continue à l’apprécier. Elle avait voulu croire que ce n’était pas sa fonction qui l’avait attiré en premier lieu. En pure perte.

Satia lui avait laissé sa chance et il n’avait pas su la saisir, trop aveuglé par son ego. Pourtant, la Durckma aurait apprécié avoir quelqu’un près d’elle pour la rassurer et partager ses craintes. Elle s’était fait une raison, elle devrait se débrouiller seule.

Lucas n’avait pas cherché à la consoler. Après tout, Satia avait fait son choix, et ne le regrettait pas. Le Massilien avait senti qu’elle ne souhaitait pas s’étendre davantage sur le sujet, et il lui avait narré quelques anecdotes sur sa vie de Mecer. Ne pas s’appesantir sur le passé ; espérer en un avenir meilleur. La vie d’un soldat paraissait si simple en comparaison de la sienne…

Même si leur réalité restait bien plus brutale que le cocon dans lequel elle vivait son quotidien, elle en avait conscience.

La Durckma s’éloigna de la fenêtre. La pluie tombait drue en cette soirée d’été, et les nuages noirs masquaient les dernières lueurs du soleil couchant. Bientôt quatre ans qu’elle était Durckma, et elle restait toujours mélancolique après avoir quitté son père. Cette fois, il lui avait offert une dague. Craignait-il donc pour sa vie ? Cette dague était dans la famille depuis des générations, lui avait-il dit quand il l’avait retrouvée en farfouillant dans le grenier.

Et c’était à son tour de la posséder. La poignée était finement ouvragée, recouverte d’une mince pellicule d’or. La garde était formée par les ailes d’un oiseau, un phénix. Les griffes de ses pattes se refermaient sur une gemme, lisse et ovale, d’un blanc laiteux.

Satia soupira. Demain aurait lieu le bilan des dernières nouvelles, pendant la réunion entre le Souverain et les douze Djicams. Comme toujours, Satia serait invitée à s’exprimer sur le sujet. Une bonne nuit de sommeil lui remettrait les idées en place.

Elle rangea sa dague sur la petite table à côté de son lit, et souffla la lumière.

*****

Accroupi sur un toit en compagnie de Matthias, Lucas contemplait avec détachement la débâcle en contrebas. Malgré la pluie qui ruisselait sur eux, les deux Mecers étaient imperturbables.

–Admets que la Garde du Phénix se débrouille, cette fois, commenta l’Émissaire Matthias.

Ses ailes s’élevaient gracieusement dans son dos, assurant son équilibre. L’une d’une était repliée au-dessus de sa tête, l’abritant quelque peu de l’ondée. Quatre Cercles dorés s’entrelaçaient sur le côté gauche de son uniforme gris.

–Ils auraient pu éviter d’amener le combat aux portes du Palais, se contenta de répondre Lucas.

S’il ne s’était pas retenu, il aurait éliminé la menace bien plus tôt. Cependant ils étaient sur Sagitta, et rien ne l’autorisait à outrepasser ses fonctions. Les attaques s’étaient multipliées ces derniers mois. Visaient-elles réellement le Souverain comme le soutenait l’Assemblée ?

Lucas en doutait. Sans preuve concrète, il ne pouvait que veiller à ce que la Garde du Phénix s’occupe correctement de son devoir.

Matthias se redressa et s’ébroua, en un futile effort pour chasser l’eau de ses plumes alourdies.

–C’est terminé.

Lucas acquiesça.

–Rentrons.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Notsil ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0