Chapitre 4

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Sagitta, Douzième Royaume.

Valyar, capitale.

Coincés dans la foule, Satia et son père Lisko ne parvenaient plus à avancer. La grande avenue était bondée et il était impossible de progresser. Au loin s’entendaient les notes de la parade instrumentale qui descendait les rues. Certainement la raison pour laquelle tout le monde s’entassait avidemment le long des barrières, disposées pour permettre au cortège de se déplacer sans encombre.

–Pourquoi ne passons-nous pas par les petites rues ? demanda Satia.

–Entendu.

Laborieusement, ils rebroussèrent chemin à travers la foule, s’excusant lorsqu’ils bousculaient quelqu’un par mégarde.

Enfin ils eurent un peu plus d’espace pour respirer. Satia soupira de soulagement. Elle vérifia machinalement que ses gants et son manteau étaient bien en place. Vraiment, il lui tardait que les festivités se terminent et qu’elle puisse retrouver sa tranquillité. Elle avait du mal à comprendre pourquoi son père tenait tant à ce qu’elle sorte comme les jeunes de son âge… ne pouvait-il comprendre qu’elle n’était pas comme eux, de toute façon ? Elle regrettait presque d’avoir cédé, mais elle savait aussi que cela lui faisait/ferait tellement plaisir… Elle soupira de nouveau. La prochaine fois, peut-être réussirait-elle à le convaincre de sortir avec ses amis et de la laisser seule à la maison.

Ils s’engagèrent dans les ruelles, parallèles à la grande avenue. Lisko connaissait parfaitement les lieux et savait où tourner pour rejoindre leur but.

Les rues étaient étroites, et les habitations de plusieurs étages de part et d’autre empêchaient les rayons du soleil d’atteindre les pavés.

–Est-ce encore loin ?

–Nous traversons encore deux rues et nous y sommes, répondit son père.

Trois hommes surgirent d’une rue adjacente, leur barrant le passage. Leurs vêtements étaient rapiécés, leurs visages sombres et déterminés. Satia frissonna et resserra son manteau autour d’elle. De mieux en mieux. Pour la quatrième fois, elle regretta d’avoir accédé à la requête de son père.

Lisko referma la main sur sa dague avant de se placer devant elle.

–Laissez-nous passer.

Comme elle, il n’aimait pas se battre, mais leur vie mouvementée lui avait appris à manier une arme.

L’un des truands eut un sourire qui révéla ses dents jaunâtres.

–Ne nous prenez pas pour de simples bandits. Nous sommes des soldats. à un contre trois, vous ne pourrez jamais nous battre. (Son regard se fit dur). Donnez-nous la fille.

–Hors de question, répliqua Lisko.

–Nous ne voulons pas vous tuer, commença le chef qui s’impatientait. Ne soyez pas stupide. Nous ne lui ferons aucun mal.

Avançant d’un pas, Lisko brandit son arme.

–Pas un pas de plus, vermine ! Je ne vous laisserai pas l’amener à Dvorking.

–Très bien, puisque c’est ainsi… (Il sourit). Vous autres, aboya-t-il, occupez-vous de lui.

Ses complices dégainèrent leurs lames d’acier et s’avancèrent vers Lisko.

Une ombre plana un instant sur la scène.

–Déguerpissez, et vite.

Le ton était glacial, coupant. Le sourire du chef s’évanouit lorsqu’il leva les yeux. Un Emissaire.

Le massilien se posa, devant Lisko et sa fille. Fermement campé sur ses jambes, l’épée au clair, les ailes légèrement écartées pour prendre un aspect plus menaçant, il braqua son regard de glace sur le chef.

–Je ne me répéterai pas. Dépêchez-vous, avant que je ne change d’avis.

La menace était implicite. Se sachant vaincu d’avance, le chef ne tergiversa pas.

–Ce n’est que partie remise, dit-il en lançant un regard noir à Lisko. Venez, on s’en va.

Lorsqu’ils furent hors de vue, l’Emissaire rengaina son épée et se tourna vers Lisko.

–Personne n’est blessé ?

–Non, grâce à votre intervention. Soyez-en remercié.

–Je n’ai fait que mon devoir.

Satia se rapprocha.

–Est-ce encore une simple coïncidence, Lucas ?

–Non. Je te cherchais.

L’étonnement se peignit sur les traits de Satia.

–Comment ça ?

Le jeune homme ne répondit pas. Inquiète, Satia s’adressa à son père.

–Qu’est-ce qu’il se passe ?

–Nous en avons déjà parlé, Satia. Je ne crois pas que la présence de ce jeune homme soit un hasard. Nous sommes surveillés. J’imagine qu’elle doit vous suivre ? demanda-t-il à Lucas.

–Oui. Elle est attendue.

Lisko médita la réponse quelques secondes.

–Je vois, dit-il enfin. Elle sera en sécurité ?

–Sur mon honneur.

–Ce n’est pas vraiment ce que nous avions prévu, mais… le choix te revient, ma fille.

–Ca ne me coûte rien d’y aller, n’est-ce pas ? dit-elle en affichant une assurance qu’elle ne ressentait pas.

–Je t’attendrai à la maison, dit Lisko en l’enlaçant. Le temps qu’il faudra. Ne te presse pas pour moi.

–Merci, fit-elle en enfouissant sa tête dans son épaule.

Lisko l’entoura de ses bras pour une dernière étreinte, avant de la détacher de lui doucement.

–Pars, maintenant.

Avec un dernier regard pour son père, la jeune fille suivit l’Emissaire Lucas. Ils cheminèrent plusieurs minutes en silence, dans des rues désertes. Elle n’avait aucune idée de l’endroit où il la conduisait. Depuis quand dépêchait-on un Mecer comme guide ? Les soldats d’élite massiliens avaient certainement des préoccupations plus importantes…

–Qui veut me voir ? demanda-t-elle enfin.

–Je n’ai pas le droit de répondre à cette question.

–Pourquoi ?

–Tels sont mes ordres. Aie confiance, ajouta-t-il face à sa frustration. Tu es mon Estérel. Je ne laisserai personne te faire du tort.

–Je sais que les Massiliens sont tenus de dire la vérité, Lucas, s’agaça-t-elle. J’aimerai juste ne plus être toujours tenue dans l’ignorance, ajouta-t-elle après un instant de silence.

–Je comprends, répondit Lucas.

Elle attendit qu’il poursuive, en vain. Satia soupira. C’était peine perdue, jamais il ne lui donnerait ses raisons d’agir ainsi. Elle n’avait toujours aucune d’idée sur l’identité de la personne qui souhaiter la rencontrer, mais une chose était sûre, sans Lucas elle aurait refusé net. Faire cas d’autant de mystère… une telle arrogance de supposer qu’elle devait ainsi obéir… franchement, pour qui se prenait cet individu ?

Perdue dans ses pensées, Satia se laissa guider à travers des rues peu fréquentées.

–Pourquoi toi ? demanda-t-elle.

Lucas hésita suffisamment pour que Satia le remarque.

–Ils ont supposé que tu ne suivrais certainement personne d’autre, énonça-t-il lentement.

Il se tut un instant.

–J’ai eu beaucoup de chance d’arriver à temps. S’il t’était arrivé quelque chose, je n’aurais jamais pu me le pardonner.

Bon, elle avait au moins appris qu’elle n’aurait pas un mais plusieurs interlocuteurs. Elle réfléchit furieusement. Une guilde quelconque ? Non, ils n’auraient jamais les moyens de se payer un Mecer. Et puis, quel intérêt ? Elle regarda autour d’elle, et son cœur s’arrêta.

Ils arrivaient à l’entrée du Palais. Cet ensemble d’édifices, taillés dans des schistes métamorphiques mauves, était le siège du pouvoir de la Fédération. De nombreux bâtiments s’épanouissaient en corolle autour de la haute tour qui regroupait les appartements du Souverain et des Djicams.

Des parcs parsemés de jardins ou de petits étangs jouxtaient les bâtiments, reliés entre eux par des allées sablonneuses. Toute cette beauté était cachée derrière de hautes grilles, gardées par des soldats portant la livrée du Souverain, un phœnix flamboyant stylisé prenant son envol sur un fond noir.

Douze portes, comme autant de Royaumes, en permettaient l’accès. Lucas salua le garde de la Neuvième porte, qui leur accorda l’entrée, et s’avança vers le bâtiment de l’Assemblée. Ils traversèrent plusieurs allées bordées de haies taillées. Des parterres de fleurs laissaient planer un doux parfum d’allégresse. Devant la porte en bois massif du bâtiment où était sculpté le phœnix en plein essor, deux gardes portant la livrée de Dionéris veillaient. Ils saluèrent l’Emissaire, qui se tourna vers Satia.

–Mon rôle s’arrête ici. A toi d’entrer et de continuer ta route. Eraïm te garde.

–Merci, répondit-elle distraitement en écartant sa mèche mauve qui lui tombait dans les yeux. Les Djicams. Elle était convoquée par les représentants des douze planètes. Qu’allait-elle faire ? Elle prit une grande inspiration, et poussa la porte.

*****

Satia se retrouva dans un long couloir. Anxieuse, elle fit quelques pas. Des cadres étaient accrochés sur les murs de pierre, représentant différents portraits. Satia les reconnut pour les avoir étudiés : il s’agissait des précédents Souverains de la Fédération des Douze Royaumes.

Félénor avait été le premier à unir les douze jeunes planètes. Il avait aussi scellé le pacte avec Ilik, le maître-phœnix, devenu le symbole de la Fédération. L’Empire des Neuf Monde, déjà vieux de plusieurs millénaires, et qui voyait d’un mauvais œil la jeune Fédération qui déployait sa puissance. L’Empereur régnait en ce temps-là sur plusieurs centaines de planètes, qui payaient un lourd tribut aux Neuf Familles qui se partageaient le pouvoir. La science des maîtres généticiens était alors à son apogée. Les créatures qui sortaient de leurs mains expertes allaient gonfler les rangs de l’armée.

Mais l’Empereur en voulait toujours plus : il désirait l’immortalité. Les phœnix, jusque-là respectés, se retrouvèrent alors traqués, capturés, éliminés. Leur nombre diminuait inexorablement, pourtant les scientifiques n’arrivaient toujours pas à percer le secret qui leur conférait cette immortalité tant convoitée.

Les phœnix quittèrent alors en masse l’Empire des Neuf Mondes et se réfugièrent dans la Fédération. A l’ère des balbutiements des transports spatiaux, les phœnix étaient les seules créatures connues capables de traverser les grands espaces interstellaires. Capables de communiquer avec les humains, et d’une rare intelligence, ils étaient respectés par tous, voire déifiés dans les villages les plus reculés. Voir un phœnix était un présage de félicité. Qu’il se posa sur un toit, et la maison se trouvait bénie.

Aussi la persécution de l’Empire à leur égard fut considérée comme un sacrilège. Le mécontentement gronda dans les rangs des planètes-esclaves. En réponse, l’Empereur envoya ses armées dans une sanglante répression, ce qui ne fit qu’accroître la colère du peuple. Les troubles augmentèrent. Mais que peut faire la plus puissante armée de la galaxie face à une guérilla permanente ?

Lorsque l’Empereur Jorc apprit que les phœnix s’étaient réfugiés sur douze planètes, sa rage ne connut aucune limite. Ses armées les plus féroces se préparèrent à marcher sur la Fédération.

Félénor, tout juste désigné Souverain, reçut un ultimatum. S’il ne voulait pas voir la Fédération mise à feu et à sang, il devait immédiatement livrer les phœnix à l’Empereur Jorc. Félénor s’étant engagé vis-à-vis des phœnix, sa réponse fut une déclaration de guerre, qui laissa l'Empereur Jorc sans voix. Quoi, la Fédération osait le défier ? Lui ? Dont les ressources étaient illimitées ? Plus de cent planètes étaient sous sa coupe. Il pouvait mobiliser de quoi repeupler la Fédération tout entière. Il n'avait rien à craindre !

Cependant, l’Empereur Jorc avait oublié un détail : le mécontentement des populations dans son propre Empire. Les rébellions se succédèrent, et l’Empereur Jorc mobilisa ses corps d’armée les uns après les autres pour mater les révoltes. Peu à peu, le cœur de l’Empire se trouva vidé de ses ressources militaires. Alors la Fédération lança son attaque. Avec ses maigres ressources, elle parvint à mettre en déroute les lambeaux d’armées que lui présentèrent les Neuf Familles. L’Empereur fut capturé par l'armée de la Fédération des Douze Royaumes, puis décapité, et la paix signée. Et Félénor entra dans l’histoire.

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